LE MAQUIS DE BARNEVILLE-SUR-SEINE (Eure). Le 24 août 1943.

L’appellation « Maquis de Barneville » date, en réalité, de la Libération, pour désigner le sous groupe de Francs Tireurs et Partisans (FTP, détachement Jeanne-d’Arc, groupe Lorraine) ayant agi à Rouen et ses alentours (Seine-Inférieure, Maritime) durant le premier semestre de 1943.
A l’automne 1942, les FTP de Seine-Inférieure dirigés alors par André Duroméa, commissaire militaire régional, chargèrent Albert Lacour et Maurice Mailleau de recruter de jeunes volontaires pour la lutte armée contre l’occupant. L’objectif était de renouveler le mouvement des FTP sur la ville de Rouen et ses alentours. Au cours de 1941 et 1942, les FTP de l’agglomération rouennaise avaient perdu de nombreux combattants, arrêtés, déportés ou parfois fusillés suite à une active répression policière. Albert Lacour et Maurice Mailleau rassemblèrent d’abord des jeunes de leur connaissance de la rive gauche de Rouen, puis, après février 1943, les lois sur le STO amenèrent des réfractaires devenus « illégaux » et cherchant à se cacher des autorités.
L’organisation des FTP, bras armé du Parti communiste clandestin depuis 1942, préconisait la guérilla urbaine avec des combattants dispersés organisés en triangle et considérait les regroupements en maquis comme un piège mortel pour les combattants. Au printemps 1943, on dut déroger à ces principes à cause du manque de planques en ville où dans des fermes : le groupe nouvellement formé d’une quinzaine d’hommes se dissimula donc dans la forêt des Essarts à proximité de Rouen où le Parti communiste avait auparavant installé son imprimerie clandestine dans une maison forestière.
Puis cette présence dans la forêt des Essarts étant devenue repérable et dangereuse, les jeunes francs-tireurs pour la plupart « en apprentissage » s’installèrent le 1er août 1943 dans une grotte située dans le Bois de la Fromagerie, à Barneville-sur-Seine (Eure), commune limitrophe de la la Seine-Inférieure. Ce déménagement forcé du QG des FTP était une solution de repli peu satisfaisante et tellement précaire qu’elle ne pouvait-être que provisoire. Le regroupement, au même endroit d’une quinzaine de combattants « en maquis », les exposait à un assaut de la force occupante en cas de découverte.
Aussi bien, le séjour dans la grotte de Barneville ne dura au total que les trois premières semaines du mois d’août et se termina tragiquement le 24 août 1943 par l’anéantissement du groupe de francs-tireurs par les Allemands aidés par la police française.
Le groupe FTP de Barneville était « suivi » par Jules Bridoux, commandant militaire venant d’Amiens et basé au Havre en 1943. Albert Lacour était à la tête du groupe de partisans, assisté de Maurice Mailleau et de André Dumont qui, également venu d’Amiens, disposait d’une expérience militaire dans les FTP. Un déserteur de la Wehrmacht nommé Rudolph Pfandlbauer se joignit aux maquisards FTP durant le mois d’août 1943, c’est-à-dire peu avant l’attaque allemande qui mit fin au maquis.
Le groupe mit à son actif plusieurs actions principalement sur la rive gauche de Rouen : sabotages nombreux, entrepôts incendiés, pylônes électriques sciés, déraillements et attentats ferroviaires. En effet Rouen comportait de nombreuses installations portuaires et industrielles utilisées par les Allemands. Les câbles électriques à haute tension traversaient la Seine et la ligne de chemin de fer reliait par Rouen (passage obligé) le Nord et le Sud des fortifications de la Manche. Ces opérations durant le premier semestre de 1943 étaient la continuation des nombreuses actions déjà menées par les prédécesseurs FTP de Rouen au cours des années 1941 et 1942.
Durant l’été 1943, le groupe de FTP fut affecté par une première arrestation, à Rouen, d’un de ses membres le 31 juillet 1943 : celle de Gérard Brillet, nouvelle recrue FTP, arrêté chez lui à Rouen par l’inspecteur Louis Alie, de la brigade antiterroriste de Rouen. Puis le 12 août 1943, le cadre militaire Jules Bridoux, clandestin au Havre, fut abattu en mission devant le siège de la Gestapo du Havre, tandis que Maurice Mailleau, blessé et arrêté lors de cette action au Havre fut transféré dans les services de police de Rouen.
Le 24 août 1943, mit un tragique point final au groupe d’Albert Lacour et Maurice Mailleau. Lors d’une attaque matinale à main armée contre un centre de distribution de tickets de rationnement à Grand-Quevilly, le jeune franc-tireur Achille Guisier fut reconnu par un dénonciateur, peu après, dans un tramway de Rouen. Arrêté et menacé de mort par la police d’Alie, il révéla l’existence du QG de la grotte de Barneville. Le 24 août au soir, l’inspecteur collaborateur Alie, et plus d’une centaine de soldats allemands et de GMR, police française, se lancèrent à l’assaut de la grotte de Barneville. Deux des maquisards furent abattus au cours d’un combat inégal : Albert Lacour et Rudolph Pfandlbauer.
Juste avant l’assaut final, Albert Lacour, avait proposé à ses camarades de se rendre en sortant de la grotte afin d’épargner des vies humaines, tandis que Pfandlbauer et lui restèrent à l’intérieur. Puis ce fut l’ultime attaque des Allemands avec armes automatiques et à la grenade qui coûta la vie aux deux partisans. Au soir du 24 août 1943, le groupe FTP de Barneville était anéanti avant la tombée de la nuit.
Parmi les FTP arrêtés ce jour-là, six furent exécutés comme otages le 8 novembre 1943 au stand de tir du Madrillet à Grand-Quevilly. Il s’agissait de Jean Séhy et son frère André Séhy, Maurice Compagnon, Marcel Lechevallier, Robert Legros, Maurice Mailleau.
Un septième homme, André Dumont de Mers-les-Bains (Somme), arrêté également à Barneville fut fusillé à la citadelle d’Amiens le 5 février 1944. Le 8 novembre 1943 le FTP havrais Ernest Derrien qui fut capturé avec Maurice Mailleau, fut fusillé avec ceux de Barneville ainsi que Gérard Brillet de Rouen qui, sans être encore enregistré aux FTP, avait participé à certaines de leurs actions en juillet 1943.
Les autres arrêtés de Barneville furent déportés à Buchenwald : Roger Cavel, Jean Baptiste Lepront, Christian Pivert, Marius Thébaut. Un déporté le fut à Mauthausen : Achille Guisier. Roger Cavel fut le seul à ne pas revenir vivant de Buchenwald en 1945.
Enfin le franc-tireur Christian Sénard échappa à une mort certaine en s’évadant le 28 octobre 1943 de la prison de Rouen Bonne-Nouvelle en compagnie du dirigeant interrégional FTP Albert Leroy. Les deux hommes reprirent aussitôt le chemin de la lutte contre l’occupant.
Dés la fin 1944, la ville de Petit-Quevilly honora la mémoire d’Albert Lacour, de Maurice Mailleau, des frères Séhy en attribuant leurs noms à des rues de la commune. À la Libération, sous l’impulsion des maquisards survivants et de la ville de Petit-Quevilly (mairie PCF), un comité pour le souvenir du maquis de Barneville fut fondé, organisant chaque année à la fin du mois d’août une cérémonie du souvenir à la grotte de Barneville. Albert Lacour, considéré comme le chef organisateur du maquis FTP de Barneville devint une icône du « Parti des fusillés ». Sa bravoure, à l’instar de celle de Guy Mocquet ou de Fabien, fut donnée en exemple à la jeunesse lors des meetings du PCF de l’après-guerre. En 1961 une rue nouvelle de Petit-Quevilly prit le nom de rue du Maquis de Barneville. En 1967, Fernand Châtel, journaliste communiste en charge à l’Humanité de la mémoire résistante, ancien dirigeant FTP, ancien déporté à Sachsenhausen raconta la première histoire du Maquis de Barneville dans une plaquette éditée à la mairie de Petit-Quevilly.
Plus tard, à partir des années 2000, l’accès aux archives départementales devint possible et permit la consultation des procès verbaux de la police de Rouen durant l’Occupation, du procès de l’inspecteur Alie à l’automne 1944, des interrogatoires qu’il mena auprès des francs-tireurs emprisonnés à Bonne-Nouvelle.
Il devint donc possible d’avoir une approche moins sélective, moins mémorielle et plus scientifique de l’épopée de ces jeunes résistants.
Sources

SOURCES : DAVCC, Caen. — Archives Départementales de Seine-Maritime : Dossier Policier Alie de Rouen 1943, Inculpés-Barneville (sans cote). — Notes et plaquette 1943 : Petit-Quevilly au temps du Maquis de Barneville (publiée en 2013) de Michel Croguennec, archiviste à Petit-Quevilly. — Archives départementales de Seine-Maritime : documents sonores 1940-44 : entrevues (1982) avec les anciens FTP Gustave Avisse et André Duroméa, avec Ferdinand Delrot (1983) et Christian Sénard (1991) rescapé de Barneville. — Hommage aux fusillés et aux massacrés de la Résistance en Seine Maritime.1940-1944, édité par l’Association Départementale des familles de fusillés de la Résistance de Seine-Maritime(1992). — « Les Chantiers de Normandie (de Grand-Quevilly) », ouvrage de Michel Croguennec Rouen, Edition Gecko, petit à petit (2008). — « André Duroméa raconte » Editions Messidor 1987. — « Communistes au Havre » Marie-Paule Dhaille-Hervieu Editeur PURH (2010). — Plaquette récit racontant l’histoire du Maquis de Barneville, par Fernand Châtel (1967). — Arch. Mun de Petit-Quevilly pour l’iconographie. — Michel Croguennec :1943 Le maquis de Barneville Ed. L’Echo des Vagues (2017) . — État civil.

Jean-Paul Nicolas, Michel Croguennec

Version imprimable