Né le 13 novembre 1906 à Paris (XIVe arr.), déporté, fusillé, le 11 octobre 1944, par les SS, avec 26 autres internés politiques au camp de Sachsenhausen ; ouvrier électromécanicien ; de 1933 à 1939, syndicaliste CGT du raffinage pétrolier à Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) ; résistant arrêté en juin 1942.

Emile ROBINET
Emile ROBINET
Photo Christiane Giffard
La Strafkompanie. Dessin de René Rhein
La Strafkompanie. Dessin de René Rhein
Les déportés de cette compagnie disciplinaire, portaient des sacs à dos chargés des briques de Sachsenhausen.
Union Locale cgt Lillebonne-Gravenchon
Union Locale cgt Lillebonne-Gravenchon
Plaque souvenir des martyrs cgt 1940-1944. Posée en 1984.
Sa mère, Marie Joséphine Troncy avait vingt-deux ans à la naissance d’Émile. Elle l’éleva seule à Paris jusqu’à ses quatorze ans. Émile fut « adopté par la Nation » en vertu d’un jugement du tribunal civil de la Seine de 1918. Puis Marie se maria en 1920 à Louis Joseph Robinet qui adopta Émile lequel porta son nom : Émile Robinet.
En 1924, la famille quitta Paris pour s’installer à Glos-sur-Risle (Eure) où Joseph Robinet était contremaitre dans une cidrerie tandis qu’Émile apprit le métier de son père adoptif : plombier. A 18 ans, sa fiche matricule indiquait le métier de chauffeur d’automobiles, barré quelques années après en 1935, et remplacé par celui de mécanicien frigoriste. Après son service militaire au 19e Escadron du Train, du 15 novembre 1926 au 14 avril 1928, il se maria le 11 août 1928 à Yvonne Huet, confectionneuse, native d’Authou (Eure). Jusqu’au début des années trente, il travailla à l’usine électrique de Saint-Philbert-sur-Risle (Eure). En 1933, il fut embauché à la toute nouvelle raffinerie Vacuum-Oil-Company (Mobil-Oil) de Notre-Dame-de-Gravenchon qui se dressait sur la rive droite de la Seine aux côtés de sa sœur, elle aussi américaine, la raffinerie Standard de Port-Jérôme (Seine-Inférieure, Seine Maritime). Comme employé de la Vacuum, Emile Robinet habitait avec son épouse et sa fille unique Christiane dans un logement de fonction neuf à la cité Vacuum à Notre-Dame-de-Gravenchon au 4 rue des Marronniers. En 1934, les salariés des deux raffineries se constituèrent en un syndicat CGT des produits chimiques qui regroupait les deux syndicats des entreprises Vacuum et SFAR (Standard Franco Américaine de Raffinage). Émile Robinet et André Augeray, tous deux nés la même année 1906 dans le même XIVe arrondissement parisien, participèrent à la création de la CGT côté Vacuum, tandis qu’ Henri Messager, côté Standard, dirigeait la CGT de cette raffinerie. En juin 1936, les deux raffineries se mirent en grève durant quinze jours, rejoignant le mouvement social général en France. A cette époque deux leaders CGT s’affirmèrent côté Vacuum-Oil : André Augeray et Emile Robinet. Puis l’euphorie du Front Populaire retombée, les acquis sociaux de juin 1936 furent un à un remis en question par le patronat puis en 1938 par les décrets-lois du gouvernement Daladier. La grève nationale du 30 novembre 1938 contre ces décrets-lois et, en filigrane, contre les accords de Munich, se déroulèrent différemment dans les deux usines.
André Augeray et Emile Robinet, au nom de la CGT, passèrent un accord préalable avec la direction Vacuum pour qu’aucun salarié de l’entreprise ne soit licencié en échange d’une promesse de ne point procéder à une occupation des locaux comparable à celle de juin 1936. Ainsi, la Vacuum ne licencia personne en 1938 à la suite du 30 novembre. De son côté la raffinerie SFAR licencia six salariés de la CGT : le leader Henri Messager, trois responsables Maurice Bonvin, Félix Guégan et Louis Daëns ainsi que deux syndiqués non identifiés.
Émile Robinet était, dans ces années trente, membre du parti communiste à Notre-Dame-de-Gravenchon sans qu’on puisse actuellement documenter précisément ses responsabilités dans cette organisation, les Renseignements généraux ne le mentionnaient pas dans leurs rapports.
Il fut radié, en 1939, de l’affectation spéciale peu après la déclaration de guerre en raison de ses activités politiques et syndicales (décision du Sous-Préfet du Havre du 1er décembre 1939) et affecté à un régiment semi-disciplinaire.
Après la débâcle et l’armistice de 1940, il fut démobilisé et rentra à Notre-Dame-de-Gravenchon dont les deux raffineries avaient été sabordées et incendiées en juin 1940 par les autorités françaises avant l’arrivée de la Wehrmarcht. Il reprit contact avec ses camarades du pétrole Henri Messager et André Augeray qui prônaient, face à l’Occupation, l’action à la base sur les lieux de travail. La Vacuum ne le réembauchant pas, il trouva du travail dans l’Eure et en Seine-Inférieure, il dut se loger loin de sa maison de la cité Vacuum. Ne pas habiter chez soi, était, par ailleurs, un bon moyen d’échapper aux perquisitions des polices française et allemande aux domiciles des syndicalistes des cités Standard et Vacuum. Des perquisitions opérées par la police française, avaient commencé durant la drôle de guerre, à l’automne 1939 et avaient éveillé la méfiance des militants.
André Augeray et Émile Robinet trouvèrent à s’employer dans des entreprises françaises travaillant dans le dispositif de défense des Allemands en Normandie (aérodromes, DCA, organisation Todt …). C’est ainsi qu’ils travaillèrent ensemble en 1941 pour l’entreprise Chéron comme électriciens sur les aérodromes allemands. Cette situation était pour ces militants, l’occasion de discrètement saboter et espionner le dispositif des occupants.
Lors d’une rafle départementale (Seine-Inférieure) où deux cents personnes du milieu communiste furent appréhendées les 21 et 22 octobre 1941, André Augeray, alors chef d’équipe, fut arrêté sur son lieu de travail à l’aérodrome allemand d’Octeville-Le Havre et incarcéré à la prison de Rouen-Bonne-Nouvelle. Dans son équipe, figurait Emile Robinet qui ne fut pas inquiété ce jour-là, probablement parce que la police ignorait où il se logeait.
Dans cette période de 1941 à mi 1942, Émile Robinet habitait dans l’Eure aux environs de Pont-Audemer et de Beaumont-le-Roger, siège de l’entreprise Chéron. En compagnie de deux camarades de Notre-Dame-de-Gravenchon, Paul Névissas et Max Bouissonnié, il participait à une activité de propagande anti allemande, les tracts étant fournis par Marcel Couturier communiste de Barentin (Seine-Inférieure), réfugié clandestinement à Fourmetot auprès de Pont-Audemer (Eure).
Les trois hommes travaillaient ensemble sur l’aérodrome allemand de Triqueville (Eure). Ils avaient été momentanément détachés au Trait (Seine-Inférieure), lorsqu’ils furent arrêtés le 5 juin 1942 par des Allemands en armes. Ils terminaient un travail sur les installations électriques de la FLAK (DCA allemande) des chantiers navals du Trait. Un quatrième homme fut arrêté simultanément à Triqueville : Fred Hirtzman, originaire de Metz faisait partie du groupe d’Emile Robinet. On apprit plus tard que l’épouse d’Hirtzman avait dénoncé les quatre hommes aux autorités allemandes.
Les quatre hommes furent incarcérés à la maison d’arrêt de Rouen Bonne-Nouvelle au quartier des condamnés à mort dans des cellules séparées. Après une période d’instruction de plus de six mois, le tribunal militaire allemand de la Kriegsmarine les condamna sans comparution à la déportation au motif suivant : activité anti-allemande et, selon les sources, aide à l’Intelligence-Service ou aide à l’ennemi (synonyme d’espionnage). Emile Robinet et ses trois compagnons furent emmenés à Compiègne le 15 janvier 1943 et déportés en Allemagne le 23 du même mois. Dans le convoi du 23 janvier 1943 en direction du camp de Sachsenhausen, comprenant 1600 Français, se trouvait André Augeray*, son inséparable camarade de la Vacuum-Oil.
Arrivé à Sachsenhausen, vaste camp situé à trente kilomètres de Berlin, Émile Robinet, matricule 58689, fut condamné au travail forcé dans le Kommando Heinkel situé dans la gigantesque usine de fabrication d’avions du bois de Gemendorf à 10 kilomètres du camp de Sachsenhausen. Les déportés, logés dans des baraquements, vivaient tout près des bâtiments de l’usine Heinkel qui fabriquait le seul bombardier lourd de la Luftwaffe : le HE 177.
Trois mille Français, parmi toutes les nationalités possibles, se succédèrent à l’usine Heinkel, laquelle comporta jusqu’à 7000 travailleurs forcés. Dans cette usine, une sourde résistance s’organisait, faite de simulation et de lenteur au travail, de gaspillage de métal, d’outils et autres fournitures. Sur les sept chaînes de montage, de subtiles stratégies de sabotages s’élaboraient. Les déportés s’efforçaient de truquer cotes, tolérances, quantités. Certaines pièces n’étaient pas soudées à cœur, mais simplement collées, sans résistance. Les rivets étaient forcés pour que les vibrations en vol les cisaillent. Dans le hall 8 de l’assemblage final, le Français André Bergeron, soutenu par les déportés, jouait un rôle clé pour mettre en panne le pont roulant ou accentuer les défauts des appareils. Dès l’été 1943, une série de catastrophes s’abattirent sur les bombardiers HE 177 : plusieurs atterrissaient sur le ventre, d’autres s’écrasaient, volets bloqués. Au début 1944, sur quatre vingt cinq HE 177 envoyés sur un raid contre l’Angleterre, dix-sept seulement parvinrent à rentrer.
Parallèlement, la direction SS du camp découvrit que des détenus communistes allemands constituaient une organisation de résistance sous-terraine au sein de Sachsenhausen. Elle arrêta, le 2 juin 1944, 165 suspects ( la plupart allemands) d’organiser sabotages et résistance dans le camps. Dans ce groupe se trouvaient une trentaine de déportés français dont André Bergeron et Émile Robinet. Le groupe fut mené au grand camp et isolé dans le block 58, réservé aux « terroristes » selon les SS. Ils furent dirigés vers un Kommando punitif dit la Strafkompanie. Chaque jour, de 6h à 17h on obligeait les suppliciés à parcourir au pas de course 60 tours d’un circuit de test de chaussures pour l’armée et les industriels. Ce circuit qui entourait la place d’appel, mesurait 680 m et était fractionné en sections de divers revêtements : béton, terre labourée, pavés, caillasse, mare d’eau, etc...Ces déportés étaient handicapés par un sac à dos de 12 kg de sable et n’avaient qu’une soupe à manger le midi.
Des séances d’interrogatoires furent mis en place par une commission spéciale des SS, en particulier des déportés français du block 58 dont certains ont pu témoigner à leur retour en 1945. Ainsi Roger Sampic de Sotteville-lès-Rouen rapportait en décembre 1945 aux habitants de Montfort-sur-Risle. Emile Robinet passe à son tour à l’interrogatoire. « Que pensez-vous de l’Allemagne ? » Réponse de notre camarade : « L’Allemagne est foutue ! ». « Robinet ! Vous êtes condamné à mort, à être pendu ou fusillé ! » Réponse : « Puisque je suis condamné à mort, pourquoi faire autant de paperasse ? ». Pris de colère il déchire les dossiers, renverse la table et bouscule les SS qui tentent de le maitriser.
Le Reichfürer Himmler, en personne, furieux de l’existence d’une opposition clandestine dans le camp exigea des têtes et ordonna le 10 octobre 1944 l’exécution pour l’exemple de 27 déportés de Sachsenhausen : 24 prisonniers choisis parmi d’anciens cadres du Parti communiste allemand d’avant 1933 et trois déportés français. L’ordre initial d’Himmler était de procéder à des pendaisons publiques devant tout le camp.
Le 11 octobre 1944, la direction SS du camp obtint une modification de l’ordre d’Himmler : les 27 seraient passés par les armes et non pendus. Les SS, en effet, craignaient des troubles voire une révolte et optèrent pour une solution moins risquée avec des exécutions nocturnes sans témoins.
Au Block 58, 11 octobre 1944, à 9 h du soir, la troupe SS armée et casquée est au complet. Les projecteurs s’allument. Tous dehors au garde à vous ! Les coups pleuvent. Un SS fait l’appel des condamnés à mort, les 165 déportés du block découvrent les noms des condamnés. Vingt quatre Allemands anti-fascistes, comprenant trois députés du Reichtag d’avant 1933, et trois Français sont appelés.
Les trois Français appelés et emmenés étaient André Bergeron M58393, Marceau Benoit M69117 et Émile Robinet M58689. Emile Robinet regarda une dernière fois fixement son voisin Roger Sampic, incitant silencieusement ce dernier à témoigner au cas où il s’en sortirait un jour.
Entravés par des menottes aux pieds et aux mains, montés à l’arrière d’un camion doté d’une mitrailleuse en batterie, les 27 condamnés furent tour à tour jetés à l’arrière du véhicule en mouvement lent à l’intérieur du camp, et mitraillés une fois jetés au sol. La fusillade se déroula à proximité immédiate des fours crématoires du camp, toujours dans le même esprit expéditif voulu par la direction du camp. Sur les registres officiels du camp de Sachsenhausen, la liste des 27 martyrs est suivie à chaque nom de la mention Auf Befehl Erschossen (Fusillé sur ordre).
Après la guerre, en 1946, le raffinage reprit de plus belle à Notre-Dame-de-Gravenchon et l’oubli s’installait. A la Vacuum-Oil, Fernand Quesnel, camarade d’Emile Robinet, rentré sauf de Sachsenhausen fut quelques années secrétaire général du syndicat CGT de Vacuum-Oil devenu Mobil-Oil. Mais l’oubli progressait avec les ans malgré cela. Puis, André Augeray, rescapé du Kommando Heinkel en 1945, fit son apparition en 1978 à Notre-Dame-de-Gravenchon, pris contact avec la CGT de la Mobil-Oil : il venait d’écrire un livre autobiographique sur les années trente à la Vacuum dans lequel figurait Emile Robinet, son camarade de lutte, de résistance et de déportation. André l’avait vu subir les sévices de la Strafkompanie sans pouvoir l’aider et Émile, son sac de sable au dos, lui avait murmuré au passage « Ca va mal ! ».
André Augeray rencontra, à l’occasion de sa venue en 1978, la fille unique d’Émile Robinet, Madame Christiane Giffard, qui entreprit de nombreuses recherches sur son père.Elle avait 10 ans quand son père fut arrêté. Membre très active de l’Amicale des anciens déportés du Camp de Sachsenhausen, elle a pu rencontrer plusieurs camarades d’Émile Robinet qui sont rentrés en France en 1945 pour rapporter leur témoignage de l’indicible.
A l’initiative de Christiane Giffard, Émile Robinet ayant déjà son nom inscrit sur le monument aux morts de Notre-Dame-De-Gravenchon, une stèle de granit fut érigée En hommage aux victimes du nazisme tout prés du monument aux morts. Christiane a sauvé définitivement l’indispensable souvenir de son père, Émile Robinet. On allait l’oublier, y compris dans le monde syndical du raffinage qui avait été le sien. L’union locale cgt fit, par la suite, graver en 1984 une plaque apposée à l’entrée de son local à la mémoire de ses martyrs.
Bien que reconnu Mort pour la France, la résistance d’Émile Robinet ne fut pas validée par le comité départemental de Seine-Inférieure. Il fut homologué DP (Déporté Politique) et non DR (Déporté Résistant).
Sources

SOURCES : DAVCC Caen : dossier Robinet : témoignages écrits de Paul Névissas, Max Bouissonnié, Fernand Quesnel, Roger Sampic, André Augeray, déportés rentrés de Sachsenhausen. —Témoignage déc 1946 , PV de la délégation gouvernement militaire du Wurtemberg, de Nans Zimmerlain interné allemand à Sachsenhausen . — AD Seine, fiche matricule. — témoignage, recherches, articles de Mme Christiane Giffard, fille d’Emile Robinet . — Augeray André, Lejeune Simone, Les tribulations d’un fils de tué M58118, 1978, chez l’auteur, imprimerie nouvelle, 11500 Quillan. — ouvrage collectif, Amicale d’Oranienburg-Sachsenhausen Sachso,édition Terre humaine (réédité TH poche en 2003) . — Jean-Marie Cahagne Notre-Dame-de-Gravenchon, Deux mille ans d’Histoire, éditeur ville de NDG, 2000 . — Journal l’Avenir du Havre, rubrique Nos Martyrs1945.

Jean-Paul Nicolas

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