Les 99 pendus de Tulle (Corrèze) le 9 juin 1944, par les Waffen-SS de la 2e Panzerdivision Das Reich.

Le 6 juin 1944, jour du débarquement allié sur les côtes de Normandie, la Résistance renforça aussitôt son action, et le général de Gaulle, dans une allocution radiodiffusée à 18 heures, fit savoir que «  la bataille suprême est engagée.  »
S’ensuivirent des mobilisations qui visèrent à ralentir la progression des renforts allemands et à saper le moral des troupes d’occupation.
Le 7 juin 1944, les FTP décidèrent d’attaquer la garnison allemande de Tulle, forte d’environ 300 hommes. Cette attaque avait été programmée depuis le mois d’avril.
Mais dans l’après-midi, en l’absence des G.M.R. partis à Limoges, les Allemands exécutèrent froidement 18 gardes-voies et se regroupèrent aux deux extrémités de la ville, au sud à l’école de Souilhac, et au nord à l’École normale de jeunes filles.
Le 8 juin, à partir de 6 heures, les maquisards repartirent à l’assaut ; le bâtiment de l’Ecole normale de jeunes filles fut la proie des flammes ; les combats furent particulièrement violents et meurtriers : environ trente victimes dans les rangs des FTP et sans doute plus de quarante du côté allemand.
A 20 heures, un chef FTP, dans l’euphorie de la libération, se crut autorisé à venir dire au préfet Pierre Trouillé qu’on ne verra « plus un Boche en Corrèze », que «  la France est en pleine révolte. Brive, Toulouse, Tarbes, Lyon, Périgueux sont pris par les FFI  » ; que «  c’est la débandade et s’il prenait fantaisie aux Fritz de venir nous voir, ils seraient reçus de belle façon. »
Or, «  le retour de l’Allemand  » se produisit une heure trente plus tard : un bataillon de reconnaissance de la Division blindée SS Das Reich, commandée par le général Lammerding, en provenance de la région de Montauban, fit son entrée dans la ville.
Le 9 juin, à partir de 6 heures, les SS organisèrent ce qu’un témoin n’hésita pas à qualifier de rafle, «  une rafle gigantesque  » : «  Les volets sont ouverts, et mes parents, complètement figés, regardent à travers les rideaux. Mais quoi ? Je m’avance et découvre à une cinquantaine de mètres de notre domicile, une file d’hommes en civil, encadrée par des soldats allemands. Elle est immobilisée. D’autres soldats sortent d’une maison, amenant avec eux d’autres hommes, des voisins. La colonne avance alors, puis s’arrête ; ses soldats vont quérir d’autres hommes, et le manège recommence…  »
Au moins 3000 hommes, de tous âges et de toutes conditions, furent ainsi «  poussés par des SS », en vue d’une « vérification de papiers », vers un unique lieu de rassemblement : la cour de la Manufacture Nationale d’armes, où furent opérés deux tris sommaires, sous l’impulsion du lieutenant Walter Schmald, membre de la Sipo-SD.
Vers 15 h 45, le commandant SS Kowatsch entra dans le bureau du préfet pour l’informer d’une déclaration du haut commandement allemand. Et le préfet Trouillé de rapporter ses paroles :
«  Monsieur le Préfet, en raison de votre geste humanitaire à l’égard de nos blessés, le haut commandement allemand renonce aux sanctions d’abord décidées contre Tulle, c’est-à-dire l’incendie général de la ville et la fusillade de tous les hommes valides. Mais il ne peut pas laisser passer sans réagir l’insulte faite au drapeau allemand. Cent vingt Tullistes complices du Maquis, c’est-à-dire un nombre double de celui de nos camarades trouvés assassinés hier seront pendus et leurs corps jetés dans le fleuve. » Le préfet s’indigne : «  Mais c’est impossible commandant, parce que c’est injuste. Vous savez bien que les responsables de la mort de vos soldats ne sont pas dans Tulle. Vous allez, tuer des innocents. S’il vous faut des otages, prenez-nous, moi en tête, prenez l’évêque, le trésorier-général, cela fera plus d’effet  ».
L’officier allemand sourit d’un air excédé, consulta sa montre et lui rétorqua : « Votre geste est grandiose [Il voulait dire sans doute « chevaleresque »], mais inutile, Monsieur le Préfet. Les exécutions ont commencé il y a cinq minutes. »
Comme il se levait, le préfet ne put s’empêcher de lui dire «  d’une voix blanche  » :«  Ne les pendez pas, c’est trop affreux  ! »
Les derniers mots de son interlocuteur furent les suivants : «  Je regrette, nous avons pris en Russie l’habitude de pendre, nous avons pendu plus de cent mille hommes à Kharkov et à Kiev, ici ce n’est rien pour nous.  »
Dans le quartier de Souilhac, effectivement, les pendaisons de ceux qui avaient été qualifiés de « suspects » avaient commencé. Elles durèrent deux heures, effectuées par groupes de dix, aux balcons, fenêtres et lampadaires…
L’abbé Jean Espinasse, présent sur les lieux, fut autorisé à « donner les derniers secours  » aux suppliciés et à recueillir les derniers messages de certains d’entre eux.
Les Autorités préfectorales finirent par obtenir la dépendaison des corps et leur inhumation dans une décharge publique, située au bord de la route menant à Brive, au lieu-dit Cueille.
Au mois d’octobre, on procéda à l’exhumation des corps. À l’issue de cette opération d’identification, une cérémonie officielle se déroula le 31 octobre au cours de laquelle le nouveau préfet, Maurice Chatelauze, déclara que l’exécution de ces 99 Martyrs «  les associe au sacrifice de ceux qui relevèrent le drapeau et nous rendirent l’honneur. Ils demeurent maintenant les muets accusateurs, les témoins implacables qui, dans le monde de demain exigeront justice.  »
Le 1er novembre 1950, sur le lieu de l’inhumation, fut inauguré un monument, destiné à symboliser «  pour les générations futures, le lourd tribut de sang et de larmes versé par les Corréziens dans la lutte contre l’oppression.  » Chaque année, le 9 juin, à partir de 17 heures, un cortège se rend au Champ des Martyrs, ce haut lieu de Cueille, «  à jamais sacré  », afin de commémorer l’épouvantable tragédie du 9 juin 1944.
Aux 99 pendus, il convient d’ajouter les 139 déportés dont 101 ne revinrent pas. Avec les 18 garde-voies, la répression se solda par 218 morts à Tulle.

Témoignages synthétisés par Pierre Courteix, archiviste de Tulle
Les Allemands ratissèrent toute la ville à la recherche des hommes. Certains en épargnèrent délibérément. Une petite fille, Michèle Pinardel, jouait autour des pieds de son père. L’Allemand fut attendri. Il dit au père à Michèle : "Je vous attends en bas". Quand son père descendit il n’y avait plus personne. Il put s’enfuir. Un autre homme, à Souilhac, était caché dans une armoire. Un Allemand arriva, entendit craquer à l’intérieur, n’ouvrit pas et partit. Un autre caché dans une cheminée fit tomber de la suie. L’Allemand qui était à sa recherche vit la suie tomber mais ne regarda pas dans la cheminée.
De 8h à 12h, les hommes ne furent pas rassemblés dans la Manufacture d’Armes mais devant sur l’actuel place Albert Faucher (selon le témoignage de Mr Martinie, ancien résistant et faisant partie des hommes rassemblés).
Quand ils rentrèrent dans la Manufacture d’Armes, le tri se fit jusqu’à 17h devant l’ancien bâtiment de direction, le bâtiment 102. Trois lignes furent créées, les pendus, les déportés, les libérés. Walter Schmald changea plusieurs fois des gens d’un groupe à l’autre. Certains se sont trouvés sauvés à un moment puis ont fini pendu. Des pères ont été sortis du rang des pendus pour que leurs fils prennent leur place. Jusqu’au dernier moment aucun homme n’était à l’abri de finir pendu. Pour les survivants il restera éternellement cette culpabilité : pourquoi suis-je resté en vie ?
A 17 heures, les SS ont commencé de pendre (voilà pourquoi depuis, chaque commémoration du 9 juin 1944 commence à 17 heures) en musique avec un électrophone installé devant l’ancien café le Tivoli. Des échelles ont été installées. Les cordes étaient accrochées sur les lampadaires et les balcons. Chaque homme fut sommé de monter sur l’échelle. Certains appelèrent leurs mères et pleurèrent. Le fils du boucher fut pendu sur l’enseigne du magasin de ses parents, un autre pendu devant l’appartement de sa sœur. L’un des otages essaya de se sauver. Il courut sur le pont de Souilhac et se jeta dans la Corrèze. Il fut mitraillé par les SS. Puis à la fin des exécutions, les SS ordonnèrent à des Français de décrocher les cadavres. Ils les entassèrent dans des camions et les jetèrent dans la décharge municipale à l’entrée de la ville au lieu-dit Cueille. Cet endroit deviendra le Haut-Lieu mémoriel voulu par les familles des martyrs.


Les 99 Martyrs de Tulle
ALBERT Charles
ARMAND Léon
BALLET Camille
BEAUFILS André
BLANCHARD Victor, Antoine
BLONDEL Paul
BOISSIER Yves
BONJOUR Jean
BONNET Georges
BOSSAVY Léon, Robert
BOUCHETEL Pierre, Élie
BOUYSSOUX Albert
BOURG François
BRIAT Roger
BROUSTASSOUX Maurice, Roger
BRUDIEUX Julien, Jean, Louis
BUCHMULLER Alexandre (dit Lambert)
BUZY Benjamin, François]
CAQUOT Maurice
CAZIN Georges, Sébastien
CHAGNARD Fortuné
CHALAUX Antoine
CHASTAGNOL Albert, Daniel
CHICHARD Roger, Georges
CHIÈZE Louis, Jean, Eugène (dit Loulou)
COMMUNIER Paul, Marie, François
COUTECHIER Marcel, André
CUEILLE Raymond
CURABET Jean, Simon
DEMAUX Marcel
DRULIOLE Louis
DUMAITRE Jean
FARGE Maurice, André
FAURIE Pierre, Charles
FIOUX Marcel
FOURQUET Georges, Paul
GAMBLIN André, Fernand
GANNE Lucien
GAY André
GHERCHON Raphaël
GIRARD Gaston
GIRARD Jacques
GLADI Henri, Albert, Paul
GLORIA Georges
GODILLON Charles
GUIRANDE Lucien
HENRIET Bernard
HUMBERT Paul
HURST Joseph, Edmond, Albert
INCONNU pendu à Tulle (Corrèze) le 9 juin 1944
JOUGOUNOUX Léon
JUILLE Lucien
KECKLER Henri, écrit parfois HECKLER
KECKLER Lucien, écrit parfois KECKLER
LABESSE Paul
LABORDE Étienne
LACOUR Henri, Edmond, Louis
LAGARDE André, Raymond
LAGUIONIE Jean
LALITTE Henri, Antoine
LAMARRE Michel, Marcel
LARCHEZ Jean-Pierre, Eugène
LASSERON Alphonse
LAURENT Robert, Hélen
LE QUILLEC René, Michel
LE SOUEF Raymond
LEFEVRE Aimé, Charles, Léandre
LESTRADE Pierre, Jean, Édouard
MANOLESCO Lionel
MARCILLOUX Armand
MARI Marius
MAS Antoine
MAUGEIN Jean
MAURY Henri
MESTRE Adolphe, Pierre
MOHAMED Ben Almed
MONS Henri, Julien
MOUSSOURS Alfred
NEYRAT Maurice
NUNEZ Martin, Joseph
PALATSI Maurice
PASTOR Maxime
PEUCH André
PEUCH Guy
PICARD Jean, Martial
PIERRE Auguste, Ernest
REDDON Georges
REGINENSI Pierre
ROCHEDIX Jean, Marius, Joseph
ROUSSARIE Jacques
ROUSSARIE Pierre
ROUX Amédée, Louis
SOULETIE Jean-Pierre
SOULIER Auguste, Marcel, Denis
TEILLÉ François
TOULEMONT Jean-Pierre
TOURNEIX Marcel, René
VIEILLEFOND Jean-François
VITALIS Pierre, Louis
Sources

SOURCES : Pierre Trouillé, Journal d’un Préfet pendant l’Ocupation, Gallimard, 1964 – A. Soulier, Le Drame de Tulle. 9 juin 1944, Naves, imprimerie du Corrézien, 1994. - Tulle. Ville Martyre 1944-2014, Tulle, imprimerie Maugein, 2014 - Tulle, Résistante et Matyre. Chemin de la Mémoire – Gilbert Beaubatie et Christian Seignol, « Le drame de Tulle et les silences de l’Histoire », in Revue des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze, 1997, t. 100, pp. 258-266.

Gilbert Beaubatie

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