En août 1939, le camp du Ruchard accueille les mobilisés du département dans « la pagaille et le plus grand dénuement ». Le camp est surchargé. Il y règne le plus grand désordre. Les uniformes manquent, les équipements distribués datent de la guerre 1914-1918. Les mobilisés sont hébergés sous les tentes marabout où règne une chaleur accablante.
En septembre 1939, le Ruchard devient un camp d’internement pour les ressortissants des "puissances ennemies". Ce sont surtout ceux qui ont fui le fascisme qui y sont internés, dont beaucoup de Juifs.
Le nombre des internés varie de 280 au mois de septembre 1939 à plus de 1400 en mai 1940.
Par ailleurs, le Ruchard reçoit trois bataillons disciplinaires, surnommés les « Joyeux » ou les « Zéphirs », dont un bataillon d’Afrique dont les hommes, selon M. Meier, un interné juif allemand, viennent notamment des prisons de Fresnes et de Fontevraud ; ils se seraient portés volontaires pour la guerre.
Ils forment le 20e Bataillon d’Infanterie Légère qui sera dissous le 7 août 1940.
En mai et juin, c’est l’arrivée des premiers réfugiés qui fuient l’invasion.
Le 21 juin, le pont de Chinon tombe aux mains de l’armée allemande.
Dès l’annonce de l’armistice, le camp est évacué.
A la mi-août, l’arrivée d’une division d’infanterie allemande est annoncée ; c’est la 46e, dont l’emblème est le cerf, qui s’y installe et occupe, en plus du camp, une partie des forêts de Chinon et de Crissay.
Des prisonniers français et alliés, dont des tirailleurs sénégalais et maghrébins, sont internés au camp.
Début septembre 1940, branle-bas de combat au camp.
Un groupe de nord-africains vient de s’évader après avoir creusé un tunnel sous les barbelés. C’est ainsi que Pierre Picarda, 19 ans, agent de liaison de la Résistance, cache trois de ces évadés dans une cave des Roches-Tranchelion pendant plusieurs jours.
Les soldats allemands fouillent la région et reprennent de nombreux évadés.
Le calme revenu, Pierre Picarda réussit à faire passer les trois fugitifs en zone libre.
Sous le nom de Poupineau, Pierre Picarda entrera plus tard au maquis de Scévolles dont la zone d’action est située sur les départements d’Indre-et-Loire, de la Vienne et du Maine-et-Loire.


Le camp du Ruchard devient un lieu de massacre.
Le 16 mai 1942, cinq jeunes communistes tourangeaux, arrêtés par la police française et livrés à l’occupant, condamnés à mort pour activités anti-allemandes (confection et distribution de tracts et de journaux clandestins, inscriptions sur les murs), ainsi que trois résistants issus d’autres départements et internés à Fontevrault, y sont exécutés. Ce sont les premiers fusillés de Touraine.
Anguille André, condamné à mort
Bourdon Maxime, condamné à mort
Couillaud Robert, condamné à mort
FoussierAndré, condamné à mort
Guilbault Robert, condamné à mort
André Robert, otage
Mallet Marcel, otage
Martel Marcel, otage
Le 27 octobre 1942, sept autres résistants, des membres des Francs Tireurs et Partisans du groupe Touraine, condamnés à mort par le conseil militaire allemand de Tours sont fusillés dans la tranchée de tir à laquelle on donnera, plus tard, le nom de « Tranchée des Fusillés ».
Girod Louis
Louis André
Arnoult Lucien
Beaufils Maurice
Bernard Georges
Desormeaux Paul
Biéret Gaston
S’il y eut des tragédies en ces lieux, le camp du Ruchard vit aussi une grotesque mascarade.
En décembre 1940, un service de la Propaganda Staffel est installé au camp.
Durant l’hiver 1941-1942, ce service est chargé de réaliser un film de propagande nazie, « Sollum ».
L’occupant fait construire dans les landes près des Sévaudières, une copie de village ukrainien.
« En des chemins boueux, sortant de masures sordides, de faméliques paysans ukrainiens accueillaient en libérateurs les troupes du IIIe Reich ».
(Discours du 10 octobre 1982 de Paul Delanoue, Président départemental de l’ANACR).
Tout avait été préparé et répété à Chinon, pour ce film qui fut projeté en divers pays de l’Europe occupée.
Un détail a échappé au réalisateur lors du tournage : sur les images apparaît une borne bien française indiquant : « Chinon – 7 km ».
On réalisa aussi une « ferme modèle » en 1942.
L’occupant trouva plus expéditif de chasser le fermier de la Croisette, voisin du camp, qui dut partir dans un délai de 48 heures, avec son matériel et son cheptel.
Un dernier acte de résistance va marquer l’histoire du camp : la libération des prisonniers sénégalais par le maquis de Scévolles.
Celle-ci se déroule dans la nuit du 25 août 1944, quelques jours avant la libération de Chinon, sous l’impulsion du capitaine Alfred Desbourdes, d’Avon-les-Roches, l’un des agents les plus efficaces du mouvement résistant chinonais.
Roger Jahan, instituteur à Avon-les-Roches, accompagné de Pierre Picarda, vont, à trois reprises interroger les sous-officiers du camp sur la mentalité de leurs hommes et la possibilité d’un départ nocturne. Les réponses sont évasives.
Le bruit court que les Allemands vont évacuer le camp. Il ne faut plus attendre.
Vers minuit, Roger Jahan, Robert Durand, instituteur à Crouzilles, Pierre Picarda, René Arnoult, fils du chef de la Résistance de Chinon, Marius Ondet de l’Ile-Bouchard aidés de deux maquisards arrivent au camp, mais le restaurateur du camp, Sébastien, qui avait promis son concours prend peur et n’ouvre pas la grille. Il faut aller à la porte principale du camp et pénétrer dans le poste de garde.
Le capitaine Desbourdes en uniforme, avec Jahan et Ondet, réveillent une dizaine de soldats sénégalais, puis dans un autre bâtiment, en convainquent difficilement d’autres de les suivre.
Ce n’est qu’à deux heures du matin que le groupe escorté de 36 prisonniers, quitte rapidement le camp de crainte de voir les Allemands surgir de Villaines-les-Rochers, alors que la nuit est éclairée par les lueurs de l’incendie du village de Maillé.
Au lever du jour le groupe arrive à Crouzilles, traverse la Vienne grâce à des bâteliers recrutés par Durand. En cours de route, la colonne a perdu cinq de ses membres.
Après un arrêt pour un casse-croûte, le groupe continue sa route vers Theneuil et Chézelles.
Les fugitifs sont camouflés dans le parc du château, et le soir, des maquisards de Scévolles viennent chercher les 31 sénégalais avec trois camions .
La colonne arrive sans encombre au camp de Scévolles. Elle est accueillie par le capitaine Gros, alias César, chef du maquis.
Les évadés avaient évité les voitures allemandes et un accrochage qui aurait été désastreux à proximité du camp du Ruchard.
Le 29 juillet, à l’entrée du camp, au lieudit la Maison Rouge, une automobile est mitraillée par un avion américain. Henri Garrivet, 34 ans, d’Azay-le-Rideau est tué. Il était cuisinier au camp. Trois autres personnes sont blessées dont le petit Michel Fouet qui devra être amputé d’une jambe.
Le 31 août, un ultime accrochage a lieu à Villaines-les-Rochers au cours duquel le maire, Georges Pirault est tué par une balle allemande alors qu’il cherchait à protéger des habitants au cours d’un combat entre combattants de la Résistance et armée allemande.
Après le départ des Allemands, Pierre Picarda est chargé, pendant quarante-huit heures, de la garde du camp jusqu’à l’arrivée des troupes françaises.
Le 3 septembre on brûle sur une place d’Azay-le-Rideau le drapeau allemand pris au Ruchard.
Sources

SOURCES : « Le camp du Ruchard » de l’Association Infos Troglo, Bernard Aurenche et Jean-Louis Rabusseau. — Robert Vivier, Touraine 39-45. — Discours du 10 octobre 1982 de Paul Delanoue, président départemental de l’ANACR. — ERIL, Résistances en Touraine, n°3.

Christian Bourdon

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