Maitron patrimonial (2006-2024)

Né le 10 septembre 1893 à Saint-Amand-les-Eaux (Nord), mort le 5 octobre 1952 à Paris (XVIe arr.) ; médecin ; militant socialiste du Nord ; maire de Lille (1945-1947) ; conseiller général (1938-1940, 1945-1952) ; député du Nord (1945-1952) ; auteur de la loi du 2 août 1949 en faveur des aveugles et grands invalides civils, dite « loi Cordonnier ».

Septième et dernier fils d’un instituteur laïque, Denis Cordonnier fit de brillantes études au lycée de Valenciennes (Nord), puis au lycée de Lille (Nord), enfin à la Faculté de Médecine de Lille avant d’être mobilisé avec la classe 1913 dans l’Infanterie. Il fit toute la guerre de 1914-1918 au front, notamment dans la Somme, comme médecin auxiliaire (73e RI, 135e RI, 61e RAC). Blessé le 20 avril 1918 sur la Somme, il fut cité à deux reprises à l’Ordre de l’Armée et décoré de la Croix du combattant, de la médaille de la Victoire et de la médaille Interalliée. Deux de ses frères, officiers, furent tués à l’ennemi.

Ayant repris ses études après sa démobilisation, licencié ès sciences, il fut successivement externe des hôpitaux de Lille, médecin légiste de l’Université de Paris, puis chef des travaux à la Faculté de Médecine de Lille jusqu’en 1927, date à laquelle il devint directeur du service médico-social de l’Union départementale des syndicats ouvriers CGT du Nord. Il fut d’autre part médecin-conseil à la Bourse du Travail de Lille et administrateur de la caisse d’assurance « Le Travail » dès sa création. Il ne devait la quitter qu’en 1944, lorsqu’il fut nommé à la tête de la municipalité. Cette orientation de la carrière professionnelle de Denis Cordonnier, tournant le dos aux gros revenus de la médecine libérale, correspondait à la mise en pratique d’un engagement politique et social pris de longue date.

Entré en 1910 au groupe socialiste des Étudiants lillois, il fut, en compagnie de Roger Salengro* le principal animateur de cette organisation jusqu’à la guerre ; il n’adhéra cependant au Parti SFIO qu’en 1926. Élu conseiller municipal de Lille en 1929 sur la liste socialiste conduite par Salengro, il fut choisi comme adjoint au maire chargé des problèmes d’hygiène en 1935. En avril 1936, il était l’un des responsables du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes de Lille. En octobre 1937, il accédait au conseil général en tant que représentant du canton de Lille-Est.

Mobilisé en 1939 comme lieutenant-médecin, affecté au service Z (gaz), Denis Cordonnier fut ensuite nommé médecin chef de l’hôpital des Franciscaines à Calais, ville où il fut fait prisonnier le 26 mai 1940 ; il fut libéré en qualité de sanitaire après quelques semaines de détention en camp. Il ne figura pas dans le nouveau conseil municipal nommé fin 1940 et fut révoqué par Vichy de ses fonctions d’adjoint au maire en 1941. Il devint l’un des organisateurs pour le Nord du Parti socialiste reconstitué dans la clandestinité ; membre de Libération-Nord et du réseau « Gloria » sous le pseudonyme de Georges Duval, il n’était pas repéré par les Renseignements généraux comme résistant au début 1942. Ceux-ci, qui notaient qu’il conservait « un réel ascendant » sur les milieux syndicalistes, le décrivaient comme socialiste représentant « la nuance modérée du parti », il était jugé comme réservé sur la politique du gouvernement et paraissait « loyal » au Maréchal Pétain. Il fut arrêté le 24 avril 1942 par la police allemande de Lille. Des tracts gaullistes avaient été découverts au cours de la perquisition à son domicile. Il déclara à la police avoir trouvé ces tracts huit jours auparavant dans sa boîte aux lettres et en ignorer la provenance. Arrêté pour la deuxième fois par la Gestapo en août 1942, il fut interné à la prison de Loos, près de Lille, durant onze mois pour avoir hébergé sa nièce, membre de l’Intelligence service. Au lendemain de la guerre, Denis Cordonnier devait rédiger un livre de témoignage sur sa détention (voir Œuvre). Dès son élargissement, il prit le maquis.

À la Libération, il fut nommé responsable civil pour le département du Nord du Comité français pour la Libération nationale (CFLN) et, le 2 septembre 1944, le Comité départemental de Libération le fit désigner comme président de la délégation spéciale chargée d’administrer la municipalité de Lille. Aux municipales du 29 avril 1945, les socialistes, qui présentaient au premier tour une liste socialiste homogène, arrivèrent en tête. Avec 27 328 voix sur 82 169 exprimés, ils devançaient le MRP de près de 5 000 suffrages et le Parti communiste de près de 9 000. Au second tour, une coalition socialo-communiste l’emporta avec environ 46 000 suffrages, suivie par le MRP (34 000). Élu maire de Lille le 13 mai 1945, Cordonnier conserva ce poste jusqu’en 1947, se contentant ensuite d’un siège de conseiller municipal, le RPF s’étant emparé de la mairie.

Denis Cordonnier réintégra aussi le conseil général du Nord à l’issue des cantonales d’octobre 1945, où il obtint 4 573 voix au premier tour devant le candidat communiste, et 8 449 au second. Il continua à y représenter le canton de Lille-Est ; il fut réélu en mars 1949.

En octobre 1945, deuxième de la liste du Parti socialiste SFIO derrière Augustin Laurent, il était élu député à la Constituante dans la 2e circonscription du Nord. Il fut réélu à la 2e Assemblée constituante en juin 1946 (127 129 voix sur 451 464 exprimés) puis à l’Assemblée nationale en novembre 1946 (113 300 voix sur 453 720 exprimés) et en 1951 dans la 2e circonscription du Nord. Denis Cordonnier, qui fut juré à la Haute Cour de Justice, siégea à la commission de la famille, de la population et de la santé publique sans discontinuer. Il y déposa plus de cent propositions de loi ou de résolutions et rapports. Il contribua à la création d’un fichier sanitaire et social de la prostitution, à l’organisation du dépistage de la tuberculose pulmonaire et à la vaccination obligatoire contre ce fléau social, à la lutte contre l’alcoolisme et à celle contre les maladies professionnelles et les accidents du travail. Il devait surtout attacher son nom à l’amélioration de la législation sociale en faisant voter la loi du 2 août 1949, dite « loi Cordonnier », en faveur des aveugles et des grands invalides civils qui ne pouvaient jusque-là se prévaloir ni de la Sécurité sociale ni d’une législation particulière ; c’est cette loi qui régit notamment l’attribution de places réservées dans les transports en commun. Il fut un actif et redouté président de la commission de l’Intérieur de 1949 à 1952, aussi présent en commission qu’en séances. Il devait notamment y mener un long combat pour obtenir la revalorisation de l’indemnité des maires et des adjoints.

Incarnation de la discipline socialiste traditionnelle dans son département, Denis Cordonnier appartint à la commission administrative fédérale de la SFIO du Nord en 1945-1952, à son bureau fédéral et à la direction de la Fédération des élus municipaux et cantonaux socialistes en 1945-1946. En 1946, avec Augustin Laurent, il incarnait la fidélité à la tendance Mayer* contre celle de Guy Mollet*. Au conseil national des 29-30 janvier 1949, il fut chargé de présenter le programme de la SFIO pour les élections cantonales. Il intervint pour l’adoption d’une politique familiale socialiste pour faire face aux positions du MRP au Congrès national extraordinaire le 29 mars 1946.

Denis Cordonnier avait assumé le tournant de la Troisième force et la lutte sur deux fronts, contre le gaullisme qui lui avait ravi sa mairie en 1947 et les communistes. Ainsi, lors de son dernier grand combat politique pour les élections législatives de juin 1951, il plaçait dans sa profession de foi sur le même plan ceux qu’il appelait les « staliniens et les néo-gaullistes ». La liste socialiste qu’il conduisait s’apparenta avec le RGR, le MRP et la droite représentée par l’Union des Indépendants, des paysans et des républicains nationaux. Le score des socialistes dépassa légèrement celui du PCF (23,8 % contre 23,5 %) et l’apparentement enleva tous les sièges, ce qui permit aux socialistes d’avoir cinq élus, le MRP largement distancé en emportant quatre et les indépendants un.

Jusqu’à sa mort, survenue le 5 octobre 1952 dans une clinique de Passy à la suite d’une intervention chirurgicale, Denis Cordonnier se consacra avec un total dévouement à la lutte contre la misère matérielle et physique et présida de nombreux organismes et organisations sur le plan départemental, principalement l’Office départemental des HLM du Nord, où il s’efforça de faire obstacle à l’alcoolisme en milieu ouvrier, mais aussi l’Association des anciens combattants et victimes de guerre, déportés et résistants, la Fédération du Nord des Combattants républicains qu’il présida, l’amicale laïque, etc. Enfin, au plan national, il assuma de 1948 à son décès la charge de président de la Fédération nationale des élus socialistes municipaux et cantonaux de France.

Marié avec Marguerite Medinette, il était père de deux enfants.

 

Oeuvres

ŒUVRE : Denis Cordonnier écrivit de nombreux articles dans le Populaire, l’Élu socialiste, Nord-Matin, l’Avenir, etc. Il rédigea un livre de souvenirs sur sa captivité : Geôles Allemandes (Loos, 1942-1943), préface de Roger Verlomme, Avesnes, impr. de L’Observateur, 1945, et des brochures, dont Roger Salengro, publiée par la fédération du Nord en 1946, et deux brochures en collaboration avec Danielle Liegeois : Le problème du logement, éd. de la Fédération nationale des élus municipaux et cantonaux, Paris, 1947, 38 p. ; Contre la charité… pour une politique de solidarité nationale, éd. de la Librairie des Municipalités, 1951, 30 p.

Sources

SOURCES : Arch. Nat. CARAN, F/7/15507, n° 4592 ; F/7/15942 ; F/1a/3382 ; F/1cII/270. — Rapports des congrès de la SFIO, 1944-1953. CAC, 20010216/119/3160. — Rapports de congrès fédéraux SFIO du Nord, 1946-1953. — Bulletin Intérieur de la SFIO, 1945-1951, n° 39. — Le Monde, 7 octobre 1952. — J.-M. Fossier, Nord-Pas-de-Calais, Zone interdite, op. cit. — Y.-M. Hilaire et coll., Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, op. cit. — DPF, 1940-1958, t. 2, op. cit. — Renseignements fournis par la mairie de Lille.

Yves Le Maner, Gilles Morin

Version imprimable