Né le 9 mars 1884 à Siedlce (Pologne), guillotiné le 28 août 1941 à la prison de la Santé à Paris (XIVe arr.) ; sellier-bourrelier en Pologne, casquettier, marchand forain ; militant du Bund ; militant communiste ; membre de l’organisation juive Solidarité.

Fils de Symcha, artisan savonnier, et de Basia, Abraham Trzebrucki était de santé fragile à sa naissance et sa famille estima plus sage de le déclarer à l’état civil trois ans plus tard, à la date du 3 mai 1887. La Pologne était alors occupée par l’armée du tsar et en mars 1905, en pleine guerre russo-japonaise, le quartier juif de Siedlce fut cerné, la police rafla les jeunes en âge de porter les armes. Abraham Trzebrucki, dix-huit ans pour l’état civil, fut incorporé dans l’armée, expédié à Ninji Novgorod (Russie). L’armée le libéra quatre ans plus tard. En 1914, il ouvrit un petit atelier de sellerie. La guerre éclatant, il devint à nouveau militaire. Blessé au front, hospitalisé à Varsovie, il fut envoyé travailler dans les mines de sel du Harz (Allemagne) alors que l’armée allemande occupait la ville.
Abraham Trzebrucki revint à Varsovie à la fin de la guerre. En 1919, il approuva la révolution d’Octobre, adhéra au Parti ouvrier socialiste juif, le Bund, et devint secrétaire d’une section de quartier. En 1922, sans comparution devant un tribunal, il fut condamné à huit ans de prison pour activité syndicale « révolutionnaire ». Il quitta son pays, traversa l’Allemagne, travailla dans une mine de charbon en Belgique.
Sa sœur habitant Paris, il décida de la rejoindre, passa la frontière, alla jusqu’à Longwy (Meurthe-et-Moselle). Arrêté par des gendarmes, il fut incarcéré à Metz (Moselle) à la Noël 1922. Le 23 janvier 1923, le tribunal le condamna à trois mois de prison et à l’expulsion à l’issue de sa peine. Sur les conseils de sa sœur, mariée à Abraham Bronès, il se mêla aux travailleurs frontaliers, revint en France et arriva à Paris, rue de Tolbiac (XIIIe arr.), où il fut hébergé par sa sœur et son beau-frère.
Il travailla à la raffinerie Say. Contre un pot de vin, un employé de la préfecture de police accepta de lui délivrer le 2 avril 1924 une carte d’identité sous le nom d’Adolphe Pivolski. Ensuite, il fut embauché dans un atelier de chapellerie. Il vécut à partir de 1932 avec Bejla Broksztejn, née en 1903 à Minsk (Ukraine) ; le couple eut deux garçons ; la famille demeurait 14 rue Moreau à Paris (XIIe arr.). Adroit de ses mains, Abraham Trzebrucki fabriqua casquettes, ceintures et sacs dans son logement et devint marchand forain pour écouler sa production. En 1939, il adhéra au syndicat CGT des casquettiers à la Bourse du Travail.
La promulgation par le gouvernement de Vichy du premier statut des Juifs le 3 octobre 1940 bouleversa la vie des Juifs. Le 16 octobre 1940, Abraham Trzebrucki fit recenser sa famille à la préfecture de police et rentra chez lui avec les quatre cartes d’identité tamponnées à l’encre rouge en capitale du mot « Juif ». En novembre 1940, il reçut une convocation du consulat soviétique. L’Allemagne et l’URSS s’étant partagées la Pologne, Varsovie était contrôlée par l’Armée rouge et il dut déposer sa biographie au consulat. En décembre 1940, il adhéra à l’organisation Solidarité, fondée par l’Union des Juifs pour la Résistance et l’entraide (UJRE). Il lisait Presse nouvelle, journal édité par la sous-section juive du Parti communiste.
Le 23 mai 1941, les policiers investirent le 58 rue Crozatier à Paris (XIIe arr.) ; selon des renseignements parvenus à la police, des réunions de militants communistes s’y tenaient deux à trois fois par mois. Les domiciles d’une vingtaine de locataires juifs de l’immeuble furent perquisitionnés. Ils arrêtèrent Josef Fridman et Jankiel Minsky, porteurs de tickets de cotisation du Parti communiste, ainsi qu’Abraham Trzebrucki et Léon Jolles, qui livraient de la marchandise dont ils ne purent expliquer la provenance.
Belja Broksztejn, apprenant que le quartier d’Aligre était bouclé par la police française, se précipita rue Crozatier. Son sac fut fouillé, des timbres de Solidarité saisis. Deux inspecteurs de la police judiciaire procédèrent à une visite domiciliaire rue Moreau, d’autres timbres de Solidarité et la copie de la biographie d’Abraham Trzebrucki déposée au consulat soviétique furent saisis. L’un des deux policiers écrivit à propos de l’identité « Pivolski » : « nom d’emprunt qu’il a pris pour échapper aux recherches de la police parce qu’il fait l’objet d’un arrêté d’expulsion en date du 23 janvier 1923 état 567. D’autre part au cours d’une visite domiciliaire [...] il a été découvert des tracts émanant du Parti communiste clandestin ». Abraham Trzebrucki fut inculpé pour infraction aux décrets du 2 mai 1938 et du 26 septembre 1939.
Incarcéré à la prison de la Santé (XIVe arr.), il comparut le 9 juillet 1941 devant la 12e chambre du tribunal de la Seine. Un avocat commis d’office demanda l’indulgence pour ce père de famille vivant depuis dix-huit ans en France et qui n’avait jamais troublé l’ordre public. La condamnation fut de cinq ans de prison.
Le 14 août 1941, le gouvernement de Vichy institua des cours spéciales, où aucune voie de recours n’était admise. Les Allemands voulaient des exemples, et Philippe Pétain et ses ministres se soumirent à la volonté des occupants. Les peines prononcées en première instance devaient dès lors être aggravées.
Le 27 août, onze hommes, dont Abraham Trzebrucki, comparurent devant la cour spéciale de justice. L’avocat général demanda et obtint la peine capitale pour « détention et [...] distribution de tracts communistes et [...] émission de timbres de souscription de 10, 20, 50 et même 500 francs en faveur de l’ex-Parti communiste, [...] dissimulation d’identité et [...] organisation de réunions clandestines [au] domicile ». Le lendemain, Abraham Trzebrucki fut guillotiné dans la cour de la prison de la Santé. Le quotidien collaborationniste Le Matin titra en une : « 3 agitateurs communistes condamnés à mort. La triple exécution a eu lieu quelques heures après ». Les deux autres guillotinés étaient André Bréchet et Émile Bastard. Abraham Trzebrucki était qualifié de « sujet russe ».
Bejla Broksztejn fut raflée le 16 ou le 17 juillet 1942, emmenée au Vél d’Hiv, puis internée au camp de Drancy (Seine, Seine-Saint-Denis). Le 27 juillet 1942, elle fut déportée, dans le convoi no 11, à destination d’Auschwitz (Pologne), où elle mourut.
Leurs deux enfants, de onze et sept ans, échappèrent à l’arrestation et un avocat de confession catholique les recueillit.
Le dimanche 28 avril 1946, il y eut une cérémonie rue Jean-Dolent (XIVe arr.), devant la prison de la Santé. Une plaque de marbre fut dévoilée : « Derrière ces murs 18 patriotes antifascistes furent exécutés sur les ordres d’un Gouvernement au service de l’ennemi ». Quarante-huit heures plus tard, l’Humanité en rendait compte en une, par une simple photographie, légendée en « l’honneur de 18 patriotes guillotinés ou fusillés ».
Dans l’Humanité du 9 octobre 1980, Fernand Grenier évoqua le secrétaire du syndicat CGT des chapeliers de Paris en 1939, Abraham Crzebuski, qui fut condamné à mort pour ses activités communistes clandestines le 27 août 1941. C’est de toute évidence le même.


Voir Paris (XIVe arr.), prison de la Santé, 1941-1944
Sources

SOURCES : Arch. PPo., BA 2056, BA 2057, BA 2299, 77W 12. — DAVCC, Caen (Notes Thomas Pouty). — Annie Kriegel, Communistes au miroir français, Gallimard, 1974. — H. Villeré, L’affaire de la Section spéciale, Fayard, 1973. — S. Courtois, D. Peschanski, A. Rayski, Le sang de l’étranger. Les immigrés de la MOI dans la Résistance, Fayard, 1989. — Boris Holban, Testament. Après quarante-cinq ans de silence, le chef militaire des FTP-MOI de Paris parle..., Calmann-Lévy, 1989. — Dominique Rémy, Les lois de Vichy, Romillat, 1992. — Les Plaques commémoratives des rues de Paris, La Documentation française, 1981. – Le Matin, 29 août 1941. — L’Humanité, 30 avril 1946. — Fernand Grenier, « 1941 : le terrible automne », l’Humanité, 9 octobre 1980. — Notes Sarah Spinner. — Site Internet CDJC.

Daniel Grason, Claude Pennetier

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