Né le 22 octobre 1923 à Varsovie (Pologne), fusillé le 6 octobre 1943 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; conducteur électricien ; communiste ; résistant au sein des Francs-tireurs et partisans (FTPF).

Graffiti de la Chapelle des Fusillés au Mont-Valérien
C. Bourdon
Texte : "Chuna Henri Bajtsztok FTP 4051 fusillé le 6 octobre 1943 Né le 22 octobre 1923"
Fils de Szyja et d’Ita, née Dubinska, Chuna Bajtsztok vint en France à l’âge d’un an avec ses parents. La famille demeurait à Paris. Il alla à l’école primaire, puis en apprentissage au centre de la jeunesse de Belleville, boulevard de la Villette, et enfin à l’école Diderot où il obtint le Brevet d’enseignement primaire supérieur. En 1942, du fait des rafles antijuives, la famille habita 36 avenue de la Prairie à Livry-Gargan (Seine-et-Oise, Seine-Saint-Denis).
Il adhéra au Front national en 1941 par l’intermédiaire d’Henri Schos, militant communiste qu’il connut au centre de la jeunesse de Belleville. Il prit part à une distribution de tracts. En juillet 1942, Chuna Bajtsztok, inquiet de la répression anti juive, partit en zone libre à Avignon (Vaucluse) où il travailla comme adjoint d’un ingénieur, et se procura une fausse carte d’identité au nom d’Henri Perrichard. Le 17 décembre, il reçut l’ordre de se présenter dans un camp de travail. Il décida alors de regagner la région parisienne et habita chez ses parents à Livry-Gargan.
Chuna Bajtsztok vécut de ses économies. Il reprit contact avec Henri Schos, fit partie d’un groupe de FTP région P4 de la banlieue Est de Paris, et devint lieutenant FTP. Il adhéra sous le nom de Perrichard à la section du Raincy du Rassemblement national populaire (RNP) afin d’y recueillir des informations. En mars, un inspecteur de police en visite au siège du Raincy informa que la biographie d’un dénommé Chuna Bajtsztok venait d’être trouvée sur un résistant arrêté à Montreuil. Il quitta le RNP, changea de domicile, alla habiter à Joinville-le-Pont (Seine, Val-de-Marne).
Affecté à un autre groupe en avril, il fut chargé de reconnaître les abords de deux hôtels réquisitionnés par les Allemands 83 avenue de la République à Saint-Mandé (Seine, Val-de-Marne). L’objectif était de préparer un attentat à la grenade contre un détachement de soldats qui chaque matin se retrouvaient à 7 heures et partaient de la porte Dorée à la porte de Vincennes. Le 30 avril, Christophe devait lancer une grenade. Chuna Bajtsztok en protection en portait une autre, au cas où... mais point de soldats. Il fut convenu d’une seconde tentative, mais les conditions n’étaient pas favorables. Le 12 mai, une automobile avec quatre ou cinq Allemands à son bord fut repérée, un engin lancé mais il n’éclata pas. Le 23 mai, il attaqua avec des membres du groupe un militaire allemand dans une rue de Pontoise (Seine-et-Oise, Val-d’Oise) afin de lui dérober son arme.
Le groupe n’avait guère fait preuve de son efficacité. Selon ses déclarations, Chuna Bajtsztok proposa d’assassiner un membre influent du RNP en la personne du chef de la section du Raincy dont il connaissait les habitudes. Armé d’un revolver à barillet chargé, il se présenta le 31 mai 1943 à son pavillon, à deux reprises sous différents motifs, une troisième fois à 22 h 40 en se faisant passer pour un agent des postes et criant : « Télégramme ! » Il tira trois cartouches dans sa direction et s’enfuit à bicyclette.
Chuna Bajtsztok revêtu de son uniforme du RNP, chemise bleue avec écusson de Pétain, baudrier, se présenta rue Sainte-Beuve à Paris (VIe arr.), au cabinet d’un avocat, membre du Parti populaire français (PPF). Chuna Bajtsztok déclara à sa femme qu’il devait lui remettre une lettre. Quand l’avocat se présenta face à lui, il lui tendit une enveloppe avec la main gauche, tira avec son pistolet de la main droite sans l’atteindre car l’arme s’enraya. Il prit la fuite, mais fut maîtrisé par un habitant alors qu’il allait enfourcher sa bicyclette.
Il portait sur lui la carte d’identité au nom de Perrichard, mais la plaque de la bicyclette était à son nom. Il fut remis à la police municipale, puis à la BS2 qui perquisitionna son domicile de Joinville-le-Pont. Les policiers saisirent le pistolet à barillet utilisé contre le responsable du RNP, un insigne du PPF, un carnet annoté, une fausse carte d’identité au nom de René Magne avec sa photographie, une revue de « La presse libre » et un tract d’origine anglaise. Louis Vanoverschelde, François Marais, Marcel Kaufmann et d’autres furent arrêtés. Chuna Bajtsztok assuma son appartenance au Front national. Interrogés dans les locaux des Brigades spéciales, battus, livrés aux Allemands, ils comparurent le 1er octobre 1943 devant le tribunal militaire du Gross Paris qui siégeait rue Boissy-d’Anglas à Paris (VIIIe arr.). Ils furent condamnés à mort « pour activité de franc-tireur ».
Le 6 octobre, Chuna Bajtsztok et ses compagnons furent passés par les armes au Mont-Valérien.
Il laissa plusieurs lettres à l’attention de ses parents, d’une voisine et amie, Madame Lafosse, de son ami Daniel. et de son professeur Monsieur Peyreigne. Dans chaque lettre, il insistait sur le fait qu’il ne regrettait pas ses gestes et qu’il était fier de ses actes ;il remerciait son professeur de « la bonne année 41-42 que je vous dois en grande partie.Pour vous remercier d’avoir essayé, en vain évidemment de me détourner de cette voie où vous pressentiez, je le voyais que je m’engageais ». et lui demandait que le directeur de l’école Thiers du Raincy s’occupât activement de son jeune frère.

Incinéré au Père-Lachaise, il fut inhumé au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine, division 40, ligne 46, tombe 7. FTP-MOI, le ministère des Anciens Combattants le reconnut « Mort pour la France » le 2 février 1945. Il fut homologué lieutenant FFI à titre posthume, déclaré « Interné Résistant ». Son nom figure sur une plaque commémorative du cimetière d’Ivry-sur-Seine et sur le monument aux morts de Livry-Gargan. Une allée fut baptisée à son nom dans cette dernière commune.
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Dernières lettres
 
Fresnes, le 1er octobre 1943 Mes chers parents,
J’ai enfin obtenu l’autorisation de vous écrire. Je m’empresse de vous dire que je suis en parfaite santé physique et morale. Tout va bien pour ma personne, à ces deux points vue. Avec mes camarades nous avons été jugés ce matin à Fresnes et, comme je m’y attendais, nous avons tous les vingt-cinq été condamnés à mort...
Personne n’a flanché. Nous avons tous considéré calmement la situation, et je puis vous dire que, personnellement, je me sens baigné d’une sorte de joie intérieure du fait que cela se soit passé ainsi.
Maman, tu vas avoir l’autorisation de me voir. Si c’est possible, j’aimerais voir Eloi, mais si c’est trop compliqué, je puis me passer de sa visite. Le moral est très élevé, d’ailleurs étant jugé, j’ai le droit de lire des livres et je vais être avec mes camarades. Bien que je sois condamné à mort, je t’affirme que tout ce que j’ai dit lors de ta visite est vrai. Tout est vrai, je te le répète. Ne vous faites pas de mauvais sang pour moi. Ce qui m’arrive est normal ; si j’étais soldat, je serais peut-être mort beaucoup
plus anonymement, et je ne suis pas encore mort...
 
Je ne pense pas, que ce soit ma dernière lettre, et je vous embrasse tous tendrement. Je vous demande une fois encore d’avoir au moins du courage et de penser que je ne suis pas tombé pour rien. J’écris très calmement, l’esprit tranquille et la conscience en repos. Je vous fais grand’peine, hélas, mais vous pouvez me croire, je ne suis pas le plus à plaindre, car je ne suis pas marié, ni père de famille. J’embrasse. également tous mes amis sans exception, de Livry, de Paris, d’Avignon, de Carpentras.
Je vous embrasse encore. Courage et vive la• France !
H. Bajtszok
 
Fresnes, ce 4 octobre 1943
Daniel, mon cher ami, ,
Tu vas peut-être t’étonner de recevoir une telle missive de moi. J’ai été condamné à mort le 1er octobre pour acte de franc-tireur, par un tribunal militaire allemand. J’avais été arrêté le 1er juin à Paris et. depuis ce temps en séjour provisoire . à Fresnes, seul en cellule. Maintenant, en attendant-,des nouvelles de notre recours en grâce,
nous sommes- entre camarades de la même affaire. Une santé épatante, un moral adéquat.
Je pense que c’est le moment de te faire mes adieux, peut-être ? Ainsi qu’à tous mes amis et camarades que tu connais et avec lesquels tu es en relation, notamment à M. M... et à Jean, à Roger, Jean et à nos professeurs de Diderot, ainsi qu’à Avignon et à Carpentras
Qu’on ne s’inquiète pas J’ai toujours su ce que je faisais et j’ai l’intense satisfaction intime d’avoir accordé mes actes avec mes idées qui étaient et qui sont toujours très nettes
Si je meurs, ce sera avec le sentiment d’avoir fait tout mon devoir et le regret de laisser des amis tels que toi sans copains
J’abrège pour des raisons techniques et je t’embrasse, mon cher ami, en te remerciant des joies que je te dois
Adieu donc, ou au revoir. En tout cas, bon courage et bonne chance à toi, à ta soeur, ainsi qu’à ton père Je salue les amis et je te recommande particulièrement Jean W... -
Ton dévoué,
Henri Chuna Bajtsztok
 
Fresnes, le 6 octobre 1943
14 heures
Mes parents bien-aimés,
Je vais être exécuté à quatre heures de l’après-midi. Je l’ai appris tout à l’heure et avec mes camarades nous attendons calmement cet instant dernier.
J’ai reçu le colis ce matin et ignorant encore mon sort, je ne vous ai pas renvoyé mes affaires qui arriveront après. Nous avons tous mangé plus que normalement, ce qui prouve que nos consciences sont en repos.
Ce que je pense, vous le savez, je n’ai pas, à vous le redire. J’ai travaillé pour le bonheur de tous les petits Eloi du monde entier, et j’ai avancé, j’en suis certain, l’heure de leur bonheur. Ne me regrettez pas trop et raccrochez-vous à mon petit Eloi qu’il passe son brevet élémentaire et devienne ingénieur des Arts et Métiers, puis ingénieur de l’École Supérieure d’Électricité.
Je vous demande très sincèrement, si vous voulez satisfaire mon dernier désir, de ne pas porter mon deuil, quoi que les gens disent, car c’est contre mes idées.
Je sais que vous êtes très courageux et je vous admire, car je sais ce que vous avez souffert.
Je vous embrasse ainsi que tous les amis. • Vive la France !
Votre Henri qui vous chérit

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Sources

SOURCES : Arch. PPo., Carton 14 rapports hebdomadaires des Renseignements généraux, KB 56, 77W 396. – DAVCC, Caen Boîte 5/B VIII dossier 4 (Notes Delphine Leneveu et Thomas Pouty). – Les lettres de fusillés, Éditions France d’Abord, préfacée par Lucien Scheler, 1946. — Guy Krivopissko La vie à en mourir Tallandier 2003. — Site Internet CDJC cote CCXVI-70. – Site Internet Mémoire des Hommes.

Daniel Grason

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