Né le 19 juillet 1898 à Arlon (Belgique), exécuté le 21 juin 1944 à Arbin (Savoie) ; journaliste ; résistant, agent du réseau Coty.

Augustin Habaru naquit en 1898, à Arlon, en Lorraine belge, dans la partie méridionale de la province de Luxembourg. Il avait un frère, Omer, né en 1893. Son père était machiniste aux chemins de fer. Il avait commencé très jeune comme ouvrier dans les usines métallurgiques du bassin de Longwy, puis était entré aux chemins de fer où il gravit les échelons : serre-frein, chauffeur, machiniste, enfin machiniste instructeur en 1912. Ce parcours fut toujours la grande fierté d’Augustin Habaru. La famille vit sa condition s’améliorer avec la progression professionnelle du père et en 1900, après des années de sacrifices, elle devint propriétaire d’une maison. Augustin avait le goût de l’étude. Il fréquenta l’école laïque puis le collège, l’Athénée royale, où il fut un excellent élève et un adolescent sérieux. À 14 ans, il rédigeait une petite revue littéraire, Entre nous, dans laquelle il publiait ses vers. Francophone, il parlait également le patois allemand local. La Première Guerre mondiale marqua fortement son esprit. Son frère aîné, Omer, engagé en 1910 pour devenir officier, était au front. Surtout, la région d’Arlon fut durement touchée par les combats. Le 22 août 1914, le corps colonial français y eut 4 000 tués et blessés, et plus de 600 civils furent massacrés dans Arlon et ses environs (121 civils furent fusillés dans la gare d’Arlon). Augustin écrivit des poèmes qui traduisent bien la compassion et l’horreur que cette expérience lui inspira.
Il commençait ses études secondaires en section moderne quand Arlon fut occupée par l’armée allemande. La présence de l’occupant ne fit qu’accentuer les sentiments francophiles très forts qu’il éprouvait, comme en témoigne l’épisode suivant : un matin, alors qu’il était en cours d’allemand, d’une fenêtre donnant sur une place où les soldats allemands s’adonnaient quotidiennement à l’exercice, Augustin Habaru cria, en allemand, de toute sa force « Vive la France ». La troupe investit l’établissement afin de trouver le coupable et Augustin Habaru se dénonça pour ne pas faire punir le préfet d’étude. Il comparut devant un officier qui le menaça et le sermonna. Il échappa à la sentence initiale des coups de bâton mais fut exclu huit jours.
Ayant terminé brillamment ses études secondaires, en obtenant le prix du Gouvernement, il envisagea dans un premier temps des études de mathématiques. Mais son parcours prit une direction radicalement différente avec sa découverte du communisme. À l’issue de la « boucherie » de 14-18, la nouvelle idéologie, promesse d’un monde meilleur pour le peuple, séduisit naturellement ce fils d’ouvrier, tôt sensibilisé à la condition prolétarienne. On lit dans un hommage qui lui est consacré en 1946 : « [Il] doit à son père son penchant pour les ouvriers ainsi que pour la nature de leur travail d’esclaves. » À la fin du régiment, dont il sortit avec le grade de lieutenant de réserve d’artillerie, Augustin Habaru adhéra au Parti communiste belge. Il entreprit alors des études de sciences politiques et sociales, section sciences financières à l’Université libre de Bruxelles. Mais il abandonna vite ces études et commença dès lors pour lui une période d’intense activité. À 18 ans il possédait de très bonnes notions de flamand, d’anglais et d’allemand. Installé à Bruxelles, il apprit encore le russe, l’espagnol et l’italien en fréquentant les colonies étrangères de la capitale belge. On perçoit ici un des traits permanents du caractère d’Augustin Habaru, le goût d’apprendre, d’engranger de nouvelles connaissances.
À vingt ans il portait cheveux longs, lavallière et chapeau à large bord, à l’image des poètes qu’il admirait. Il publia d’ailleurs à cette époque une plaquette intitulée Poèmes. Pour vivre il fit se rejoindre ses deux passions, l’écriture et l’engagement politique, et devint journaliste. Précisons que déjà au lycée il avait collaboré au journal local d’Arlon Les Nouvelles, porte-voix de l’influence française en Belgique méridionale. Il y avait même été plus particulièrement chargé des relations avec la censure allemande.
Participant à de nombreux meetings, il collabora au Drapeau rouge et parfois à l’Humanité et multiplia les collaborations dans des publications très variées. Chroniqueur littéraire, il se passionna pour la littérature d’avant-garde et fut un défenseur acharné de la littérature prolétarienne. Il traduisit en français le roman L’ouvrier de l’écrivain flamand Stijn Streuvels.
C’est cette activité qui le fit remarquer d’Henri Barbusse qui en 1928 lui demanda de rejoindre l’équipe rédactionnelle de la revue Monde qu’il venait de créer.
Augustin Habaru partit donc s’installer à Paris, dans le quartier Montparnasse. Il lia à cette époque de profondes amitiés avec Georges Altman et Charles Wolf. Il reçut aussi un surnom qu’il allait garder au-delà de sa mort : l’Aoustin, d’un personnage romanesque d’Alphonse de Chateaubriand.
Dès son arrivée à la revue Monde, il devint l’initiateur de la réflexion critique sur la littérature prolétarienne et fut un animateur énergique des débats qui agitèrent violemment, au début des années trente, les milieux littéraires de gauche sur cette question.
Politiquement on n’a pu établir précisément la fin de son adhésion au Parti communiste. Mais la querelle littéraire évoquée plus haut portait en elle les ferments d’un désamour progressif d’Augustin Habaru vis-à-vis du Parti communiste. Cet éloignement se transforma en rupture en 1933 avec l’affaire Victor Serge. Augustin Habaru signa la lettre ouverte à l’adresse de l’ambassadeur d’URSS à Paris rédigée par Henri Poulaille pour la libération de l’écrivain russe. La stalinisation et son cortège d’exécutions, d’arrestations et d’arbitraires de toutes sortes ne pouvait que l’éloigner de son idéal de jeunesse.
En 1933, il fut avec Marc Bernard rédacteur de l’éphémère bulletin des écrivains prolétariens. À cette époque la revue Monde connaissait des difficultés de plus en plus grandes pour subsister. Sa disparition en 1934 lui fut sans doute douloureuse mais il avait auparavant, pour des raisons économiques, multiplié les collaborations avec d’autres publications. Il avait en effet maintenant charge de famille puisqu’il s’était marié avec Zulma, dite Snoes, et avait eu une petite fille, prénommée Annie.
Peu à peu il déplaça ses centres d’intérêt, et de critique littéraire s’orienta vers le social et l’économique, sachant faire apprécier ses talents par de nombreux rédacteurs en chef. Il parcourut la France où il réalisa de nombreuses enquêtes. Il rédigeait la page économique du Peuple, dressant chaque semaine un tableau économique d’une région de France.
Il collabora également à La Lumière, hebdomadaire de gauche où il côtoya Maurice Schumann. En 1934 il publia deux ouvrages, Le Creusot, terre féodale. Schneider et les marchands de canons et L’organisation internationale de la radiodiffusion. Cette dernière publication reflète deux aspects de son activité : le journalisme radiophonique et les voyages dans l’ensemble de l’Europe y compris l’URSS.
Augustin Habaru travailla aux journaux radiophoniques « les trois grands de la radio » qu’avait créée Paul Campargue, député SFIO de l’Yonne. Il parla également aux micros de Radio-Paris, Hilversum, Radio-Francfort tout en collaborant au Frankfurter Zeitung. Ces périples furent l’occasion de nouer des amitiés avec de nombreux intellectuels : Ernst Glaeser, Egon Erwin Kisch, Hugo Ramm, Imre Gyomaï.
Avec la guerre, Augustin Habaru trouva un emploi de reporter de guerre en Belgique pour Le Progrès de Lyon, travaillant sous le pseudonyme de Georges Fleurigny. Lors de la débâcle il rejoignit avec sa famille la Zone sud. En août 1940 il s’installa à Nîmes où il retrouva son ami, l’écrivain Marc Bernard. C’est dans cette ville qu’il vit son frère Omer pour la dernière fois.
À l’automne 1940, il organisa le rapatriement de Belges réfugiés en Rhône-Alpes et reprit rapidement son activité professionnelle, continuant ses reportages durant la période 1940 1942.
Travaillant toujours pour plusieurs titres, il parvint à entrer à la rédaction de Au travail que créa en novembre 1940 Louis Bertin. Ce journal, « hebdomadaire populaire, syndicaliste », se plaçait dans le sillage du secrétaire d’État au Travail René Belin et se prononçait sans réserve aucune pour la collaboration. L’appartenance à la rédaction de ce journal va lui fournir une couverture idéale pour lutter contre l’occupant allemand. En effet Augustin Habaru va intégrer un réseau d’information belge, le réseau Coty, et travailler sous la direction de Georges Oreel. Spécialiste des questions industrielles, il rassembla, sous le couvert de ses reportages, des informations concernant l’économie de guerre. Lyon et Chambéry furent ses deux villes d’attache d’où il se déplaça sur l’ensemble de la Zone sud.
Il semble qu’Augustin Habaru fut recherché très tôt par la police allemande. Son frère Omer fut arrêté deux fois avant l’automne 1942 et à chaque fois les hommes de la Gestapo lui demandèrent où était son frère. Arrêté une troisième fois en septembre 1942, on lui redemanda quelques mois plus tard s’il savait où se trouvait son frère. Omer fut plus tard déporté au camp de Vught en Hollande, puis à Oranienburg près de Berlin, enfin à Buchenwald.
Zulma, l’épouse d’Augustin, appartenait également au réseau et fut arrêtée en 1943, à une date que l’on n’a pu déterminer. Annie, leur petite fille, fut alors prise en charge par leur ami Marc Bernard, qui jouissait d’une certaine notoriété puisqu’il avait reçu le prix Goncourt en 1942. Vers le mois de février 1944 l’écrivain et la petite fille durent quitter précipitamment Nîmes.
De son côté, « brûlé » sur Chambéry, Augustin va se replier six mois sur Toulouse, peut-être grâce à un contact avec son ami Charles Wolf. Mais, en avril 1944, son chef Georges Oreel lui donna l’ordre de rallier Chambéry. Ce retour était extrêmement risqué et Augustin Habaru aurait déclaré « ceci est ma condamnation à mort ».
À Chambéry Augustin Habaru, connu sous le nom de Monsieur Paul, disposait de différentes planques, entre autres à Bassens et Apremont. Le 30 mai 1944 Augustin était au PC du réseau, chemin de Mérande, dans la périphérie de Chambéry ; une compagnie d’assurance rapatriée du Nord servait de couverture à l’organisation. Dans la petite maison appartenant à M. Chifflet, un cheminot sympathisant, se trouvaient également Georges Oreel (Bernard), Marthe Dague, Paulette Besson. Vers 10 h 15 des hommes de la police allemande firent irruption dans les locaux et arrêtèrent toutes les personnes présentes. Ils tendirent alors une souricière et capturèrent peu de temps après Élie Guiraud, Charles Poncet (Claude) et Madeleine Bény (Hélène). Les hommes de la Gestapo semblent avoir été surpris par cette prise. Ils étaient sur les traces de Charles Poncet et ne pensaient pas mettre la main sur le cœur de l’organisation. Tous les prisonniers furent transportés à la villa Ménager, rue François-Charvet, à Chambéry. Augustin Habaru fut incarcéré trois semaines à la prison Curial et subit plusieurs interrogatoires. Le 21 juin, dix otages furent désignés et transportés dans deux véhicules. Après avoir roulé sans destination précise, le cortège prit la direction de Montmélian et s’arrêta vers 19 heures au lieu-dit Nant Banchet, sur un chemin perpendiculaire à la nationale 6 menant au village d’Arbin. Avec Augustin Habaru se trouvaient deux autres membres du réseau Coty, Charles Poncet et Élie Guiraud. Là les dix prisonniers furent abattus chacun d’une rafale de mitraillette puis reçurent le coup de grâce. L’opération avait duré environ un quart d’heure.
Le corps d’Augustin Habaru fut dans un premier temps enterré dans le cimetière d’Arbin. Le 15 décembre 1944 sa dépouille et celles de ses neuf compagnons furent transportées d’Arbin à la métropole de Chambéry. Le 16 décembre une importante cérémonie fut organisée, en présence d’Yves Farges, commissaire de la République de la région Rhône-Alpes, et de nombreux amis d’Augustin Habaru. En juin 1946 la première pierre d’un monument fut posée en présence d’Omer Habaru, revenu des camps, auxquels Zulma n’avait, elle, malheureusement pas survécu. L’année suivante un livre hommage, Vie et mort d’Augustin Habaru, fut publié avec concours du Progrès et de Franc-Tireur, dont la vente était destinée à compléter le financement du monument.
Sources

SOURCES : Vie et mort d’Augustin Habaru, 1898-1944, Paris, Pro Libros, 1947. – Pierre Fugain, Ici l’ombre : un réseau dans la guerre de libération 40-44, CRDP de Grenoble, 1992. – Témoignage Marius Pilat.

Michel Aguettaz

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