Né le 18 février 1908 à Paris (XVIe arr.), fusillé le 23 février 1942 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; avocat à la cour d’appel de Paris ; animateur de la tendance Bataille socialiste (1938-1939), membre de la commission exécutive de la Fédération socialiste (SFIO) de la Seine (1931-1933, 1938-1939) et du conseil d’administration du Populaire (1938-1939) ; fondateur et dirigeant d’un groupe de Résistance et membre du réseau Hauet-Vildé-Musée de l’Homme (1940-1941).

Léon-Maurice Nordmann était issu d’une famille de Juifs alsaciens de vieille souche française très attachés à la France et tournés vers les professions intellectuelles ou commerciales. Grâce à la réussite en affaires de son père, Joseph, né en 1871 dans le Grand-duché de Bade, et fondateur d’une banque à Paris, il connut une jeunesse heureuse rue des Sablons, au cœur du XVIe arrondissement, dans une famille de quatre enfants dont il était l’aîné. Après des études primaires dans un cours privé, puis secondaires au lycée Janson-de-Sailly, il s’inscrivit à la Faculté de droit de Paris, où il se spécialisa dans le droit privé, en vue d’une carrière d’avocat. En 1933, le suicide de son père, ruiné par la crise, le perturba grandement, et l’obligea à subvenir lui-même aux besoins de toute sa famille. Il n’en poursuivit pas moins sa formation d’avocat, dont il franchit avec succès les différentes étapes : stage, apprentissage de la procédure auprès d’un avoué, puis des pratiques commerciales auprès d’un agréé, doctorat en droit en 1939, après soutenance d’une thèse sur « le contrat d’opération chirurgicale ». En 1936, il fut élu deuxième secrétaire de la Conférence du stage, ce qui le fit connaître au-delà du palais de justice. Il devint peu après le collaborateur de Charles Pomaret, député républicain-socialiste de la Lozère, sous-secrétaire d’État à l’enseignement technique en 1931-1932, puis en 1938 ministre du Travail dans le second gouvernement Daladier. Il l’aida à se constituer un cabinet d’avocats, dont l’importance s’accrut rapidement, et dans lequel il joua le premier rôle. Sa relation étroite avec ce « patron » qui connaissait intimement le milieu politique, et dont l’épouse était liée à l’intelligentsia parisienne, lui permit de fréquenter de près les élites politiques et culturelles de la capitale.
Très tôt sensibilisé aux questions politiques par l’intérêt qu’y portait sa famille, il adhéra au Parti socialiste SFIO dès l’âge de seize ans, à l’occasion des élections législatives de 1924, où il soutint le Cartel des gauches. Sa foi socialiste, « toute intellectuelle », de son propre aveu, ne s’accompagnait d’aucune sympathie particulière pour la classe ouvrière. D’après son ami Jean Cahen-Salvador, elle procédait d’une sorte de « vide spirituel », car il s’était détaché de la religion juive, dont il n’observait plus les pratiques, et ne se reconnaissait pas dans son milieu bourgeois d’origine, dont il déplorait l’étroitesse d’esprit. Il était simplement mû par le désir de servir un idéal de justice et de paix. Dès le début des années 1930, il joua un rôle actif dans la Fédération socialiste de la Seine. Il se mit d’abord en évidence dans les débats sur la question de la guerre, en plaidant pour un pacifisme intransigeant, au nom même d’une défense nationale bien comprise, position complexe qui le conduisit à hésiter entre les courants. Au congrès fédéral de mai 1931, il se fit l’avocat de la motion ultra-pacifiste Laudrain-Valfort-Philip, qui refusait d’admettre tout concours socialiste à une défense de la nation par la guerre. Mais à celui de juin 1933, il signa une motion Zyromski qui se différenciait des conceptions de l’aile droite favorable à la défense nationale tout autant que de celles de l’extrême gauche qui, avec Marceau Pivert, n’acceptait l’idée de guerre « sous aucun prétexte ». Sur l’autre grande question qui divisait les socialistes, celle du pouvoir, il fut l’un des porte-parole parisiens de la tendance Bataille socialiste (BS) qui, sous la conduite de Jean Zyromski, refusait toute participation socialiste à un gouvernement dirigé par le Parti radical. Avec elle, il mena le combat contre la droite participationniste, jusqu’à la scission de celle-ci, en novembre 1933. Après l’émeute nationaliste du 6 février 1934, il resta un acteur de la BS, laquelle militait désormais pour une mobilisation générale contre le fascisme, une politique de transformation révolutionnaire du régime capitaliste, et l’unité avec le Parti communiste. Toutefois, s’il en défendit les grandes idées, ce fut avec sa personnalité propre. Il fit preuve d’une intransigeance qui l’éloigna parfois de Zyromski pour le rapprocher de l’extrême gauche, notamment au congrès fédéral de mai 1935 où, tout délégué de la BS qu’il fût, il vota contre les rapports du groupe socialiste au Parlement et des délégués à l’Internationale, à l’inverse de son chef de file. Il évolua aussi moins vite que ce dernier sur les questions internationales, et continua à signer des motions d’inspiration pacifiste en 1935, malgré les premières initiatives des dictatures fascistes.
Cet engagement lui valut d’accéder très jeune aux organes dirigeants de la Fédération de la Seine. Il fut élu dès juillet 1931 délégué suppléant à la commission exécutive (CE) de la Fédération, où il siégea à la commission d’administration, au titre de la motion Laudrain-Valfort, puis fut reconduit dans les mêmes fonctions par les congrès fédéraux suivants, jusqu’à celui d’octobre 1933 où, candidat sur la liste de la BS, il manqua de très peu sa réélection. Dans les années qui suivirent, absorbé par sa vie personnelle et ses activités professionnelles, il ne représenta pas sa candidature à la CE. Néanmoins, il continua de prendre part à des congrès fédéraux et de siéger dans leurs commissions des résolutions comme délégué de la XVIe section et de la BS, et présida plusieurs conseils fédéraux. Il milita aussi au palais de justice, où il rejoignit le groupe des Avocats socialistes, et contribua avec l’un de ses membres, Claude Willard, à la création de l’Association républicaine des jeunes avocats, un groupement de gauche qui entendait s’opposer à l’association de droite du « Jeune barreau français ».
À partir de 1937, et surtout 1938, il resserra ses liens personnels avec Zyromski, porta son action sur le plan national, et intégra l’équipe dirigeante de la BS. S’il accentua ainsi son implication, ce fut en raison de la déception que lui inspirait l’expérience gouvernementale conduite par Léon Blum en 1936-1937, et de son inquiétude grandissante face aux coups de force des dictatures fascistes, qui le firent renoncer au pacifisme. En juillet 1937, il signa la motion de la BS pour le congrès national de Marseille, en faveur d’une relance du Front populaire. En juin 1938, il ne fut plus seulement un signataire, mais aussi l’un des rédacteurs et l’un des représentants de la motion zyromskiste au congrès national de Royan, le premier auquel il participa. Il y fit équipe avec Zyromski pour que les positions de leur tendance fussent maintenues jusqu’au bout, malgré l’avis contraire de certains de leurs amis, et les pressions de Blum en vue d’une synthèse qui n’aurait exclu que les pivertistes. À ce titre, il fut élu membre du conseil d’administration du Populaire, et, peu après, réintégra, comme titulaire, la CE de la Fédération de la Seine. Après les Accords de Munich, qu’il dénonça vigoureusement, il prit rang parmi les rédacteurs réguliers du bulletin de la BS, et fit campagne avec Zyromski, désormais en alliance avec Blum, pour une politique extérieure de fermeté reposant sur la défense nationale et le renforcement des alliances. En mai 1939, il signa et défendit devant le congrès de la Fédération de la Seine, avec les autres leaders zyromskistes, la motion déposée par Blum dans cet esprit en vue du congrès national de Nantes. À l’issue de ce dernier, il fut reconduit au conseil d’administration du Populaire puis, cette fois comme suppléant, à la CE fédérale de la Seine.
Une fois les hostilités avec l’Allemagne déclenchées, en septembre 1939, il demanda à servir dans une unité combattante de première ligne, mais en vain, faute des aptitudes physiques requises. Il fut versé dans une compagnie de météorologie dépendant du ministère de l’Air, à Doncourt, en Lorraine, où il passa les sept mois de guerre, avec le sentiment d’être inutile, jusqu’à ce que son unité se replie, à Paris, puis Bordeaux. Mais il n’accepta pas la défaite. De retour à Paris sitôt démobilisé, il constitua avec ses confrères André Weil-Curiel, René Georges-Étienne et Albert Naud, dès août 1940, au palais de justice, l’un des premiers groupes de résistance active de la capitale, dont le projet était de réunir des Français résolus à lutter par la propagande et l’action directe contre l’Occupant ainsi que contre le régime de Vichy, puis d’établir une liaison avec la France libre, pour la collecte et la transmission de renseignements, et le recrutement de combattants. Il en fut l’un des responsables les plus actifs. Il rallia et organisa des sympathisants, contribua largement à la rédaction et la diffusion de multiples tracts, dont le premier était intitulé « De Gaulle sauve l’honneur », et fut avec André Weil-Curiel à l’origine de la manifestation du 11 novembre 1940 devant la statue de Georges Clemenceau aux Champs-Élysées, qui eut un retentissement important. Le groupe s’étant associé fin 1940 au réseau du Musée de l’Homme, dit aussi Groupe Boris Vildé, il mit en place lui-même l’équipe qui ronéotypa et distribua à partir de décembre le journal clandestin de ce dernier, Résistance. Mais les deux organisations étaient surveillées et infiltrées par la Gestapo. Le 13 janvier 1941, il fut arrêté dans un train en gare de Versailles, alors qu’il se préparait à rejoindre l’Angleterre depuis la Bretagne, ce qui fut le point de départ du démantèlement du réseau.
Incarcéré à Fresnes (Seine, Val-de-Marne), il fut condamné à deux ans de prison par un tribunal militaire allemand pour la distribution de Résistance, et commença à purger cette peine au fort de Romainville (Seine, Seine-Saint-Denis). Mais une cour martiale allemande siégeant à la prison de Fresnes le jugea une seconde fois dans le procès des dix-neuf membres du réseau du Musée de l’Homme, sous le chef d’inculpation d’intelligences avec l’ennemi au sein d’un complot gaulliste. Particulièrement malmené par le procureur allemand en tant que seul accusé juif, il revendiqua hautement la pleine responsabilité de tous les actes qui lui étaient reprochés. Il fut condamné à mort le 17 février 1942 avec six de ses camarades de réseau : Jules Andrieu, Georges Ithier, Anatole Lewitsky, René Sénéchal, Boris Vildé et Pierre Walter. Il écrivit à son frère et à ses deux jeunes sœurs : « Je n’ai pas eu la chance d’aller au feu, mais j’avais encore un devoir de Français et d’homme libre à accomplir. [...] C’est en soldat que je veux mourir. » Il a été fusillé au Mont-Valérien le 23 février 1942, après avoir entonné « La Marseillaise », puis enterré le jour même avec ses six camarades au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) division 39, ligne 4, n°44.
Son sacrifice ne fut pas oublié. Édouard Depreux lui rendit un vibrant hommage au premier congrès de la SFIO à la Libération. Une cérémonie commémorative fut organisée à sa mémoire au Palais de justice par le Mouvement national judiciaire le 23 février 1946. Son nom fut donné à un prix attribué chaque année au deuxième secrétaire de la Conférence du stage, ainsi qu’à une rue du XIIIe arrondissement de Paris. Son Journal, qu’il tenait régulièrement depuis l’année 1938, fut rendu public en 1993.
Il fut homologué résistant des Forces françaises combattantes (FFC) au titre du réseau du Musée de l’Homme et la Médaille de la Résistance avec rosette lui fut décernée à titre posthume par décret du 31 mars 1947 publié au JO du 13 juillet 1947. La mention Mort pour la France lui fut attribuée le 18 novembre 1971 par le Ministère des Anciens Combattants.
Son nom figure sur la cloche du Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien et sur le monument aux morts du Palais de justice. Une rue du XIIIe arrondissement de Paris porte son nom, et une plaque y a été apposée au numéro 100 ; on y lit : « Léon Maurice NORDMANN, Héros de la Résistance, fusillé par les allemands le 23 février 1942 à l’âge de 34 ans ».


L’abbé Franz Stock l’évoque dans son Journal de guerre :
« Lundi 23.2.42
7 exécutions
Matin, réunion à 9 h 30 chez l’aumônier général. Puis catéchisme à l’école allemande jusqu’à 1 heure. Venu me chercher en voiture pour Fresnes : 7 condamnés à mort, aucun gracié, bien que 3 femmes aient été condamnées dans la même affaire, la réponse de Berlin (quartier général du Führer) n’a pas été attendue. Recours en grâce rejetés. ¨Parmi ces 7 un Juif, du nom de Nordmann, 2 orthodoxes - Vildé et Lewitsky. Les autres catholiques. Sénéchal 19 ans. Tous les 4 se confessèrent et communièrent avant - Walter, Ithier et Andrieu, Sénéchal. Lewitsky demanda également mon assistance, pria, se repentit, lui donnai l’absolution. Vildé était certes croyant, mais de façon plus abstraite, mystique, un formidable personnage , au reste, mélancolie slave et pourtant très spirituel. Nous quittâmes ensemble Fresnes vers 3 h 45, verglas, froid, etc. Les 7 avaient bon moral, beaucoup d’humour, se réjouirent tous que je fusse du voyage. Me remercièrent pour ce que j’ai fait pour eux. Même le jeune [Sénéchal>166598] était brave. Andrieu, invalide de guerre à 100% demanda qu’on ne lui bandât pas les yeux, ce qui lui fut accordé. "Dites à ma femme et à mes enfants que j’ai regardé la mort droit dans les yeux ". Je lui tendis encore un fois la photographie de sa fille et de son fils. Il la baisa, fit le signe de croix et voilà, 4 furent fusillés ensemble : Sénéchal, Andrieu, Nordmann, Ithier, puis les trois derniers : Walter, Lewitsky, Vildé. Vildé refusa d’avoir les yeux bandés. Walter et [Sénéchal>166598] avaient souvent communié pendant leur détention. Ithier fit une bonne confession générale, reçut la communion avec une saine vénération. Andrieu pareillement. Je les ai enterrés tous les 7 au cimetière d’Ivry, à 6 h 30 du soir. »
Voir Mont-Valérien, Suresnes (Hauts-de-Seine)
Oeuvres

ŒUVRE : Le contrat d’opération chirurgicale, thèse pour le doctorat en droit, soutenue le 6 mars 1939, Paris, Les Presses modernes, 1939. — Journal : 1938-1941, préface et édition par Jean Cahen-Salvador, Paris, 1993.

Sources

ŒUVRE : Le contrat d’opération chirurgicale, thèse pour le doctorat en droit, soutenue le 6 mars 1939, Paris, Les Presses modernes, 1939. — Journal : 1938-1941, préface et édition par Jean Cahen-Salvador, Paris, 1993. — IEP, Fonds Daniel Mayer, 3MA4, discours de René-Georges Étienne (5 p.), et notice de Lucienne Scheid. – Notice « L.-M. Nordmann », DBMOF 1914-1939. — IHTP, Archives Joe Nordmann, ARC 3015, mémoire rédigé lors du second procès (6 p.). — PS SFIO, Fédération de la Seine, Rapports pour les congrès administratifs, 1932, 1934, 1935. — Marc Jarblum, La lutte des Juifs contre les nazis, Éd. Réalité, 1945. — Agnès Humbert, Notre guerre, Émile-Paul Frères, 1946. — André Weil-Curiel, Le temps de la honte, Éd. du Myrte, vol. 2, 1946. — Martin Blumenson, Le réseau du Musée de l’Homme, Le Seuil, 1979. — Liora Israël, Robes noires, années sombres. Avocats et magistrats en Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, Fayard, 2005. — Anne Hogenhuis, Des savants dans la Résistance. Boris Vildé et le réseau du Musée de l’Homme, CNRS Éd., 2009. — Julien Blanc, Au commencement de la Résistance. Du côté du Musée de l’Homme 1940-1941, Le Seuil, 2010. — Le Populaire, 1931-1939. — La Bataille socialiste, 1938-1939. — Le Matin, 21 janvier 1941. — L’Œuvre, 21 janvier 1941. — Fraternité, 13 mai 1944, Éd. d’Algérie. — Le Populaire, 23 février 1945, 24 février 1946. — Résistance, 24 février 1946. — Franz Stock, Journal de guerre. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien, Cerf, 2017, p.67. — SHD Vincennes GR 16 P 447047 et GR 28 P 4 222 14 (nc). — Site Internet Mémoire des Hommes. — MémorialGenWeb. — Répertoire des fusillés inhumés au cimetière parisien d’Ivry.

Éric Nadaud

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