Né le 19 mai 1919 à Wardin (Belgique), fusillé le 5 octobre 1942 au stand de tir du Ministère de l’Air à Paris, XVe arr. (Seine) ; courtier ; officier ; résistant du réseau Lucas puis Brutus ; agent P2 au Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) ; Compagnon de la Libération.

Fils de Jean Joseph Bouchez et de son épouse Catherine Gollère, les parents de Jean Bouchez étaient cultivateurs à La Bouteille (Aisne) à la naissance de son frère Henri, en janvier 1921. Ils étaient alors respectivement âgés de trente-et-un et vingt-neuf ans.
Engagé volontaire par devancement d’appel en octobre 1938, Jean Bouchez (appelé Nicolas par son frère) fut admis au cours des élèves officiers de réserve. Jeune aspirant sorti de l’école militaire de Saint-Maixent (Deux-Sèvres) en mai 1939, il fut affecté, à la déclaration de guerre, à la compagnie cycliste au 348e Régiment d’infanterie. Il se distingua pendant la bataille de France comme chef de section, sous les ordres du capitaine Pierre Fourcaud, commandant la compagnie cycliste. Le 24 mai 1940, il contre attaqua avec sa section un ennemi quatre fois supérieur en nombre, faisant dix prisonniers. Blessé grièvement de deux balles au pied le 16 juin 1940 en même temps que son capitaine, à Benestroff au nord de Nancy (Meurthe-et-Moselle) dans un combat d’arrière-garde, il réussit pourtant à ramener les débris de sa section dans les lignes françaises. Il fut évacué à l’hôpital complémentaire d’Haxo à Épinal (Vosges).
Fait prisonnier le 19 juin 1940, le sous-lieutenant Bouchez fut rapatrié sanitaire le 15 mars 1941 et admis à l’hôpital militaire de Perpignan (Pyrénées-Orientales). Sorti de l’hôpital le 8 avril 1941, il fut démobilisé à la même date.
Refusant la défaite, Jean Bouchez retrouva Pierre Fourcaud, alias « Lucas » qui le fit entrer dans son réseau de renseignements « Lucas ». Il effectua des liaisons avec la Zone nord. Il était également en rapport à Paris avec le colonel Heurtaux (réseau Hector et Organisation civile et militaire).
Pierre Fourcaud fut arrêté à Marseille (Bouches-du-Rhône) fin août 1941 et interné à Vichy (Allier) puis à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Avec des membres du groupe, Bouchez chercha à le faire évader. Un plan d’évasion fut mis en place mais il échoua en raison du transfert imprévu de Fourcaud vers la prison de Clermont-Ferrand.
Bouchez reprit ses activités dans le réseau dirigé alors par « Froment » qui remplaça son frère. Plus tard, le réseau prendra, sous la direction d’André Boyer, le nom de « Brutus ». Il avait pour pseudonyme « Bertrand ».
Incorporé dans les rangs de la France libre le 17 février 1942, comme agent P2 du BCRA, il accomplit de nombreuses missions en France et en Belgique. Sur le point de rejoindre l’Angleterre, trahi, il fut arrêté par les Allemands le 13 mai 1942 à Paris (Seine). Interné à la prison du Cherche-Midi (Paris, Seine) puis à Fresnes (Seine, Val-de-Marne), il fut condamné à mort par le tribunal militaire de Paris, rue Boissy d’Anglas, le 23 septembre 1942 et fusillé, place Balard, le 5 octobre 1942 avec dix-sept autres résistants.
Jean Bouchez fut inhumé au cimetière de La Bouteille dans l’Aisne. Compagnon de la Libération par décret du 13 mars 1943, il est aussi titulaire de la Croix de Guerre 1939-1945 (deux citations) et de la Médaille de la Résistance. reconnu « mort pour la France » (AC 21 P 714383), il fut homologué à titre posthume lieutenant et DIR (GR 16 P 77304).
Son frère, Henri Jean Nicolas Bouchez, est né à La Bouteille le 25 janvier 1921, alors que ses parents venaient d’arriver en France. Il s’engagea dans les FFL (homologué, GR 16 P 77301). Il poursuivit sa carrière dans l’armée après guerre, notamment en Égypte probablement comme attaché militaire. Il y était quand il se maria le 1er avril 1945, à l’agence consulaire de France à Ismaïlia, avec Hélène Jeanne Montiré [copie d’acte peu lisible]. Henri Bouchez mourut à Paris (VIe arr.) le 8 mai 1982.
Dans un courrier du 15 janvier 1976, il apprend à son destinataire (non identifié) de Saint-Quentin que « le dénonciateur de [son] frère NICOLAS aux Allemands en 1942 vient d’être arrêté. Ce dénonciateur, un dénommé GABREL, s’était réfugié au LIBAN. Condamné en 1946 à 10 ans de prison pour intelligences avec l’ennemi il avait purgé 7 ans de prison effectifs. Libéré en 1953, l’administration, toujours aussi LOURDE DE BÊTISES s’appercevait quelques années plus tard qu’il avait sur la conscience également la mort de résistants pour les avoir dénoncés aux allemands en contre-partie de fortes sommes. Prévoyant l’affaire, GABREL s’est réfugié en 1956 au LIBAN où il ne pouvait pas être extradé. En 1960 le TRIBUNAL de BORDEAUX le condamnait à mort par contumace pour dénonciations de résistants, et en particulier mon frère.
GABREL, condamné en 1960 aurait bénéficié de la prescription en 1980, il vient heureusement d’être repris rentrant du LIBAN où il ne devait plus se sentir en sécurité au milieu des derniers événements [la guerre civile venait de commencer] et a préféré rentrer en FRANCE malgré l’avis de son avocat où il savait très bien qu’il serait emprisonné. C’est fait. Il est à la prison de la SANTÉ et va être rejugé par la COUR de SURETÉ de l’ÉTAT.
J’ai contacté hier l’avocat général près la COUR de SURETÉ de l’ÉTAT qui a le dossier dont j’avais eu connaissance en 1945. D’ici à dix jours je vais avoir connaissance complète du dossier m’étant porté dès hier partie civile.
Je n’ai malheureusement que peu d’éléments à apporter à la barre des témoins où j’aurai accès lors du procès.
C’est la raison pour laquelle je vous serais reconnaissant de me faire connaître éventuellement les éléments que vous pourriez avoir à charge contre GABREL. Au besoin votre témoignage à charge peut éventuellement être envisagé si vous avez des éléments ayant valeur de preuve de cette trahison, dans ce cas je n’hésiterais pas à faire le voyage jusqu’à St Quentin et nous pourrions en discuter.
Connaissez-vous peut-être d’autres camarades de NICOLAS qui pourraient également avoir des éléments ou des preuves à charge contre ce dénonciateur. Dans ce cas pouvez-vous leur demander de se mettre en relations avec moi. [...] ».
De fait, Le Monde indique (10 février 1976) que Jean Gabrel, ingénieur en construction, avait été condamné à mort par contumace pour intelligence avec l’ennemi par le tribunal permanent des forces armées de Paris, et vivait depuis vingt ans à Beyrouth avec son épouse, d’origine libanaise. Il avait demandé au consulat de France d’être rapatrié, « afin qu’il puisse se faire livrer à la justice de son pays ». Accueillant la semaine précédant le 10 février à Orly, il avait été accueilli par son avocat, Yves-Frédéric Jaffré ; il fut écroué à la Santé en attendant d’être déféré à la Cour de sûreté de l’État. « M. Gabrel est accusé d’avoir — en 1942 — dénoncé aux Allemands, alors qu’il était ingénieur aux usines Citroën, le lieutenant Jean Bouchez ; celui-ci, arrêté et condamné à mort par un tribunal militaire allemand, avait été fusillé ».
Le 26 août s’ouvrit l’audience de la Cour de sûreté, sous la présidence de Pierre David, où « comparaissait un homme de soixante-neuf ans, au visage fatigué, M. Jean Gabrel, ingénieur et homme d’affaires réfugié au Liban depuis dix-neuf ans, qui avait décidé de regagner la France et avait été appréhendé à son arrivée à l’aérogare d’Orly, en exécution d’un mandat d’arrêt délivré contre lui le 29 novembre 1957 par un juge d’instruction du tribunal permanent des forces armées de Paris.
Il avait été condamné le 4 novembre 1946 par la cour de justice de Seine-et-Oise à vingt ans de travaux forcés pour avoir dénoncé en 1943 et 1944 des Français qui avaient hébergé des aviateurs alliés. Libéré le 3 octobre 1951 par l’effet de plusieurs remises de peine, M. Gabrel a été de nouveau poursuivi en 1954 pour avoir livré à l’occupant en mai 1942 le lieutenant Jean Bouchez [...]. La justice française avait reçu des documents d’archives du IIIe Reich [...], en particulier le texte du jugement du tribunal militaire allemand qui a condamné le lieutenant Bouchez à mort, en précisant que son dénonciateur avait été M. Gabrel.
Laissé en liberté, ce dernier s’était enfui en 1957 à Beyrouth [...]. Par contumace il fut condamné à mort le 26 janvier 1960 par le tribunal permanent des forces armées de Paris » (Le Monde, 28 août 1976).
Le défenseur de Jean Gabrel était Jacques Chanson, avait à faire face au bâtonnier Ellul, du barreau de Corbeil, conseil du commandant Henry Bouchez. Le 27 août, le premier demanda « un supplément d’information et la mise en liberté de M. Gabrel. CE dernier a déclaré : « J’ai été arrêté en 1942, en même temps que mon camarade Bouchez et, en juin, j’ai subi de terribels sévices. Les Allemands m’ont fracturé uen épaule et défoncé le crâne. Je n’ai commis qu’une imprudence en confiant à quelqu’un deux enveloppes que Bouchez m’avait remises. Mais si je me suis infiltré dans les services allemands, c’est à la demande des services anglais ». Mais tout en ordonnant un supplément d’information, la Cour a décidé de garder en détention M. Gabrel [...] » (Le Monde, 30 août 1976).
Dans l’édition du Monde du 16 février 1977, Jean Cornu reprit les faits. « Jean Gabrel avait trente-six ans en 1942 quand le lieutenant Jean-Nicolas Bouchez, un résistant de la première heure, a été fusillé par les troupes d’occupation ». Il exposa le déroulement de l’audience de la Cour de sûreté. « Devant un public dont on remarquait la moyenne d’âge élevée, le président de la cour, M. Pierre David, a fait observer qu’il était « difficile d’examiner, trente-quatre ans après, des faits qui demeurent fort complexes ». Si Jean Gabrel reconnaît avoir fait du commerce avec les autorités allemandes et s’il admet avoir été un agent de l’Abwehr fiché dans les dossiers du Reich sous le matricule G.B. 7 111, il proteste de sa bonne foi en déclarant avoir tenu en réalité le rôle d’un agent double. Il prétend avoir agi sur les instructions de résistants et d’agents anglais pour fournir de faux renseignements aux Allemands. Il s’appuie sur l’existence d’un rapport montrant que les officiers de l’Abwehr le soupçonnaient d’être au service des alliés.
Mais le président note qu’il a déclaré devant un juge d’instruction avoir reçu des Allemands 50 000 francs (de l’époque) pour leur avoir donné des indications sur le lieutenant Bouchez. Jean Gabrel avait dit qu’il était dans ce cas obligé de « jouer le jeu » et qu’il comptait prévenir le lieutenant « à temps », ce dont il avait été empêché. Aujourd’hui, il précise : « J’ai été arrêté en même temps que mon camarade Bouchez et j’ai subi de terribles sévices. Les Allemands m’ont cassé une épaule et fracturé le crâne. Je n’ai commis qu’une imprudence ». Cependant, l’avocat général, M. Jacques Colette, a rappelé que le lieutenant Bouchez, avant de mourir, avait donné le signalement de son délateur, signalement qui correspondait à celui de Jean Gabrel.
Mais la cour a, d’autre part, entendu un témoin à décharge dont la qualité et la « franchise » ne pouvaient manquer d’être remarquées dans de pareils débats Officier de réserve en 1944, M. Jean-François Perrette, soixante-dix-neuf ans, s’est presque excusé — en « soldat » — d’avoir appartenu à la Libération à un service de contre-espionnage. Il a déclaré : « Gabrel a été mon agent dans un réseau utilisé dans la poche de Saint-Nazaire et il a rendu d’incontestables services. Évidemment nous ne manipulions pas des enfants de chœur. Toutes les forces de police sont obligées de se servir d’indicateurs. Gabrel comme beaucoup d’autres, avait à se dédouaner de certaines actions équivoques. Mais on ne me l’avait pas présenté comme un délateur ou un traître ». Le témoin a ajouté vertement : « L’épuration, je m’en foutais éperdument. L’important pour moi, c’était la France. Gabrel avait été arrêté par la D.S.T. Or divers services de police à cette époque voulaient faire des tableaux de chasse. Mais, pour les besoins du service, j’ai soustrait Gabrel à la D.S.T. ». Dans un souci de rigueur l’officier a conclu qu’il ne pouvait fournir à la cour qu’une appréciation « subjective ». « Mais je sais, a-t-il déclaré, que l’on a dit à propos de Gabrel : « On lui fera payer. Gabrel était manifestement poursuivi de la vindicte de certains policiers. Je pense que cela peut éclairer son dossier ».
Ainsi que le conseil de la partie civile représentant M. Henri Bouchez, frère de la victime, l’avocat général a souligné dans son réquisitoire que le dossier provenant des archives allemandes montrait que Jean Gabrel avait remis à l’Abwehr des documents secrets appartenant au lieutenant Bouchez, ce qui devait entraîner l’arrestation de ce dernier. Considérant que les faits étaient accablants, M. Colette a requis une peine de détention criminelle à perpétuité en déclarant que l’accusation portée contre Jean Gabrel était « hors d’atteinte du temps et de l’oubli » ».
Le 15 février 1977, la Cour de sûreté de l’État prononça son verdict, que rapporte Le Monde (17 février 1977). « Pour intelligence avec l’ennemi, Jean Gabrel, soixante-dix ans, a été condamné le 15 février par la Cour de sûreté de l’État à vingt ans de détention criminelle. Il était accusé d’avoir dénoncé, en 1942, aux autorités allemandes un jeune résistant, Jean-Nicolas Bouchez, qui devait être fusillé (Le Monde du 16 février).
La peine qui vient d’être prononcée ne sera pas exécutée. Détenu depuis un an après son retour du Liban où il s’était réfugié pendant dix-neuf ans, Jean Gabrel a été libéré. En effet, pour d’autres faits de collaboration, Jean Gabrel avait déjà été condamné en 1946 à vingt ans de travaux forcés. Après six ans et demi de détention, il avait été gracié et libéré. Or, la Cour de sûreté de l’État a prononcé la confusion des peines. Comme toujours dans un tel cas, c’est la première peine qui est exécutée et la cour a considéré que le condamné pouvait bénéficier de la mesure de grâce dont sa première peine avait fait l’objet — la grâce valant exécution de la peine.
Jean Gabrel a, d’autre part, bénéficié de l’application du principe de non-rétroactivité des lois, les faits qui lui étaient reprochés étant antérieurs à l’entrée en vigueur d’un nouveau texte qui depuis 1958 prévoit que la grâce portant sur une première peine ne peut être appliquée à la seconde ».
Sources

SOURCES : DAVCC, Caen. SHD, dossiers adm. résistants. — Jean-Marc Binot, Bernard Boyer, Nom de code : Brutus, histoire d’un réseau de la France libre, Fayard, 2007. Vladimir Touplin, Dictionnaire des compagnons de la Libération, Bordeaux, Elytis, 2010. — Le Monde, articles des 10 février, 1er avril, 28 et 30 août 1976, et des 16 et 17 février 1977. — Sites Internet : Mémoire des hommes ; Ordre de la Libération ; Généalogie Aisne ; Mémorial GenWeb. — Renseignements communiqués par Cyrille Stévenot, maire de La Bouteille.

Iconographie
ICONOGRAPHIE. Ordre de la Libération

Jean-Pierre Besse, Frédéric Stévenot

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