Né le 14 mars 1896 à Lorient (Morbihan), mort en action, abattu par les autorités allemandes le 5 novembre 1943 à Paris XVIIe arr. ; ingénieur ; honorable correspondant du 2ème bureau en Roumanie avant-guerre ; chef du réseau de renseignement Confrérie Notre Dame (CND) en Bretagne ; résistant.

Alphonse Tanguy
Alphonse Tanguy
Crédit : Gildas PRIOL
Retraité de la marine, le père d’Alphonse Tanguy était forgeron au port de Lorient. Sa mère, Anne Jacquetton, était bouchère. La famille habitait 27 rue Victor Hugo. Selon les confidences qu’il fit un jour à l’un de ses camarades de Résistance et que le colonel Rémy rapporta dans ses Mémoires, Alphonse Tanguy avait vécu son enfance et son adolescence « entre ses livres, sa mère qu’il aime et qui l’aime, et son père qui ne les aime pas et qui boit, boit, boit... ». Brillant élève, le jeune Alphonse rêvait de préparer le « Borda » (l’école navale) : son père s’y opposa et le contraignit à se présenter au concours d’entrée d’une école des Arts-et-Métiers. Sans conviction, il intégra celle d’Angers où il obtint son diplôme d’ingénieur. Puis ce furent cinq années de guerre qu’il termina avec le grade de sous-lieutenant. Il avait reçut une seule lettre de sa famille et aucun colis.
En 1920, il s’expatria en Roumanie où l’une de ses soeurs s’était installée. Il y travailla notamment comme prospecteur pour le compte de la compagnie des pétroles de Ploesti. Le 20 mai 1932, il se maria à Darmanesti avec Zoé Braisculorie. Selon le colonel Rémy, Alphonse Tanguy était aussi correspondant du service de renseignement français, en sa qualité d’officier de réserve. Pour la France comme pour l’Allemagne, la Roumanie était en effet un pays d’une importance stratégique, avec ses champs pétrolifères et ses ports sur la Mer Noire, qui plus est frontalier avec l’URSS. En 1939, Alphonse Tanguy fut mobilisé sur place, ce qui l’empêcha de rentrer en France pour assister aux obsèques de sa mère.
En avril 1940, il fut brièvement rappelé à Paris avant d’être renvoyé à Bucarest. La Roumanie qui était déjà largement satellisée par le IIIème Reich, allait officiellement rejoindre l’Axe en juin. Rentré à Lorient, Alphonse Tanguy s’installa chez l’une de ses soeurs, devenue veuve. Sa femme était restée en Roumanie. Il répondit à une annonce pour un poste d’ingénieur à la base sous-marine de Kéroman. La Kriegsmarine y avait construit deux énormes bunkers bétonnés de 80 mètres de long, 14 de large et 20 de haut permettant la construction simultanée de 12 U-Boote. Alphonse Tanguy qui parlait parfaitement l’allemand, fut embauché au bureau des fabrications.
Un dimanche de novembre 1941, du côté du champ de courses d’Auteuil, Alphonse Tanguy fut présenté au colonel Rémy qui cherchait depuis quelques temps déjà à implanter une antenne de son réseau à Lorient. Dans ses « Mémoires », Rémy raconta qu’il avait été « frappé par sa physionomie très pâle, ses yeux d’un bleu délavé, dans un visage semé de tâches de son, les cheveux rares et d’un blond roux ». Le chef de la CND le ramena chez lui et lui énuméra les renseignements recherchés par le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), insistant notamment sur les plans de la base de Lorient qui permettraient à la RAF d’optimiser son bombardement. Les deux hommes allèrent dîner chez Prunier, rue Duphot et comme une bouteille de Sauternes leur était servie, Tanguy expliqua à Rémy que son ingénieur en chef en cherchait en vain dans tout Lorient pour en rapporter à Berlin à sa femme. Tanguy rentra à Lorient avec six bouteilles que le directeur de « Prunier », M. Barnagaud, avait accepté de leur vendre au prix de la carte, 48 francs pièce. Elles lui valurent la gratitude et la confiance de son supérieur qui partit bientôt en permission pour Noël.
Alphonse Tanguy avait relevé à la cire l’empreinte des serrures du bureau de l’ingénieur allemand et de l’armoire en fer dans laquelle il enfermait les plans. A l’heure du déjeuner, il s’introduisit dans la pièce et préleva un exemplaire de chacune des feuilles « Streng Geheim » (très secrètes) dupliquées à une douzaine d’exemplaires. Vers le 20 décembre, Alex, pseudonyme qui lui avait été attribué, se présenta chez Rémy avec un énorme paquet. Il contenait l’intégralité des plans des bases sous-marines de Lorient, mais aussi de Brest, de Saint-Nazaire, de La Pallice et de Bordeaux. « Ma femme et moi, raconta le colonel Rémy, nous sommes demandés en même temps si (Alex) n’était pas un agent double ! ». Expédié à Londres par un vol clandestin de Lysander, le butin fit sensation.
Alphonse Tanguy devint rapidement l’un des piliers de la Confrérie-Notre-Dame en Bretagne. « Ceux qui l’ont connu, témoigna Rémy, sont unanimes à dire que c’était un organisateur-né, un homme d’une étonnante maîtrise de soi, d’une lucidité sans complaisance, d’un courage sans défaillance, une figure profondément attachante. »
En 1942, il fit l’acquisition d’une barque de pêche, « Les Deux-Anges », et recruta son patron, Louis Yequel, pour assurer des liaisons clandestines avec l’Angleterre. C’est à son bord que Rémy embarqua le 17 juin 1942 avec sa famille pour la mettre à l’abri à Londres. C’est également ce bateau qui amena en Angleterre Fernand Grenier, le délégué du Partie communiste français (PCF) auprès du général de Gaulle, en janvier 1943.
Recherché par le contre-espionnage allemand, Alphonse Tanguy prit la clandestinité sous la fausse identité de Lecoeur. Il était devenu le bras-droit du colonel Rémy, qui lui confiait la direction du réseau lorsqu’il retournait à Londres. C’était le cas au début du mois de novembre 1943 lorsque le chef-radio du réseau, Robert Bacque alias Tilden, fut arrêté par les supplétifs de la Gestapo du 101 avenue Henri Martin, des fascistes français dirigés par un SS belge, Georges Delfanne alias « Masuy ». Bacque se mit aussitôt à table et livra tout ce qu’il savait.
Le lendemain 5 novembre, le garage SARVA, Porte de Champerret qui abritait le bureau d’où opérait Tilden , était perquisitionné vers 10h00 du matin. Une heure plus tard, Alphonse Tanguy s’y présentait. Accompagné de l’administrateur du garage, Francis Drion, il monta jusqu’au local utilisé par le chef-radio du réseau. Comme il tournait la clé dans la serrure, il fut abattu par une rafale de mitraillette tirée à travers la porte par un sous-officier allemand nommé Rolf, resté en planque et sans doute paniqué. Francis Drion chercha à fuir mais subit le même sort. La Gestapo ne trouva sur le cadavre d’Alphonse Tanguy que de faux papiers au nom de Tual.
Après guerre, le nom d’Alphonse Tanguy fut donné à une rue de Lorient. Son nom figure également à Nantes sur une plaque dédiée aux anciens élèves de l’école Livet morts pour la France. Le colonel Rémy fit apposer en 1978 une plaque commémorative sur la maison du 8 rue des Gentilshommes, à Riec-sur-Belon (Finstère) d’où son camarade de résistance avait organisé les liaisons maritimes clandestines avec l’Angleterre.
ICONOGRAPHIE : Colonel Rémy, Mémoires d’un agent secret de la France Libre, Raoul Solar, 1945.
 
 
 
Sources

SOURCES : Colonel Rémy, Mémoires d’un agent secret de la France Libre, Raoul Solar, 1945. — Colonel Rémy, Une affaire de trahison, Raoul Solar, 1948. —Amiral Jean Philippon, Services secrets contre cuirassés, France-Empire, 1957. — Jean Le Berd, Lorient sous l’occupation, Ouest France, 1986. — Roger Leroux, Le Morbihan en guerre, Éd. Floch, 1978.

Jean-Pierre Ravery

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