Né le 14 août 1921 à Fouquières-lès-Lens (Pas-de-Calais), fusillé le 4 novembre 1942 à Arras (Pas-de-Calais) ; cheminot aux houillères ; militant communiste ; résistant FTPF.
« Chers camarades,
J’étais communiste français et je mourrai communiste ayant eu mon idéal renforcé par ce que j’ai vu et subi en prison. […] Je vous expliquerai du mieux que je pourrai la vie que j’ai passée ici sans oser mentir devant la mort car je mourrai catholique. »

Plaque à la mémoire d'Ernest Dupont, citadelle d'Arras
Plaque à la mémoire d’Ernest Dupont, citadelle d’Arras
Crédit : Anne-Lise Dupont, nièce d’Ernest Dupont
Crédit "> Ernest Dupont
Ernest Dupont
Crédit
Lettre d'Ernest Dupont à ses camarades de Résistance (recto)
Lettre d’Ernest Dupont à ses camarades de Résistance (recto)
Archives familiales.
Lettre d'Ernest Dupont à ses camarades de Résistance (verso)
Lettre d’Ernest Dupont à ses camarades de Résistance (verso)
Archives familiales.
Ernest Dupont
Ernest Dupont
Crédit : Anne-Lise Dupont
Fils d’Ernest Alexandre Dupont, mineur, et de Marie Collier, ménagère, Ernest Dupont était célibataire et domicilié à Fouquières-les-Lens, rue de Rethel.
Selon les Renseignements généraux, il est dans la liste des communistes notoires : chef de groupe, dont l’activité est connue des services de police français. Il a participé à des attentats ou attaques armées contre les gendarmes français et des membres de l’armée allemande.
Arrêté le 3 août 1942 à Hénin-Liétard (Pas-de-Calais) par la police française pour « menées communistes et détention d’armes », il fut incarcéré à Arras et longuement torturé, par les policiers français puis allemands, sans livrer aucun renseignement. Ernest Dupont fut condamné à mort le 22 octobre 1942 par le tribunal militaire d’Arras (OFK 670).
Il fut passé par les armes le 4 novembre 1942 à 17 h 35 dans les fossés de la citadelle d’Arras.
Profitant des visites, il parvint à faire sortir des courriers pour sa famille et ses camarades résistants communistes.Selon sa nièce Anne-Lise Dupont, ces lettres « furent remises à ma grand-mère, à chacune de ses visites dissimulées dans son corsage et comme elle était enceinte elle passait aisément. » Ces documents, reproduits ci-dessous, transcrits d’après les originaux, (orthographe et ponctuation modifiées), témoignent de son patriotisme et de ses convictions communistes qui n’excluaient pas une foi catholique affirmée. Il décrit longuement les tortures infligées par les policiers français et allemands.

Lettre à ses camarades résistants communistes rédigée entre le 22 octobre, date de sa condamnation à mort et son exécution le 4 novembre, Il y décrit longuement les tortures infligées par les policiers français et allemands.

Chers camarades
J’étais communiste français et je mourrai communiste ayant eu mon idéal renforcé par ce que j’ai vu et subi en prison. Aussi je vous demande camarades, en retour du sacrifice que j’affronte pour notre bonne cause, c’est de rendre à mes parents à qui j’aurais fait beaucoup de chagrin une douce et tranquille vieillesse et aider mon frère à suivre le même idéal. Pour moi je ne demande qu’à être ramené dans mon village. Des faits que je relaterai ici, plusieurs copains témoigneront après la guerre de ce qu’ils ont vu et entendu ici en même temps que moi. Je vous expliquerai du mieux que je pourrai la vie que j’ai passée ici sans oser mentir devant la mort car je mourrai catholique. Et moi j’ai la fierté de faire savoir que pas un copain ne pourra dire que je l’ai fait arrêter et beaucoup pourront dire qu’il ne tenait qu’à moi. Voici maintenant mon journal parmi tant d’autres qui n’ont pas trahi notre cause.
« Lundi 3 août. Arrestation à Hénin [Hénin-Liétard, fusionné en 1971 avec Beaumont-en-Artois, depuis Hénin-Beaumont], dans bistro, ayant été suivi depuis Oignies. Fouillé, je suis porteur de cartes de pain et d’un rapport de secteur, donc pris comme chef communiste. On me conduit au commissariat, passage à tabac puis de même à Arras, devant mon mutisme, par les agents de Pétain. Conduit ensuite à la Prison française couvert de sang.
Mardi 4 août à 10h. 2 jeunes inspecteurs viennent me chercher conduit à Carvin. Le commissaire dit qu’on vient d’arrêter mes parents, ayant chez nous trouvé des tracts et que pour les délivrer il faut me mettre à table. Supplice moral. Je dis qu’ils sont étrangers à toute activité et que tout incombe à ma personne ; je dis avoir pris un billet de malade, en les ayant trompé sur tout, et rien ne sort plus de ma bouche. Écumant de rage, alors commence et à tour de rôle, une méthode de barbare ; pendant 20 heures d’enfer, j’ai subi toutes les souffrances imaginables ; à deux hommes, l’un avec un nerf de bœuf, l’autre un bâton de noyer, ont fait de mon corps une plaie. Quand je m’évanouissais, ils me ranimaient en plongeant ma tête dans l’eau. Puis ne sentant plus les coups, ils m’ont traîné par les cheveux, boxé la figure.
Mercredi à 8 heures. Le supplice a cessé. Combien de fois n’ai-je pas demandé pardon et crié maman, mais ils n’avaient pas de cœur et leur répartie était « parle ». Ils me ligotent à une chaise et m’empêchent de dormir ; ils mangent et boivent devant moi. Ils me ramènent vers 12 heures à la prison allemande comme une loque, la tête et les bras enflés, la bouche en sang et le maillot collant à corps. Je suis présenté à l’infirmier qui me conduit à l’hôpital. Là on refuse de m’aliter et on me conduit seul dans une cellule, sous surveillance, car dans une demi inconscience, j’entends le commissaire qui dit au soldat allemand, « c’est un [bolchevik ?], et faites qu’il ne s’endorme pas pour toujours. »
Mercredi à 9h30. Je me réveille, car on vient me chercher pour aller à la Gestapo. Là, on me bat jusqu’à évanouissement. À midi on me reconduit à ma cellule. Ma soupe est froide et je n’ai pas le goût de manger. On vient me rechercher à 3h et on recommence la même chose jusqu’à 6 heures.
Et cela dure 15 jours. Quand je vois l’heure d’y aller, j’ai peur. Je voudrais me tuer avec n’importe quoi, je suis comme fou, mais je tiens bon et on me laisse tranquille n’ayant pu les aiguiller sur quelque chose.
19 août. Je réussis à parler à un copain qui me passe un bout de savon et une serviette et je peux me laver pour la première fois depuis mon arrestation et commence à sortir. Je commence à savoir des nouvelles par les nouveaux arrivés. Un jour un copain revient de la Gestapo avec la mâchoire cassée ; on le conduit à l’hôpital trois jours après. Je commence à avoir faim car mes coups se guérissent et ma constitution reprend le dessus. Je me couche continuellement pour calmer ma faim. Je reçois mon premier colis de linge. Je pleure de contentement car je devine que mes parents ne sont pas arrêtés.
8 septembre. On me met avec des copains dans une chambre. Cela va mieux car le moral remonte et je peux avoir quelque chose pour calmer ma faim.
11 septembre. On me confronte avec une équipe qui devrait me connaître. Là je reçois une tabassée sur le derrière et je me réveille sur le gazon trempé jusqu’aux os pour ne pas avoir dit leurs noms plus tôt. Ils m’accusent d’être chef, mais je n’en démords pas. On me ramène à la prison où j’arrive à temps pour ne pas tomber. On me fait sécher mon linge. Je suis noir de coups.
Et l’on recommence mon interrogatoire. J’aspire à la mort quelquefois. J’ai peur, non des coups mais de ne pouvoir le supporter. Une fois je reviens avec la lèvre fendue et la figure enflée d’un côté et le derrière noir.
J’apprends qu’un copain polonais s’est pendu dans sa cellule après un interrogatoire. Il a sûrement été comme moi.
8 novembre. [Octobre]. On vient me chercher pour la dernière fois. On me demande si je veux parler. Je dis ne savoir rien alors on me ligote sur une chaise, on me pose une lampe sur la tête et il met le courant dessus, pendant ce temps on me frappe, j’étais fou, je délirai mais j’ai pu tenir et je me suis réveillé sur le gazon dans la cour. On m’a transporté dans l’auto mais ils n’ont pas osé me ramener avec les copains et je suis resté seul en cellule malade pendant trois jours. Et le 15 nov. [octobre] on me ramène en chambre. Le 22 oct. je passe avec 19 cop. Où là je suis condamné à la peine de mort pour menées communistes et connaissance d’illégaux, [détention d’] armes avec 16 copains.
Maintenant voilà ce que j’ai passé et je dis la vérité.

Arras le 16-10-42
Chère Mère père et frère
On m’a donné l’autorisation de vous écrire pour que vous m’envoyiez le plus vite possible un colis de vivres. Vous mettrez ce que vous pourrez, du pain, des pommes de terre cuites à l’eau, du pain d’épices, biscuits, sucre, chocolat, des crêpes si vous pouvez, ainsi que du beurre, fruits, et du papier à lettre, un peu de tabac, plus de linge. Je suis en bonne santé, j’espère qu’il en est de même pour vous. Vous direz bonjour à toute la famille ainsi qu’à Mauricette et Renée. Vous m’enverrez votre photo de vous trois que j’aime. Tu demanderas une visite ; en venant ici [vous] m’apporterez le colis. Après mon jour sera le 1er et 3ème mardi du mois. Chère petite mère et père et frère, votre grand vous quitte de mille baisers et de sa pensée. Ernest.
Pour la visite, tu le demanderas à la kommandantur d’Arras ; tu tacheras de prendre un avocat pour moi, je vais passer au tribunal. Ernest.

22 octobre 1942
Chère petite mère, père et frère,
Je viens d’être condamné à mort pour avoir favorisé des menées bolchevistes avec 16 de mes camarades, parmi eux Jaly de Billy-Montigny. Je n’ai pas bronché car je m’attendais à cela parce que j’étais communiste français, et que malgré les tortures morales et physiques qu’ils m’ont fait subir depuis mon arrestation, je n’ai pas ouvert la bouche pour les renseigner. Aussi la lettre que je destine à mes camarades du parti relatera ma vie en prison avec les témoignages des copains qui iront vous voir après la guerre, Chère petite mère. J’ai demandé une visite. Quand je l’aurai vous direz peut-être que je n’ai pas de cœur, et que je ne pense pas à ton chagrin. Si, petite mère, j’ai du chagrin pour toi et je regrette tout ce que je t’ai fait avant, mais je crois que par toi j’ai été pardonné car je sais que ta bonté n’a pas de limite et la consolation, tu la trouveras en petit frère et en Dieu et je me fais pardonner les fautes que j’ai faites à vous trois que j’aime. Et je voudrais que vous puissiez voir mon moral car je ne regrette rien et je sais pourquoi je vais mourir, et mon attitude est toujours comme avant ; je ne crains pas la mort pour mon idéal. Chère petite maman, j’ai souvent pensé à toi quand j’ai été arrêté, surtout à ton chagrin. Aussi maintenant je t’ordonne, en fils qui t’aime plus que personne, de ne pas avoir de chagrin et de dire que je suis mort pour mon idéal et en communiste Français. Cher petit père, à toi, tu pourras dire que ton fils est mort en français et j’espère que les copains te feront une douce et tranquille vieillesse et pardonne-moi, père, si quelquefois je t’ai parlé un peu sèchement à mon sujet, mais avec ce que j’ai vu et subi, j’avais raison sur tout [ce] que j’ai dit. Enfin, petit père, je vais te quitter en étant sût de ton pardon et sois fier aussi de petit frère car j’ai appris son attitude devant les Allemands et je voudrais que tu puisses te conduire dans la voie que j’ai suivie pour que mon désir soit exaucé car je suis content de lui. Je dirai Adieu aussi à mes tantes et oncles et à Grand-mère et j’ai souvent pensé aussi à eux et ici je suis toujours le même pour ma bonne humeur et je voudrais qu’ils consolent mes père et mère surtout vous ma tante Julie qui sait mes idées ; aussi je vous remercie tous du fond du cœur. Je suis en bonne santé sauf que j’ai faim depuis 3 mais et on a le cœur gros quand les autres reçoivent leur colis. J’écris ma lettre, il y a 5 jours que j’ai demandé une visite et j’espère ne pas avoir faim pour passer le poteau car c’est les bonnes soupes que je regrette. Chère petite mère, tu iras dire le bonjour à Mauricette ; pour ma Petite Renée, tu lui demanderas sa photo car ici ils m’ont tout pris, pas de nouvelles, pas de colis, et des coups, voilà tout avant de mourir. Mais cela je l’affronte avec le sourire. Ici je vous quitte pour l’instant car j’espère encore vous voir une fois ou bien écrire. Mais je dirai Adieu à tous. Et mes pensées sont pour vous, Chère petite mère que j’aime, petits père et frère, je vous quitte. Et bon courage car j’en ai moi.
Vive la France. Ernest dit min grand, pour petite mère.

Lettres écrites la veille de son exécution :
Arras le 3-11-42
Cher petit frère
Je t’écris cette lettre à toi mon seul petit frère qui me restait et, malgré que tu étais un peu indiscipliné avec moi, je t’aimais bien et je te pardonne sachant que j’avais fait le même avant toi. Je t’écris donc, pour te léguer mes dernières pensées. Je suis fier de toi, tu sais, et je voudrais que tu te comportes devant papa et maman en petit homme, car moi, je regrette maintenant d’avoir quelquefois mis leur bonté et leur indulgence en défaut vu que je faisais à ma tête. Et j’espère petit frère que tu m’écouteras car maintenant c’est toi qui va être l’aîné car maman va avoir un petit bébé. Je voudrais que tu pries un peu pour moi pour le chagrin qui leur est fait. Maintenant, je voudrais que tu prennes soin de mon saxophone que je te donne et que tu apprennes à jouer, c’est le plus beau souvenir que je peux te laisser. Je te dirai aussi de profiter comme moi de ta jeunesse et de t’amuser comme il faut en écoutant nos parents. Je sais que tu es le gâté de maman, aussi je voudrais que tu lui fasses oublier le chagrin que je lui fais et ton frère sera fier de toi et je sais que tu vas exaucer mes désirs car je sais que tu m’aimes aussi malgré nos petites querelles. Les affaires que j’ai dans ma valise, tu en prendras soin car ils [elles] peuvent te servir plus tard et tu donneras quelques souvenirs à nos petits cousins. Enfin, frérot, je vais te quitter ici sur l’assurance d’être exaucé. Pour toi mon petit frère que j’aime.
Adieu petit frère, je te quitte pour toujours.
Ton grand frère.
Ernest.
Je te laisserai aussi mon stylo et mon rasoir que je renverrai bientôt.
 
***
Chère mère et cher père,
Je vous embrasse bien fort et j’espère que votre visite ici a pu calmer un peu votre chagrin car je suis toujours le même et j’ai bon moral et je voudrais [que] vous soyez le [de] même. Vous n’aurez qu’à redemander mes affaires au tribunal. Maintenant je vous quitte jusqu’à ma prochaine lettre ou votre visite.
Ernest.

Dernière lettre écrite deux heures avant son exécution.

Arras, le 4-11-42
Chère petite mère et chers Petit père et petit frère,
Il est 3h20, on vient de me dire que je vais être fusillé à 5h30, aussi je vous fais ma lettre d’adieu et je pars retrouver mon frère Henri. Chère petite Maman, je me suis confessé ce matin et j’attends l’aumônier dans un instant ; je partirai comme tu l’as voulu. Tu sais, ma peine était immense quand je t’ai vue à la visite car je sais que tu as du chagrin mais sois forte, veux-tu, car j’ai du courage, tu sais, et je ne regrette que la peine que je t’ai faite. Je te remercie des douceurs que tu m’auras faites avant de mourir et tous ceux aussi qui sont venus me voir. Car ce qui m’a fait plaisir c’est que toute la famille a compris et que mon sacrifice ne sera pas vain. Je vais partir le cœur léger car il me semble que quelqu’un m’appelle de là-haut et j’espère pouvoir y prier pour vous tous ainsi que pour petite maman que j’aime. Que tu sois heureuse et pouvoir oublier les peines que tu auras. Je te renvoie mon colis retour et je donne le stylo avec lequel j’ai écrit cette dernière lettre à mon petit frère André. J’espère qu’il saura en prendre soin ainsi que mon rasoir. Je lui ai écrit aussi une petite lettre ainsi qu’à tous les parents. Je vais manger pour la dernière fois le jambon que marraine m’a apporté ainsi que le beurre. Je viens aussi de recevoir des cigarettes. Je dis adieu à tous et je leur dis bon courage et de consoler ma petite maman. Petit père, toi qui est un homme comme j’ai toujours aimé et que Dieu a voulu que tu sois mon père, je voudrais que tu sois courageux et que tu consoles maman et je t’en remercie en fils qui t’aime. Tu feras lire cette lettre à tous les parents car je leur dis mon dernier adieu et sois (soyez) fier(s) de moi tous, car je vais mourir en Français et vive la France.
Petite mère j’ai posé mes lèvres ici. [Un espace avec XXXX]
Aie du courage veux-tu encore une fois, ne pleure pas car je voudrais te voir joyeuse pour la dernière fois car tu sais, je vais te regarder de là-haut si tu m’écoutes. Je te quitte aussi sur ton pardon ainsi que de père. Et André, je suis fier de toi et continue à en être digne. Adieu petit frère.
Encore 1h30 à vivre. Je vais manger et prier et ces dernières [prières] seront pour vous trois que j’aime.
Adieu tous. Adieu la vie.
Adieu petite maman
Adieu petit père
Adieu petit frère
Ton grand frère Ernest qui meurt pour vous tous.
Adieu.
Sources

SOURCES : SHD-AVCC, Caen 21P177167 et Vincennes GR 16 P 201598. – Arch. Dép. Pas-de-Calais, M. 5022/2. et 51 J/6. – J.-M. Fossier, Zone interdite, op. cit., p. 222. – État civil. — Documents communiqués par Anne-Lise Dupont, nièce d’Ernest Dupont.

Christian Lescureux, Dominique Tantin

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