DELATTRE Robert, Joseph, Vidal, alias « Bob »
Né le 29 septembre 1914 à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), réputé fusillé au Mont-Valérien mais en réalité mort des suites de tortures le 13 mai 1943 à la prison de Fresnes (Seine, aujourd’hui Val-de-Marne) ; aide-chimiste ; officier du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA), opérateur radio du colonel Rémy, résistant.
Avant son départ, il adressa par l’intermédiaire de la Croix-Rouge une lettre à ses parents dans laquelle il proclamait son engagement dans la Résistance :
« Que vais-je faire ? Combattre. Non pas avec des mitrailleuses, ni avec des canons. Mais avec mes yeux, mes oreilles et un peu de mon cerveau. Je pars vivre dans ce milieu contaminé par la race aryenne. Si je dois mourir, séchez vos larmes, tout de suite. Dites-vous que ma mort n’aura pas été inutile. Combattre pour mon pays, pour ma famille, pour la liberté des peuples n’est plus que ma pensée ».
Le champ dans lequel il atterrit dans la nuit du 4 au 5 novembre 1941 à Tourtenay (Deux-Sèvres) dépendait de la ferme de la famille Touret. Le terrain était homologué à Londres sous le nom de « Nick Pernod » et le message de la BBC annonçant la date d’un parachutage d’hommes ou de matériel à cet endroit était libellé ainsi : « nous boirons un pernod à votre santé le... ». Le docteur André Colas, alias « Nick », de l’hôpital de Thouars, dirigeait le comité de réception. Robert Delattre trouva une chambre à Levallois-Perret en banlieue parisienne et se mit au travail. Dans ses Mémoires, le colonel Rémy rend hommage à « l’excellent radio » qu’il était, « d’un merveilleux dévouement à son travail ».
En Angleterre, Robert Delattre avait également été formé au repérage de terrains convenant aux atterrissages et redécollages nocturnes des « avions spéciaux » anglais transportant courrier et clandestins. C’est ainsi qu’il avait proposé un champ entre Thouars et Tourtenay que Londres avait homologué, après reconnaissance aérienne, sous le nom de « Roi de Cœur ». Un Lysander piloté par Guy Lockhart s’y posa dans la nuit du 26 au 27 mars 1942. Il ramenait en France le colonel Rémy et devait rembarquer l’un de ses adjoints, François Faure alias « Paco », et le futur ministre Christian Pineau, en partance pour l’Angleterre. L’avion faillit rester embourbé dans le terrain détrempé et il fallut que les cinq membres du comité d’accueil, parmi lesquels Robert Delattre, s’acharnent pendant 17 minutes pour qu’il réussisse enfin à redécoller.
Dans la nuit du 28 au 29 mai, ce furent trois parachutistes que Robert Delattre réceptionnait dans l’Aisne. Son jeune frère Pierre (né le 23 juillet 1921 à Boulogne-sur-Mer), alias « Boulot », l’accompagnait. Les arrivants étaient des agents du BCRA : le capitaine René-Georges Weill alias « Mec » (voir ce nom), son radio André Montaut (« Mec W ») et Olivier Courtaud qui devait renforcer le service-radio de la Confrérie Notre-Dame (CND). Malheureusement, le lendemain 30 mai, à leur descente du train en gare du Nord, un banal contrôle de douane conduisit à la découverte de l’un des postes radio parachutés la nuit précédente et que Robert Delattre avait décidé de ramener à Paris, malgré les instructions contraires de son chef. Sur le moment, l’incident était apparu sans grande gravité puisque les gardiens de la paix alertés avaient laissé filer les résistants, avec leur valise radio qui plus est. Mais Robert Delattre avait été obligé d’abandonner derrière lui un autre bagage dans lequel se trouvait un carnet où il avait noté le rendez-vous qu’il avait le soir même avec le colonel Rémy : « 7 heures, porte d’Auteuil, Jean-Luc ». La police municipale parisienne les y attendait. Le capitaine Weill se suicida aussitôt avec sa pilule de cyanure. Les policiers crurent qu’il s’agissait de « Jean-Luc ». Quant à Robert Delattre, il tenta de s’échapper mais fut blessé par balle et repris. Conduit rue des Saussaies, il fut aussitôt remis aux services allemands qui l’interrogèrent sans désemparer entre 20 heures le 30 mai et 21 heures le jour suivant.
À son retour de déportation, un camarade de Résistance qui avait partagé sa cellule à Fresnes, Raphaël Touret, rapporta au colonel Rémy le récit que lui avait fait Robert Delattre de cet interrogatoire interminable : « Ils se mirent à me dérouiller... J’ai tenu le coup pendant trois heures. Après, qu’est-ce que tu veux, j’ai parlé ! Je n’en pouvais plus... Mais les noms que j’ai donnés, ça n’a pas d’importance... rien que des copains qui étaient à Londres ou en zone libre. Et encore, j’inventais leurs identités. Mais après, ça a été le bouquet. Le code ! Le code dans lequel j’émettais, voilà ce qu’ils voulaient ! Et puis je t’assure qu’ils le voulaient bien, les vaches ! Qu’est-ce que j’ai pris... Alors, je me suis dit : il y a le code dont ``Jean-Luc’’ ne se sert plus depuis que ``Paco’’ est arrêté. Y a pas de risque... et j’ai lâché. »
Commentaire du colonel Rémy : « Garçon fruste et simple, ``Bob’’ n’avait pas réfléchi que les Allemands enregistraient tous les messages clandestins que surprenait leur service d’écoute. Leurs chiffreurs se mirent à la besogne. Un très grand nombre de nos télégrammes [...] furent ainsi mis au clair, apportant aux Allemands de très précieux éléments d’information et des charges accablantes contre plusieurs de nos camarades. » Mais cela ne signifiait pas, et le colonel Rémy y insiste dans ses Mémoires, que Robert Delattre avait trahi. Il passa au contraire de longs mois enchaîné dans un cachot à Fresnes, d’abord pour avoir noté des inscriptions anti-allemandes dans des livres empruntés à la bibliothèque, puis pour avoir sauté sur un sous-officier de garde. À la Libération, Rémy visita le cachot où son camarade avait agonisé : « Noir, une simple planche pour s’allonger. La nourriture qu’on lui servait était encore plus infecte que celle des autres prisonniers. ``Bob’’ mourut lentement dans ce cul-de-basse-fosse, crachant ses poumons. »
À l’ouverture du procès de l’hôtel Crillon le 26 mars 1943, Robert Delattre comparut soutenu par ses camarades, tant son état de santé s’était dégradé. Dans un rapport qu’il remit au colonel Rémy à la Libération, André Crémailh, qui avait bénéficié de la clémence du tribunal (un an de prison), relatait le calvaire de son camarade : « Bob... lamentable, enchaîné, un cadavre debout, pouvant à peine haleter. [...] On monte au cinquième étage. Deux camarades tiennent ``Bob’’ sous les bras, car il ne pourrait pas gravir les escaliers. » Le 6 avril, Robert Delattre fut encore amené devant le tribunal pour être confronté à Crémailh : « C’est à ``Bob’’ d’entrer. Il peut à peine marcher, s’arrête près de la porte. Le président le voit haleter et ne l’invite cependant pas à venir plus près pour répondre. Il lui demande s’il me connaît. ``– Non ! – Et vous, Crémailh, le connaissez-vous ? – Oui. Étonnement. – Comment l’avez-vous connu ? – On m’a montré sa photographie dix fois depuis un an et je le vois à chaque voyage ici.’’ Le pauvre ``Bob’’ sourit, il est emmené [...]. »
Mais le 9 avril, jour du verdict, Robert Delattre n’était pas là et le major Seudler ne le mentionna pas dans son énoncé des sentences. Sans doute les juges militaires allemands avaient-ils estimé que son espérance de vie les dispensait d’avoir à le condamner à mort. Le mourant fut transféré à l’infirmerie de la prison de Fresnes le 27 avril. Par une étrange ironie du destin, il y décéda le jour même où ses douze camarades de combat condamnés le 9 avril étaient fusillés au Mont-Valérien. Cette concordance de date explique certainement qu’après guerre certains services de l’État aient cru qu’il avait partagé leur sort et que le site « Mémoire des Hommes » du ministère de la Défense le fasse figurer aujourd’hui encore (en 2009) parmi les fusillés du 13 mai 1943.
Mais dès 1946, dans ses Mémoires d’un agent secret de la France Libre, le colonel Rémy affirmait, lui, que Robert Delattre était mort à l’infirmerie de la prison allemande de Fresnes « des suites des mauvais traitements », faits des violences subies lors des interrogatoires, de longs séjours au cachot et d’une tuberculose non soignée.
Son frère Pierre avait été déporté à Gusen (Autriche) où il était décédé le 23 avril 1943. Après-guerre, leurs noms furent inscrits sur le monument aux morts d’Outreau (Pas-de-Calais).
Après-guerre, leurs noms furent inscrits sur le monument aux morts d’Outreau (Pas-de-Calais). Le corps de Robert Delattre y fut ramené le 4 juillet 1947. A cette occasion, une chapelle ardente avait été dressée dans la salle des mariages de la mairie, où lui fut rendu un vibrant hommage. Il fut inhumé dans le cimetière communal le lendemain. Une rue de la commune porte son nom.
La médaille de la Résistance lui fut décernée en juillet 1947 à titre posthume, ainsi que la croix de guerre accompagnée d’une citation à l’ordre de l’armée : « Prisonnier évadé d’Allemagne, a rejoint les Forces Françaises Libres en Angleterre dès 1940. Après une période d’entraînement a été parachuté en France, en novembre 1941. A rendu dans le cadre du réseau C.D.N. Castille les plus grands services. Radio, plus spécialement chargé des opérations aériennes, a assuré pendant plusieurs mois de nombreux passages entre la France et l’Angleterre. Arrêté au cours d’une mission, le 30 mai 1942, il est mort à Fresnes, en mai 1943, après avoir prodigué jusqu’à la fin les preuves de son esprit de sacrifice et de son indomptable énergie ».
La Légion d’honneur à titre posthume fut décernée à Robert Delattre le 14 juillet 1960.
SOURCES : Rémy (colonel), Mémoires d’un agent secret de la France Libre, Éd. Aux trois couleurs et Raoul Solar, 1946. – Site Internet Mémoire des Hommes. – www.francaislibres.net. – État civil. – resistancepasdecalais.fr – ordre de la liberation – SHD Vincennes GR 16 P 168491 et GR 28 P 4 38 307. – SHD Caen AC 21 P 631300.
Jean-Pierre Ravery