Né le 11 septembre 1897 à Arpajon (Seine-et-Oise, Essonne), fusillé après condamnation à mort le 6 février 1943 au stand de tir de Balard (Paris, XVe arr.) ; manœuvre en Tunisie avant 1929 puis ouvrier à Paris ; militant communiste en Tunisie puis en France ; résistant, responsable d’un réseau de renseignements et d’action lié au Komintern.

Robert Beck
Robert Beck
Arch. Préfecture de police
Fils de Louis Beck, charpentier couvreur syndiqué à la CGT, et de Marie Ernestine, née Poulet, femme de ménage-blanchisseuse morte en 1907, Robert Beck fut élevé dans un orphelinat tenu par des religieuses et éduqué dans un séminaire à Chartres jusqu’à son exclusion en 1911. Mobilisé fin 1915, il participa en 1917 à une tentative de mutinerie qui le fit envoyer, par le conseil de guerre (123e DI) dans une colonie pénitentiaire au Maroc pour cinq ans. « Sorti du pénitencier marocain de Téboursouk, j’aurais suivi n’importe qui voulant lutter contre l’ordre établi », écrivit-il en 1933.
Il s’installa en Tunisie, fut docker ouvrier à l’Arsenal de Ferryville (Tunisie) et fut très vite un des responsables du syndicat CGTT (CGT Tunisienne). Il adhéra un temps à la section de Bizerte de la Ligue des droits de l’Homme avant de rejoindre l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC). En septembre 1924, il participa à la grève des dockers de Bizerte. Pendant qu’il prenait spontanément la parole, hissé sur les épaules d’un camarade, éclata la fusillade qui tua un jeune docker arabe et un vieil homme. Robert Beck adhéra au Parti communiste en 1925. La justice le condamna le 16 novembre 1925 à un an de prison pour « provocation de militaires à la désobéissance » à la suite d’une distribution de tracts contre la guerre du Rif ; il en profita pour lire les classiques du marxisme. Il avait acquis au séminaire le goût des langues anciennes (grec, latin) auquel il ajouta celui des langues vivantes : allemand, anglais, arabe, italien. Après sa libération, devenu voyageur de commerce, il participa comme secrétaire régional à la reconstitution de l’organisation communiste qui avait été très éprouvée par la répression. Gérant du Prolétaire, hebdomadaire communiste, il fut à nouveau condamné à une amende en février 1926. En 1927, il assista à la conférence de Saint-Denis (Seine, Seine-Saint-Denis) où il fit la connaissance de Doriot, de Celor et des dirigeants de la commission coloniale. Sa méfiance vis-à-vis du Destour lui fit accueillir avec prudence l’idée de contourner ce courant en participant à son organisation de jeunesse, la Jeunesse nationaliste. En avril 1929, Robert Beck quitta la Tunisie, fut vivement contesté par la commission coloniale du PCF et participa au congrès de Saint-Denis (avril 1929). « Vie bien tourmentée d’un homme d’une certaine culture », conclut en 1933 la commission des cadres.
Pendant ses interrogatoires par la police allemande, il fit remonter à 1929 son statut de « suspect » dans le parti. Dans son autobiographie, écrite en 1933 et conservée dans les archives du Komintern, on peut seulement relever des jugements sévères et des mises en garde de la commission des cadres qui laissent entrevoir une exclusion. La commission de contrôle de Paris-Est affirme que le 1er rayon a reçu l’ordre de l’écarter du comité de section. La commission des cadres est d’ailleurs étonnée et demande « de qui et quand ? » est venue cette consigne. Il fut inscrit sur le Liste noire n° 5, décembre 1935. Le secrétariat écrivit le 2 janvier 1935 à Billoux : « Nous considérons cet individu comme suspect et il doit être chassé de toutes les organisations où il s’infiltre. » Apparemment, Billoux et certains responsables des cadres ne saisirent pas la nature de son travail ; une note du 13 juillet 1935 signalait leur inquiétude : « Il s’agit d’un ex-camarade de Tunisie. Il se présente chez différents camarades connus (de Marseille) en leur demandant de faire du travail mais de n’en référer à personne. » Beck se dira lui-même exclu en 1935, « mais à la disposition de l’organisation ». La Liste noire no 10 d’août 1938 le signalait sous le numéro 924 : « Beck Raoul (Région Bouches-du-Rhône). Habitant Traverse-Lamartine aux Caillois-Marseille. A milité en Tunisie ; se présente chez différents camarades connus en leur demandant de faire du travail mais de n’en référer à personne (mise en garde de la région marseillaise du 20 juillet 1935, déjà mis sur la liste noire no 5, matricule 410). »
Beck était en fait exclu « volontaire », pour pouvoir participer à un réseau clandestin international. À Paris et à Marseille, il travailla à l’aide matérielle pour l’Espagne, loua des chambres pour des militants clandestins. Pendant ses interrogatoires par la Gestapo, il se présentera lui-même comme un « agent du Komintern », rémunéré à plein-temps depuis mai 1937.
Mobilisé dans un régiment de travailleurs, licencié en mars 1940 pour maladie, il vécut à Paris jusqu’en octobre 1941 sans qu’on connaisse son activité. Il prit, en octobre 1940, la tête d’un réseau de renseignements et d’action lié aux services soviétiques. Les membres s’étaient connus en Palestine ou dans le cadre de Brigades internationales en Espagne. Beck était secondé par Hittel Gruszkiewicz (dit Bil), originaire de Pologne, responsable des transports d’armes pour les Brigades internationales et ayant des responsabilités à la base d’Albacète ; leur groupe de renseignement et d’action ne se confondait nullement avec l’Orchestre rouge. Le contact avec le PCF passait par Jacques Kaminski. La police française décapita le réseau en juin-juillet 1942 et livra les prisonniers aux Allemands. Arrêté le 2 juillet 1942, Beck fut incarcéré à la prison de Fresnes (Seine, Val-de-Marne) où il tenta de s’ouvrir les veines du cou avec un morceau de verre et dessina avec son sang une faucille et un marteau. Les Allemands qui avaient conscience de tenir un « chef d’une bande qui a déjà causé à la Werhmacht des dégâts pour plusieurs millions », firent tout par le maintenir en vie. Son adjoint, Bil, se jeta d’une fenêtre des locaux de la Gestapo pour ne pas risquer de parler. Beck fut torturé au cours d’une dizaine d’interrogatoires entre début juillet et fin août, sans coopérer. Les enquêteurs de la Gestapo conclurent : « Beck est à la tête d’une organisation terroriste très active et un représentant direct du Komintern. Sans aucun doute d’autres complices sont encore en liberté mais les vérifications se révèlent extrêmement difficiles du fait que la tactique observée par Beck ne met aucun complice en cause » (rapport final, septembre 1942, Gestapo). Pavel Soudoplatov confirme d’ailleurs, sans citer Beck, que les relais des services soviétiques en France restèrent opérationnels après l’été 1942. Le silence de Beck fut payant et permit aux services de Moscou de maintenir un troisième réseau après la mise hors d’état de l’Orchestre rouge et du réseau Beck.
Alain Guérin, sur la base d’informations données par Jean Jérôme, évoqua cet épisode au début des années 1970 puis Denis Peschanski précisa la nature du réseau en 1989.
Les Allemands organisèrent le procès de Robert Beck dans les locaux mêmes de la prison de la Santé (Paris, XIVe arr.) en octobre 1942, pour éviter une opération de libération pendant son transfert. Robert Beck fut condamné à mort, et il fut exécuté au stand de tir de Balard (Paris, XVe arr.) le 6 février 1943. Il fut inhumé au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) le 6 février 1943 division 47, ligne 1, n°3 puis transféré le 20 août 1947 au cimetière du Père-Lachaise à Paris (XXe arr.).
Robert Beck fut reconnu Mort pour la France.
Le nom de Robert Beck est gravé sur la plaque du ministère de la Défense à Paris (XVème arr.)
Voir Paris (XVe arr.), Le stand de tir de Balard (Ministère de l’Air)
La compagne de Beck, Renée Hogge, née le 22 septembre 1902 à Montevidéo, fille de banquier, anglaise naturalisée, fut également arrêtée et déportée (Lübeck, Kottbus, Ravensbrück, Mauthausen). Il avait eu trois enfants : un de Marie Lombardo, Émile, né au Maroc, et deux en France d’Yvette Leblanc (Clara et Daniel). Renée Hogge, dite « mère poule » éleva les deux enfants de son compagnon et la fille d’un autre fusillé. Son « Récit d’une rescapée » témoigne de son courage sous la torture et dans les camps. Elle mourut le 27 avril 1978.
Dernière lettre de Robert Beck à ses enfants et amis.
 
Mes chers amis,
Je vais mourir demain matin. Je vous demande instamment de n’avoir aucune conversation à ce sujet devant les petits. Ils ne peuvent pas comprendre, et leur chagrin serait inutile.
Ma mort ne m’impressionne nullement. Je savais depuis toujours que la lutte exigeait des sacrifices, et je les ai tous consentis sans hésiter. Il vaut mieux perdre la vie que les raisons de vivre. Je meurs pour elles avec la certitude de notre prochaine victoire. Courage !
Je confie les petits au peuple de France. Je leur laisse un nom et un exemple honorables.
Je vous embrasse tous très fort. Adieu !
Vive la France.
Robert Beck
le 5 février 1943.
Sources

SOURCES : RGASPI, 495 270 756, autobiographie de 1933 (bien que datée du 22 décembre 1929) et Notes diverses. — Claude Liauzu, Naissance du salariat et du mouvement ouvrier en Tunisie à travers un demi-siècle de colonisation, Thèse d’État, Nice, 1977. — Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le Sang de l’étranger. Les immigrés de la MOI dans la Résistance, Fayard, 1989, p. 184-186. — Alain Guérin, Chronique de la Résistance, Omnibus, 2000. — Pavel Soudoplatov, Missions spéciales, Le Seuil, 1994. — Notice du DBMOF par Claude Liauzu. — Recherches de Denis Peschanski, aux archives de la préfecture de police, sur l’arrestation et les interrogatoires ; recherches de Jean-Pierre Ravery, notamment sur les Notes du DGRGPP conservées à l’IHS de Nanterre. — Rapport de l’adjudant-chef de sa section à la Santé, 3 juillet 1942 (traduit par Jean-Pierre Ravery). — Juliette Bessis, Les Fondateurs : index biographique des cadres syndicalistes de la Tunisie coloniale (1920-1956), Paris, L’Harmattan, 1985. —Renseignements communiqués par la famille. — AVCC, SHD Caen, AC 21 P 422 632 (nc). — Plaque du ministère de la Défense à Paris XVème. — Site Internet Mémoire des Hommes. — MémorialGenWeb. — Répertoire des fusillés inhumés au cimetière parisien d’Ivry. — Bulletin de l’amicale des anciennes déportées de Ravensbrück, août 1978.

Claude Pennetier

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