Né le 25 avril 1911 à Moulins (Allier), fusillé le 22 mars 1944 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) après condamnation ; commissaire de police ; résistant réseau Marco Polo des Forces Françaises combattantes (FFC).

Marc-Roland Juge
Marc-Roland Juge
Source photo : Direction générale de la police nationale
Marc-Roland Juge
Marc-Roland Juge
Crédit : Société française d’Histoire de la Police
Fils de Louis, verrier, né en 1886, et de Marie-Louise Sarrassat, couturière, née en 1891, Marc-Roland Juge épousa Anne-Germaine Signol le 30 avril 1932 à Moulins. Père d’un garçon, Jean-Paul, né en 1932, il était domicilié à Vichy, 29 boulevard Gambetta.
Bachelier, Marc-Roland Juge entra dans la police sur concours, peu avant la guerre. Nommé d’abord secrétaire de police à Moulins, il entra à la Sûreté nationale comme inspecteur au contrôle criminel. Après une formation à l’École supérieure de police à Lyon, il fut nommé commissaire à Vichy en octobre 1942. En décembre suivant, il entra dans la Résistance comme membre du groupe « Didier » (Allier) – affilié par la suite aux Forces françaises de l’intérieur (FFI) – et agent P2 du réseau Marco-Polo (FFC). Il fournissait des renseignements sur les déplacements des troupes d’occupation et l’activité de l’administration allemande. Par ailleurs, dans l’exercice de ses fonctions, il tentait de secourir les résistants pourchassés et, en initiant des procédures de droit commun, de neutraliser les agents collaborationnistes auxiliaires de l’occupant.
Le 18 janvier 1944, Marc-Roland Juge fut arrêté à son commissariat – son bureau était installé à l’hôtel de ville – par la Sipo-SD sous les ordres de Gessler, chef de la police allemande. Détenu à Vichy au siège de la Sipo-SD de Vichy jusqu’au 28 janvier 1944, il fut transféré à Moulins, où il fut torturé par des policiers allemands réputés pour leur brutalité, l’inspecteur Adam Essinger et le gardien Willie Armbruster, sans livrer d’informations. « C’est un des rares que j’ai vu frappé et résister de la sorte », a constaté Pierre Lenclud, détenu employé aux cuisines. Au début du mois de mars, il fut conduit à la prison militaire allemande de Clermont-Ferrand, aménagée dans la caserne du 92e Régiment d’infanterie, où il fut condamné à mort pour « espionnage » le 14 mars 1944 par le conseil de guerre allemand de Lyon, siégeant spécialement en cour martiale. Il fut passé par les armes le 22 mars suivant au stand de tir de la caserne.
Face au peloton, il refusa d’avoir les yeux bandés, et ses bourreaux le bâillonnèrent pour l’empêcher de continuer à chanter « La Marseillaise ». Cette exécution pourrait entrer dans le cadre des représailles consécutives à l’attentat à la grenade contre un détachement allemand à Clermont-Ferrand le 8 mars (1 mort et 32 blessés).
Le 20 septembre 1944, Marc-Roland Juge fut cité à l’ordre de la Nation dans les termes suivants : « Fonctionnaire d’élite, doué d’éminentes qualités morales, qui avait toujours fait preuve dans l’exercice de ses fonctions d’un sens élevé du devoir. Arrêté par la Gestapo et condamné à mort, a donné au moment de son exécution un exemple admirable d’héroïsme. Martyr de la Résistance. »
Son corps, inhumé au cimetière des Carmes à Clermont-Ferrand, fut exhumé le 30 septembre 1944. Le 24 octobre 1944, des funérailles nationales furent organisées pour lui ainsi que pour le sergent-chef Henri Moreau* et pour René Chabrier, commerçant, torturés et exécutés en même temps que lui. Le 1er novembre 1944, à l’issue d’une prise d’armes, une plaque commémorative fut inaugurée par le contrôleur général Couplet, faisant fonction de directeur général de la Sûreté, dans les locaux du commissariat de Vichy – transféré depuis de l’hôtel de ville à l’avenue Victoria –, plaque qui porte l’inscription suivante : « Marc-Roland Juge, commissaire de police de Vichy, héros de la Résistance, fusillé par les Allemands le 24 mars 1944 à Clermont-Ferrand. Il est mort en Français, la tête haute et le regard droit. C’est de ce bureau qu’il a dirigé, pendant un an et demi, son action contre la Gestapo et ses agents. »
Marc-Roland Juge fut nommé chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume le 14 janvier 1945. Homologué au grade de sous-lieutenant, chargé de mission de 3e classe, il fut reconnu « Mort pour la France » le 9 avril 1945 et déclaré « Interné Résistant » le 18 janvier 1955. Un certificat de service fut signé par le maréchal Montgomery le 6 mai 1946. Marc-Roland Juge repose au cimetière de Vichy. La 7e promotion de l’École nationale supérieure de police (1955-1956), a porté son nom, lequel fut attribué à des rues, à Vichy en 1995, ainsi qu’à Moulins.
Les dernières lettres de Marc Juge publiées dans La Patrie de l’Allier le 26 septembre 1944, sont en ligne sur le site des Archives départementales de l’Allier.
***
Clermont-Ferrand, le 22 mars 1944,
Ma Chérie,
Après deux mois passés de détention, j’ai enfin l’autorisation de t’écrire et c’est pour te dire adieu. J’ai été transféré de Moulins à la prison militaire allemande de Clermont, lundi de la semaine dernière, et le lendemain, nous sommes passés devant le Conseil de Guerre qui nous a tous condamnés à la peine de mort, sous l’inculpation d’espionnage. Depuis ce moment, nous sommes plusieurs condamnés dans la même cellule, qui attendons la suite qui va être donnée au recours en grâce que nous avons formulé. La décision qui doit intervenir avant la fin de cette semaine ne fait pour nous aucun doute et quand tu recevras cette lettre, je serai fusillé.
La mort ne me fait pas peur pour moi-même et notre moral à tous est des plus élevés. Nous attendons très patiemment, sans fébrilité, et les jours passent en discussions amicales et parties de belote. Cependant, en nous-mêmes, nous ne pouvons nous empêcher de repousser le motif d’inculpation qui a servi à nous condamner. Nous, des espions ? Vraiment, je ne le croyais pas, mais la guerre a des exigences terribles qu’on ne peut discuter. Et, crois-moi, quoique notre faute soit légère, nous saurons mourir en Français, la tête haute et le regard droit.
[Selon une autre source, il aurait écrit : Je mourrai la tête haute, le regard droit. On m’a demandé de choisir. Mon choix est fait : "Vive la France".]
Mes seuls regrets sont pour vous, pour mon petit Jean-Paul surtout, que j’abandonne dans la vie au moment où il aurait le plus besoin de moi, et aussi pour mes pauvres vieux parents que la mort va tuer. Je te demande avant de mourir d’être très bonne pour eux, d’élever notre fils pour qu’il devienne l’homme que j’aurais voulu en faire. J’espère que la tâche que je te laisse ne sera pas trop lourde et que tu trouveras les appuis nécessaires. Pour l’immédiat, je suppose que tu as continué à toucher mon traitement, d’autre part Chautard a des instructions.
J’espère aussi qu’on te remettra le linge que j’ai avec moi. Tu trouveras dans ma valise avec mes objets de toilette, ma chevalière, mon alliance, mon bracelet, mon briquet et ma montre, tout cela pour Jean-Paul qui les conservera comme souvenirs.
Pardonne-moi la peine que je te fais et la charge que je te laisse. Il vaut mieux mourir que se déshonorer.
Je t’aime et je t’embrasse. Adieu.
Le 24-3, 17h. — Notre pourvoi a été rejeté, dans une heure je serai mort.
Je t’embrasse encore.
***
Le 22-3-44.
Mon petit Jean-Paul Chéri,
Voici la dernière lettre que tu recevras de moi, mon grand chéri, car dans quelques jours, dans quelques heures peut-être, je serai fusillé. Tes 11 ans te permettront de comprendre maintenant et je ne veux pas partir sans t’affirmer que tu n’as pas à rougir de ton père, au contraire.
J’ai toujours fait ce que j’ai considéré comme mon devoir, sans m’en laisser distraire par aucune considération, aussi, je meurs la tête haute, sans que ma conscience ne me reproche rien.
J’espère que dans ta vie tu suivras mon exemple. Sois toujours loyal et bon. Travaille pour te faire une situation, travaille deux fois plus maintenant que je suis plus près de toi pour t’aider, et que le mensonge et la trahison soient toujours pour toi un objet d’horreur.
N’oublie jamais qu’on ne peut pas vivre sans l’approbation de sa conscience.
Je t’aime mon Petit Jean-Paul chéri, et je t’embrasse en te disant adieu.
Marc
***
Voici maintenant la fin de la lettre de Marc Juge à ses parents :
Clermont, le 24 mars 1944.
Mon cher Papa, ma chère Maman,
[…] Je ne regrette rien pour moi, la mort ne me fait pas peur et la vie n’est pas assez belle pour qu’on puisse la regretter, mais je vous demande bien pardon, à vous deux, de la peine immense que je vais vous causer. C’est là mon seul regret. Nous sommes en ce moment plusieurs dans la même cellule qui attendons le recours en grâce que nous avons formulé ; le résultat ne fait aucun doute, et quand vous recevrez ce petit mot, je serai fusillé. Sans doute le tribut que tu as payé à la guerre n’était pas suffisant, mon pauvre vieux et il fallait que j’en sois de ma vie. Mais vous pouvez malgré cela être fier de votre fils, je n’ai rien à me reprocher et je mourrai la tête haute.
Encore une fois, je vous demande bien humblement pardon. Veillez sur notre petit Jean-Paul qui sera malheureusement la plus grande victime de la situation.
Je vous embrasse bien tendrement.
Marc.
Sources

SOURCES : AVCC, Caen, AC 21 P 466 492, dossier Marc-Roland Juge. — SHD Vincennes, GR 16 P 313927 et GR 28 P 4 130 7, dossiers résistant Marc-Roland Juge (nc). — Jean Débordes, L’Allier dans la Guerre, Paroles de résistants, Sayat (Puy-de-Dôme). — Notes Thomas Pouty. — Lettres en ligne

Dominique Tantin

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