Né le 9 août (ou le 22 août selon le calendrier julien) 1901 à Bogorodskoe (actuelle Krasnovo) en Russie, fusillé le 23 février 1942 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; anthropologue ; résistant du réseau Musée de l’Homme.

Anatole Lewitsky naquit dans le village de Bogorodskoe dans la région de Moscou. Il appartenait à une famille de la vieille noblesse impériale russe. Son père, Serge Aleksandrovitch, exerçait comme avocat à la cour de Moscou. Sa mère, fille d’un maréchal, avait hérité d’une vaste propriété foncière. Il reçut une instruction privée puis intégra, à quatorze ans, le Gymnase, institution moscovite formant l’élite du pays, qu’il quitta, ses études secondaires terminées à l’âge de dix-sept ans. Il rédigea en russe des textes personnels, une étude historique sur les Cosaques, vers 1918, quelques nouvelles inédites, le début d’une pièce de théâtre et des récits d’une forme très classiques.
Dans le contexte de la guerre civile, sa famille, ruinée, trouva refuge en Suisse, à Montreux, où elle ouvrit une modeste pension de famille.
En 1923-1924, à Lausanne (Suisse), il commença des études à l’Institut des hautes études sociales et commerciales qu’il finança en travaillant. Anatole Lewitsky, en 1924, rejoignit Paris où résidait son demi-frère Iuru Rogala-Lewitsky. Il connut la vie misérable de nombreux exilés russes, travaillant la nuit comme cuisinier, conducteur de taxi, traducteur, et étudiant le jour. Il suivit des cours de sociologie, psychologie, ethnologie à la Sorbonne et à l’École pratique des hautes études. Le 26 novembre 1931, il obtint sa licence ès lettres puis un certificat d’études supérieures de l’Institut d’ethnologie de Paris, option Océanie et Indochine. Son sujet de prédilection était la sociologie avec les cours magistraux de Marcel Mauss. Il préparait une thèse sur le marxisme russe et les fondements ethnologiques ou sociologiques de l’athéisme. À cette date, Lewitsky se rattachait à la tradition humaniste du XIXe siècle, celle des populistes russes qui veulent le bien pour les autres sans penser à soi ; il s’intéressait aussi aux sociétés secrètes.
En 1931, il s’adressa à Paul Rivet, directeur du Musée d’ethnologie du Trocadéro (MET), devenu Musée de l’Homme et obtint un emploi comme chef de l’enregistrement et du magasinage des collections. Sa connaissance de cinq langues et sa facilité dans les contacts humains lui valurent une progression rapide. Devenu chercheur, il se spécialisa dans l’étude du chamanisme sibérien puis des civilisations du Pacifique et organisa des présentations et des expositions. En 1938, une conférence au Collège de Sociologie sur l’existence d’éléments communs chez tous les mystiques, chamanes, chrétiens ou autres le plaça parmi l’avant-garde intellectuelle parisienne, tandis que le congrès de Copenhague consacra sa renommée internationale. En 1939, Anatole Lewisky dirigeait le département de technologie comparée ; le soir, il recevait au Musée des groupes de cheminots.
Depuis 1926, il vivait avec une femme russe, Lebedeff Tamara, avec laquelle il se maria en 1934, mais elle sombra dans la folie après la mort, dans un accident, de son fils né d’un précédent mariage. En 1937, il lia sa vie à celle de sa collègue bibliothécaire Yvonne Oddon. Naturalisé français en 1936 par le gouvernement du Front populaire, il fut mobilisé en octobre 1939, comme aspirant officier. Stationné au dépôt d’infanterie de Quimper (Finistère), pour occuper les soldats, il prépara trois conférences sur la sociologie, la cohésion sociale et la résistance d’une société civile ainsi que sur la guerre dans les sociétés primitives. À l’armistice, le 22 juin 1940, il quitta son unité, évitant ainsi l’internement, passa en zone libre à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), puis regagna Paris, en août et rejoignit au Musée de l’Homme le groupe formé autour d’Yvonne Oddon et du linguiste Boris Vildé, par ceux qui n’acceptaient pas la honte de la défaite. En effet, Anatole Lewistky avait manifesté très tôt une détermination sans faille ; il avait écrit à sa compagne, le 1er juin 1940, alors que la bataille de France faisait rage « nous ne pouvons pas collectivement ni individuellement admettre une victoire allemande. Ce serait l’esclavage [...] Il vaut mieux périr dans la bagarre que d’envisager une telle situation [...] Il faut que tout le monde s’en rende compte alors tous les espoirs seraient permis. » Le groupe du Musée de l’Homme se mit en place et chercha tout de suite à tisser des liens avec d’autres groupes, à fédérer tous ceux qui voulaient « faire quelque chose » mais agissaient jusque-là de façon isolée. Un des premiers objectifs fut de réaliser un « organe de propagande » pour dénoncer l’idéologie nazie et la politique collaborationniste. Cela se concrétisa, le 15 décembre 1940, par la confection dans le sous-sol du Musée du premier numéro du journal Résistance auquel participèrent de grands intellectuels parisiens. Les activités clandestines se multiplièrent : aide à l’exfiltration par la Bretagne et l’Espagne, renseignements.
À la suite de l’infiltration du réseau par l’agent secret au service de l’Allemagne Albert Gaveau et les dépositions faites auprès des services allemands par deux de leurs collègues, Adrien Federovsky et Florina Erouchkovsky, une série d’arrestations par l’Abwehr démantela le réseau : le 13 janvier 1941, Léon-Maurice Nordmann ; le 10 février, Anatole Lewitsky avec Yvonne Oddon à leur domicile 14 square de l’Alboni (Paris XVIe) ; le mois suivant, Boris Vildé et Agnès Imbert, puis les autres membres du réseau.
Ils furent dix-neuf résistants emprisonnés au Cherche-Midi à Paris puis à Fresnes (Seine,Val-de-Marne) ; après plusieurs mois d’instruction, le procès s’ouvrit le 8 janvier 1942. Le tribunal allemand du Gross Paris siégeant à Fresnes prononça dix condamnations à mort ; les sept hommes furent fusillés, les trois femmes, Yvonne Oddon, Sylvette Leleu et Alice Simmonet déportées en Allemagne. Condamné le 17 février, Anatole Lewitsky a été fusillé au Mont-Valérien avec ses six camarades le 23 février 1942 ; Vildé et lui demandèrent à être exécutés en derniers.
Dans une lettre d’adieu final veillant au sort de ses proches, il leur demanda pardon de la douleur qu’il leur causait.
Les sépultures de ces résistants se trouvent côte à côte dans le cimetière d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne).
Un service religieux a été célébré à la cathédrale orthodoxe de Paris, auquel assistèrent ses collègues et amis, Marcel Mauss rédigea son éloge et Michel Leiris exprima sa tristesse. Le général de Gaulle cita pour la Médaille de la Résistance Boris Vildé et Anatole Lewitsky qui firent face aux Allemands « avec une dignité et un courage exemplaire ».
Yvonne Oddon, rentrée de déportation fin avril 1945, veilla à sa mémoire.


L’abbé Franz Stock l’évoque dans son Journal de guerre :
« Lundi 23.2.42
7 exécutions
Matin, réunion à 9 h 30 chez l’aumônier général. Puis catéchisme à l’école allemande jusqu’à 1 heure. Venu me chercher en voiture pour Fresnes : 7 condamnés à mort, aucun gracié, bien que 3 femmes aient été condamnées dans la même affaire, la réponse de Berlin (quartier général du Führer) n’a pas été attendue. Recours en grâce rejetés. ¨Parmi ces 7 un Juif, du nom de Nordmann, 2 orthodoxes - Vildé et Lewitsky. Les autres catholiques. Sénéchal 19 ans. Tous les 4 se confessèrent et communièrent avant - Walter, Ithier et Andrieu, Sénéchal. Lewitsky demanda également mon assistance, pria, se repentit, lui donnai l’absolution. Vildé était certes croyant, mais de façon plus abstraite, mystique, un formidable personnage , au reste, mélancolie slave et pourtant très spirituel. Nous quittâmes ensemble Fresnes vers 3 h 45, verglas, froid, etc. Les 7 avaient bon moral, beaucoup d’humour, se réjouirent tous que je fusse du voyage. Me remercièrent pour ce que j’ai fait pour eux. Même le jeune Sénéchal était brave. Andrieu, invalide de guerre à 100% demanda qu’on ne lui bandât pas les yeux, ce qui lui fut accordé. "Dites à ma femme et à mes enfants que j’ai regardé la mort droit dans les yeux ". Je lui tendis encore un fois la photographie de sa fille et de son fils. Il la baisa, fit le signe de croix et voilà, 4 furent fusillés ensemble : Sénéchal, Andrieu, Nordmann, Ithier, puis les trois derniers : Walter, Lewitsky, Vildé. Vildé refusa d’avoir les yeux bandés. Walter et Sénéchal avaient souvent communié pendant leur détention. Ithier fit une bonne confession générale, reçut la communion avec une saine vénération. Andrieu pareillement. Je les ai enterrés tous les 7 au cimetière d’Ivry, à 6 h 30 du soir. »
Sources

SOURCES : DAVCC, Caen (Notes Thomas Pouty). – SGA ministère de la Défense. – Anne Hogenhuis, Boris Vildé et le réseau du Musée de l’Homme, CNRS Éd. 2009. – Julien Blanc, Au commencement de la Résistance. Boris Vildé et le réseau du Musée de l’Homme, 1940-1941, Le Seuil, 2010. – Arch. PPo., BA2298. — Franz Stock, Journal de guerre. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien, Cerf, 2017, p.67-68. — Note de Jean-Pierre Ravery.

Anne Hogenhuis, Annie Pennetier

Version imprimable