Né le 7 août 1900 à Dunkerque (Nord), fusillé le 27 octobre 1942 au stand de tir du ministère de l’Air à Paris (XVe arr.) ; ouvrier monteur d’avion, puis agent d’assurances ; membre du réseau la Vérité française rattaché au réseau du Musée de l’Homme.

Médaille de la Résistance française décernée à Jehan de Launoy
Médaille de la Résistance française décernée à Jehan de Launoy
Archives familiales Claude de Launoy
Début de la dernière lettre de Jehan de Launoy à son épouse.
Début de la dernière lettre de Jehan de Launoy à son épouse.
Archives familiales Claude de Launoy.
Jean de Launoy avec un de ses enfants.
Musée de la Résistance Nationale
Fils de Victor de Launoy, négociant, et de Marie, née Clère, Jean de Launoy, appelé familièrement Jehan, contracta un engagement dans l’armée. Il servit dans le 14e Régiment de spahis et participa notamment, entre 1922 et 1925, à la guerre du Rif au Maroc. Il fut décoré de la Croix de Guerre et de la médaille coloniale. Les Renseignements généraux notèrent qu’il fut membre des Camelots du Roi et assista en 1926 à une réunion de l’Action française au Cirque d’Hiver. Il épousa le 6 septembre 1930 Yvonne Kety en mairie du XIIe arrondissement à Paris ; le couple eut un enfant. Il se remaria le 20 mai 1942 avec Thérèse Massip à Fresnes (Seine, Val-de-Marne).
Titulaire d’une capacité en Droit, il travailla ensuite dans le domaine des assurances et occupa, à la veille de la guerre, un poste d’inspecteur à la compagnie La Paix située à Paris, rue de la Victoire. Il fut mobilisé en septembre 1939 dans un service de l’arrière au sein d’une unité non-combattante. Cette affectation ne lui convint pas ; il demanda à servir sur le front et rejoignit finalement la cavalerie motorisée.


Après la débâcle de juin 1940, il rentra à Paris et se lança vite dans la Résistance active à l’occupant en fondant, dès septembre 1940, le groupe Vérité française.
Aidé de ses amis Pierre Stumm, industriel à Courbevoie, et Roland Coqueugniot, directeur commercial, de plusieurs dominicains du couvent de la rue de la Glacière (notamment le père Guihaire), des docteurs Lafaye, Holstein, Delort et de sa belle-famille (les Massip), de Launoy fit paraître la feuille clandestine Vérité française, une des toutes premières publications clandestines de zone occupée puisque le premier numéro date de septembre 1940 ; plus de trente autres suivront jusqu’en novembre 1941.
À l’image de la plupart des organisations pionnières de la zone occupée, le groupe de Launoy ne se limita pas à la contre-propagande et multiplia les activités : il mit sur pied des filières d’évasion, récupéra et cacha des armes en vue de former des unités paramilitaires (sous le nom d’Honneur et Patrie), collecta des renseignements. Vérité française se développa principalement en région parisienne, à Paris, Versailles et Courbevoie. Un noyau indépendant, déjà actif dans l’Aisne, à Soissons et à Villers-Cotterêts, ne tarda pas à s’y agréger par l’intermédiaire de Roland Coqueugniot.
L’organisation eut un recrutement socialement homogène. Ses membres étaient, pour l’essentiel, des bourgeois et des notables : médecins et vétérinaires, commerçants et industriels, anciens militaires et officiers d’active, religieux enfin étaient nombreux. Sur le plan politique, le profil était clairement conservateur voire réactionnaire ; certaines personnalités influentes du groupe furent proches de l’Action française ; la plupart avaient en commun un anticommunisme prononcé.
En décembre 1940, une rencontre décisive eut lieu lorsque Launoy entra en relation avec le colonel en retraite Maurice Dutheil de La Rochère, lui-même fédérateur de plusieurs noyaux et élément-clé d’une nébuleuse qui, après la guerre, prendra le nom de réseau du Musée de l’Homme. Les renseignements collectés par les groupes Vérité française étaient désormais transmis au colonel. Pierre Stumm, qui joua le rôle décisif dans la fondation du journal, assura les liaisons.
Cette collaboration dura jusqu’à l’arrestation de La Rochère en juillet 1941. Mais l’organisation, déjà, était minée de l’intérieur ; un agent double de dix-neuf ans travaillant au service des Allemands, Jacques Desoubrie (fusillé en 1949) était en effet parvenu à s’infiltrer. D’une redoutable efficacité, il réussissait à remonter les filières, à connaître les différentes ramifications et à identifier avec précision de très nombreux militants.


Le 25 novembre 1941, la police allemande déclencha en plusieurs endroits un vaste coup de filet, parfaitement coordonné. À Paris, Versailles, Courbevoie, Soissons et Villers-Cotterêts, les groupes Vérité française furent littéralement décapités. Au total, plus de cent trente interpellations eurent lieu le même jour. Jehan de Launoy fut arrêté et incarcéré à la prison de Fresnes ; sa famille fut particulièrement touchée puisque sa femme (elle sera libérée en juin 1942), son beau-père (il mourra en déportation) et sa belle-sœur furent pris le même jour.
Il comparut, en compagnie de trente-deux co-inculpés, devant le tribunal militaire allemand qui siégeait rue Boissy d’Anglas (VIIIe arr.). Les verdicts, prononcés le 30 mai 1942 à l’issue du procès, furent extrêmement sévères : douze condamnations à mort, dix-huit déportations en Allemagne ainsi que de lourdes peines de prison vinrent sanctionner les activités d’un des premiers groupes actifs de la zone occupée. Considéré à juste titre comme l’inspirateur et le chef de file de l’organisation, Jehan de Launoy fut, sans surprise, condamné à la peine capitale.
Le 27 octobre 1942, après onze mois passés en détention et malgré les nombreuses interventions et demandes de grâce formulées en sa faveur, il fut passé par les armes au stand de tir du ministère de l’Air en compagnie de ses compagnons de la première heure, Roland Coqueugniot et Pierre Stumm (groupe de Paris), du capitaine Émile Louys, de Daniel Douay et d’Alfred Vogel (groupe de Soissons).


Pour son activité dans la Résistance et à titre posthume, Jehan de Launoy fut homologué au grade de Capitaine des Forces françaises de l’Intérieur. Il lui fut décerné la Médaille de la Résistance française par décret en date du 31 mars 1947, et il fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur par décret en date du 12 avril 1947. Cette nomination, comportant l’attribution de la Croix de Guerre 1939-1945 avec Palme, était accompagnée de la citation suivante : « Entré dans la résistance active dès juin 1940. Outre son activité remarquable et audacieuse dans la propagation d’un journal clandestin, a efficacement participé au recrutement et à l’organisation d’un groupe important de résistance, stockant des armes qui devaient servir à l’Armée Secrète et procurant à ses chefs d’intéressants renseignements. Arrêté le 25 novembre 1941 à la suite de la dénonciation d’un agent double, s’est, devant ses juges ennemis, défendu avec beaucoup de sang-froid, de courage et d’adresse, ne révélant rien contre ses camarades. Condamné, est tombé sous les balles ennemies le 23 octobre 1942, faisant preuve jusqu’au bout du courage et du patriotisme qui l’avaient toujours animé.
Très belle figure de la Résistance. Mort au Champ d’Honneur. »
Dernières lettres de Jehan de Launoy à sa femme et à ses enfants.

***
Paris, le 27 octobre 1942
Ma Miquette chérie

Le Procureur Kessler vient de nous annoncer la fatale nouvelle. Ma pauvre chérie, je dois mourir. Je souhaite de le faire avec courage en chrétien et en Français. Je te demande d’être toujours très courageuse ; aie toujours confiance en Dieu et reste bonne Française. Élève nos deux petits dans ces nobles sentiments.
Je te demande pardon de l’immense chagrin que je vais te faire. Tu es jeune, jolie, belle et bonne et regarde la vie en face.
Au ciel où j’espère aller je veillerai sur vous tous. Embrasse avec tendresse, comme je t’embrasse moi-même, nos deux petits que j’adore, ta bonne maman Suzanne, mémé, tante Paulette, Taty et ma chère petite Josette, tes oncles et toute ta famille que je ne connais pas, ton cher papa quand tu le reverras.
Mes pauvres camarades sont aussi courageux que moi et si notre dernière pensée va à nos chers nôtres, notre dernier cri sera : « Vive la France. »
Je t’aime, Miquette chérie, tu as été le plus bel et le plus grand amour de ma vie (l’unique).
Surtout, tâchez de cacher ma mort à ton pauvre papa que j’aimais tant.
Je fais un testament que j’adresse à Paul. Bien entendu, je te laisse le peu que je possède. J’espère que la Patrie, que j’ai tant aimée, t’aidera à élever matériellement nos enfants. Presse-les bien sur ton cœur pour moi. Surtout, chérie, soigne-toi bien, il faut te guérir vite et complètement.
Je te demande comme une prière suprême d’aimer la vie ; pense que mon âme immortelle sera toujours à tes côtés ; je te répète que tu es jeune, et que c’est dans la prière que tu dois chercher une consolation. Je t’aime de toutes mes forces.
Miquette chérie, je pense que c’est grâce à notre amour que je me suis rapproché de Dieu, je te remercie de cela de tout mon cœur.
À cause de cela, tu ne dois pas désespérer de la vie. Pense à ma dernière volonté qui est de te supplier de vivre avec courage, pour élever nos enfants comme je l’aurais fait moi-même.
Ne cesse pas de prier et d’espérer en Dieu. Cette dernière preuve d’amour, je te la demande au pied du fatal peloton d’exécution. Je suis sûr que tu me comprendras, et cette suprême pensée me donne tous les courages.
Ma douce chérie, je te dis adieu ; dans ce mot, j’ai mis tout mon amour et toute ma tendresse, je t’embrasse comme je t’aime, ainsi que tous et mes petits.
Ton mari, tendrement.
Jehan de Launoy

Réclame pour toi mon chapelet, mon Christ que j’ai tant prié et mon livre de prières, ainsi que mon alliance. Ma dernière pensée est pour toi et nos petits.
Jehan
Je te laisse mon alliance que je vais te demander de porter toujours en souvenir de moi.
Ma chevalière en or avec mes armoiries sera portée par celui de mes fils que tu désigneras (le plus méritant). Josette pourra la porter en attendant que l’un d’eux puisse la porter.
Pierre et Roland sont courageux et t’embrassent.
Ma pauvre chère Miquette, je n’ai jamais aimé que toi, je t’ai aimée follement. Encore de doux baisers.
Vive Dieu, Vive la France
Ton Jehan.

Ma plume est mauvaise.
Je veux que mes deux enfants soient élevés par toi et ta famille.
Réclame pour toi mon chapelet, mon Christ que j’ai tant prié et mon livre de prières, ainsi que mon alliance. Ma dernière pensée est pour toi et nos petits.
Jehan

Je te demande, au nom de notre amour, de te guérir, d’élever nos enfants et de ne pas tâcher de rentrer dans un couvent avant au moins 5 années, passée cette date tu feras ce que tu voudras. Je compte sur toit.
Si parfois je t’ai fait de la peine Miquette chérie je t’en demande pardon. Je t’aime. Courage.
Garde cette lettre que tu remettras plus tard à mes petits.
 

Mon cher petit Claude et mon cher petit Jehan,

Quand vous serez en âge de comprendre et de lire, vous lirez cette lettre, qui est non seulement un adieu de votre cher papa qui va mourir, mais aussi un testament.
D’abord, restez de bons chrétiens, et priez toujours Dieu avec confiance et amour. Aimez la France, votre patrie, comme je l’ai aimée moi-même jusqu’au sacrifice.
Aimez aussi vos chers parents si bons et si dévoués ; consolez votre petite maman Thérèse par votre cœur, votre courage et votre amour.
Soyez Massin et de Launoy complètement, car vous puiserez dans l’exemple et les traditions de ces belles familles tout ce qu’il y a de noble et digne.
En un mot, restez, je vous le répète encore, de bons Français et de bons chrétiens.
Vive la France.
Je vous embrasse comme je vous aime.
Votre père affectueux.
Jehan de Launoy.
Sources

SOURCES : AN F60 1573, série B7, dossier 308 (affaire de Soissons ou affaire Launoy) ; Z6 818-820 (Cour de Justice de la Seine, dossier 5688, procédure contre Jacques Desoubrie) ; 72 AJ 66, pièce A I 7 (Note sur le groupe » Vérité française », auteur anonyme, sans date). – Archives privées de Germaine Tillion, dossier individuel de Jehan de Launoy constitué par l’officier liquidateur en vue de son homologation au réseau du Musée de l’Homme. – DAVCC Caen, boîte 5 B VIII dossier 3 (Notes Thomas Pouty). – SHD Vincennes, 16P168643. — Arch. PPo., BA 1801, 77W 1231 (Notes Daniel Grason). – Germaine Tillion, « Première Résistance en zone occupée (Du côté du réseau Musée de l’Homme-Hauet-Vildé) » in Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, no 30, avril 1958. – Julien Blanc Au commencement de la Résistance. – Boris Vildé et le réseau du Musée de l’Homme, 1940-1941, Éd. du Seuil, 2010. – État civil, Arch. Dép. Nord. — Fonds de l’Association des familles de fusillés, Musée de la Résistance Nationale. — Copies des lettres et décrets d’attribution des décorations communiquées par Claude de Launoy.

Fabrice Bourrée, Dominique Tantin

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