Né le 5 juin 1901 à Verrières-le-Buisson (Seine, Essonne), fusillé, par condamnation, le 29 août 1941 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; officier de marine ; chef du 2e Bureau des Forces navales françaises libres ; chargé du réseau Nemrod sur le territoire français.

Annonce des exécutions d’Estienne d’Orves, de Maurice Barlier, de Jan Louis Doornik (AN, CP/72 AJ/809)
Le comte Henri Louis Honoré d’Estienne d’Orves naquit à Verrières-le-Buisson (Seine, Essonne), dans une famille d’aristocrates catholiques et royalistes. Son père, directeur de société, mourut en 1926 ; sa mère originaire de Verrières appartenait à la famille de Vilmorin. Élève du lycée Saint-Louis-de-Gonzague, puis de Louis-le-Grand, il participait aux Équipes sociales, groupement confessionnel catholique. Devenu polytechnicien en 1923, il embrassa la carrière d’officier de marine et se maria en 1929 avec Éliane de Lorgeril ; le couple eut cinq enfants. En juin 1940, lieutenant de vaisseau, il se trouvait en tant qu’officier d’ordonnance de l’amiral Godfroy sur le croiseur Duquesne, en rade d’Alexandrie.
Son escadre ayant été désarmée, il décida, avec sept officiers et une cinquantaine de marins, de rejoindre les Forces françaises libres du général de Gaulle. Arrivé à Londres en septembre 1940, après un long périple à travers l’Afrique, il fut promu capitaine de frégate et nommé à la tête du 2e bureau des Forces navales françaises libres, en remplacement de Passy (André Dewavrin), puis affecté à l’Amirauté britannique, où il fut chargé de développer le renseignement sur le territoire français à partir du réseau embryonnaire « Nemrod », qui vit le jour à l’initiative de Maurice Barlier et Jan Doornik, dès septembre 1940.
Il rejoignit clandestinement la France à bord d’un bateau de pêche, le Marie-Louise, à Plogoff (Finistère) le 22 décembre 1940, afin de réunir des renseignements sur les arsenaux et les navires allemands. Installé chez le couple André et Paule Clément, chemin du Bois-Haligand à Chantenay-sur-Loire quartier de Nantes (Loire-Atlantique), aidé dans ses déplacements par Maurice Barlier, il rayonna à travers toute la Bretagne et ne tarda pas à mettre sur pied l’organisation précise du réseau Nemrod. Il transmit en outre des renseignements capitaux sur les défenses côtières allemandes, les sous-marins, les aérodromes et les dépôts d’essence de la région nantaise. Du 6 au 19 janvier 1941, il se rendit à Paris pour organiser un second réseau ; il rencontra dans un café de Montparnasse l’officier hollandais Jan Doornik. De retour à Nantes, le 20 janvier, il s’installa à nouveau chez les Clément. Ceux-ci avaient mis leur maison « Ty Brao » à son entière disposition et lui faisaient part de leur inquiétude au sujet du comportement suspect de Georges Marty, quartier-maître radiotélégraphiste. Honoré d’Estienne d’Orves décida alors de renvoyer son radio à l’occasion du prochain voyage à Londres, mais il était trop tard. Le 22 janvier, les Allemands envahirent la demeure à Chantenay-sur-Loire. Après avoir résisté, Honoré d’Estienne d’Orves fut menotté et conduit avec ses compagnons à Angers (Maine-et-Loire).
La trahison de Marty, agent du contre-espionnage allemand du nom d’Alfred Gaessler, permit également aux Allemands d’arrêter l’ensemble du réseau, au total 26 personnes, dont le 24 janvier Maurice Barlier, sous-lieutenant FFL, et le 3 février Jan Doornik. Les inculpés furent dirigés sur Berlin puis amenés à la prison du Cherche-Midi à Paris (VIe arr.). Le procès débuta le 13 mai 1941. Prenant sur lui toutes les responsabilités, Honoré d’Estienne d’Orves défendit ses co-inculpés. Le 23 mai, le capitaine de frégate d’Estienne d’Orves et huit de ses camarades furent condamnés à mort par le tribunal du Gross Paris, siégeant rue Saint-Dominique, et transférés à Fresnes (Seine, Val-de-Marne). Six résistants bénéficièrent de remises de peine. Honoré d’Estienne d’Orves a été fusillé le 29 août 1941 au Mont-Valérien avec Maurice Barlier et Jan Doornik. Leur exécution provoqua une vive émotion.
Le 30 août 1941, un « Avis » annonçant leur mort, signé par le commandement militaire allemand en France, parut en une des journaux collaborationnistes Le Petit Parisien et Le Matin.
_Honoré d’Estienne d’Orves fut inhumé au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) le 29 août 1941, Division 47, ligne 2, n° 81 ; il fut transféré le 9 septembre 1941 au cimetière de Verrières-le-Buisson.
Honoré d’Estienne d’Orves, chevalier de la Légion d’honneur, a été fait compagnon de la Libération le 30 octobre 1944. Le premier groupe FTP1, en 1942, choisit son nom, et Louis Aragon dédia, dans la clandestinité, son poème « La rose et le réséda » à « Gabriel Péri et Honoré d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru ».
Une station de métro de Paris porte son nom ainsi que de nombreuses rues, écoles, lycées dans toute la France.
Henri d’Estienne d’Orves, grande figure de la Résistance, a été honoré par de nombreuses décorations au Maroc, en Roumanie, en Bulgarie, en Chine.
Son neveu David Régnier, résistant de Défense de la France et maquisard de Seine-et-Oise a été exécuté le 20 juin 1944 à l’Isle-Adam (Seine-et-Oise, Val-Oise) par des soldats allemands avec 10 résistants.
La veille de son exécution, le commandant Honoré d’Estienne d’Orves a écrit une lettre à sa soeur, la "dernière" rendue publique par la famille.
« Ma caqui chérie ;
Ma chère petite sœur, je t’aime profondément. Je te remercie du fond du cœur de tout ce que tu as fait pour moi. Il m’a été infiniment doux de te sentir en communion avec moi. Il ne faut pas avoir un trop grand chagrin. Pensez à ceux qui meurent sur le champ de bataille. Moi, j’ai eu le privilège inouï de pouvoir presque vivre une vie de famille depuis trois mois. Et j’en ai joui beaucoup. Songe, surtout, chérie, que j’aurais pu être tué au moment de mon arrestation ! Dans quel état moral serais-je mort… Dieu m’a donné ces sept mois pour me rapprocher de Lui, qu’il en soit béni.
Je vais retrouver Papa et Maman. C’est un grand bonheur.
Mais ce que je vous demande, c’est de continuer votre vie bien tranquillement, de vous étayer les uns les autres. Éliane (ndlr, son épouse) aura besoin d’aide, je sais que tu la lui donneras. A toi incombera la mission de lui annoncer ma mort.
Sachez que je suis parfaitement calme. Mes deux camarades et moi passons la soirée à parler tranquillement, à blaguer même, et j’ai du mal à obtenir le silence pour pouvoir t’écrire. Excuse donc cette lettre décousue. Tout ceci te montre notre sérénité. J’espère que nous ne nous en départirons pas demain matin.
Je ne fais pas de nouveau testament, celui que tu as déjà (ou qu’Éliane a) me paraît suffisant. Les enfants, comme les miens, vivront j’espère une période de paix, qu’ils prennent papa comme modèle, papa qui a tant aimé les siens et a tant travaillé pour nous tous. Réunissez tout ce que trouverez de sa main, ainsi que ce que maman a écrit – que notre génération et celle de nos enfants en profitent.
Mes petits frères, hélas ! que j’aime tant, que nous étions donc unis, toi et nous trois, sans oublier le souvenir de François, le cher compagnon de mon enfance. Notre union était une belle chose ; que rien ne la ternisse, et que nos enfants prennent modèle sur nous !
Je voudrais écrire ici les noms de tous les membres de la famille, d’Estienne ou Vilmorin, pour leur dire que ma pensée va vers eux tous. Je te charge de cette commission. En particulier notre chère tante Félicie, que Dieu vous garde longtemps. Et aux A…, artisans d’un mariage qui me rendit si heureux.
L’oberlieutnant Moerner, que j’ai vu tout à l’heure, ne voit pas d’inconvénients à ce que je te donne les noms des personnes arrêtées avec moi :
Mme Maurice Barlier-Nayemont, Ban-de-Sapt (Vosges), femme de mon camarade qui doit être exécuté en même temps que Doornik et moi. Plus tard, si les circonstances le permettent, elle sera peut-être heureuse de te connaître.
M. et Mme Clet Normand, et leur fille, Mme Jeannic, à Plogoff (Finistère). Serait-il possible de leur donner un petit secours d’argent (200 francs par mois par exemple ?)
Mme Le Gigan, 48 rue Gutenberg à Nantes-Chantenay. Elle est actuellement libérée, n’ayant été arrêtée qu’à cause de son fils, actuellement à Fresnes. J’aimerais que quelqu’un la vît, c’est une vieille femme de soixante-quinze ans, et j’ai peur qu’elle ne soit sans ressources.
M. et Mme Clément, chemin du Bois-Haligand, Nantes-Chantenay (ces deux-là sont encore en prison).
Tous ces gens m’aiment bien. Je ne pourrai pas leur dire adieu. J’ai une certaine responsabilité dans les malheurs qui ont fondu sur eux, et qu’ils ont tous acceptés avec une grandeur d’âme admirable.
Je ne vous demande pas de prier pour moi, je sais que vous le ferez. Pensez que la prière pour les morts rapproche les vivants de Dieu, et par là est bonne. Que l’on continue à faire dire une messe par semaine à Verrières pour les morts de la famille.
Maintenant, je vais dormir un peu. Demain matin, nous aurons la messe.
Que personne ne songe à me venger. Je ne désire que la paix dans la grandeur retrouvée de la France. Dites bien à tous que je meurs pour elle, pour sa liberté entière, et que j’espère que mon sacrifice lui servira.
Je vous embrasse tous avec mon infinie tendresse.
Honoré. »
 
Dernière lettre à son ami le capitaine de frégate Paul Fontaine, dit Pépin, qui travaille au cabinet de l’amiral Darlan.
 
Honoré d’Estienne d’Orves à Paul Fontaine
Prison de Fresnes (Seine) —28 août 1941
Jeudi 28 août
 
Mon cher Paul,
 
Dès fin mai, j’avais décidé que, si je devais être fusillé, c’est à toi que j’écrirais pour faire mes adieux aux amis que j’ai dans la marine.
 
Et voici que, depuis ces trois mois, tu t’es occupé de moi activement. Je t’en remercie du fond du coeur et te prie de transmettre mes respectueux sentiments à l’Amiral Darlan. Je me sens uni de coeur avec vous et cela m’est un grand réconfort.
 
J’ai tant aimé la Marine, tant pour l’intérêt de la vie de bord et les joies qu’elle m’a procurées, que pour l’amitié des camarades et l’affection des hommes. Je ne l’ai pas quittée, je n’ai pas quitté le « Duquesne », le 10 juillet 1940, sans un profond déchirement. Mais ce bateau, comme toute l’escadre, était démilitarise. Notre Gouvernement ne me paraissait plus indépendant. Continuer la lutte, c’était pour moi suivre la voie qui nous avait été tracée. J’ai cherché le moyen de le faire sous le drapeau français ; je suis parti pour la Somalie. Quand j’ai vu que les opérations y étaient suspendues, j’ai rejoint les Forces françaises libres. Ce que je veux te dire, c’est que là, comme tous les camarades avec qui je me suis trouvé, je n’ai fait que servir la France et cela d’une façon très indépendante. Nos hôtes nous comprenaient parfaitement et n’influençaient sur nous en aucune façon. Pour venir en France, j’ai eu à vaincre une forte opposition, je n’y ai été poussé par personne que par moi.
 
Je crois, Mon Vieux Pépin, avoir, dans tout ce que j’ai fait, servi la France et la France seule. Je pense que mes amis le comprendront, et qu’on voudra bien me considérer comme mortpour Elle. C’ est mon plus cher désir.
Je voudrais t’en dire beaucoup plus sur la destinée que je souhaite à la France : je suis persuadé que nous voyons l’un et l’autre sa rénovation dans la même voie.
Tu serais bon de faire demander par Fatou aux Autorités allemandes les noms des marins bretons3 condamnés dans mon affaire.
Ce sont tous d’excellents patriotes et ils méritent qu’on s’occupe d’eux. Un vieux ménage en particulier (75 ans) a maintenant fini sa peine. Tâchez de les faire renvoyer chez eux.
 
Je n’arrive pas à continuer à écrire, car on nous a mis dans la même cellule, les deux camarades qui doivent être fusillés demain et moi, et nous passons notre temps à nous raconter des blagues.
 
Aussi je te dis adieu, mon Pépin, mon frère. Je te charge de mon affection pour Pouchette, pour Marcel et sa femme, et de ma profonde amitié pour tous nos amis. Plus tard, tu verras Éliane et ma soeur.
Je t’embrasse.
Vive la France.
 
Honoré.
 
Il conserve une photographie de son épouse et de ses cinq enfants, prise à Quimper en juin 1941. Au verso, il écrit ces lignes :
 
À mes enfants chéris, je rends cette photographie qui m’a rendu heureux pendant tout ce mois d’août 1941, et qui les a unis, pour ma plus grande joie, en face de moi.
 
« M. et Mme Clément, chemin du Bois-Haligand, Nantes-Chantenay (ces deux-là sont encore en prison).
Tous ces gens m’aiment bien. Je ne pourrai pas leur dire adieu. J’ai eu une certaine responsabilité dans les malheurs qui ont fondu sur eux, et qu’ils ont tous acceptés avec une grandeur d’âme admirable. »

Voir Mont-Valérien, Suresnes (Hauts-de-Seine)
Sources

SOURCES : DAVCC, Caen, BVIII, dossier 2 (Notes Thomas Pouty). — Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne. — Honoré d’Estienne d’Orves, pionnier de la Résistance : papiers, carnets et lettres, France-Empire, 1985. — Christian Bougeard, Histoire de la Résistance en Bretagne, coll. « Les Universels Gisserot », 1992. — François Marcot (sous la dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Bouquins, R. Laffont, 2006. — Guy Krivopissko, La vie à en mourrir. Lettres de fusillés 1941-1944, Tallandier, 2003. — Site Internet de l’Ordre de la Libération. — Notes d’Annie Pennetier et de Jean-Pierre Ravery. — Répertoire des fusillés inhumés au cimetière parisien d’Ivry.

Guy Krivopissko

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