Castelmaurou (Haute-Garonne), Bois de la Reulle, 27 juin 1944
Lieux d’exécution : Castelmaurou (Haute-Garonne), fusillés sommaires du Bois de La Reulle (ou Reule). Quinze fusillés sommaires par un peloton de la compagnie de réserve de la division SS Das Reich stationnée à Castelmaurou.
Castelmaurou, bois de la Reulle, monument aux fusillés
cliché André Balent, 24 septembre 2015
Castelmaurou, bois de la Reulle, plaque commémorative
Cliché André Balent, 24 septembre 2015
Castelmaurou, bois de la Reulle
cliché André Balent, 24 septembre 2015
La division SS Das Reich avait participé à la guerre sur le front de l’Est. durement éprouvée dans les combats contre l’Armée rouge (en particulier la troisième bataille de Kharkov, février-mars 1943 et la bataille de Koursk, juillet-août 1943), elle fut mutée en France, au printemps 1944, dans la région toulousaine afin de reconstituer ses forces et, accessoirement, de participer à la lutte contre la Résistance et les maquis. Elle importait, comme toutes les unités venant de l’Est, les méthodes particulièrement brutales de répression expérimentées sur ce théâtre d’opérations. Une compagnie de réserve de la division Das Reich avait pris position à Castelmaurou, commune située au nord de Toulouse, à proximité de Rouffiac-Tolosan, où le général Blaskowitz avait installé l’état-major du groupe d’Armées G. La compagnie de réserve était chargée d’assurer la protection de ce général. Le 4 juin 1944, le lieutenant Anton Philipp (né le 3 octobre 1919 à Teplice/Teplitz, dans l’Erzgebirge, Sudètes, alors en Tchécoslovaquie, aujourd’hui en Tchéquie) prit le commandement de cette unité. Il venait de Miremont, au sud de Toulouse, près de l’Ariège où il avait commandé la 9e compagnie du 3e bataillon du régiment de Grenadiers de la division SS Das Reich. Il s’y était illustré pour avoir dirigé dans ce petit village une politique de répression particulièrement implacable.
À Castelmaurou, Philipp s’installa dans la maison d’Antonin Bories. Il se fit remarquer par les exactions dont il se rendit coupable, notamment en tuant des volailles à coups de pistolet et en harcelant la fille de ses hôtes qui repoussa ses avances. La compagnie commandée par Philipp devint le 23 juin 1944 le 2e bataillon de réserve de la division Das Reich et fut placé sous les ordres du commandant Hans Bissinger qui avait établi son état-major à Grenade-sur-Garonne (Haute-Garonne). Dans sa tâche répressive à Castelmaurou, Anton Philipp fut secondé par l’adjudant SS Otto Bachmann et son ordonnance, Édouard Christen, originaire de Mulhouse (Haut-Rhin). Le 27 juin 1944, le lieutenant-colonel Suhr et le lieutenant Müller du KdS (Kommando der Sipo und der SD) de Toulouse décidèrent de faire exécuter seize résistants incarcérés au quartier allemand de la prison Saint-Michel. Il s’adressèrent au lieutenant-colonel Wisliceny à l’état-major de Grenade-sur-Garonne afin d’organiser l’exécution. Ce dernier estima que le 2e bataillon de réserve commandé par Bissinger était l’unité la mieux préparée pour cette tâche. Bissinger ordonna à Philipp, présent à Castelmaurou, l’ordre de les exécuter dans le bois de la Reulle, à proximité de cette localité. La majorité des prisonniers destinés à être exécutés fit le trajet en camion. Charvet, Ducasse, de Hepcée et Soldevila furent amenés à Castelmaurou avec une automobile de la Sipo-SD. Soldevila expliqua après la Libération qu’ils avaient été convoyés vers leur lieu d’exécution par Mülller, chef de la section IV de la Sipo-SD.
L’exécution du 27 juin 1944 et l’identification des corps :
Le 27 juin 1944 seize résistants furent donc extraits de la prison Saint-Michel de Toulouse (Haute-Garonne) par des membres de la Sipo-SD qui amenèrent les douze premiers d’entre eux par camion au Nord de Toulouse, dans le Bois de la Reulle, au lieu-dit le Cammas, à la limite des communes de Gragnague (Haute-Garonne) et de Castelmaurou (Haute-Garonne). Ils les remirent à un détachement du 2e bataillon de réserve de la division Das Reich commandé par Anton Philipp. Les autres arrivèrent ensuite en automobile. Le peloton avait été formé par Philipp sur ordre de Bissinger parmi des soldats de sa compagnie. On demanda aux prisonniers de creuser leur tombe. Un appel des victimes, peu avant leur exécution, aurait été fait à partir d’une liste qui n’a pas été retrouvée. Elle a concerné au moins la première partie des détenus de Saint-Michel, arrivés avant les autres. Soldevila arrivé dans le second convoi (l’automobile de la Sipo-SD), ne fit pas état de cette liste et de sa lecture par un sous-officier. Philipp dirigea l’exécution des seize prisonniers.
Un résistant, Jaume Sodevila, réussit à s’échapper alors qu’il creusait sa tombe. Quinze résistants y ont été fusillés sommairement sous le contrôle du lieutenant SS Anton Philipp. Enterrés sur place, ils furent extraits du charnier en septembre 1944 par des soldats allemands prisonniers sur les indications de Soldevila. Les corps qui n’avaient pas été ré-inhumés furent transférés au cimetière de Castelmaurou le 13 avril 1990.
Quatorze corps furent identifiés, dix en 1944 et quatre autres récemment, à partir de mars 2010, grâce aux recherches opiniâtres du groupe animé par Georges Muratet, cheminot retraité et historien (le Groupe de recherches des fusillés du bois de la Reulle Gragnague-Castelmaurou) : Pierre Cartelet, Jean-Baptiste Giorgetti, Charles de Hepcée, Marcel Joyeux. Un seul demeure inconnu (2018). Le groupe de recherches a bénéficié du soutien actif du procureur adjoint de Toulouse, Jean-Michel Peltier, de Tania Delabarde anthropologue, de l’institut médico-légal de Strasbourg et Christine Keyser professeur de génétique directrice du laboratoire d’anthropologie moléculaire de l’Institut médico-légal de Strasbourg qui ont effectué les prélèvements nécessaires des ADN des fusillés inconnus et les a comparés à ceux de leurs descendants ou apparentés.
PROFIL DES FUSILLÉS DE CASTELMAUROU :
Départements où furent actifs les résistants fusillés de Castelmaurou :
Haute-Garonne : 7 (Belvezet, Charvet, Giorgetti, Joyeux, Mercié, Pagès, Toubiana)
Pyrénées-Orientales : 2 (Cartelet, Pruneta)
Hautes-Pyrénées : 2 (Cazenave, Ducasse)
Gers : 1 (Sarda)
Hérault : 1 (Guillaut)
Corse : 1 (Giorgetti)
Lot-et-Garonne : 1 (Giorgetti)
France, Royaume-Uni, Espagne : 2 (de Hepcée ; Giorgetti pour le Royaume-Uni seulement)
Appartenance à une organisation politique clandestine :
Parti communiste : 1 (Cazenave)
Appartenance des fusillés de Castelmaurou (mouvements et / ou réseaux) :
Mouvements :
MUR / AS : 7 (Charvet, Ducasse, Giorgetti, Joyeux, Mercié, Pages, Toubiana).
ORA : 3 (Cartelet, Guillaut, Pruneta)
FN ; FTPF : 2 (Cazenave, Giorgetti)
Réseaux de renseignements et / ou d’évasions vers l’Espagne : (9) : Belvezet, Cartelet, Charvet, Ducasse, Giorgetti, de Hépcée, Joyeux, Mercié, Sarda.
Le poids de l’activité des réseaux, — qui acheminaient des fugitifs en Espagne (pilotes alliés abattus au-dessus du territoire français, “évadés de France”) et des renseignements et pour le compte des divers services secrets alliés apparaît nettement et met bien en évidence le rôle de plusieurs départements pyrénéens et frontaliers : Haute-Garonne (Toulouse, plaque tournante vers le massif pyrénéen, oriental et central), Pyrénées-Orientales, Hautes-Pyrénées). Ce groupe de fusillés confirme ce que l’on savait déjà pour nombre de résistants de ces départements : une double appartenance (mouvement de résistance et réseau de passages vers l’Espagne). Tous ces fusillés, à l’exception de Cazenave, se rattachaient à la Résistance non communiste. Toutefois, Giorgetti avait participé en Corse aux activités du Front national d’obédience communiste. L’un d’entre eux (de Hepcée) était un Belge, militaire de carrière ; l’activité qu’il déployait pour son réseau impliquait un déplacement entre trois pays. En mission, il fut arrêté en Ariège après être entré en France depuis l’Espagne par la haute montagne. Quant à Giorgetti, agent du BCRA, il avait été parachuté en France depuis le Royaume-Uni afin de former des saboteurs
Âges :
Résistants confirmés, ces fusillés sont rarement très jeunes. Parmi eux on trouve des cadres de très haut niveau de la résistance non communiste (Guillaut de la R3, Joyeux de la R4). À leurs côtés, des agents de réseaux, dont des passeurs auxquels il faut rajouter Soldevila qui réussit in extremis à échapper à son exécution.
Le plus âgé, Joseph Guillaut, né en 1895 avait quarante-neuf ans. Le plus jeune, François Charvet, né en 1922 avait vingt-et-un ans. À part lui, aucun n’avait moins de vingt-cinq ans : c’était des hommes adultes âgés de vingt-cinq à quarante-trois ans :
Moins de vingt-cinq ans : 1 (Charvet, vingt-et-un ans)
De vingt-cinq ans à trente ans : 4 (Pruneta, vingt-cinq ;Giorgetti, vingt-six ; Belvezet, vingt-huit ; Cazenave, vingt-neuf) ;
De trente à quarante ans : 5 (Toubiana, trente-et-un ; Mercié, trente-deux ; Cartelet, trente-deux ; Joyeux, trente-trois ; de Hepcée, trente-trois )
Plus de quarante ans : Pagès, quarante-trois ; Sarda, quarante-trois ; Guillaut, quarante-neuf)
LISTE DES FUSILLÉS :
BELVEZET Jean-Louis
CARTELET Pierre
CAZENAVE Roger
CHARVET Claude
DUCASSE Jean-Marie
GIORGETTI Jean-Baptiste, André
GUILLAUT Joseph
HEPCÉE (de) Charley
JOYEUX Marcel
MERCIÉ Marcel
PAGÈS Jean
PRUNETA Noël
SARDA Raoul
TOUBIANA Robert
Fusillé inconnu Castelmaurou (Haute-Garonne)
SOLDEVILA Jaume, a survécu
SOURCES : Sources indiquées au bas des notices des fusillés du bois de la Reulle ne figurant pas ci-dessous. — Michel Goubet, de nombreux articles in La Résistance en Haute-Garonne, Cd-Rom AERI, Haute-Garonne. — José Cubero, Les Hautes-Pyrénées dans la guerre, Pau, éditions Cairn, 2e édition, 2013, 358 p. — Guy Penaud, La "Das Reich" 2e SS Panzer Division, préface d’Yves Guéna, introduction de Roger Ranoux, Périgueux, La Lauze, 2e édition, 2005, 558 p. [pp. 457-459, p. 546]. — Agnès Pizzini, Les inconnus du bois, coproduction France télévision, RTBF, Cocotteminute production, Triangle 7, 2018, film, 52 mn, 19 s, — Noemí Riudor Garcia, "La família Soldevila d’Escart : Línia SOL de la xarxa belga de Jean" in Josep Calvet Bellera, Annie Rieu-Mias, Noemí Riudor Garcia, La batalla del Pirineu. Xarxes d’informació i d’evasió aliades al Pallars Sobirà, a l’Alt Urgell a a Andorra durant la Segona Guerra Mundial, prologue de Jordi Guixé, Tremp, Editorial Garsineu, 2011, 208 p. [en catalan] (ouvrage traduit en français, La bataille des Pyrénées. Réseaux d’information et d’évasion alliés transpyrénéens 1942-1944, Toulouse, Le Pas d’oiseau, 2013, 200 p.). — La répression de la Résistance par les autorités d’occupation et le régime de Vichy, préface de Pierre Izard, brochure éditée par le Musée départemental de la Résistance et de la déportation de la Haute-Garonne à l’occasion du concours national de la résistance, Toulouse, 2011, 66 p. [p. 21]. — Groupe de recherches des fusillés du bois de la Reulle Gragnague-Castelmaurou, La mémoire en bandoulière, 2017, 133 p. — La Dépêche (Toulouse), 1er avril 2012. — Christian Laporte, "Elles retrouvent le corps de leur père, héros de la Résistance", La Libre Belgique, 10 juillet 2012. — L’Avenir, édition de Namur, 25 juillet 2012. — Bulletin en ligne Castelmaurou, édité par la mairie, article en ligne publié le 4 août 2012. — Emmanuel Haillot, "L’identité retrouvée du résistant inconnu", La Dépêche, 20 septembre 2014. — « Castelmaurou. Acte de décès de Marcel Joyeux fusillé au bois de la Reulle », La Dépêche (Toulouse), 17 septembre 2013. — E. H. et J.-C. P., « Castelmaurou. Fusillés de la Reulle, l’émotion d’une famille », La Dépêche (Toulouse), 6 novembre 2013. — Marcel Wast, « Marcel Joyeux, l’inconnu du bois de la Reulle », La Nouvelle République, édition de la Vienne, 31 octobre 2013. — Archives du bureau "résistance ", Bulletin de l’’AASSDN, n° 1, en ligne, consulté le 5 février 2015. — Le Petit journal, édition Toulousain, 8 août 2014. — Courrier de Jean-Daniel Gaudais, 13 avril 2017 et courriels de Jean-Daniel Gaudais, 28 et 29 mai 2018. — Notes de Claude Pennetier et de Jean-Daniel Gaudais.
André Balent