Né le 7 décembre 1928 à Strasbourg (Bas-Rhin), massacré le 30 mars 1944 à La Bachellerie (Dordogne) ; victime civile.

Charles VOGELHUT
Charles VOGELHUT
Archives privées
Les parents de Charles Vogelhut étaient des Juifs d’origine polonaise naturalisés français. Bernard Vogelhut, né le 3 mars 1898, avait épousé Boila (ou Bela) Guisberg née le 12 juillet 1903 à Stanislawa. Installés en France probablement au lendemain de la Grande Guerre, ils exerçaient les professions de marchand forain et de couturière. Ils eurent trois enfants qui naquirent à Strasbourg, Sabine le 23 septembre 1927, Charles le 7 décembre 1928, et Marcel, 25 novembre 1929. Lorsque la guerre arriva, la famille alors installée à Sedan (Ardennes), dut se replier à Niort, les Deux-Sèvres étant, avec la Vienne, le département de repli de la population de ce département frontalier. Elle s’installa finalement à Niort en septembre 1940, au 19 rue Chabaudy. Charles et son frère furent inscrits au lycée Fontanes.
Le 22 juin 1940, les Allemands investissaient le chef-lieu du département des Deux-Sèvres qui se situa d’emblée en zone occupée. De l’automne 1940 à 1942 se succédèrent les mesures antisémites des Allemands et de Vichy : recensement, confiscation du petit stock de marchandises de Bernard Vogelhut, discriminations multiples… En 1942, les persécutions s’aggravèrent, notamment avec le port de l’étoile jaune imposé par les Allemands en zone occupée le 7 juin. L’écho de la grande rafle du Vel –d’Hiv les 16-17 juillet et les premières arrestations de Juifs par les Allemands le même jour à Niort et à Thouars, incitèrent de nombreuses familles à chercher refuge dans la zone dite libre. La majorité des Juifs en Deux-Sèvres vivaient à Niort et dans les communes limitrophes. De juillet à novembre 1942, selon les rapports de l’inspecteur de police niortais Émile Prouteau, chargé de contrôler la domiciliation des juifs, 139 sur 258 disparaissent.
Le 6 août 1942, le lieutenant Schumann, de la Sipo-SD de Niort, fut informé par un courrier du Préfet « qu’entre le 31 juillet et le 4 août, 30 juifs ont quitté leur domicile pour se soustraire à une action du genre de celle du 16 juillet dernier ». Parmi ces fugitifs figurait la famille Vogelhut. Nous connaissons par le témoignage de Sabine Vogelhut, alors scolarisée au lycée de jeunes filles Jean Macé de Niort, les circonstances de ce départ. « En fin de 4ème, l’été 1942, il faisait beau, j’étais contente d’apprendre que je passais en 3ème ; en rentrant pour annoncer la bonne nouvelle, j’ai senti que quelque chose se passait, mon père m’a dit : "Il faut partir, les Allemands arrêtent les Juifs."
Quelques jours plus tard, sans rien dire, avec une petite valise chacun, l’adresse d’un passeur en poche, nous sommes partis vers la ligne de démarcation ; nous y avons retrouvé d’autres personnes, des Juifs pour la plupart et le passeur pour une certaine somme d’argent. Par petits groupes, une nuit noire, dans les bois, après beaucoup de difficultés, nous sommes arrivés en zone libre. C’est cette nuit-là que j’ai réalisé que pour nous les Juifs, gens comme les autres, la vie n’était pas pareille. Nous sommes arrivés en Dordogne où les autorités d’alors nous ont assigné une demeure à « La Bachellerie », un petit village loin de la route nationale. »
À La Bachellerie, raconte Sabine, « nous ne pouvions pas aller en classe, mes frères et moi. Un travaillait dans un garage (13 ans), moi chez une couturière, le plus jeune (12 ans) restait à la maison. Début 1944, les choses s’aggravaient ; mon jeune frère est allé dans une ferme à dix kilomètres de là. À la suite d’un bombardement d’une usine de la région, il s’est formé un groupe de maquis pour les jeunes qui ne voulaient pas aller en Allemagne avec le STO. Le village était très en retrait de la route nationale et jamais les Allemands ne sont montés jusque là. »
Une tranquillité trompeuse, puisqu’au printemps 1944, la Dordogne vit s’abattre la répression impitoyable de la Division Brehmer épaulée par la Milice, notamment à La Bachellerie. Sabine Vogelhut raconte : « La Milice de la région traquait ces groupes de résistants […] Pour en faire encore plus le Chef de la Milice allait de village en village avec ses adjoints établir des listes de Juifs et autres Français cachés dans le coin. Le 30 mars ce fut notre tour ; avec quelques soldats allemands venus en renfort, et en faisant du porte-à-porte, tout le monde a été arrêté. Les femmes à part, les hommes d’un autre côté sur des camions, on les a tous fusillés ; mes deux frères sont de ceux-là, ils avaient quatorze et quinze ans. »
Avec son frère Marcel et huit autres personnes, Charles fut emmené pour être abattu dans un lieu-dit appelé La Genèbre. Un rapport de l’Adjudant Estrade, commandant la brigade de La Bachellerie, en date du 9 novembre 1944 (voir sources), adressé au Colonel Commandant la 12ème Région Militaire, relate les circonstances de leur exécution : « Des maisons du bourg tournées vers l’Ouest, des personnes ont pu voir le lent, très lent cheminement des pauvres condamnés qui avaient à gravir un chemin montant comme un calvaire et qu’accompagnaient seulement deux tueurs de la Gestapo. Arrivés à la lisière du bois qui se trouve en haut d’un pré, au-dessus de la Genèbre, ils sont disposés sur un rang. Presque aussitôt, on commence à abattre ceux de gauche d’un coup dans le dos, côté du cœur, un flottement se produit sur la droite, immédiatement, le massacre se fait aussi par ce côté. M. Meckel, propriétaire à la Genèbre, déclare à ce sujet : "Jamais je n’oublierai l’horrible vision de ces hommes tombant en avant, sans un cri, comme au jeu de boules et toute ma vie je verrai ce tragique spectacle dans mes cauchemars". »
Les 30 et 31 mars, à La Bachellerie et dans les communes environnantes, 22 hommes et une femme, dont 15 juifs, parfois très jeunes,furent massacrés, tandis que 33 femmes et enfants juifs furent arrêtés et déportés, à l’instar de Sabine Vogelhut et de sa mère. Sabine Vogelhut : « Mon père a été sauvé par le Docteur Daux. Ma mère et moi avec les autres nous avons été emmenés à Périgueux dans une caserne. » Sabine Vogelhut et sa mère furent transférées de Périgueux à Drancy le 4 avril puis déportées à Auschwitz-Birkenau par le convoi 71 le 13 avril 1944. Sabine Vogelhut, matricule 78791, et sa mère, survécurent.
Après la guerre, Sabine Vogelhut se maria. Devenue madame Krenik, elle donna naissance à deux filles. Le 21 juin 1979, sollicitée par des professeurs de son ancien lycée niortais, elle témoigna dans un courrier de l’Occupation, du drame de La Bachellerie et de sa déportation.
Lieu de massacre : La Bachellerie et ses environs (Dordogne), 30-31 mars 1944
Sources

SOURCES :
Guy Penaud, Les crimes de la division Brehmer, Périgueux, 2004, Éditions La Lauze, p. 211-217. — Bernard Reviriego, Les Juifs en Dordogne, 1939-1944, Périgueux, Editions FANLAC et Archives départementales de la Dordogne, 2003, p. 229-232 ; 243-245. — Paul Grelière, La commune de La Bachellerie pendant l’Occupation allemande, 1944, récit daté du 29 septembre 1944, Archives du Centre de Documentation juive contemporaine (CDJC), document XI°-35. Ce document est référencé in Bernard Reviriego, op. cit., p. 244, note 471 : relations de 21 pages datée du 29 septembre 1944, non signée, Arch. Dép. de Dordogne, 1573 W 8. — Jean-Marie Pouplain, Les chemins de la honte, itinéraire d’une persécution, Deux-Sèvres 1940-1944, La Crèche, Geste éditions, 2000. — Michel Chaumet, Surveillance et fuite, les Juifs de Niort en 1942, 2015, archives privées D. Tantin. — Jean-Marc Parisis, Les inoubliables, récit, Paris, Flammarion, 2014.
Internet (pages consultées le 29/10-2015) :
-  judaisme.sdv [on peut y consulter le "Rapport de Gendarmerie de La Bachellerie, du 9 novembre 1944 » qui relate avec précision le massacre du 30 mars 1944.]
-  memorial des juifs déportés
-  La bachellerie Périgord
-  325 division de sécurité
-  Walter Brehmer
-  Le Périgord dans la Sde GM

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