Né le 16 avril 1922 à Arras (Pas-de-Calais), fusillé par condamnation le 1er novembre 1943 à Arras ; cheminot ; militant communiste du Pas-de-Calais ; résistant.

Paul Camphin
Paul Camphin
Cliché fourni par la famille Camphin
Troisième enfant d’Eugénie et Maurice Camphin père, Paul Camphin prit part très jeune à l’activité du Parti communiste à Arras, comme ses deux frères aînés Maurice Camphin et René Camphin. Il adhéra aux Jeunesses communistes en 1935 à l’âge de treize ans. Entré à la SNCF comme son père, il y occupa un emploi de radio-électricien. Il seconda son frère René qui dirigea le rayon communiste d’Arras durant la période du Front populaire. Secrétaire de la cellule locale des Jeunesses communistes en 1938, il devint, l’année suivante, le responsable de l’organisation pour l’ensemble du rayon.
Engagé volontaire en 1939, il revint à Arras après l’armistice et se consacra au travail clandestin de la Jeunesse communiste, reconstituée dans le département par Julien Hapiot dès 1940. Il entra aux FTP dès leur création en avril 1942, dans le groupe de Charles Debarge, et passa alors dans la clandestinité. Il fut successivement chef de groupe, puis, le 20 juin 1942, responsable du détachement « Ignace Humblot » et, le 10 juillet 1942, il fut nommé sous-lieutenant FTP tout en ayant la responsabilité des Jeunesses communistes pour le département du Pas-de-Calais.
Le 24 octobre 1942 vers 21 heures, neuf policiers français de la Brigade spéciale de Lille et trois policiers allemands de la GFP (Geheime Fedpolizei, police secrète de campagne) cernèrent le café de la rue Roger-Salengro à Hellemmes. Un homme sortit précipitamment par l’arrière de l’établissement et prenait la fuite par les jardins.
L’ordre lui aurait été donné de s’arrêter par des inspecteurs, il continua à courir, un inspecteur tira à trois reprises avec son revolver blessant Paul Camphin aux jambes. Emmené au commissariat central de Lille, il déclara se nommer « Roger Delaby », et d’être sans domicile fixe. Il portait deux cartes d’identité avec deux dates de naissances différentes, une carte du personnel de la SNCF au nom de Roger Delaby, une carte de membre du Racing Club d’Arras au nom de Paul Camphin.
Les policiers saisissaient d’autres papiers qui ne laissait aucun doute sur son activité clandestine : une circulaire intitulée « Plan de mobilisation et d’action pour le soulèvement général » portant des instructions pour les membres des Francs-tireurs et partisans ; deux plans prison, l’un de Loos, l’autre de Cuincy portant au verso mention des effectifs des gardiens en vue d’une attaque ; un rapport sur l’emplacement des casernes et locaux de police et de gendarmerie de Lille ; une note succincte sur les mairies, locaux de police et logements des troupes de l’arrondissement d’Avesnes ; un rapport d’octobre 1942 sur la dotation de casques aux gardiens de la paix en cas de troubles ; enfin une carte textile au nom de Paul Desbonnet.
Il était depuis l’été 1942 l’un des adjoints du colonel Jules Dumont (« colonel Paul »), responsable militaire de l’interrégion Nord, Pas-de-Calais, Aisne, Ardennes, Meuse des FTP, à l’état-major interrégional de l’organisation militaire clandestine.
Paul Camphin relata dans la lettre poignante qu’il écrivit le 17 octobre 1943, treize jours avant son exécution, les circonstances de son arrestation et les étapes de sa terrible détention. Blessé à la cuisse et au genou lors de son arrestation, Paul Camphin fut emmené au commissariat central de Lille. Il y fut torturé par les policiers français du commissaire Rochat jusqu’au lendemain matin à 8 heures, refusa de parler et de tendre un traquenard à ses camarades, n’avoua son identité qu’au petit matin. Transporté sous la garde de la police à l’hôpital Saint-Sauveur de Lille, il y fut opéré deux fois au genou le 25 octobre et resta six jours dans le coma. Il fut ensuite transféré le 1er novembre 1942 à l’hôpital allemand (Calmette), y séjourna trois mois, puis fut emprisonné le 28 février 1943 à la prison de Loos, près de Lille, où il fut atrocement torturé des semaines durant, mais ne parla pas. À Loos, pendant deux mois et demi, il ne sortit de la cellule où il était isolé que pour les interrogatoires. Le 28 juillet 1943, il arriva au quartier allemand de la prison Saint-Nicaise d’Arras où les tortures reprirent jusqu’à sa mise en salle commune après sept mois d’isolement absolu.
« Malgré tout, je continuais de rire et de chanter, écrit-il dans sa dernière lettre ; je reste communiste français jusqu’au bout, je ne regrette rien, sauf de ne pas en avoir fait assez ; si je devais recommencer ma vie, je la recommencerais pareille à la première [...]. Je partirai au poteau en chantant « La Marseillaise » et « L’Internationale ». Condamné à mort le 6 octobre 1943 avec cinq autres résistants, dont Georges Louchet, par le tribunal militaire allemand qui siégeait à l’hôtel de ville d’Arras, Paul Camphin a été fusillé par des soldats de la Wehrmacht dans les fossés de la citadelle d’Arras le 1er novembre 1943 à 16 h 45 avec Georges Louchet, Georges Santerne et Alexandre Bove. À la fin de 1943, la direction des FTP donna son nom et celui de son frère Maurice, fusillé en mai 1943, au détachement no 12 des FTP du Pas-de-Calais.
Paul Camphin a été homologué Interné résistant et au titre des Forces françaises de l’intérieur (FFI).
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Dernière lettre
Arras le 17 octobre 1943
 
A mon grand Parti Communiste,
Dans quelques jours, mes camarades et moi allons partir pour le poteau d’exécution. j’irai la tête haute, avec la satisfaction du devoir accompli, et la conscience d’avoir été envers toi, mon cher parti, un militant fidèle. Membre des Jeunesses Communistes depuis 1935, aidé et conseillé par mon frère René, à qui je rendrai un suprême hommage ; je devins secrétaire du rayon des jeunes. Puis survint la guerre ; engagé volontaire, je restai un" an sous les drapeaux et, le honteux armistice signé, je revins à Arras auprès de mes camarades, continuer le combat. En mars 1942, j’entrai dans les Francs Tireurs Partisans, avec mon frère Maurice qui devait mourir héroïquement le 14 mars 1943, sous les balles allemandes, après avoir subi de longs mois de détention et de souffrances.
En avril 1942, je passai dans l’illégalité et, le 24 octobre 1942, .je fus blessé et arrêté à Hellemmes par neuf policiers français et trois allemands. Il était à ce moment neuf heures du soir ; la maison où je me trouvais fut cernée, les policiers me sommèrent dè me rendre de, fuir ; le policier français Delannoy, de Lille (Brigade spéciale) déchargea à trois reprises son revolver. Atteint d’une balle dans la cuisse et d’une dans le genou, je fus pris par ces policiers qui osent se dire Français. Je fus emmené au commissariat central de Lille ; là, jus qu’à huit heures du matin, ces policiers me torturèrent ; je fus frappé de coups de poings, de coups de matraqué sur. tout le corps ; le commissaire central Rochat me frappa lui-même de coups de pied, au visage, étant couché sur deux chaises et perdant le sang en abondance (le chirurgien déclara qu’il fallait de suite m’emmener à l’hôpital). Les tortures continuèrent de plus belle.
Je n’avouai mon nom qu’à cinq heures du matin, après avoir subi la pire des tortures ; ces policiers me mirent les parties sexuelles sur la chaise, et appuyèrent dessus avec les ,mains, ils utilisèrent à nouveau ce procédé pour me faire avouer et donner,
un rendez-vous avec les camarades, mais je déclarai ne pas connaître ces copains et ne pas avoir de rendez-vous. Enfin, le, 25 octobre 1942, à onze heures, Je- fus transporté à, l’hôpital. Saint-Sauveur dans un état de faiblesse extrême ; je restai six jours dans le coma, ayant subi .deux opérations au genou. J’étais gardé nuit et jour par quatre inspecteurs armés, bien que je fusse plâtré jusqu’à la poitrine ; je remercie, ici la soeur qui me soigna, les malades de la salle Henri-Follet, pour les douceurs qu’ils me procurèrent.
Le 12 novembre 1942, je fus transporté à l’hôpital allemand (Calmette) où je restai trois mois et demi. De là, je fus transféré au bagne de Loos où j’arrivai le 28 février. Huit jours après, j ’étais interrogé, suspendu par les poignets pendant cinq heures, je servais de punching-ball aux barbares qui servaient d’instructeurs. Une autre fois, je fus lié et couché sur, trois barreaux élevés à cinquante centimètres du sol, l’un aux pieds, l’autre aux reins, l’autre à la tête. ’y restai trois heures. A d’autres interrogatoires, on me mit le casque électrique, étant toujours frappé au nerf de bœuf avec une sauvagerie inouïe (mon dos est tout strié de cicatrices). Ils me laissèrent quatre jours sans manger, et ils me montraient la gamelle. Malgré ces tortures, je n’ai pas, donné un camarade, je n’en ai pas reconnu un seul, et j’ai toujours nié ce qui m’était reproché. Je reçus quatre colis, mais je me trouvais toujours seul en cellule, je fus deux mois et demi sans aller en promenade.
Le 28 juillet 1943, je quittai l’enfer de Loos et arrivai le soir même à : Arras ; là, je fus remis en cellule, mes colis furent supprimés, les tortures et l’interrogatoire recommencèrent Je niai les actes que l’on me reprochait, mais les terroristes instructeurs glissèrent des faux dans le dossier (je devais m’en apercevoir au tribunal) Enfin, l’on me mit dans une chambre commune , j’avais été plus de sept mois seul en cellule, tourmenté par la faim, par mes blessures, mais ma gaîté et mon moral n’avaient pas disparu.
Le 6 octobre 1943, un tribunal d’opérette - il fallut réveiller notre avocat pour plaider - nous condamna à mort à cinq, parmi lesquels mon vaillant camarade Georges Louchet qui fut pour moi un père. Malgré tout, je continuais de rire et de chanter ; je reste communiste français jusqu’au bout, je ne regrette rien, sauf .de ne pas en avoir fait assez ; si je devais recommencer ma vie, je la recommencerais pareille à la première. Je suis fier de. toi, mon grand Parti Communiste, fier de tes militants intègres qui meurent chaque jour sans avoir renseigné l’ennemi. Je partirai au poteau en chantant la Marseillaise et l’Internationale, la joie au cœur de voir ces hordes teutonnes reculer sous les coups de la vaillante Armée Rouge, de voir la résistance de notre pays, de voir mon parti plus fort que jamais. Cela ne me fait rien de mourir ; je sais que mes camarades et moi seront vengés ; chaque jour les traîtres et les soudards tombent sous les balles des Francs-Tireurs. Beaucoup d’entre nous sont morts ;je salue ici ces héros de la libération, parmi lesquels Julien Hapiot, à qui l’on offrit de fortes sommes pour trahir, Charles Debarge, Augustin Lozubaerts, Jules Dumont, Armand Pilard, mort devant moi par suite des coups reçus - il fut laissé étendu sur le sol pendant deux jours - mon frère Maurice, et combien d’autres encore.
Jeunes Français, souvenez-vous de ces héros ; leurs noms resteront synonymes’ de courage et d’honneur. D’autres camarades comme moi attendent, avec calme le dernier moment. Parmi eux se trouvent Georges Louchet, Georges Santerne et deux camarades gaullistes. Jeunes Communistes, Français, Francs-Tireurs, n’ayez aucune défaillance, ne vous laissez pas abattre, que le souffle du patriotisme et de la liberté qui nous anima reste chez vous plus vif que jamais, chassez l’ennemi du pays, frappez les traîtres, soyez sans pitié.
Il ne faut pas nous pleurer, mais élever toujours. plus haut le drapeau du combat ; vous nous vengerez, camarades. Honneur à vous tous qui nous avez suivis ; ceux qui sont morts et ceux qui vont mourir, vous disent merci.
Je vais bientôt quitter ma petite vie de vingt et un ans pour que les enfants de France soient libres et heureux ; je n’ai pas trahi la cause de mon parti, je pars le sourire aux lèvres, la chanson à la bouche ; la mort ne me fait pas peur.
Adieu, camarades Francs-Tireurs ! Adieu, Jeunes Communistes ! Adieu, mon beau parti ! Adieu, mon beau pays ! Celui qui va mourir vous salue.
Vive le Parti Communiste !
Vive la France !
Paul Camphin
Sources

SOURCES : Arch. Dép. Pas-de-Calais, M. 5140/1, M. 5221, M. 5334, 51 J 8. – Arch. PPo. GB 112 rapport du commissaire Jean Rochat (notes de Daniel Grason). – Bureau Résistance GR 16 P 103176. – Jean -Marie Fossier, Zone interdite, op. cit, p. 241-244. – Notice DBMOF par Yves Le Maner. – Jean Estager, Ami, entends-tu ?, op. cit., p. 77, 111, 129, 152-153. – Lettres de fusillés, préface de Lucien Scheler, Éd. France d’Abord, 1946, p. 23-27. — Archives du Pas-de-Calais, 3E 11 Arras 1913-1922, vue 24/73

Daniel Hémery

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