Exécution sommaire, sur place, de neuf maquisards Francs-tireurs et artisans (FTP) de la 1e compagnie FTP de Provence et du berger qui vivait à côté du maquis. Cette affaire est la première de ce genre en Provence. Elle marque une radicalisation de la répression. Les responsables de l’exécution appartiennent à la Wehrmacht et à la 8e compagnie Brandebourg, composée d’auxiliaires français, dont c’est la première tuerie dans le Sud-Est.

Le massif des Maures a vu naître l’un des premiers et l’un des plus importants maquis de la région provençale : le camp FTP Faïta, devenu fin 1943 la 1e compagnie FTPF de Provence. Ce maquis, menacé par l’armée italienne dans l’été 1943, attaqué par les GMR en septembre, puis par la Wehrmacht en novembre, traqué par les auxiliaires français de l’occupant (des éléments de la 8e Cie de la Division Brandebourg), a éclaté en détachements qui se dispersent dans le Var moyen. L’un d’eux, le détachement Guy Môquet (d’autres sources l’appellent Marat) vient vers la mi-novembre s’installer à Limattes, au nord de Toulon, sur le territoire de la commune de Signes. Ce groupe comprenait une douzaine de maquisards déterminés, français ou d’origine italienne (immigrés et deux anciens militaires), qui opéraient des coups de main toujours loin de l’endroit où ils stationnaient (jusque sur la côte des Maures). Le ravitaillement était assuré par des complicités locales.
Le maire de Signes visait probablement ce groupe quand, le 24 novembre, il signalait aux autorités françaises la présence d’"étrangers" dans le territoire de sa commune. Il leur attribuait de nombreux vols de lapins, de ruches et de poules. Les Renseignements généraux vinrent enquêter. Leur rapport du 15 décembre ne signalait pas de vols, mais confirmait la présence d’un groupe de "réfractaires" dans les bois et précisait que ce camp devait être un camp de transit vers le reste du Var ou les Basses-Alpes (appréciation sans doute provoquée par les liaisons qui joignaient les divers détachements de la compagnie entre eux). La police signalait aussi que le groupe jouissait de la connivence de la population qui restait "obstinément muette".
D’autres lettres parvinrent aux autorités. Le 16 décembre, le maire avisait les gendarmes. Le même jour, parvenait à Draguignan une lettre anonyme sur le même sujet. Le 21 décembre, le préfet écrivait au commandant de gendarmerie pour lui signaler cette présence et, le 27 décembre, il réitérait, en évoquant la présence de sept jeunes gens qui stationneraient aux Groupatières ainsi que les vols d’un mouton et d’un cochon (vols qu’il leur attribuait à tort car ils n’en étaient nullement les auteurs). Le préfet réclamait une action immédiate contre eux.
L’action, ce sont les Allemands qui la menèrent le 2 janvier 1944. Mais il n’est pas sûr qu’il y ait un lien direct entre les dénonciations précédentes et cette attaque. Depuis octobre, stationnait à Toulon puis Bandol un groupe Brandebourg. Ces groupes, dépendant de l’Abwehr, étaient spécialisés dans le repérage des maquis et leur infiltration, ces jeunes éléments se faisant passer pour réfractaires. Il est probable que ce groupe soit à l’origine de l’attaque, car d’autres détachements avaient connu des tentatives d’infiltration et les maquisards ne se cachaient guère ; certains fréquentaient les bals de l’hôtel des Acacias. Conscients du danger, les responsables de la 1e Compagnie avaient inspecté le détachement la veille ou l’avant-veille de l’attaque et lui avaient donné l’ordre de changer de lieu de stationnement.
Mais, le dimanche 2 janvier 1944, au petit matin, le groupe fut cerné dans la ferme de Limattes par environ 75 Allemands partis du Moulin du Gapeau où le propriétaire, suisse d’origine, les aurait accueillis. On entendit tirer à partir de 9 h.30, pendant 3/4 d’heure (d’autres sources disent 1h. 30). Les maquisards tirèrent jusqu’à épuisement de leurs munitions et brisèrent les crosses de leurs armes pour qu’elles ne puissent plus être réutilisées. Ceux-ci auraient eu des pertes, mais on ignore leur nombre. Deux maquisards, Alexandre Strambio et Lucien Henon, de retour de mission, avaient été interceptés juste avant l’attaque (l’un d’eux portait un uniforme pris en décembre aux gendarmes de Grimaud hostiles à la Résistance). Ils furent déportés (Henon n’en reviendra pas). Deux ou trois maquisards purent s’échapper ; les neuf autres furent faits prisonniers et fusillés avec le berger Honnorat qui habitait la ferme. Les maquisards furent retrouvés avec la tête criblée de balles, le berger avait été touché au bas-ventre.
L’affaire fit grand bruit et souleva une émotion considérable. Les ob¬sèques de certains des morts dans leur localité d’origine furent l’occasion de manifestations patriotiques imposantes. Ainsi, celles de Pierre Valcelli, retrouvé avec 36 impacts de balles et un bras cassé, à Salernes le 7 janvier et celles de Serge Venturrucci au Luc, le 9. Plusieurs journaux clandestins relatèrent l’affaire, notamment Résistance, journal de la Résistance de l’arrondissement de Draguignan. L’article, rédigé par Julien Cazelles (futur député socialiste du Var), fut utilisé par Maurice Schumann à la BBC quelques semaines plus tard, le 9 mars à 21h. 45. Quelques jours après, Philippe Henriot, chroniqueur patenté du régime à la radio officielle, tenta de réagir en niant l’évidence, c’est-à-dire la réalité de la répression sanglante dont Signes avait été le cadre ! La notoriété de l’affaire de Signes tient à son caractère précurseur : le massacre du 2 janvier est le premier de ce type en France, la première exécution sur place de maquisards et c’est ce qui lui donne une importance singulière, éclipsée par la suite par d’autres massacres plus importants, y compris dans la région.
L’éloquence de Maurice Schumann fit du massacre une épopée émouvante, à juste titre d’ailleurs. Les victimes avaient été obligées de creuser elles-mêmes la fosse où l’on allait les fusiller. Le jour du drame, dans l’après-midi, Raoul Maunier, un résistant du village, avait rencontré deux rescapés qui ne savaient pas ce qu’étaient devenus leurs camarades. L’un d’eux était sans doute Paul Rossi, chef du détachement, qui avait été blessé à la fesse, caché par le garde-champêtre Sansonnetti, opéré là par le docteur Sauvet de La Seyne, puis envoyé à Saint-Tropez pour être soigné. Accompagné de Sansonnetti et Ludovic Basset (un autre résistant qui ravitaillait le maquis), Maunier monta à Limattes le lendemain. Mais ce n’est que le mercredi 5 janvier que le charnier fut trouvé par Sansonnetti et les gendarmes, à 300 mères de la ferme, repéré par les pieds qui en émergeaient. Le lendemain, lorsqu’ils remontèrent avec le Parquet de Toulon, ils eurent la surprise de voir les cadavres déterrés, étendus sur l’herbe, recouverts d’une couverture, chacun portant épinglée une feuille de papier avec son nom. Un gendarme fit des photos, mais les Allemands lui confisquèrent l’appareil et la pellicule. Les corps furent descendus au village et enterrés ce jour-là en présence d’une partie de la population.
Parmi les FTP qui avaient pu s’échapper, se trouvait Lucien Jandrew dit "Le Tatoué". C’est probablement lui qui avait déterré les victimes. Ce maquisard, qui avait été l’un des premiers à rejoindre le camp Faïta, ancien légionnaire, se disant anarchiste, considéré non sans raison comme un « dur », était déjà suspect aux yeux de ses camarades, notamment pour avoir abattu sans ordre le chef de la Légion des combattants du Luc. Peut-être repéré lors des obsèques, il fut arrêté par le Sipo-SD le 9 janvier, fut retourné et devint l’un de ses agents, dénonçant en particulier l’état-major des FTP du Var et provoquant ainsi plusieurs arrestations à Toulon. Repérés eux aussi par un Brandebourgeois qui s’était présenté comme chef résistant chargé de remettre un secours aux familles des victimes, Basset et Sansonnetti furent arrêtés le même jour que Jandrew à l’Hôtel des Acacias. Ils ne revinrent pas de déportation (Ferrero François qui ravitaillait les FTP fut également l’une des victimes de la répression de l’occupant, mais l’on ignore la date et les circonstances de son arrestation).
Plusieurs habitants de Signes furent soupçonnés par les FTP et les résistants locaux d’être responsables du drame. Le 4 mai à 21h.30, les FTP exécutèrent le receveur-buraliste du village dont le fils avait été accusé d’avoir guidé les Allemands.
Liste des tués de Limattes :
ALPHONSO, officier aviateur de l’armée italienne.
BATTAGLIA Paul, 23 ans, ouvrier tailleur, Sainte-Maxime.
GIANNA Joseph,
HONNORAT Ambroise, 67 ans, berger.
HUON Amédée, 22 ans, région parisienne, pompier. Non
LAFONT Georges, 21 ans, matelot, originaire de Gironde.
PERRUCCA Jean, 24 ans, originaire de Savoie.
VALCELLI Pierre, 22 ans, ouvrier céramiste, Salernes.
VENTURUCCI Serge, 22 ans, ouvrier boulanger, Le Luc.
X inconnu, ex-soldat italien vraisemblablement.
Sources

SOURCES : Arch. Dép. Var, 1W88, 3Z16 8. — Archives Anacr Var. — Témoignages. — Presse locale. — Louis Gazagnaire, Le peuple héros de la Résistance. Témoignages de patriotes de Provence, Paris, Éditions sociales, 1971. — Jean-Marie Guillon, « De la mort de maquisards au souvenir de la Résistance. Signes (Var), 2 janvier 1944-2 janvier 2006 » in G. Buti et A. Carol dir., Comportements, croyances et mémoires, Europe méridionale XVe-XXe s. Etudes offertes à Régis Bertrand, Aix-en-Provence, PUP, 2007, p. 261-271.

Jean-Marie Guillon

Version imprimable