BRÉCHET André, Francis [Pseudonyme dans la Résistance : COURTOIS André]
Né le 23 août 1900 à Clichy (Seine, Hauts-de-Seine), guillotiné le 28 août 1941 à la prison de la Santé à Paris ; vérificateur de compteurs à la CPDE ; militant communiste ; résistant.
André Bréchet effectua son service militaire pendant deux ans, de 1920 à 1922 aux sapeurs-pompiers de Paris. Il avait rencontré, durant l’été 1920, Marie Boissy qui travaillait comme blanchisseuse dans une teinturerie ; il l’épousa le 9 septembre 1922. Ils habitaient 19 rue du Docteur Émile-Roux à Clichy et eurent un fils, Georges, en 1929. Marie Bréchet était adhérente du Comité mondial des femmes.
André Bréchet, qui avait participé aux manifestations des 6 et 9 février 1934, adhéra au Parti communiste en novembre 1935. Le 13 juillet 1937, il fut rattaché au comité de la 17e section, ayant pour tâche de s’occuper des cellules d’entreprises. Il fut désigné pour assister au congrès national d’Arles (1937) et fut élu secrétaire de la 17e section, pour « l’organisation et le travail dans les cellules d’entreprises ». Il prit part aux grèves de 1936 et à toutes les manifestations du Front populaire, en particulier celle du 16 mars 1937 à Clichy contre le PSF, à la suite de laquelle il anima la grève du 18 mars à laquelle participa la presque totalité de ses camarades de travail.
En 1939, il était secrétaire de la section communiste du XVIIe arrondissement de Paris et secrétaire du député Prosper Môquet qu’il citait comme garant dans son autobiographie de 1937. Avec la guerre, il fut rappelé comme sergent dans le corps des sapeurs-pompiers de Paris, participa aux combats, fut médaillé et cité plusieurs fois « pour actes de courage et de dévouement » et démobilisé en juin 1940. Depuis deux ans, il était fiché par les Renseignements généraux comme « responsable communiste ».
André Bréchet fut alors un des réorganisateurs du Parti communiste clandestin à Paris, comme adjoint de Rol-Tanguy. Il fut présent le 18 juin 1940, 12 avenue de l’Opéra, lorsque Maurice Tréand réunit quelques dirigeants communistes présents à Paris, dont Jean Catelas, pour leur dire que Jacques Duclos et lui-même avaient reçu consigne de l’Internationale communiste de tenter une démarche auprès des Allemands pour la reparution légale de l’Humanité. En novembre 1940, André Bréchet entra dans l’Organisation spéciale clandestine du parti et sa femme, qui travaillait dans une teinturerie de Clichy, se mit aussi à servir en assurant les liaisons, les ravitaillements et en distribuant des tracts à Levallois-Perret et Asnières (Seine, Hauts-de-Seine). Le 15 novembre eut lieu une première perquisition de la police. Sous le nom d’André Courtois, André Bréchet plongea dans la clandestinité et Marie Bréchet alla trouver refuge chez des amis. Deux semaines plus tard, elle revint chez elle, fut arrêtée le 2 novembre, ne dit rien et fut relâchée deux jours plus tard. À plusieurs reprises, elle revit André Bréchet qui, depuis mars 1941 était devenu un des adjoints de Rol-Tanguy, un des principaux dirigeants du parti dans la région parisienne.
André Bréchet organisa les services clandestins d’impression et de diffusion des publications clandestines et notamment de l’Humanité. La police l’arrêta le 29 juin 1941 à son domicile clandestin, 20 rue de Thorigny à Paris (IIIe arr.) et saisit neuf carrés de papier en langage chiffré. Décodés, ceux-ci fournirent les adresses de trente militants communistes et permirent de saisir dix-neuf duplicateurs, quinze machines à écrire et plusieurs tonnes de papier (rapport de police hebdomadaire du 24 juin au 8 juillet, Arch. Tasca). André Marty écrivit : grâce à son courage pendant les interrogatoires « aucune autre perquisition ni arrestation ne put être opérée par la police » (Arch. A. Marty, E XII). Le 3 juillet 1941, il fut conduit à la prison de la Santé et le 18 août, il fut condamné pour délits politiques à dix-huit mois de prison.
Depuis quelques semaines, l’occupant nazi avait accentué la répression contre les actes de résistance. Le 12 août 1941, le Maréchal Pétain dénonça « le vent mauvais » qui soufflait sur la France, en d’autres termes l’augmentation du nombre d’actes de résistance : aussi l’activité des partis politiques fut suspendue, interdiction fut faite aux francs-maçons d’exercer une fonction publique et obligation fut faite aux ministres et aux hauts fonctionnaires de prêter au chef de l’État serment de fidélité. Depuis la fin du mois de juin, la police avait accentué son action répressive – l’arrestation d’André Bréchet « dont on ne saurait trop souligner l’importance » (D. Peschanski, op. cit.) s’expliquait par ce contexte – ce qui inquiétait fortement le Parti communiste. Afin d’intensifier la lutte contre Vichy et l’occupant, il décida de recourir aux attentats individuels. Jusqu’alors, la répression communiste s’appuyait sur le décret du 26 septembre 1939 pris par le gouvernement Daladier portant dissolution du Parti communiste et faisant de sa reconstitution un délit passible de cinq ans de prison maximum. Sous l’impulsion du nouveau ministre de l’Intérieur, Pierre Pucheu et en étroite collaboration avec les autorités allemandes d’occupation dirigées par le général Von Stülpnagel, une loi d’exception avait été mise à l’étude le 11 août, créant des « Sections spéciales » ayant autorité pour juger de toutes les menées communistes ou anarchistes. La procédure était accélérée et les peines pouvaient aller jusqu’à la peine de mort. Le 19 août furent fusillés Henri Gautherot et Samuel Tyszelman qui, six jours plus tôt, avaient participé à une manifestation de résistance à Paris.
Le 21 août, Pierre Georges exécuta l’adjudant Alfons Moser à la station du métropolitain Barbès-Rochechouart. Le soir même, un conseil des ministres extraordinaire se tint à Vichy. Sous l’impulsion de P. Pucheu, toujours en liaison avec le général Von Stülpnagel, fut mise en chantier une loi d’exception qui, en réponse à l’attentat commis le matin même, devait, selon les exigences allemandes, aboutir à l’exécution de six responsables communistes avant le 28 août. Afin d’accélérer encore la procédure, cette loi pouvait avoir un effet rétroactif, monstruosité juridique, qui permettait de juger à nouveau des personnes déjà jugées. Les tractations se poursuivirent avec l’Occupant qui exprima sa satisfaction devant la procédure engagée. La loi qui parut au Journal officiel de l’État français le 23 août 1941 créa une « Section spéciale » et deux jours plus tard, le ministre de la Justice trouva les magistrats qui acceptèrent d’en faire partie. Cette Section spéciale fut installée le 25 août.
Il s’agissait dès lors de trouver les futurs condamnés à mort, et parmi eux au moins un Juif. Compte tenu de la faiblesse des condamnations encourues par les militants communistes emprisonnés par les autorités françaises, cela n’était pas chose facile. Après examen des dossiers, furent retenus les noms d’André Bréchet, Émile Bastard, Adolphe Guyot, Lucien Sampaix, Abraham Trzebrucki et Jacques Woog. Émile Bastard avait distribué des tracts communistes en octobre 1940 et été arrêté en janvier 1941 Lucien Sampaix, secrétaire général de l’Humanité depuis juillet 1936, avait été arrêté le 19 décembre 1939, s’était évadé le 25 décembre 1940 et avait été à nouveau arrêté le 27 mars 1941. Abraham Trzebucki, artisan casquettier, avait été condamné le 9 juillet 1941 à cinq ans de prison pour avoir collecté diverses sommes d’argent en faveur de l’organisation Solidarité, contrôlée par la IIIe Internationale. Adolphe Guyot, militant communiste, distribua des tracts de l’organisation clandestine et organisa la diffusion du matériel à Colombes (Seine, Hauts-de-Seine) ; des policiers du commissariat de Colombes l’arrêtèrent dans la nuit du 8 février 1941. Jacques Woog, membre du Parti communiste, coordonnait l’action de différents groupes de diffuseurs de tracts du secteur de Boulogne-Billancourt comprenant plusieurs arrondissements de l’ouest de Paris. Il organisa sur le VIIIe arrondissement neuf comités populaires certains dans les entreprises : SNCASO, CPDE, PTT, porteurs de la gare Saint-Lazare, cheminots de la même gare, hôtels et cafés, balayeurs, Compagnie des Eaux et un comité de femmes, au total 95 adhérents.
Le 27 août 1941, Abraham Trzebrucki puis André Bréchet et enfin Émile Bastard furent à nouveau jugés, chacun en quelques minutes, et condamnés à mort par cinq magistrats de la cour d’appel de Paris, en déni de toute justice. Abraham Trzebrucki et Émile Bastard furent condamnés à mort par quatre voix sur cinq, André Bréchet par deux sur trois seulement. Conscients de la gravité de leurs actes et craignant que l’exécution de Lucien Sampaix n’attire un jour des représailles, la majorité des juges refusa ensuite la condamnation à mort de Lucien Sampaix qui fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Dès lors, le « charme était rompu », le président ne « dominait plus son tribunal ». La Chancellerie se contenta des trois premières condamnations à mort et Jacques Woog et Adolphe Guyot ne furent pas jugés. Cependant, ils furent condamnés à mort par le tribunal d’État les 20 et 21 septembre 1941, ainsi que Jean Catelas, et guillotinés le 24 septembre. Lucien Sampaix fut conduit à la centrale de Beaulieu, à Caen, et fusillé le 15 décembre 1941 avec treize autres otages.
Émile Bastard, André Bréchet et Abraham Trzebrucki furent guillotinés dès le lendemain à la prison de la Santé, sans avoir eu la possibilité de pourvoi ou de recours. L’assistant du bourreau aurait relaté ainsi cette exécution : « André Bréchet se jeta littéralement sous le couperet de la guillotine en criant : ``Vive le Parti communiste français’’ » (Ivry, fidèle à la classe ouvrière, op. cit., p. 50 ; Alain Guérin, La Résistance, op. cit., t. 3 p. 131).
Il fut inhumé à Clichy dans le carré des fusillés 1939-1945.
La mention Mort pour la France fut attribuée à André Bréchet le 11 mars 1946 et il fut homologué sergent FFI à titre posthume.
Son nom figure sur le monument aux morts 1939-1945 à Clichy et une rue du XVIIe arrondissement à Paris porte le nom d’André Bréchet.
Sa femme, qui avait été internée au camp de Châteaubriant, survécut à la Seconde Guerre mondiale et resta proche du Conseil central des œuvres sociales (CCOS) puis de la Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) d’EDF-GDF.
Dernière lettremercredi 27 août 1941Ma petite femme chérie,Peut-être as-tu su déjà que je suis passé ce tantôt au Palais. Nous étions 13 du Parti. « Cortège spécial » dont mon voisin du dessus. Nous ne savions pas ce dont il agissait, cela du reste ne valait-il mieux en effet nous sommes passés en jugement ! pas d’avocat sinon un d’office, désigné immédiatement sur place, non instruit de l’affaire. Tribunal spécial, habillé de rouge, verdicts cinglants, brutaux pleins de haine, d’une société pourrissante qui se refuse à mourir.Et vois tu, ma chère petite Marie, toi qui as été tout pour moi depuis 20 ans, avec notre cher petit Georges, je te demande d’être très courageuse, de faire preuve de toute ton abnégation car hélas, tu en auras plus besoin que moi. . .Ces messieurs ont, en effet, décidé de m’infliger la peine la plus sévère qu’il soit possible d’envisager, celle au-delà de laquelle plus rien n’existe, oui, ma chérie, je suis...sois courageuse... condamné à la peine de mort !Vois-tu, l’autre jour, tu me disais tes appréhensions à ce sujet, je ne t’ai pas démentie, car il fallait, il faut encore s’attendre au pire, c’est le commencement. Oh va, l’avocat qui m’a défendu l’a fait courageusement, mais la peine était décidée d’avance.Demain matin, après-demain, ce soir peut-être, je ne serai plus qu’un souvenirTu parleras de moi quelquefois à notre chéri ... tu lui diras que son père est mort pour défendre sa vie à lui, la vie des humbles, des travailleurs, des ouvriers qui souffrent, et aussi pour notre beau pays de France.Lénine, je crois, a dit que la route qui mène à la victoire, était bordée de tombeaux, le mien s’ajoutera. aux autres, et si cela a pu permettre à la colonne d’avancer ne serait-ce que de quelques mètres, mon passage sur la terre n’aura,pas été vain. .Tu lui diras que je suis mort fièrement en communiste, ne regrettant rien de ma vie, toute d’honnêteté et de travail.Et toi, va ma chérie, ce sera je crois, l’une des dernières peines que je te causerai, pardonne-moi, saches que je meurs le cœur plein de vous tous, de vous deux surtout.A vous deux mes dernières pensées, et mes baisers, hélas, les derniers.Ton mari, ton père, qui pensera à vous jusqu’à sa dernière seconde.Vive le Parti communiste français !Vive la France !André Bréchet
Voir Paris (XIVe arr.), prison de la Santé, 1941-1944
SOURCES : DAVCC, Caen. — RGASPI : 495 270 2434, autobiographie du 11 décembre 1937 (évalué AS). — Arch. André Marty, E XII. — Réédition de l’Humanité clandestine (préface). — Jacques Duclos, Mémoires, t. 3, Paris, Fayard, p. 43-45, p. 312-313. — Ivry, fidèle à la classe ouvrière et à la France, Municipalité d’Ivry-sur-Seine, p. 50. — Alain Guérin, La Résistance, chronique illustrée, 1930-1950, Paris, 1972-1976, t. 3 p. 129, 131, 134 (fac-similé d’une lettre d’A. Bréchet à sa femme, datée 22 août 1941). — Hervé Villeré, L’affaire de la Section spéciale, Paris, Fayard, 1973. — Denis Peschanski, « La répression anticommuniste dans le département de la Seine (194-1942) », in Denis Peschanski (sous la dir.), Vichy 1940-1944. Archives de guerre d’Angelo Tasca, Paris/Milan, Éd. CNRS/Feltrinelli, 1986. — DBMOF, notice par Michel Dreyfus et Claude Pennetier. — État civil, Paris
Claude Pennetier