Né le 4 mars 1906 à Calais (Pas-de-Calais), fusillé comme otage le 30 mai 1942 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; esquisseur en dentelles ; militant communiste calaisien, secrétaire de la Région Nord du PCF, secrétaire fédéral du Pas-de-Calais (1936-1939), membre suppléant du comité central à partir de 1937 ; secrétaire de la section organisation du comité central du PCF, l’un des principaux organisateurs et dirigeants du Parti communiste clandestin pendant l’Occupation.

Félix Cadras
Félix Cadras
Félix Cadras naquit dans une famille d’ouvriers tullistes de Calais. Son père, lui aussi dessinateur industriel, était avant 1914 d’idées socialistes : il avait souscrit à la fondation de l’Humanité par Jean Jaurès (le journal fut toujours présent à la maison), mais non inscrit au Parti socialiste, il était, par anti-opportunisme, d’inspiration libertaire. Il fut tué, étant sergent, à la guerre en octobre 1915 ; sa veuve, ouvrière textile, éleva ses enfants, Félix et Georgette, dans des idées pacifistes et socialistes. Félix Cadras fut élève à l’école primaire puis, pupille de la Nation, à l’École primaire supérieure de la place de la République à Calais jusqu’à quatorze ans. Il s’inscrivit aux cours du soir de l’école d’arts décoratifs de Calais où il obtint le diplôme d’esquisseur (dessinateur) en dentelles. Il entra en apprentissage dès 1919 et travailla de 1923 à 1926 dans une petite entreprise (Beaugrand) avant de partir au service militaire. Il avait adhéré en 1924 à la Jeunesse communiste de Calais qui venait de se créer avec trois adhérents. Il effectua son service militaire comme maréchal des logis au 40e Régiment d’artillerie à Châlons-sur-Marne (Châlons-en-Champagne). Il connut à son retour six mois de chômage pendant lesquels il milita peu, trop occupé à rechercher un emploi. De 1928 à 1933, il travailla dans deux entreprises de Calais comme brodeur puis dessinateur avant de connaître à nouveau le chômage de 1933 à 1935. Il épousa Georgette Becquet qui était brodeuse à la machine et dont les parents étaient devenus concierges au théâtre municipal de Calais. Le père, qui avait auparavant été conducteur de camions, était trésorier du syndicat des communaux de Calais et adhérait à la SFIO. Au début de 1935, Cadras eut une petite fille. Licencié en raison de son action politique, il connut souvent la misère.
L’action militante de Cadras commença aux Jeunesses communistes, essentiellement dans les campagnes antimilitaristes contre l’occupation de la Ruhr et la guerre du Maroc. En novembre-décembre 1931, Félix Cadras demanda son adhésion au Parti communiste et il reçut sa carte le 1er janvier 1932. Il devint rapidement secrétaire de cellule et d’une section du Secours rouge.
Le chômage et les difficultés matérielles n’entamèrent en rien sa détermination et contribuèrent même à développer une sorte de rage de l’action. Il remplaça Georges Maquer à la direction du rayon de Calais au début de l’année 1934 alors que ce groupement avait perdu près des deux tiers de ses adhérents depuis 1930 et ne comptait plus que trois cents militants environ. Pour parvenir à enrayer cette évolution, Félix Cadras comprit l’importance d’une structuration des mouvements de chômeurs : il organisa plusieurs comités de quartier, des marches de la faim et tenta de développer l’aide financière en utilisant le canal de la section locale du Secours rouge international dont il était le responsable. Pendant ces dures années, il lut énormément et se dota de solides bases théoriques. Réfléchissant plus particulièrement sur la crise de l’industrie de la dentelle, il en étudia les causes, proposa des solutions pour tenter de la surmonter et, en 1934, fit paraître les conclusions de sa longue recherche dans une brochure intitulée Union pour sauver Calais de la misère qui eut pour double effet de faire connaître Cadras à ses concitoyens et de le faire remarquer par les responsables régionaux du PCF. Il fut immédiatement nommé rédacteur à l’Enchaîné, l’organe de presse communiste dans le Pas-de-Calais et le Nord, et devint l’un des secrétaires de la 1re Région du PCF (qui correspondait aux départements du Pas-de-Calais et du Nord), fonction qu’il assuma pendant plusieurs années. Il participa à la conférence nationale d’Ivry en juin 1934.
Pendant les années 1933-1935, Marcel Gitton et Charles Tillon lui confièrent le travail d’organisation et d’agitation dans les trois ports de Calais, Boulogne et Dunkerque. En 1934, membre du comité régional du Nord, il joua un rôle dans les journées de février, participant aux grèves des 12-14 à Calais et, la même année, à une grève des brodeuses. Le 1er mars 1935, il était devenu secrétaire régional du parti pour la région Nord.
En 1935, il prépara soigneusement les élections municipales et parvint à accéder avec neuf colistiers au conseil municipal de Calais à l’occasion du second tour sur une liste d’entente à majorité socialiste. Déjà signalé à la direction nationale du parti comme un jeune cadre de grand avenir (il avait tout juste trente ans) en raison de son efficacité au secrétariat de la région Nord, il fit partie, toujours en 1935, de la délégation française au VIIe et dernier congrès de l’Internationale communiste tenu à Moscou. Les remarquables dons d’orateur de Cadras, le caractère méthodique de son intervention firent forte impression, l’intégrant de facto dans le groupe des responsables de la nouvelle génération de communistes dont Maurice Thorez avait besoin à la tête du PCF.
L’année 1936 fut pour Cadras celle d’une intense activité à tous les niveaux. Après avoir mené une difficile campagne électorale (dans la 2e circonscription de Boulogne-sur-Mer) lors des législatives de mai, s’achevant par son retrait au second tour en faveur du candidat socialiste qui emporta le siège, Félix Cadras fut chargé de mettre en place une fédération départementale pour le Pas-de-Calais. Cette fédération, détachée de la région Nord, prit immédiatement un essor considérable grâce à l’élan formidable de juin 1936 auquel Cadras prit une part capitale en assurant la coordination des occupations d’usines dans les départements du Nord de la France.
Il fut élu secrétaire de la région Pas-de-Calais lors de la conférence régionale d’Henin-Liétard du 28 juin 1936. Il fut délégué au congrès de Villeurbanne. Il dénonça Kléber Legay et, en 1936, effectua un second « voyage d’études » en URSS qui devait être suivi de deux autres séjours avant 1939. Au début de l’année 1937, il quitta Lens où il s’était établi afin d’assumer ses fonctions de secrétaire fédéral et s’installa à Arcueil (Seine, Val-de-Marne) où il suivit pendant six mois, de février à août, les cours de l’École centrale du PCF. Considéré par Fajon comme « le meilleur élève de l’école », il fut chargé au bout de quelques mois de la direction du travail politique quotidien du centre de formation d’Arcueil.
Enfin, en toute logique, cette méthodique ascension trouva son aboutissement au congrès d’Arles, en décembre 1937, au cours duquel Félix Cadras fut nommé membre suppléant du comité central, ainsi qu’un autre jeune militant à la formation strictement parallèle, Jean Catelas. Ce parallélisme devait d’ailleurs être maintenu jusqu’à leur mort.
Peu après sa nomination au comité central, Cadras fut appelé à Paris par Maurice Thorez auquel l’unissait une profonde amitié, et il fut dès lors chargé « d’importantes fonctions » au sein du comité central. Il fut en effet promu à la direction de la section d’organisation et devint en outre membre de la commission des cadres et de celle de contrôle politique. Ce fut à ces postes-clés que la déclaration de guerre surprit Félix Cadras. Mobilisé le 4 septembre 1939 en tant que sous-officier d’artillerie, il resta en garnison à Boulogne-sur-Mer jusqu’à l’invasion de mai 1940 au cours de laquelle son unité dut se replier sur Les Sables-d’Olonne (Vendée). Pour éviter d’être fait prisonnier par la Wehrmacht, il parcourut près de 400 kilomètres à pied. Démobilisé de fait, il chercha à renouer le contact avec les dirigeants du PCF passés à la clandestinité. Avant la fin de l’année 1940, il parvint à établir de multiples liaisons en Zone sud et se chargea en particulier de l’édification des structures clandestines dans la région lyonnaise. Responsable de l’ensemble de la Zone sud avec Victor Michaut et Jean Chaintron, il fut appelé à Paris au début de l’année 1941 auprès de Jacques Duclos pour reprendre au sein de la direction clandestine du PCF les fonctions qui étaient les siennes jusqu’à la déclaration de guerre. Secrétaire à l’organisation, en rapport étroit avec Jacques Duclos et Benoît Frachon, Félix Cadras fut chargé d’une tâche essentielle, la liaison entre les différentes unités de l’appareil du parti (interrégions, régions), en mettant sur pied des groupes d’imprimeries, des dépôts de matériel, des chaînes de diffusion. Ce fut lui qui orienta, en 1941, les premières grandes actions auxquelles prit part le PCF clandestin, que ce soient les premières manifestations de rue à Paris ou la grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais.
Traqué par toutes les polices, il parvint cependant à sillonner la région parisienne pour participer aux premières réunions qui aboutirent à la constitution du « Front national ». En fournissant les moyens matériels nécessaires aux groupes d’action et de sabotage, il fut l’un des créateurs des unités qui allaient par la suite devenir les Francs-tireurs et partisans. Mais cette intense activité fut brutalement interrompue. Le 15 février 1942, une brigade spéciale de la police française arrêta dans un petit appartement au 119 boulevard Davout, dans le XXe arrondissement de Paris, un homme que ses voisins connaissaient sous le nom de Georges Dauvergne et qui n’était autre que Félix Cadras.
L’importance du personnage, connue par la police vichyste, se traduisit par une longue série d’interrogatoires destinés à obtenir les identités véritables des dirigeants du PCF clandestin, dont Cadras connaissait de surcroît certains des domiciles. Ayant échoué dans leurs tentatives pour faire parler Félix Cadras, les policiers français le livrèrent à leurs homologues tortionnaires de la Gestapo qui lui firent subir de nouveaux sévices, sans plus de résultat en raison du courage et de la résistance extrêmes de l’homme.
Il a été dit qu’il avait été condamné à la peine de mort après un simulacre de procès ; en fait il n’y eut pas de procès. Il fut incarcéré à la prison de la Santé, puis dans les quartiers de haute-sécurité de Fresnes où il fut placé seul dans une cellule, menottes aux poignets, enchaîné jour et nuit.
Le 30 mai 1942, Félix Cadras, entouré de plusieurs autres militants, a été fusillé comme otage par des soldats allemands dans les fossés du fort du Mont-Valérien ; ils chantaient la Marseillaise.
Si cette date marque la fin de la vie de Félix Cadras, elle constitue également le début de la légende de martyr que le PCF réserva après-guerre à quelques-uns de ses militants les plus purs, les plus nobles. Dans ce Panthéon tragique, des hommes mûrs et responsables de haut niveau, tels Cadras, Catelas et Fabien, côtoient la jeunesse et la spontanéité d’un Guy Môquet ou d’un Charles Debarge.
Autant que son action de militant et de résistant, ce fut le courage de Félix Cadras dans l’attente de la mort qui fit de lui un héros de la classe ouvrière au lendemain de la Libération. Si, dans les récits qui furent faits sur les quelques semaines qui précédèrent sa mort, certains éléments sont d’une authenticité douteuse (ainsi une phrase, reproduite dans un article de Casanova paru dans l’Humanité Dimanche du 30 avril 1950, que Félix Cadras aurait adressée à Maurice Thorez : « Dites à mon grand ami que je n’ai jamais failli à la confiance qu’il avait placée en moi. »), d’autres, par leur simplicité et leur lucidité, ont forgé l’image de Félix Cadras, héros du peuple. N’ayant pas eu l’autorisation d’adresser une lettre d’adieu aux siens, Félix Cadras serait parvenu à griffonner sur un mouchoir quelques mots destinés à sa famille qui venait de s’agrandir d’une deuxième fille qu’il ne connut jamais. Ce mouchoir fut retrouvé après sa mort, dissimulé dans le revers de son pardessus :
_ « 20 mai 1942 – 16 h 15 :
_ « Chéries,
_ « Je vous dis adieu. On vient m’annoncer que je serai fusillé ces jours-ci. Je meurs pour vous, pour notre cause, pour notre peuple. Aimez-vous bien en souvenir de père et de moi-même. Courage ! Bientôt vous serez heureuses et honorées car vous portez le nom d’un digne Français. Soyez unies et ne vous isolez pas des masses.
_ « Je vous ai beaucoup aimées et je m’en vais calme et tranquille. Soyez fières de moi. Toi, mère, sois fière de ton ``gamin’’, il n’a pas failli à son idéal, à votre idéal. Courage, Geo, ma grande, courage, chère femme. Courage mère adorée. À vous tous, amis, salut et soyez heureux, aidez les miens à supporter leur douleur. Je vous aime tous et toutes.
_ Votre Félix.
_ « Quels barbares ! Je suis encore en vie le 29 mai. Quelle cruauté. Mille baisers. Adieu. Je vous adore, ne pleurez pas. Aimez-vous bien surtout. »

Celui que Marcel Cachin appela « un jeune saint du communisme » est enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris, à quelques pas du Mur des Fusillés.
Félix Cadras a été fait chevalier de la Légion d’honneur, à titre posthume, par un décret paru au Journal officiel du 17 janvier 1961.
Sources

SOURCES : DAVCC, Caen, B VIII (Notes Thomas Pouty). – Arch. Nat. F7/13084. – Arch. Dép. Pas-de-Calais, M. 182, M. 5099 et M. 5221. – RGASPI, Moscou, 495 270 1776 : autobiographies du 20 juillet 1935 et du 13 décembre 1937. – Brochure éditée par la municipalité de Calais le 9 septembre 1973 à l’occasion de l’inauguration de l’école Félix Cadras. – Cahiers Maurice Thorez, no 27, mai-juillet 1972. – J.-M. Fossier, Zone interdite, op. cit. – J. Duclos, Mémoires, op. cit. – É. Fajon, Ma vie s’appelle liberté. – Renseignements fournis par la mairie de Calais.

Yves Le Maner

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