Né le 3 mai 1893 à Esplas-de-Sérou (Ariège), mort le 1er mai 1941 à Lasserre (Ariège) ; instituteur ; militant et élu socialiste de l’Ariège, député du Front populaire.

François Camel
François Camel
François Camel, fils de petits propriétaires exploitants agricoles, était le cadet d’une famille de six enfants. Il resta toujours en étroites relations avec ses parents et son village, mais il fut surtout élevé à Saint-Girons par un oncle artisan-tailleur. Il ne pouvait être question de garder six enfants sur un maigre bien familial. Comme le cadet, François, se montrait d’esprit très ouvert ; on le mit, après l’école élémentaire, au Cours complémentaire de Saint-Girons, d’où il entra, par concours, à l’âge de seize ans, à l’École normale d’Instituteurs de Foix. Enfant du peuple, ayant la double connaissance de la vie de travail à la terre et à l’atelier, il avait fréquenté l’enseignement primaire supérieur, l’école du peuple sous la IIIe République. À sa sortie de l’École normale, en 1912, il fut nommé instituteur dans le gros centre rural de Seix. Il y exerça un an avant de faire, comme tous les jeunes de sa génération, la cruelle expérience de la guerre. Appelé sous les drapeaux en 1913, il va au combat en 1914 comme simple soldat du 14e régiment d’infanterie de Toulouse ; il fut blessé en septembre 1914 à la bataille de la Marne. Après avoir été hospitalisé, il fit un séjour de quelques mois, à Saint-Gaudens, au 83e régiment d’infanterie et regagna le front avec les galons d’aspirant. Versé dans un bataillon de marche, il ne tarda pas à passer au 17e bataillon de chasseurs alpins, une de ces unités si durement éprouvées. Il y restera jusqu’à la fin de la guerre, y gagna les grades de sous-lieutenant puis de lieutenant, d’élogieuses citations et la Légion d’honneur. Sollicité pour faire carrière dans l’armée, François Camel refusa, regagna son Ariège natale et reprit sa tâche d’instituteur, avec sa femme comme collègue, au poste double de Lasserre, en octobre 1919. Quatre ans plus tard, il fut nommé directeur de l’École de garçons du chef-lieu de canton rural de Sainte-Croix où il exerçait encore en 1936 quand il fut élu député.
Tout en s’adonnant avec une conscience exigeante à son métier d’éducateur, François Camel s’intéressa à la vie publique. Dévoué à l’école laïque, passionnément attaché à la paix, enfant du peuple naturellement porté vers la démocratie, il s’enthousiasma pour la campagne du Quotidien, « fondé par plus de 60 000 Français et Françaises pour défendre et perfectionner les institutions républicaines ». Il participa, de ses deniers, au lancement du Progrès civique. Ce journal et cette revue qui n’étaient pas les organes d’un parti mais qui sonnaient le rassemblement de la gauche correspondaient à ses propres aspirations. S’il reprochait au radicalisme de n’être pas assez près des intérêts des travailleurs, il ne se sentait pas à même de choisir immédiatement au lendemain du congrès de Tours (décembre 1920), entre socialisme et communisme. Une conférence donnée à Saint-Girons par les adeptes de la IIIe Internationale et à laquelle il assista ne put le convaincre malgré la présence, parmi les organisateurs, d’un collègue instituteur. Le culte qu’il avait gardé, comme tous ses condisciples, pour son ancien professeur de lettres à Foix, M. Goron, lui faisait regarder avec sympathie le Parti socialiste auquel ce dernier était resté fidèle. Un de ses anciens camarades d’École normale, Marcel Papy, le pressait avec chaleur de rejoindre la SFIO. Mais la rigueur d’esprit et la conscience exigeante qui caractérisaient François Camel, lui firent différer un choix qu’il voulait fonder sur la raison seule. Ce n’est qu’en 1925 qu’il adhéra à la SFIO, mais il était alors un socialiste convaincu et il était décidé à être, non un simple cotisant, mais un militant. Il créa la section socialiste de Sainte-Croix dont il assura le secrétariat.
Depuis son entrée dans l’enseignement, François Camel s’était engagé dans l’action coopérative des instituteurs : il se trouva au syndicat national dès sa fondation et en 1924, il entra au Conseil syndical des instituteurs. En 1926, il fut élu conseiller départemental. Délégué de l’Ariège, il participa au congrès national de son syndicat à Rennes en 1928. Après la journée sanglante fomentée à Paris par les organisations fascisantes, le 6 février 1934, il fut un des organisateurs, dans l’Ariège, de la grève générale à l’appel de la CGT. François Camel donna aussi beaucoup de son temps à la cause des anciens combattants et victimes de la guerre, au sein de l’Union fédérale : il présidait l’association locale de Sainte-Croix et fut vice-président de la section ariégeoise de l’Union fédérale. Il participa aux congrès nationaux à Nice en 1926 et dans les années suivantes à Gérardmer et à Paris. Mais, aux approches de la Seconde Guerre mondiale, il combattit vivement l’orientation qui préparait les reniements du temps de Vichy et de l’Occupation allemande.
En vue des élections législatives de 1936, les sections socialistes de l’arrondissement de Saint-Girons le désignèrent comme candidat du Parti socialiste et le chargèrent de reconquérir le siège perdu en 1932 par le docteur Mazaud. Sa campagne électorale fut exemplaire. Il n’avait rien du bateleur de réunion publique ; il s’élevait au-dessus des querelles de clochers et des polémiques personnelles, pour exposer avec le sérieux et la sincérité qui émanaient de sa personne, la doctrine socialiste et les objectifs du Rassemblement populaire. Les termes de sa profession de foi sonnaient juste : il se disait éloigné de la « démagogie décevante » et de « l’utopie négative » mais acquis à « l’abolition des privilèges capitalistes, apanage des 200 familles » pour « permettre aux classes laborieuses, forces vives de la nation, de conquérir leur droit au travail et à la vie... » Il affirmait que « pour barrer la route aux hitlériens de France, il faut des hommes résolus, des républicains indéfectibles, des démocrates ardents ». Il allait se révéler un de ces hommes. Il fut élu au 2e tour de scrutin. Devancé au 1er tour par Vidal, candidat néo-socialiste (5 968 voix), Camel se classa en tête des candidats se réclamant du Front populaire, avec 3 802 voix, devant Galy-Gasparrou, radical (3 051) et Gauvin, communiste (862). Au ballottage il battit Vidal par 7 339 voix contre 6 851, triomphant malgré l’hostilité de la quasi-totalité des municipalités, radicales ou réactionnaires.
François Camel déploya une grande activité au Parlement, dans sa circonscription et au sein du Parti socialiste. Membre des commissions des Pensions civiles et militaires, de Législation civile et criminelle, il rédigea maints rapports sur les problèmes intéressant les anciens combattants, l’assistance aux vieillards, aux infirmes et incurables. La guerre venue, il entra à la commission de l’Armée et il accomplit plusieurs missions sur le front. Il intervint dans les discussions budgétaires et fut secrétaire de la Chambre des députés. Il maintint un étroit contact avec sa circonscription, multipliant les comptes rendus de mandat, et il s’efforça d’implanter plus solidement le Parti socialiste dans l’Ariège. Principal responsable de l’organe fédéral La Montagne, imprimé à Saint-Girons, il y écrivait non seulement un article de tête mensuel, mais aussi de vivants échos, de petites flèches acérées qui passionnaient ses lecteurs. Il donnait régulièrement au Midi socialiste, des articles de fond que reproduisait La Bourgogne républicaine de Dijon. Quand la montée des périls extérieurs divisèrent le Parti socialiste, François Camel se rangea résolument parmi ceux qui voulaient résister au fascisme du dehors comme au fascisme intérieur. Il fut farouchement anti-munichois et le dit dans la tribune libre du Populaire. Avec Georges Monnet*, Jean Bouhey*, Pierre Brossolette*, Daniel Mayer*, E. Thomas*, le Dr Amédée Guy*, Georges Izard*, Léo Lagrange*, Pierre-Bloch*, Tanguy-Prigent* et Pierre Viénot* il constitua le comité de rédaction de l’hebdomadaire Agir qui s’efforça de faire prévaloir l’esprit de résistance au sein du Parti socialiste. Il y assura la rubrique de la « laïcité », la défense laïque étant un de ses grands soucis en un temps où, sur ce terrain, les hommes de gouvernement multipliaient les faiblesses devant le cléricalisme. À la même époque, il se dressa contre la proposition de loi Miellet autorisant, en faveur de certaines catégories d’anciens combattants, des entorses aux lois du 1er juillet 1901 et du 7 juillet 1904 : « J’adjure les anciens combattants, écrivit-il dans Le Populaire, les vieux combattants républicains de 1914 de rester vigilants. Qu’ils ne permettent point qu’on se serve d’eux, qu’on puisse se servir d’eux à leur insu, pour œuvrer contre la République. » En décembre 1938, il fit créer au sein du Parti socialiste une « Commission de défense laïque » dont il assura le secrétariat. Au congrès national de Nantes (mai 1939), il lança un appel pour la défense de la laïcité, « un aspect de la défense républicaine ».
Dans le désarroi qui secoua le pays et les milieux politiques devant la défaite et l’invasion, François Camel resta lucide et fidèle à la ligne de conduite qu’il s’était fixée. Le 10 juillet 1940, à Vichy, il fut un des quatre-vingts parlementaires à refuser les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Il regagna l’Ariège où il allait se trouver exposé à toutes les haines que son action courageuse lui avait attirées et que les circonstances libéraient. Le 23 juillet 1940 au soir, il réunit la section socialiste de Saint-Girons pour un ultime compte rendu de mandat. Il écrivit ce qu’il se proposait de dire à ses camarades : à la Libération, ces pages furent éditées en un petit opuscule par la section de Saint-Girons. « Des jours sombres nous attendent sans doute, déclarait Camel. Nous avons le devoir de ne pas désespérer, de ne pas abandonner toute idée de combat pour la résurrection d’un régime de liberté. Mais, dorénavant, c’est avec prudence et dans le secret que nous devrons maintenir les liens qui nous unissent. Cette prudence, que je crois devoir vous recommander, sera la condition d’une action efficace... Pour cette action, vous me trouverez toujours avec vous, à votre tête - si on me laisse, du moins, la possibilité d’y être - car, vous vous en doutez, les menaces qui pèsent sur certaines têtes sont lourdes. »
Le grand souci de François Camel était d’empêcher les esprits de s’abandonner, de se rallier, par manque de confiance en l’avenir, au régime de Vichy. À cet effet, il multiplia les contacts avec les populations, en se rendant notamment dans les foires de la région. Il s’efforça, et il y réussit dans une large mesure, de contrarier le recrutement pour la Légion française des Combattants. Il se rendait assez souvent à Toulouse pour prendre contact avec d’autres camarades luttant en d’autres lieux. Au cours d’un de ses voyages, il rencontra Daniel* et Cléta Mayer* et il put désormais relier son action à celle du Parti socialiste renaissant dans la clandestinité, épauler celui-ci et en être épaulé. Après le 10 juillet 1940, en sa qualité de secrétaire de la Chambre, François Camel se rendit, une fois par mois, à la réunion du bureau convoquée par le Président Édouard Herriot, à son domicile à Vichy, 42, boulevard du Sichon. C’est au cours de son dernier voyage à Vichy, le 21 avril 1941, que Camel alla rendre visite à Léon Blum* à Bourrassol. Ses jours, alors, étaient comptés.
Le jeudi 1er mai 1941, Camel se rendit, à bicyclette, à la foire de Lasserre, à 8 km de sa résidence de Sainte-Croix. Un orage d’une violence exceptionnelle éclata vers quatre heures de l’après-midi et retarda son retour. Le soir, vers vingt heures, sa famille s’inquiéta de son absence prolongée et, son beau-frère venu au-devant de lui, à moto, trouva François Camel, à environ 5 km de Sainte-Croix, étendu à côté de sa bicyclette presque au milieu de la route, la tête baignant dans une flaque de sang. Son visage était encore chaud, mais il était mort. Curieusement, sa gabardine, pliée, sur le talus à droite de la route, paraissait avoir été déposée et non jetée. La roue avant de la bicyclette et le guidon étaient complètement tournés en arrière : mais si c’était là le résultat d’une chute, comment expliquer que le corps de la victime soit resté allongé parallèlement et près de la bicyclette ? Pourquoi le médecin légiste conclut-il à une fracture du crâne à la tempe gauche, sans faire état d’une plaie ouverte à la base de la nuque, remarquée par des témoins, et qu’une chute ne saurait guère expliquer ? En raison de ces constatations troublantes, et il y en avait d’autres, le Dr Mazaud, après examen, refusa le permis d’inhumer. Le parquet et la gendarmerie furent appelés, mais celui-là n’étant pas encore venu à 3 heures du matin, les gendarmes transportèrent le corps de Camel à la mairie de Lasserre. Le parquet ne put donc faire aucune constatation immédiate sur les lieux. On refusa au Dr Mazaud d’assister à l’autopsie et, seule, l’autopsie de la tête fut pratiquée ; le corps ne fut pas examiné : on conclut à une mort survenue par accident ayant provoqué une fracture du crâne. Aucune mention de la blessure à la nuque.
L’enquête de la PJ ne donna rien. La veuve de François Camel s’étant, constituée partie civile, le tribunal de Saint-Girons termina l’affaire par un non-lieu. Mais, une reconstitution de l’accident ayant été demandée par Mme Camel, en cours d’instruction, trois ingénieurs experts près la Cour d’appel de Toulouse procédèrent à cette reconstitution et conclurent « que la seule thèse possible est l’agression sur route ». Une seconde autopsie fut opérée, mais les professeurs qui la pratiquèrent ne tinrent aucun compte des circonstances de la mort et conclurent à une chute accidentelle de vélo, en forme d’hypothèse. Le tribunal de Saint-Girons conclut l’affaire par un non-lieu. Mme Camel ayant fait appel, la Chambre des mises en accusation de Toulouse confirma le jugement du tribunal de Saint-Girons en des termes assez stupéfiants. « Attendu, déclara-t-elle que la partie civile, dans son mémoire, réclame la poursuite de la procédure en vue de faire établir que M. Camel a bien été victime d’un meurtre et non d’un accident. Mais il est à considérer que la solution de cette question ne présente plus à l’heure actuelle qu’un intérêt tout théorique puisque l’hypothèse du crime a déjà été envisagée au cours de la première reprise du dossier, que toutes les recherches ont été effectuées pour en découvrir les auteurs et qu’elles sont demeurées vaines. Attendu qu’il convient, dans ces conditions, de confirmer l’ordonnance dont appel... » Comme si le but de la justice n’était pas, en dehors de toute considération, de faire éclater la vérité ! C’est ce que pensa Mme Camel en saisissant la Ligue des droits de l’Homme qui, à son tour, saisit, mais en vain, le Garde des sceaux.
Pour l’opinion locale, il ne faisait aucun doute que François Camel, le parlementaire socialiste fidèle à son idéal, le résistant courageux, le laïque intransigeant, avait été abattu sur une route solitaire, en pleine forêt, par les « hitlériens de France » auxquels il se promettait de « barrer la route » dans sa profession de foi de 1936. Dans le département d’avant-garde qu’est l’Ariège, son souvenir est resté vivant. Une belle avenue, une belle place, un Centre technique de jeunes filles perpétuent son nom, dans la vie de tous les jours, à Saint-Girons.
Sources

SOURCES : Arch. Ass. Nat., Dossiers biographiques. — Le Populaire, passim. — Agir, hebdomadaire de tendance du Parti socialiste (12 numéros). — La Montagne socialiste, 1er mars 1936. —Le Populaire. Dimanche, 29 avril 1951. — DPF, op. cit. — Renseignements biographiques apportés par Anna Camel, veuve de François Camel, en mars 1958. — Souvenirs sur l’homme et le député François Camel fournis à nous par son collègue et ami, le Dr Amédée Guy*.

Justinien Raymond

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