1941-2022. Quatre-vingtième-unième anniversaire des premières grandes exécutions d’otages
En octobre 1941 eurent lieu les premières exécutions massives d’otages par les Allemands. L’importance d’un événement se mesure à sa portée, et celle-ci fut considérable à plusieurs titres, répressif, psychologique et politique.
affiche du MBF : début de la politique des otages
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affiche du MBB annonçant des exécutions d’otages.
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Message de F.D. Roosevelt condamnant les exécutions d’otages.
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Chronologie des exécutions d’otages.
Source : Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty, op. cit.
Répartition géographique des exécutions d’otages. (1941-1943)
Source : Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty, op. cit.
Châteaubriant : mémorial de la carrière des fusillés.
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Mémorial du champ de tir du Bêle à Nantes.
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Monument commémoratif du cours des 50 otages à Nantes.
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Un tournant répressif
Ces exécutions concrétisèrent une dynamique meurtrière enclenchée par l’Allemagne à la suite de l’invasion de l’URSS à partir du 22 juin 1941. L’ennemi principal (fantasmé) est partout le judéobolchevisme. Une conviction au fondement de l’idéologie nazie dont les effets meurtriers – et vite génocidaires dans les territoires soviétiques conquis – se firent sentir dans les territoires occupés y compris à l’ouest où, jusqu’alors, les Allemands s’étaient efforcés de paraitre « corrects ».
En France occupée, de juin 1940 à l’été 1941, il y eut 120 fusillés après condamnations à mort, et aucun otage ne fut exécuté. La politique des otages visait en priorité des notables qui étaient libérés sans dommages. Les punitions collectives, amendes, couvre-feu, étaient privilégiées pour sanctionner les manifestations d’hostilité aux forces d’occupation. Au total, une répression « légale » relativement modérée alors que la Résistance était encore balbutiante et que le pays était assommé par la défaite, et encore massivement confiant en Pétain….
Durant l’été 1941, tout change. Le 14 août 1941, le général Otto Von Stülpnagel, à la tête du Militärbefelshaber in Frankreich (MBF), décréta que toute activité communiste était désormais passible de la peine de mort. Le 19 août, Samuel Tyszelman et Henri Gautherot, arrêtés à Paris lors d’une manifestation le 13 août, condamnés à mort le 18 août, furent exécutés à la Vallée aux Loups de Châtenay-Malabry. Le 21, Pierre Georges - le futur Colonel Fabien - qui venait d’abattre l’aspirant de marine Moser à la station de métro Barbès-Rochechouart, déclara à ses amis : « Titi est vengé. ». C’était le premier attentat meurtrier contre les troupes allemandes. D’autres suivirent rapidement.
Aussitôt le commandant du Gross Paris annonça « qu’à partir du 23 août, tous les Français mis en état d’arrestation, que ce soit par les autorités allemandes en France, ou qui sont arrêtés par les Français pour les Allemands sont considérées comme otages. En cas de nouvel acte, un nombre d’otages correspondant à la gravité de l’acte commis, sera fusillé […] Pour le choix des personnes dont l’exécution est proposée, il y a lieu de veiller qu’elles appartiennent (sic), autant que possible, à l’entourage des auteurs identifiés ou présumés des attentats. » Von Falkenhausen prit des dispositions similaires pour le Nord-Pas-de-Calais, zone rattachée au Militärbefehlshaber in Bruxelles (MBB) de Bruxelles, dans laquelle des attentats se produisirent dans la nuit du 24 au 25 août. Le 6 septembre, trois otages tombèrent sous les balles au Mont-Valérien, cinq à Lille le 15 septembre, puis vingt le 26 septembre. La répression montait en puissance, ce qu’allait tragiquement illustrer les exécutions massives d’octobre 1941.
Celles-ci furent préparées par les décisions prises au plus haut niveau du pouvoir nazi en septembre. Le 16 septembre 1941, ce qu’il est convenu d’appeler le décret Keitel (Feldmaréchal, chef de l’Oberkommando der Wehrmacht, OKW) relaya les directives de Hitler à tous les responsables des régions occupées : « dans tous les cas de révolte contre les forces d’occupation allemandes, il y a lieu, quelques puissent être les conditions particulières, de conclure à des origines communistes […] dans de tels cas, on peut généralement considérer la peine de mort pour 50 à 100 communistes comme le châtiment convenable pour la mort d’un soldat allemand. L’effet de terreur doit être accru par la méthode d’exécution ». Cette directive fut déclinée en France le 28 septembre 1941 par la promulgation du Code des otages du MBF placé sous l’autorité de Otto Von Stülpnagel : faute de pouvoir arrêter les coupables, l’occupant décida de représailles massives en priorité contre les communistes et les juifs déjà incarcérés, innocents des faits, mais « idéologiquement coupables ». Il énuméra ainsi les catégories parmi lesquelles il convenait de choisir les victimes :
« a) les anciens élus des organisations communistes et anarchistes, ainsi que les permanents ;
b) les personnes qui se sont adonnées à la diffusion de l’idéologie communiste par la parole ou par les actes, par exemple par la rédaction de tracts (intellectuels) ;
c) les personnes qui ont montré par leur comportement qu’elles étaient particulièrement dangereuses (par exemple, agresseurs de membres de la Wehrmacht, saboteurs, receleurs d’armes) ;
d) les personnes arrêtées pour distribution de tracts ;
e) les personnes arrêtées récemment à la suite d’actes de terreur ou de sabotage en raison de leurs relations avec l’entourage des auteurs supposés desdits actes. »
La mise en œuvre de cette politique ne tarda pas, en riposte aux attentats de Nantes et de Bordeaux. Le 22 octobre, 48 otages furent exécutés en Loire-Atlantique, à Châteaubriant (27 otages du camp d’internement français de Choiseul) et à Nantes (16 des prisons de Nantes au champ de tir du Bêle) ainsi qu’au Mont-Valérien (5 otages du Fort de Romainville) en représailles à l’exécution du Feldkommandant Karl Hotz à Nantes le 20 octobre par un commando composé de Gilbert Brustlein et Guisco Spartaco, de l’Organisation spéciale de combat (OS) du Parti communiste français (PCF) clandestin. Le 24 octobre, 50 otages dont 35 détenus au camp de Mérignac et 15 au fort du Hâ, furent exécutés au camp de Souge (Gironde) en représailles à l’exécution le 21 octobre 1941, d’un officier allemand, conseiller d’administration militaire (Kriegsverwaltungsrat) Hans Reimers, abattu à Bordeaux par un militant communiste, membre de l’Organisation Spéciale (OS), Pierre Rebière.
Le 15 décembre 1941, le bilan fut particulièrement tragique puisque 95 otages tombèrent sous les balles des pelotons, 69 au Mont-Valérien, 13 à Caen, 9 à Châteaubriant et 4 à Fontevrault. Gabriel Peri, député communiste, et Lucien Sampaix, secrétaire général de l’Humanité, figuraient parmi les victimes. 52 étaient d’origine juive.
Au total, sur les 243 otages qui tombèrent de septembre à décembre 1941, on recense 154 communistes non juifs, 56 juifs dont une majorité de communistes, 17 considérés comme gaullistes, 4 reconnus coupables de violences contre des soldats, 5 pour détention illégale d’armes. Ces statistiques sont fondées sur le dépouillement des archives de Vichy (ministère de l’Intérieur et Délégation Générale dans les Territoires Occupés sous la responsabilité de de Brinon) d’une part, et des autorités d’Occupation (MBF et MBB) d’autre part.
Il faut ajouter que parallèlement, les condamnations à mort se multiplièrent. Désormais les recours en grâce furent rejetés à plus de 80% contre 25% dans la période antérieure.
Un tournant psychologique
Dans l’opinion française, les premiers attentats et l’ampleur des représailles suscitèrent d’abord stupeur et réprobation. Le coût de ces actes de résistance parut disproportionné. Le PCF clandestin n’osa d’ailleurs pas revendiquer ces attentats.
Mais l’esprit public allait rapidement basculer devant l’horreur de la répression. L’émotion fut intense dans tout le pays et à l’étranger. A Londres, De Gaulle prit la parole à la BBC dès le 23 octobre 1941. S’il affirma d’emblée qu’« il est absolument normal, il est absolument justifié que les Allemands soient tués par les Français. Si les Allemands ne voulaient pas recevoir la mort, ils n’avaient qu’à rester chez eux et ne pas nous faire la guerre. Tôt ou tard d’ailleurs, ils sont tous destinés à être abattus soit par nous, soit par nos alliés », il donna pour « consigne […] pour le territoire occupé, c’est de ne pas y tuer ouvertement d’Allemand. Cela pour une seule mais très bonne raison, c’est qu’il est en ce moment trop facile à l’ennemi de riposter par le massacre de nos combattants momentanément désarmés ». Cette position, qualifiée d’attentiste, fut critiquée par les Résistants, notamment communistes, partisans d’une action armée immédiate, débat qui se poursuivit jusqu’à la veille de la Libération. De Gaulle appela la population à une grève symbolique de protestation le 31 octobre de 16h à 16h05, et le 11 novembre, la ville de Nantes devint Compagnon de la Libération. Un tract fut largué sur la France par la RAF portant les messages de Winston Churchill et de Franklin D. Roosevelt condamnant les fusillades d’otages.
La presse et les éditions clandestines se firent l’écho de cette émotion, et bientôt, les dernières lettres des fusillés y furent imprimées. En janvier 1942, Louis Aragon rencontra à Nice Joë Nordmann, missionné par le docteur Bauer afin de lui remettre les documents rédigés par les témoins de l’exécution des otages de Châteaubriant, accompagnés d’un message de Jacques Duclos – un des membres du triangle de direction du PCF clandestin avec Benoît Frachon et Charles Tillon - : « Fais de cela un monument. » Le texte sans titre et anonyme, rédigé en février, fut recopié, imprimé et diffusé jusqu’en 1944.
Ces fusillades s’inscrivirent dans la mémoire collective de manière durable et eurent l’effet opposé à celui recherché : elles donnèrent une puissante impulsion à la Résistance.
Un tournant politique
En effet, ces fusillades massives se révélèrent contreproductives pour l’occupant, mais aussi pour Vichy dont la responsabilité fut totalement engagée dans la mise en œuvre des représailles.
Contreproductive pour l’occupant : le voile de correction fut déchiré irrémédiablement et les otages devinrent autant de martyrs à venger. Les attentats se poursuivirent sans que la poursuite des fusillades d’otages ne constituât l’arme dissuasive sur laquelle comptaient les Allemands, bien au contraire. Une impulsion décisive fut donnée à la Résistance.
Contreproductive pour Vichy, qui dans cette affaire, loin d’avoir été un bouclier, s’était montré complice de l’occupant. Pierre Pucheu, ministre de l’intérieur de Pétain, fournit aux Allemands une liste de 61 otages en désignant principalement des communistes, liste dans laquelle les Allemands allaient choisir les victimes de Châteaubriant et de Nantes. Mais les Allemands constituèrent des listes qui comprenaient aussi des Gaullistes -réseau Vendermotte et Georges France à Nantes, Alliance de la Jeunesse à Bordeaux – afin de frapper tout le spectre de la Résistance en formation. Pire encore : à la suite de l’attentat du métro Barbès, Vichy voulut prouver aux Allemands sa détermination et mit en place des tribunaux d’exception destinés à combattre la subversion communiste. Dès le 22 août 1941, virent le jour les sections spéciales près les Cours d’Appel. La loi fut antidatée au 14 août et rétroactive – au mépris d’un principe fondamental du droit – et dès le 28 août, trois communistes furent guillotinés.
Un Tribunal d’État prononça aussi plusieurs condamnations à mort. Le « vent mauvais » dont Pétain s’inquiétait dans son discours radiodiffusé du 12 août 1941 se mit bientôt à souffler en tempête.
Enfin, les attentats et l’application de la politique des otages déclenchèrent une crise au sein des autorités d’occupation provoquant une réorganisation d’une répression combinant fusillades et déportation.
Otto Von Stülpnagel, conscient du caractère contreproductif des exécutions massives d’otages, en désaccord avec cette politique, demanda à être relevé de ses fonctions. Il fut remplacé par son cousin Karl-Heinrich Von Stülpnagel. Mais Hitler estimait désormais que la Wehrmacht manquait de détermination et d’efficacité dans sa lutte contre la Résistance et il s’en suivit une série de dispositions qui réorganisèrent considérablement le système de répression.
Dans un premier temps, les tribunaux de la Wehrmacht étant jugés trop laxistes, la déportation de répression prit de l’ampleur avec le décret Keitel dit « Nuit et Brouillard » du 7 novembre 1941 suivant lequel ne seraient à juger dans les pays occupés que les crimes à coup sûr justiciables de la peine de mort et à condition que celle-ci puisse être appliquée dans un délai inférieur ou égal à huit jours ; les inculpés ne remplissant pas ces deux conditions étaient à déporter en Allemagne dans un secret absolu. Cette disposition était censée avoir un effet de terreur comparable aux fusillades.
Dans un second temps, la direction de la répression en France fut transférée de la Wehrmacht à la SS. En mars 1942 fut créé le poste de chef suprême des SS et de la Police en France, lequel fut confié au général SS Karl Oberg qui prit ses fonctions le 1er juin. Le 22 avril 1942, les compétences du pouvoir d’exécution en matière de police avaient été transférées du MBF à la Sipo-SD. Celle-ci poursuivit les exécutions massives d’otages puis, en novembre 1942, décida leur abandon pour ne pas freiner le recrutement de travailleurs pour l’Allemagne et parce que, avec l’aide de la police française (Brigades spéciales, Sections des Affaires politiques), la majorité des responsables des attentats étaient dorénavant arrêtés. La politique des otages fut toutefois réactivée à la suite de l’exécution par un détachement des Francs-Tireurs et Partisans-Main d’œuvre Immigrée (FTP-MOI), le 28 septembre 1943 à Paris, du Dr Ritter, général SS et envoyé personnel de Saückel en France pour le Service du Travail Obligatoire (STO) ; le 2 octobre, 50 otages furent extraits du camp de Romainville et passés par les armes au Mont-Valérien. Ce fut le dernier épisode de la politique des otages.
Les historiens Jean-Pierre Besse et Thomas Pouty estimèrent dans leur étude sur les Fusillés publiée en 2006 à 814 le nombre d’otages fusillés entre 1941 et 1943 dans la zone occupée dépendant du MBF et la zone rattachée au MBB. La recherche se poursuit afin d’affiner la connaissance du tragique bilan de cette modalité de répression. Le présent Dictionnaire en ligne en recense actuellement 819. La comparaison des corpus des condamnés et des otages révèle de sensibles différences. Ces derniers sont en moyenne plus âgés - Guy Môquet fait exception à la règle - puisque ce sont souvent des militants syndicaux et politiques relativement chevronnés, arrêtés d’ailleurs en raison de leur notoriété par Vichy et les Allemands. La carte des exécutions des otages dans le cadre de la politique allemande spécifique menée entre 1941 et 1943 prouve que cette modalité de répression n’a été appliquée qu’en zone occupée, y compris après l’invasion de la zone sud. On remarque aussi la concentration géographique des exécutions d’otages, décidées centralement et accomplies majoritairement dans un petit nombre de sites, Mont-Valérien, région nantaise, région lilloise (Fort du Vert-Galant, citadelle), Caen, Souge près de Bordeaux, non loin de camps d’internement et de garnisons importantes. Les exécutions après condamnation sont beaucoup plus dispersées, à instar des tribunaux des Feldkommandanturen.
Lorsqu’en 1944, des représailles furent exercées, ce n’était plus dans le cadre de cette politique, mais dans un contexte nouveau dans lequel la répression extra judicaire devint largement prédominante.
Les traces mémorielles de ces exécutions sont considérables. Des monuments furent érigés sur les lieux des supplices et chaque année des cérémonies commémoratives s’y déroulent, qui prendront une ampleur particulière en ce 80e anniversaire. À Nantes, l’une des principales artères de la ville a pris le nom de Cours des 50 otages et un monument à leur mémoire s’élève à l’une de ses extrémités. La carrière où périrent les 27 de Châteaubriant est un lieu de mémoire particulièrement emblématique des exécutions d’otages.
Lien vers les notices biographiques des 819 otages
Pour aller plus loin :
Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty, Les fusillés, Répression et exécutions pendant l’Occupation (1940-1944), Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2006.
Ahlrich Meyer, L’Occupation allemande en France, 1940-1944, Toulouse, Éditions Privat, 2002.
Gaël Eismann, Hôtel Majestic, Ordre et sécurité en France occupée (1940-1944), Paris, Tallandier, 2010.
Chemins de mémoire : la politique des otages sous l’Occupation, Denis Peschanski et Thomas Fontaine
Dominique Tantin