Le village de Rimaison en Bieuzy-les-Eaux, où seize résistants ont été exécutés sans jugement en juillet 1944, fait partie des nombreux lieux d’exécution et de mémoire qui jalonnent le département du Morbihan.

Les sépultures </br>d'Alain de Kérillis et de Jean Pessis</br> dans le cimetière de Bieuzy-les-Eaux
Les sépultures
d’Alain de Kérillis et de Jean Pessis
dans le cimetière de Bieuzy-les-Eaux
Sur le monument de Rimaison
Sur le monument de Rimaison
L'accès au site de Rimaison
L’accès au site de Rimaison
SOURCE :
Photos Jean-Pierre et Jocelyne Husson
Au début du mois de juin 1944, le 2e Régiment de chasseurs parachutistes (RCP) ou 4e SAS (Special Air service) des Forces françaises libres (FFL) fut largué dans le secteur de Plumelec-Sérent-Saint-Marcel-Malestroit (Morbihan). Sa mission était de fixer les troupes allemandes stationnées dans le Morbihan, afin d’empêcher ou au moins de retarder l’arrivée des renforts allemands sur le front de Normandie. Plusieurs milliers de résistants appartenant aux Forces françaises de l’intérieur (FFI) et aux Francs-tireurs et partisans français (FTPF) furent regroupés et armés dans le camp de Saint-Marcel qui recevait chaque nuit des parachutages d’hommes, d’armes, de munitions et de Jeep. Le commandant Pierre Bourgoin, chef du 4e SAS et le colonel Morice, chef des FFI du Morbihan, établirent leur quartier général à la ferme de La Nouette située sur le territoire de la commune de Sérent. Dans la nuit du 17 au 18 juin 1944, considérant que cette concentration devenait très dangereuse et qu’il fallait plutôt privilégier la guérilla, le commandement interallié donna, mais trop tard, l’ordre de dispersion.
Le 18 juin 1944, le camp de Saint-Marcel où étaient stationnés un peu plus de deux mille FFI encadrés par deux cents SAS, fut attaqué en force par la Wehrmacht. Après avoir livré combat durant toute la journée en infligeant de lourdes pertes aux troupes allemandes, parachutistes SAS et FFI se replièrent en bon ordre et se dispersèrent.
Après cette dispersion, la Feldgendarmerie, la Wehrmacht appuyée par de nombreux détachements de soldats russes, géorgiens et ukrainiens rassemblés dans les « unités de l’Est », les agents de l’Abwher (service de renseignements de la Wehrmacht) et du SD (Sicherheitsdienst), service de sûreté de la SS, ainsi que leurs auxiliaires français, les miliciens du Bezen Perrot et du Parti national breton, se lancèrent dans une traque implacable des parachutistes SAS, des FFI-FTPF, de leurs dépôts d’armes, et de tous ceux qui les hébergeaient et les ravitaillaient. Rafles, arrestations, tortures, et exécutions sans jugement de SAS et de résistants, incendies de fermes, pillages et massacres de civils se multiplièrent dans tout le département du Morbihan.

Le 18 juillet 1944, après avoir été torturés pendant plusieurs jours, quatorze résistants détenus dans l’école supérieure de jeunes filles de Pontivy (Morbihan), où une prison avait été aménagé dans la cave, furent embarqués dans un camion bâché et emmenés près des ruines du château de Rimaison situées à quelques centaines de mètres du village de Bieuzy-les-Eaux (Morbihan). Ils y ont été exécutés au bord d’un ruisseau, à l’écart de la RN 156 reliant Bieuzy-les-Eaux à Pontivy (Morbihan). Leurs cadavres ont été abandonnés sur place. Parmi ces résistants exécutés sans jugement, se trouvaient cinq parachutistes SAS des Forces françaises libres (FFL), appartenant au 4e Bataillon SAS, et des maquisards des Forces françaises de l’intérieur (FFI).
Cette exécution a été préparée, organisée et mise en œuvre par deux agents du SD de Pontivy, Ferdinand Fischer et Hermann Wenzel, avec la complicité du capitaine Walter Holz, officier de la Wehrmacht qui commandait la compagnie de sécurité du quartier général du 25e Corps d’armée. Ce dernier avait reçu l’ordre de mettre à la disposition du SD une trentaine d’hommes et six camions. Les SAS et les résistants furent extraits d’un camion bâché, les mains entravées par des menottes, et conduits au bout d’un sentier où ils furent abattus par Fischer et Wenzel.
Selon Rubert Zeilmaïer, chauffeur du capitaine Holz, interrogé comme prisonnier de guerre, aucun agent français n’a participé aux exécutions de Rimaison.
Le charnier de Rimaison ne fut découvert que le 28 juillet 1944 par des cultivateurs qui moissonnaient un champ et dont les chevaux se cabrèrent et refusèrent d’avancer en raison de l’odeur pestilentielle des cadavres en voie de décomposition. L’identification des corps mutilés, qui furent inhumés dans le cimetière de Bieuzy-les-Eaux, fut longue et difficile :
- Pierre Mourisset, le 17 août 1944, membre du BOA (Finistère)
- Robert Jourdren, le 3 octobre 1944, membre du BOA (Finistère)
- Alain Calloc’h de Kerillis, parachutiste SAS, le13 octobre 1944
- Jean Pessis, parachutiste SAS, le 17 janvier 1945
- André Cauvin, parachutiste SAS, le 29 avril 1945
- Jean Fleuriot, parachutiste SAS, le 3 mai 1945
- Émile Le Berre, résistant (Côtes-du-Nord, Côtes d’Armor), le 17 juillet 1945
- Maurice Penhard, résistant (Côtes-du-Nord, Côtes d’Armor), le 17 juillet 1945
- Robert Rouillé, résistant (Côtes-du-Nord, Côtes d’Armor), le 17 juillet 1945
- François Le Pavec, résistant (Côtes-du-Nord, Côtes d’Armor), le 17 juillet 1945
- Claude Sendral, le 19 août 1947, membre du BOA (Finistère)
- Louis Claustre, parachutiste SAS, le 20 juillet 1950
Deux d’entre n’ont pas pu être identifiés, qui pourraient-être Édouard Paysant et son radio, René Halimbourg, portés disparus.

Registre des décès de Bieuzy-les-Eaux :
« Corps n° 5 - Acte de décès n° 21 : Ce 29 juillet nous avons constaté le décès d’un individu du sexe masculin, dont l’identité n’a pu être établie et dont la mort parait remonter à 11 jours. Le corps a été découvert au lieu-dit Rimaison sur la route de Sourn à Bieuzy. Le signalement est le suivant : taille environ 1m72 ; vêtements, veste et pantalon bleus, marque La Belle Jardinière ; souliers montants cloutés.
Dressé le 29 juillet par Nous, Alexis Le Marec, maire de Bieuzy, ayant procédé sur les lieux à l’identification du corps. »
« Corps n° 13 - Acte de décès n° 28 : Ce 29 juillet nous avons constaté le décès d’un individu du sexe masculin, dont l’identité n’a pu être établie et dont la mort parait remonter à 11 jours. Le corps a été découvert au lieu-dit Rimaison sur la route de Sourn à Bieuzy. Le signalement est le suivant : chaussures Richelieu marron clair ; chaussettes lie de vin tachetée"s jaune et blanc ; pantalon lainage bleu uni ; cravate bleue à rayures espacées rouges et blanches ; couteau rouge avec tire-bouchon marque Café du Brésil ; mouchoir rayures rouges et noir marqué H. E.
Dressé le 29 juillet par Nous, Alexis Le Marec, maire de Bieuzy, ayant procédé sur les lieux à l’identification du corps. »

D’abord inhumés dans le cimetière de Bieuzy-les-Eaux, les corps de ces deux « inconnus » furent transférés en 1961 dans l’ossuaire de la nécropole nationale de Sainte-Anne d’Auray (Morbihan), ce qui ne permet plus d’effectuer une analyse ADN.

Fischer et Wenzel, les tortionnaires du SD, auteurs des exécutions de Rimaison, quittèrent la Bretagne avant l’arrivée des Alliés. Ils furent poursuivis par contumace dans la procédure dite de la Gestapo de Rennes ouverte devant le tribunal militaire permanent de Paris. Wenzel, insuffisamment identifié, bénéficia d’un non lieu. Fischer fut condamné à mort par contumace et pourrait avoir été tué sur le Front de l’Est en avril 1945.
Le capitaine Holz, replié dans la Poche de Lorient, y fut fait prisonnier le 10 mai 1945. Le 28 janvier 1950, le tribunal militaire de Paris l’a déclaré coupable, outre sa participation à d’autres crimes, de complicité dans les exécutions de Rimaison, et l’a condamné à la peine de mort. Le 14 décembre 1950, après deux arrêts de cassation, le tribunal militaire permanent de Marseille l’a déclaré non coupable dans la tuerie de Rimaison, mais l’a condamné à la peine de travaux forcés à perpétuité en raison de sa participation à d’autres crimes. Le 2 mai 1952, cette peine a été commuée par décret présidentiel en 20 ans de prison. En 1954, il a bénéficié d’une libération conditionnelle et a été expulsé hors du territoire français.
Le milicien Maurice Zeller a été jugé, condamné à mort et fusillé en 1946.

Dès 1945, un comité pour la construction d’un monument commémoratif fut constitué. Une souscription publique fut ouverte à Bieuzy-les-Eaux et dans les communes voisines. Le monument de Rimaison, qui fut inauguré le 21 juillet 1946, se dresse à l’emplacement de l’exécution, en retrait de la route, au bout d’une allée de galets balisée par des barrières blanches. À l’entrée de cette allées se dresse un panneau sur lequel on peut lire :

« Passant souviens-toi… Le 18 juillet 1944, quatorze Maquisards et parachutistes Français, faits prisonniers à l’annexe du lycée de Pontivy, servant alors de prison à l’armée Allemande, furent horriblement torturés et mutilés. Conduits en cet endroit choisi par les Nazis comme théâtre de leur barbarie, ils y furent fusillés. Ici s’arrêta leur calvaire ».
Entouré d’un enclos de forme hexagonale, il est constitué d’une colonne de granit bleu surmontée d’une Croix de Lorraine sur laquelle sont gravés les noms des douze résistants et parachutistes SAS dont les corps ont pu être identifiés :

« À la mémoire des patriotes et parachutistes fusillés par les Allemands le 18 juillet 1944
- MAURISSET Pierre (à l’état civil Pierre MOURISSET
- JOURDREN Robert
- LE BERRE Émile
- ROUILLÉ Robert
- PENHARD Maurice
- X... (Inconnu 1)
- X... (Inconnu 2)
- LE PAVEC François
- X... CLAUSTRE Louis
- Lt DE KERILLIS Alain (Lieutenant)
- Lt FLEURIOT Jean (Lieutenant)
- Lt PESSIS Jean (Lieutenant)
- Sr-Chef CAUVIN André (Sergent-chef)
- X... S-Lt SENDRAL Claude (Sous-lieutenant) »

Les noms de Claude Sendral et Louis Claustre sont précédés de la mention « X... », ce qui semble indiquer que leurs corps n’avaient pas encore été identifiés lors de l’inauguration du monument en 1946 et qu’ils ont été ajoutés ultérieurement.
Les corps des résistants et des parachutistes SAS exécutés à Rimaison, qui avaient été initialement inhumés dans le cimetière de Bieuzy-les-Eaux, ont été exhumés et transférés en d’autres lieu à l’exception de ceux d’Alain Calloc’h de Kerillis et de Jean Pessis qui reposent toujourd dans le cimetière communal.

Chaque année, une cérémonie du souvenir est organisée le dimanche qui suit le 14 juillet devant le monument de Rimaison.
La commémoration du dimanche 15 juillet 2017, a été marquée par l’inauguration de deux places portant respectivement les noms d’Alain Calloc’h de Kerillis et de Jean Pessis, et par l’inauguration de l’exposition " Rimaison Bieuzy-les-Eaux 18 juillet 1944-15 juillet 2017 ", réalisée par Yves Jouan.
Sources

SOURCES : Arch. Dép. Morbihan, 41 J 46 et 47. — " Rimaison ", note d’information de la Direction de la Gendarmerie et de la Justice militaire, communiquée en 1978 à Jacques Péragallo, parent du sous-lieutenant Kérillis. — Arch. munic. Bieuzy-les-Eaux, dossier communiqué par Léon Quilleré, maire de Bieuzy-les-Eaux et exposition " Rimaison Bieuzy-les-Eaux 18 juillet 1944-15 juillet 2017 ", réalisée par Yves Jouan. — " À Rimaison a été inaugurée dimanche la stèle élevée à la mémoire des 14 héros de la libération ",Ouest-France, 22 juillet 1946. — Ami entends-tu… Bulletin de liaison et d’information de l’ANACR, numéros 35 (1er semestre 1977), 72 (2e semestre 1989) et 119 (4e trimestre 2001). — " Hommage à deux parachutistes assassinés en 1944 ", Ouest-France, 17 juillet 2017. — Henry Corta, Les Bérets rouges, Amicale des anciens parachutistes SAS, Société nationale des entreprises de presse, 1952. — Paul Bonnecarrère, Qui ose vaincra-Les parachutistes de la France libre, Arthème Fayard, 1971. — Roger Leroux, Le Morbihan en guerre 1939-1945, Joseph Floch imprimeur-éditeur, Mayenne, 1978. — Jacques Péragallo (cousin d’Alain de Kérillis), La fin de la vie d’Alain de Kérillis-Essai de reconstitution, 1979. — Henry Corta et alii, Qui ose gagne : Les parachutistes du 2e R.C.P (4e SAS) France-Belgique, 1943-1945, Service historique de l’Armée de terre), 1997. — René Le Guénic, Morbihan, Mémorial de la Résistance, Imprimerie Basse Bretagne, Quéven, 2013. — " Bieuzy-les-Eaux : crimes de guerre du 18 juillet 1944 ", dossier mis en ligne le 30 septembre 2016 sur le Blog de Kristian Hamon. — " Lieux mémoriels en Morbihan-Bieuzy-les-Eaux ", dossier en ligne sur le site Internet Les Amis de la Résistance du Morbihan, ANACR-56. — État-civil, Bieuzy-les-Eaux (actes de décès)

Jean-Pierre Husson, Jocelyne Husson

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