Bâtiment militaire, l’imposante citadelle de Perpignan (Pyrénées-Orientales), avec en son centre le palais des rois de Majorque, fut occupée par les forces allemandes du 12 novembre 1942 au 19 août 1944. La Sipo-SD y incarcéra ses prisonniers qu’elle torturait de façon quasi-systématique. En règle générale ils étaient là en transit, souvent déportés en Allemagne ou exécutés sur d’autres sites ; le nom de quelques-uns d’entre eux, parmi ceux qui furent exécutés, nous est parvenu. D’autres — nous connaissons les noms de trois d’entre eux — y périrent des suites des tortures infligées.

Plan allemand de Perpignan, 1943. La citadelle est au sud de la ville, au centre de la carte.
Plan allemand de Perpignan, 1943. La citadelle est au sud de la ville, au centre de la carte.
Stadtplan Perpignan, Militär Befehlshaber Frankreich, 1943. BNF, département cartes et plans GE C15528
Citadelle de Perpignan, vue aérienne, 1950. Les lieux évoqués dans la notice sont indiqués
Citadelle de Perpignan, vue aérienne, 1950. Les lieux évoqués dans la notice sont indiqués
Carte postale, éd. Greff. Communiquée par Jean-Philippe Alazet, Përpignan.
Gilbert Brutus (1887-1944) torturé à la citadelle de Perpignan. Représenté, de façon supposée par l'auteur, au palais des rois de Majorque dont on voit la grande cour depuis l'extrémité méridionale de l'aile occidentale.
Gilbert Brutus (1887-1944) torturé à la citadelle de Perpignan. Représenté, de façon supposée par l’auteur, au palais des rois de Majorque dont on voit la grande cour depuis l’extrémité méridionale de l’aile occidentale.
Tableau anonyme. Centre de mémoire départemental, caserne Gallieni, Perpignan, 2017. Cliché communiqué par Jean-Philippe Alazet. Retouches André Balent, 2 mars 2017.
Palais des rois de Majorque, grande cour et aile orientale du palais (chapelles dans sa partie centrale). Les prisonniers conduits dans les cellules de la caserne casematée devaient la traverser en diagonale, depuis la place d'armes de la citadelle par la porte sous l'arche à gauche sur la photo, vers l'angle sud-ouest de la cour.
Palais des rois de Majorque, grande cour et aile orientale du palais (chapelles dans sa partie centrale). Les prisonniers conduits dans les cellules de la caserne casematée devaient la traverser en diagonale, depuis la place d’armes de la citadelle par la porte sous l’arche à gauche sur la photo, vers l’angle sud-ouest de la cour.
Cliché : André Balent, 28 février 2017
Cour du palais des rois de Majorque. Les prisonniers devaient la traverser pour se rendre à la caserne casematée où se trouvaient des cellules. On voit les ailes méridionale (ensoleillée) et occidentale (à l'ombre). Les prisonniers se rendaient à leurs cellules en empruntant une large porte aujourd'hui murée près de la petite porte la petite porte à l'extrémité de l'aile occidentale
Cour du palais des rois de Majorque. Les prisonniers devaient la traverser pour se rendre à la caserne casematée où se trouvaient des cellules. On voit les ailes méridionale (ensoleillée) et occidentale (à l’ombre). Les prisonniers se rendaient à leurs cellules en empruntant une large porte aujourd’hui murée près de la petite porte la petite porte à l’extrémité de l’aile occidentale
Cliché : André Balent, 15 mai 2009.

La citadelle de Perpignan :
Ce vaste ensemble fortifié domine la ville de Perpignan. Il est édifié sur une des deux collines — la plus élevée, le Puig del Rei, qui faisait partie du domaine royal au XIIIe siècle — sur lequel fut édifié entre 1270 et 1310 le palais royal, fortifié, connu sous le nom de Palais des rois de Majorque car Perpignan fut capitale de cet éphémère royaume catalan qui dura de 1276 à 1344. Le palais des rois de Majorque, magnifique ensemble gothique, fut par la suite au centre d’un vaste ensemble fortifié.
Une première citadelle fut construite entre 1473 et 1483 et les premières casernes à la fin du XVe siècle. Mais cette citadelle disparut dans les années 1560, laissant la place à une fortification moderne tenant compte des progrès de l’artillerie. La citadelle actuelle ébauchée pendant le règne de Charles-Quint, en 1535, fut édifiée sous le règne de Philippe II entre 1564 et 1577. Ville frontière, avant et après le traité des Pyrénées (1659), Perpignan vit sa fonction militaire s’accroître considérablement. Le palais royal lui-même perdit sa fonction résidentielle et contribua au logement de la garnison. Dans l’enceinte de la citadelle furent construites plusieurs casernes du XVIe siècle au XIXe siècle.
Lorsque l’enceinte fortifiée qui entourait Perpignan fut déclassée (1901) et bientôt démolie en plusieurs étapes, l’Armée conserva la citadelle, construisant même en 1913 à ses pieds, à l’Est, de nouvelles casernes, le quartier Joffre. La ville de Perpignan envisagea d’acheter le palais des rois de Majorque dès 1935. À cette date, la citadelle fut inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Le palais avait été inscrit, quant à lui, sur la liste des monuments historiques dès 1875.
Le 2e RIC (Régiment d’infanterie coloniale) l’occupa jusqu’à la dissolution de l’armée d’armistice son départ de la ville le 30 novembre 1942. Il remplaçait le 24e RTS, dissous. La citadelle et ses casernes passèrent alors entre les mains de la Wehrmacht qui y resta jusqu’au 19 août 1944.
La citadelle de Perpignan, lieu de détention et de répression pour des prisonniers destinés à être fusillés (décembre 1942-août 1944) :
La Sipo-SD avait réquisitionné une maison, avenue de la gare (alors avenue maréchal Pétain, nommée, après la Libération, avenue général de Gaulle). Elle y avait installé ses services administratifs et, parfois, les interrogatoires auxquels elle procédait y avaient lieu. Mais, si elle décidait d’une incarcération, les prisonniers étaient transportés à la citadelle. De nombreux prisonniers y séjournèrent et y furent torturés : résistants des Pyrénées-Orientales ou venant de l’extérieur et arrêtés dans le département, Juifs arrêtés dans le département, fugitifs qui tentaient de franchir la frontière franco-espagnole et capturés par les Allemands (Douane, Sipo). Ils étaient ensuite transférés vers des camps de concentration en Allemagne, via celui de Royallieu, à Compiègne (Oise). Karl Forster, chef de la Sipo-SD de Perpignan supervisait la répression dans l’ensemble des Pyrénées-Orientales. C’est lui qui faisait arrêter les personnes internées à la citadelle. Selon une statistique partielle, très incomplète, établie en mai 1948 par la police judiciaire de Montpellier d’après les indications de Joseph Rous, président départemental de la FNDIR, 270 personnes furent arrêtées entre décembre 1943 et août 1944. 183 furent déportées en Allemagne.
Parmi ceux qui furent exécutés ailleurs, après avoir été incarcérés un moment à la citadelle de Perpignan, nous signalerons quelques noms dont nous avons eu connaissance et qui sont l’objet de notices biographiques. Nous savons que, avant de parvenir dans la ville où ils furent exécutés, certains d’entre eux transitèrent par d’autres lieux d’incarcération comme le quartier allemand de la prison Saint-Michel de Toulouse (Haute-Garonne), également lieu d’exécution. Par ailleurs, beaucoup de déportés depuis Perpignan séjournèrent à Toulouse avant d’être transportés à Compiègne.
Ce fut le cas de Jean Pagès, de Prats-de-Mollo, agent de réseaux (Sainte-Jeanne, Alibi-Jean de Vienne) qui fut torturé par la Sipo-SD à Perpignan. Après son séjour à la citadelle, il fut déporté à Mauthausen. Il réussit à s’évader de son commando en Slovénie et fut tué lors d’un combat qui opposa des partisans yougoslaves et italiens aux Allemands à Lovke (Croatie).
Quatre combattants du maquis Bir Hakeim (AS) — Voir Capel Jean — blessés, capturés dans l’Hérault à Rosis, soignés à Béziers, furent incarcérés à la citadelle de Perpignan avant d’être transférés à la prison Saint-Michel de Toulouse : jugés par un tribunal militaire allemand, ils furent exécutés le 8 novembre 1943 puis ensevelis dans le charnier de Bordelongue à la périphérie de la ville (Henri Arlet, Edmond Guyaux, Jacques Sauvegrain, André Vasseur).
D’autres furent conduits à Lyon (Rhône) à la prison du fort de Montluc tels les agents de réseaux de passage des Pyrénées-Orientales comme Louis Baco, Charles Blanc, Joseph Planes). Louis Esparre, agent du réseau SR-Air arrêté à Perpignan le 18 décembre 1942 d’après son dossier du SHD (Caen), le 21 selon d’autres sources. Transféré à la prison de Fresnes, il fut condamné à mort par un tribunal allemand et exécuté le 28 mai 1943 au Mont Valérien (Suresnes, Hauts-de-Seine). Il en fut de même pour Gabriel Vidal, de Libération-Sud et du réseau Brutus, transféré de la citadelle de Perpignan au camp de Royallieu à Compiègne en fut extrait afin d’être exécuté comme otage au Mont Valérien (Suresnes, Seine ; Hauts-de-Seine) le 2 octobre 1943.
Le 24 mai 1944, vers 17 heures, les cinq FTPF perpignanais Pierre Auriol, Gabriel Hispa, Roger Menuisier, Joseph Sauri, Pierre Stoll furent arrêtés après que ce dernier, capturé par les Allemands — qui se trouvaient à proximité attablés à la terrasse du Soldatenheim du boulevard Wilson — et durement "interrogé" eut parlé, peu de temps après le coup de main contre la trésorerie générale située sur ce même boulevard. Transférés à la citadelle, ils y furent durement torturés. Comme cette "affaire" ne mettait pas en cause les troupes d’occupation, la Sipo-SD ou la douane allemande et était purement "française", ils furent livrés à l’intendance régionale de police de Montpellier (Hérault) où ils furent à nouveau torturés. Condamnés à mort par la Cour martiale du secrétariat d’État au maintien de l’ordre, ils furent exécutés à la butte du stand de tir la Madeleine à Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault) le 11 juillet 1944. Tous les cinq moururent courageusement, y compris Stoll dont l’affolement avait permis son arrestation et qui, violemment battu, avait livré le signalement de ses camarades.
À la veille de la Libération, des prisonniers, après avoir subi des tortures pendant les interrogatoires furent transférés au quartier allemand de la maison d’arrêt de Carcassonne (Aude), étape d’un transfert vers Toulouse qui n’eut jamais lieu : la majorité fut libérée peu avant la départ des Allemands, certains périrent de façon tragique au dépôt de munitions de Baudrigues : René Avignon, Simon Batlle, Jacques Bronson, Maurice Sévajols, André Torrent. On connaît quelques cas d’évasions, surtout depuis la caserne du nord-est. La plus spectaculaire, depuis la caserne du sud-ouest (?), fut organisée par le passeur André Parent.
Les prisonniers furent détenus dans les casernes construites au XIXe siècle dans l’enceinte de la citadelle : celle du nord-est à proximité du bastion Sainte-Barbe ; celle, casematée du sud-ouest. La première permit une évasion facile qui amena sans doute les Allemands à préférer la caserne casematée. Pour s’y rendre, les prisonniers devaient traverser la grande cour du palais des rois de Majorque puis le couloir sous la grande salle de Majorque. Mais, en aucun cas, les prisonniers ne furent incarcérés dans les locaux les plus anciens qui servaient d’entrepôts. Comme les détenus n’étaient pas jugés à Perpignan par un tribunal militaire, il n’y eut pas d’exécutions connues. En revanche, plusieurs détenus périrent des suites des tortures qu’ils subirent :
ALEGRI Joseph, né en 1907, résistant de l’Aude, agent du réseau Fred Tommy Brown
ANDREU François, né en 1900, résistant de Baixas et de Perpignan, MUR
BRUTUS Gilbert, né en 1887, résistant de Perpignan, Libération-Sud, MUR
On a longtemps cru (et écrit) que le maire de Llupia, Louis Jaubert (MUR, AS, ORA), avait péri des suites des mauvais traitements infligés par ses geôliers allemands de la citadelle. Il y fut détenu et sans doute torturé, mais il fut établi qu’il était mort à Dora (Allemagne) le 3 mars 1945.
Un tableau anonyme, de grandes dimensions, a longtemps été oublié dans une remise. Il est exposé (2017) à un emplacement peu visible d’une pièce de la Maison du combattant, caserne Gallieni de Perpignan. Il est peu accessible, accroché à plusieurs mètres du sol de la pièce. Il représente les tortures subies par Gilbert Brutus telles que les a imaginées son auteur. Le résistant y est représenté dans une posture de martyr qui rappelle celle de saint Sébastien, à la manière des peintres depuis la fin du Moyen-Âge. Le tableau représente de façon réaliste, les traits du visage de Gilbert Brutus et les proportions de sa carrure d’athlète (ce fut un rugbyman réputé). Visiblement, il le connaissait bien. Les uniformes de ses bourreaux sont vraisemblables. Par ailleurs, au fond à gauche, l’état de la cour du palais des rois de Majorque est, d’après Jean-Philippe Alazet, celui des années 1943-1944. Si ce n’est pas un chef d’œuvre, il présente une valeur documentaire, ayant sans doute été réalisé peu après la Libération. D’après Jean-Philippe Alazet et Jean-Bernard Mathon (en 2017, conservateur des antiquités et objets d’art des Pyrénées-Orientales, responsable du Centre de conservation et de restauration du Patrimoine du conseil départemental), il mériterait d’être déposé et examiné de près, ce qui permettrait de savoir peut-être qui était son auteur.
Il serait souhaitable que ce tableau intègre les collections du palais des rois de Majorque car c’est une des rares pièces patrimoniales qui fait référence à la fonction du palais et de la citadelle pendant les mois de l’occupation allemande de la ville, du 12 novembre 1942 au 19 août 1944.
Juste après la Libération, la citadelle, prise en mains par les FFI, abrita pendant quelques mois les collaborationnistes arrêtés et détenus dans l’attente de leur libération ou de leur jugement. Ils furent ensuite transférés en 1945 au camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Le conseil général des Pyrénées-Orientales acquit définitivement le palais en 1948 et entreprit alors de longs travaux de restauration d’un monument, aujourd‘hui parmi les plus prestigieux de Perpignan. Le reste de la citadelle demeure à ce jour (2017) propriété de l’Armée. Aucune plaque ne rappelle que dans ce lieu de nombreux résistants furent internés et torturés, pendant l’occupation allemande ; que beaucoup furent déportés ; que d’autres furent exécutés hors du département et que certains y périrent, n’ayant pas résisté aux tortures qu’ils subirent.
Sources

SOURCES : Sources particulières des biographies mentionnées dans cette notice. — Arch. de la justice militaire, Le Blanc (Indre), rapport de l’inspecteur de la Police judiciaire de Montpellier, 8 mai 1948, liste [incomplète] de détenus à la citadelle de Perpignan établie par le président départemental de la FNDIR. — Jean-Philippe Alazet, Castell reial de Perpinyà. El palau dels reis de Mallorca … fa temps, Prades, Terra Nostra, 2005, 128 p. [pp. 68-78]. — Antoine de Roux, Perpignan de la place forte à la ville ouverte Xe-XXe siècle, tome I, Perpignan, Archives communales de Perpignan, 1997, 499 p. — Entretien avec Jean-Philippe Alazet, (Service éducatif et Formation des sites historiques, Direction de la culture, du patrimoine et de la catalanité du département des Pyrénées-Orientales, Palais des rois de Majorque, Perpignan, Perpignan, 28 février 2017 ; avec Cédric Sarrahy, référent médiation et multimédia du Service des sites historiques, Direction de la culture, du patrimoine et de la catalanité du Département des Pyrénées-Orientales, Palais des rois de Majorque, Perpignan, Perpignan, 28 février 2017. — Conversations avec Jean-Bernard Mathon, responsable du Centre de conservation et de restauration du Patrimoine du conseil départemental, Perpignan, 2017.

André Balent

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