Lors du débarquement de Normandie du 6 juin 1944, la Résistance provençale répondit à l’ordre de mobilisation générale et les troupes allemandes réprimèrent dans le sang toute tentative de constitution de groupes armés ou maquis. Ce fut le cas à La Galine, quartier de Saint-Rémy de Provence (Bouches-du-Rhône) : sept résistants y furent capturés, puis massacrés sur place ou à proximité, dans la nuit du 9 au 10 juin 1944.

Plaque commémorative sur le mur de l'ancienne boulangerie coopérative de La Galine à Saint-Rémy (Bouches-du-Rhône)
Plaque commémorative sur le mur de l’ancienne boulangerie coopérative de La Galine à Saint-Rémy (Bouches-du-Rhône)
Cliché Robert Mencherini
Stèle érigée au bord du canal des Alpines, commune de Lamanon (Bouches-du-Rhône)
Stèle érigée au bord du canal des Alpines, commune de Lamanon (Bouches-du-Rhône)
Cliché Sylviane Prinssat
La Galine est un terroir agricole et rural du nord des Bouches-du-Rhône qui longe le flanc nord du massif des Alpilles, sous les ruines du château de Romanin (dont Jean Moulin prit le nom pour sa galerie de Nice). Parsemé de mas qui, à l’abri de grandes haies coupe-vent, pratiquent la polyculture, irrigué par le canal des Alpines, il est partie intégrante de la commune de Saint-Rémy dont il constitue un quartier, à l’est du bourg. En 1940, cette commune était surveillée de près par les nouvelles autorités. Le sous-préfet d’Arles, Jean des Vallières, l’estimait sous la coupe des « rouges ». L’appréciation pourrait être surprenante pour un territoire frontalier d’une petite région caractérisée comme « Vendée provençale ». Mais Jean des Vallières était un vichyste ardent qui s’employait à combattre toute forme d’opposition à l’ordre nouveau. Et les « rouges » étaient ici républicains et laïques, en contre-point de « blancs » royalistes et catholiques intégristes. La municipalité saint-rémoise n’avait jamais été communiste et son maire, Joseph Mauron, élu en 1935 et décédé en 1940, était socialiste. Cette coloration politique républicaine, ainsi d’ailleurs qu’une implantation communiste réelle, en particulier chez des ouvriers agricoles d’origine italienne ou espagnole, peut expliquer que Saint-Rémy ait fourni un apport non négligeable à la Résistance. Bien avant le printemps 1944, des résistants saint-rémois avaient payé leur engagement de la prison puis de la déportation comme les jeunes Gaston Viens et Rémy Bonein, arrêtés le 14 juillet 1943, avec Louis Rovini, et déportés à Buchenwald (Allemagne). D’autres furent tués comme Marcel Bonein*, fusillé à Lyon (Rhône), le 1er novembre 1943, Lucien Vivaldi*, fusillé à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 26 janvier 1944, Adone Zingoni, tombé à Saint-Étienne (Loire), le 17 février 1944, Théophile (Pelin) Turrier fusillé près de Bordeaux (Gironde), le 1er mars 1944.
Beaucoup de résistants saint-rémois étaient originaires du quartier de La Galine ou y vivaient. Marcel Bonnet, chroniqueur et historien saint-rémois, et Casimir-Pierre Mathieu, dirigeant des Mouvements unis de la Résistance (MUR) en 1943-1944, estimaient d’ailleurs que la Galine est « une pépinière de républicains d’avant-garde » ou le « lieu principal et le plus ardent de la Résistance saint-rémoise ». En 1944, un groupe de résistants particulièrement actif y était basé. Constitué, selon Marcel Bonnet et Casimir-Pierre Mathieu, sous l’égide des MUR, par fusion avec un noyau FTPF déjà existant, il était dirigé par Eugène Thiot*, gérant de « L’Amicale », coopérative de boulangerie de la Galine. Sous la houlette de Casimir-Pierre Mathieu, Saint-Clair, il gérait les dépôts d’armes et menait des actions de sabotages de voies ferrées ou de pylônes de lignes électriques à haute tension.
En juin 1944, à l’annonce du débarquement de Normandie et en application de l’ordre de mobilisation générale de la Résistance, Eugène Thiot* organisa, dans le secteur, dès le 7 juin, la distribution des armes. Les Allemands, informés au niveau de la région par l’agent Noël, parachuté par Alger mais passé à leur service, étaient également sur pied de guerre , prêts à intervenir contre les maquis ou tentatives de départs pour les maquis. Ce qu’ils font effectivement à Martigues, le 8 juin, ou à Lambesc et dans la chaîne des Côtes, à partir du 11 juin. On ne connaît pas exactement la source des informations dont ils disposaient sur Saint-Rémy (on a évoqué des dénonciations). Mais celles-ci sont assez précises pour qu’ils puissent frapper de manière efficace.
Le 9 juin 1944, une opération d’envergure combina deux mouvements. Vers midi, les principaux points d’accès à la Galine furent bouclés et étroitement contrôlés par des barrages militaires allemands. En même temps, le quartier fut investi, du côté d’Eygalières, par plusieurs dizaines d’individus déguisés en résistants, réfractaires ou agents parachutés. De fait, il s’agissait d’éléments de la 8e compagnie Brandebourg spécialisée dans les infiltrations de maquis, dont les tortionnaires français Honoré Paolino, dit Piccolo et Léon Battifredo (condamnés à mort à la Libération). Ils jouèrent la comédie dans plusieurs mas, de manière à identifier les (vrais) résistants et à localiser les dépôts d’armes, sans négliger de voler, au passage, biens et nourriture. Ils intervinrent ainsi au mas de Pilons où se dissimulait le jeune Delfo Novi*, réfractaire au Service travail obligatoire (STO). Il était venu se cacher depuis Arles, chez sa soeur et son beau-frère, gérant du mas. Il fut emmené, sous bonne escorte, jusqu’à la coopérative de la Galine. Là, ils arrêtèrent Pierre Barriol*, venu en voisin. Les faux résistants exigèrent de Mme Thiot, présente avec ses cinq enfants et enceinte d’un sixième, qu’elle cuise l’agneau volé dans la journée à un berger. À la nuit tombée, lorsque Eugène Thiot rejoignit son domicile, il fut interpellé dès son arrivée, ainsi que le jeune Charles Gras*, et les frères Roudier*, Lucien et Marcel. Commencèrent alors des séances de torture particulièrement brutales. Des armes furent découvertes et l’un des frères Roudier fut traîné jusqu’à son mas où l’on en saisit d’autres. Tandis que les brandebourgeois faisaient main basse sur les objets, précieux ou non, de la maison Thiot, y compris la bicyclette, les résistants, en piètre état, furent poussés dans un camion où était probablement déjà attaché un jeune homme d’origine lyonnaise, René Neyrand*. On hissa dans le véhicule, Eugène Thiot, mort ou à peine vivant. Le convoi prit la direction de Plan-d’Orgon (Bouches-du-Rhône). Le corps d’Eugène Thiot fut jeté dans un fossé deux kilomètres plus loin : les services allemands évoquèrent une tentative de fuite très peu plausible, information reprise par la gendarmerie. Les six autres détenus furent massacrés le long de la route de Sénas à Lamanon (Bouches-du-Rhône), entre la voie de chemin de fer et le canal des Alpines. Leurs corps furent retrouvés quelques jours plus tard et inhumés dans l’une ou l’autre commune.
La nouvelle du massacre provoqua une émotion considérable à Saint-Rémy. En juillet 1944, une messe de sortie de deuil fut célébrée pour les fils des familles Roudier, Barriol, Gras et Brogi (beau-frère de Delfo Novi). Après la Libération, le 5 décembre 1944, eurent lieu les obsèques solennelles « des 7 enfants de Saint-Remy héros et martyrs de la résistance » : Lucien Georges (tué au maquis de Sigonce, Basses-Alpes, le 8 juillet 1944), Lucien Vivaldi et de cinq fusillés de la Galine (Pierre Barriol, Charles Gras, Delfo Novi, Louis et Marcel Roudier) dont les cercueils furent alignés devant la mairie. Le 24 février 1946, le football club de Saint-Rémy organisa une coupe Eugène Thiot. En juin 1946, une plaque de marbre, portant le nom des victimes de la Galine et celui de Marcel Bonein*, fut scellée sur la façade de la boulangerie coopérative, lors d’une cérémonie qui regroupa les familles et les autorités. Un monument aux morts de la Résistance de Saint-Rémy, financé par souscription et subvention de la municipalité, fut édifié dans l’un des cimetières de la ville et inauguré le 15 septembre 1948. Une stèle fut érigée à Lamanon, au bord du canal des Alpines, sur les lieux où avaient été retrouvés les six corps des fusillés. Sept noms de fusillés de la Galine figurent sur une plaque « Guerre de 1939-1945 » du monument aux morts de la place de la République. Ils sont gravés également sur une plaque disposée au début de l’avenue de la Résistance, face à la collégiale Saint-Martin, tous indiqués (de manière erronée) comme FTPF. La mémoire des événements, entretenue par des commémorations annuelles, a été ravivée, en juin 1961, par la remise posthume de la Croix de chevalier de la Légion d’honneur à Eugène Thiot. Une nouvelle plaque In memoriam a été scellée sur le mur de l’ancienne coopérative en juin 1994.
Liste des victimes :
BARRIOL Pierre
GRAS Charles
NEYRAND René (parfois écrit MAYRAND ou MEYRAND)
NOVI Delfo
ROUDIER Louis
ROUDIER Marcel
THIOT Eugène
Sources

Archs dep. Bouches-du-Rhône, 76 W 129, rapports de gendarmerie, 11, 12 et 16 juin 1944 — Archs. dép. du Gard, 3U7, article 252, dossier Paolino Honoré — dossiers AVCC Caen — Casimir-Pierre Mathieu, La résistance à l’oppression, la première et deuxième guerre mondiale, La Résistance, Saint-Rémy, chez l’auteur, Cavaillon, Imprimerie Mistral, 1978 —Marcel Bonnet, « Le massacre de “La Galine”, 9-10 juin 1944 », Revue de l’Amicale laïque de Saint-Rémy-de-Provence, 1984, reproduit (avec des documents) in Marcel Bonnet, Le massacre de “La Galine”, 9-10 juin 1944, présenté par André Bonafos et par Rémy Bonein (chef de groupe du quartier de la Galine 1940-1943, Eyrargues, Édition espace culturel Eyrarguais, 1991—Véronique Sassetti, « Saint-Rémy de Provence pendant la Seconde Guerre mondiale », mémoire de maîtrise, Université d’Avignon et des pays de Vaucluse, dir. R. Mencherini, 1996, dactylographié — Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944), Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930 - 1950, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini

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