Né le 28 février 1904 à Saint-Georges-d’Orques (Hérault), mort en action le 4 août 1944 tué par les Allemands à Gignac (Hérault) ; viticulteur à Canet (Hérault) ; adhérent du Parti radical-socialiste avant la Seconde Guerre mondiale ; militaire de carrière (1941-1942) en Algérie puis à Montpellier ; résistant (AS) au début de 1943 ; membre du maquis (AS) Bir Hakeim à partir de décembre 1943 ; deuxième chef de ce maquis (28 mai-4 août 1944).

Paul Demarne (1904-1944)
Paul Demarne (1904-1944)
Paul Demarne portant l’uniforme du 281e RI
Gignac (Hérault), monument érigé à la mémoire de Paul Demarne (1904-1944) sur le lieu où il fut abattu par les Allemands
Gignac (Hérault), monument érigé à la mémoire de Paul Demarne (1904-1944) sur le lieu où il fut abattu par les Allemands
Cliché : André Balent, 25 novembre 2016
Gignac (Hérault), monument érigé à la mémoire de Paul Demarne (1904-1944) sur le lieu où il fut abattu par les Allemands. Détail
Gignac (Hérault), monument érigé à la mémoire de Paul Demarne (1904-1944) sur le lieu où il fut abattu par les Allemands. Détail
Cliché : André Balent, 25 novembre 2016
Texte gravé sur la stèle :
À la mémoire du valeureux commandant Paul Demarne mort pour la France.
Ici le 3 août 1944 à 23 h 30 [sic pour 4 août 1944 à 0 h 30] tomba l’arme à la main face au Boche celui qui ne désespéra jamais de la victoire française le commandant Paul Demarne officier d’active de grande valeur commandant du maquis Bir Hakeim
Saint-Georges-d'Orques (Hérault). Stèle commémorative Paul Demarne (1904-1944)
Saint-Georges-d’Orques (Hérault). Stèle commémorative Paul Demarne (1904-1944)
La date du décès est le 4 août 1944 et non le 3 comme il est indiqué sur la stèle
Statue de Paul Demarne à Canet (Hérault)
Statue de Paul Demarne à Canet (Hérault)
Photographie : André Balent, 23 novembre 2017
Paul Demarne naquit à Saint-Georges-d’Orques, commune située à l’est de Montpellier, près de cette ville. Son père, Max, Isidore, Théodore, âgé de quarante ans, était receveur buraliste de Saint-Georges. Sa mère, Marguerite, Berthe, Antoinette Sambussy, âgée de trente-sept ans, était institutrice de l’enseignement public.
Il fit ses études primaires à l’école primaire de Saint-Georges-d’Orques et secondaires aux lycées de Montpellier puis de Strasbourg (Bas-Rhin). Sa fiche du registre matricule indique que son degré d’instruction était de « niveau 3 » (« possède une instruction primaire plus développée ») qui suggère que, s’il suivit des études secondaires, il les abandonna avant d’avoir obtenu le baccalauréat ou le brevet supérieur.
Il effectua le service militaire de 1924 à 1925 au 12e bataillon de Chasseurs à pied en garnison à Trêves (Allemagne, rive gauche du Rhin). Incorporé le 14 mai 1924, il fut promu caporal le 16 octobre 1924, puis sergent le 17 mai 1925. Libéré de ses occupations militaires le 3 novembre 1925, il se maria à Canet (Hérault) avec Reine, Mélanie, Louise Limoges. Le couple eut trois enfants : Max né le 1er avril 1936, Marie-Claude et Marie-Reine nées le 3 février 1939. Établi dans cette commune du Clermontais, dans la moyenne vallée de l’Hérault, il y exerça la profession d’exploitant agricole spécialisé dans la viticulture. Politiquement, il était proche du parti radical-socialiste dont il était titulaire d’une carte (rue de Valois) pour l’année 1938.
Il fut promu dans la réserve militaire (81e RI de Béziers) : sergent-chef, le 1er septembre 1930 ; adjudant, le 20 janvier 1934 ; adjudant-chef le 15 novembre 1936 ; sous-lieutenant, décret du 13 juillet 1938. Il effectua, volontairement, deux périodes d’instruction au 2e bataillon du 81e RI à Castres (Tarn : du 5 au 24 mai 1939 et du 24 mai au 13 juin 1939).
En 1939, Paul Demarne intégra le 281e régiment d’Infanterie de Castres (Tarn). La 2e compagnie de cette unité fut affectée aux forts de la Barrière de l’Esseillon, en moyenne Maurienne (commune d’Aussois, Savoie). Remarquons que ce régiment compta parmi ses soldats Jean Capel, le futur créateur et chef du maquis Bir Hakeim. Ce fut sans doute parce qu’il avait connu Demarne pendant la drôle de guerre que Capel le contacta afin qu’il adhérât, avec son groupe, au maquis Bir Hakeim.
Démobilisé, Demarne retourna à Canet. En janvier 1941, il fut volontaire pour servir comme officier en Afrique du Nord. Le 23 janvier 1941, le général Altmayer, comnandant la 16e division militaire (Montpellier) lui répondit favorablement. Il fut affecté au premier régiment de Zouaves à Alger où il s’installa avec sa famille. Toutefois, en novembre 1942, il était revenu en Languedoc car il est signalé comme ayant intégré le 8e RI de l’armée d’armistice en garnison à Montpellier et à Sète.
Demarne, reprit ses activités agricoles à Canet et intégra rapidement la Résistance qu’il contribua, à partir de juin 1943, à structurer dans le Clermontais avec deux instituteurs socialistes, (Mohamed Bouzid et René Bony), le maire de Nébian Joseph Vidal, viticulteur et Estarague, entrepreneur à Clermont-l’Hérault. Tous les cinq furent les maîtres d’œuvre de la construction de groupes locaux des MUR qui assurèrent le ravitaillement de réfractaires au STO qui se cachaient dans les villages et protégèrent des Juifs. Ils jetèrent ainsi les bases de la constitution de futurs maquis. Avec Bouzid, Demarne constitua une section de l’AS. En novembre, il prit, seul, l’initiative de constituer un groupe de combat (toujours affilié à l’AS) avec les plus déterminés des jeunes réfractaires du Clermontais : Pierre Manzanera, François Arjona (« Arjo »), Fernand Pio, Marcel Compan, Camille Sallan, Théogène Heultz, Roger Salasc, Hippolyte Guiraudou, Marc Sans, Julien André.
Au début de décembre 1943, André Pavelet, chef des maquis (AS) de la R 3, nomma Paul Demarne chef départemental des maquis AS de l’Hérault.
Au même moment, Demarne, décida d’intégrer le groupe de combat de l’AS du Clermontais au maquis Bir Hakeim, après avoir pris contact avec son chef, Jean Capel qui relocalisait l’activité de sa formation dans l’Hérault et le Gard. Demarne capitaine de l’armée d’active conserva son grade dans le maquis Bir Hakeim. Il se soumit cependant à l’autorité de Capel, 2e classe sous les drapeaux en 1939-1940, mais commandant dans l’AS. Les deux hommes qui se connaissaient depuis leur incorporation dans la même unité du front des Alpes entre 1939 et 1940 se faisaient mutuellement confiance. On peut raisonnablement supputer que la présence d’un groupe sous l’autorité de Demarne dans l’Hérault permit le ralliement du « commandant Barot » (pseudonyme de Capel) à l’idée d’un transfert définitif de Bir Hakeim dans le Languedoc oriental avec comme « base » principale Montpellier, au lieu de Toulouse. L’état-major s’installa à Montpellier, 14 rue Mareschal. Demarne en fit désormais partie : avec Georges Couci (à Montpellier, avec Barot/Capel), Christian de Roquemaurel, le docteur Jean Mallet, Albert Darrénougué, (ce dernier maintenant la présence de Bir Hakeim à Toulouse). Le petit maquis AS de La Vacquerie, dans le Larzac héraultais, commandé par Maurice Allion s’était aussi rallié à Bir Hakeim et maintenait des contacts étroits avec Demarne et ses amis de l’AS du Clermontais et du Lodévois. Comme Darrénougué à Toulouse et Eugène Donati et Jean Mallet à Montpellier, Demarne était à la tête d’un groupe de combat ou groupe franc destiné à alimenter le « groupe-maquis » principal placé sous l’autorité de Christian de Roquemaurel, ou à lui venir en aide lors d’un coup de main, tout en poursuivant des actions armées ponctuelles dans sa zone, autour de Clermont-l’Hérault et Lodève. Comme on le voit, Bir Hakeim, formation militaire inédite, était devenu un assemblage complexe entre des maquis proprement dits et des groupes francs, parfois urbains, se prêtant mutuellement assistance, tout en privilégiant le maquis principal, la force de choc destinée à affronter les Allemands et les forces de Vichy. Cette stratégie, approuvée par les chefs militaires de la R3 comme Pavelet puis de Martel, n’avait rien de comparable avec celle des autres maquis AS, prudents et attentistes, préparant dans l’ombre le jour J. Demarne, en plein accord avec Capel / Barot, fut un des principaux artisans de cette stratégie qui fut contestée, parfois à l’intérieur de Bir Hakeim, mais le plus souvent par les autres formations de l’AS et par les FTPF.
Le « groupe-maquis » principal s’installa dans le Gard rhodanien, dans la vallée de la Cèze. Demarne fit à plusieurs reprises, à la fin de 1943 et au mois de janvier 1944, des déplacements entre la région de Clermont-l’Hérault et celle de Bagnols-sur-Cèze et Pont-Saint-Esprit (Gard). Il fut, aux côtés de Roquemaurel*, l’instructeur militaire des jeunes recrues lorsque Bir Hakeim établit son cantonnement au mas de Serret (commune de Labastide-de-Virac, Ardèche), tout près des gorges de l’Ardèche. Ses qualités humaines, son intelligence des situations difficiles, son endurance physique, son habileté au tir en firent un meneur d’hommes qui suscita des dévouements sans failles à commencer par celui de son « garde du corps », le jeune Pierre Manzanera. Les 28 et 29 février 1944, accompagné d’un groupe de maquisards, parmi lesquels le docteur Mallet et Marcel de Roquemaurel*, Demarne avait quitté son repère héraultais de La Vacquerie au sud-est de Lodève sur la partie méridionale du causse du Larzac et se dirigeait vers le pays de Cèze. Un accrochage avec les Allemands à Saint-Hyppolite-du-Fort, provoqua la mort de cinq maquisards de Bir Hakeim — deux d’entre eux, Fortuné Donati (de Montpellier) et Albert Lévêque furent blessés puis torturés et pendus à Nîmes le 2 mars 1944 — et celle de victimes civiles. Un traitre, Nougaret, déserteur du maquis que Bir Hakeim devait juger, réussit à se rendre aux Allemands et dénonça à Montpellier l’existence du réduit de la Vacquerie et les hommes qui s’y trouvaient. Demarne, de retour à la Vacquerie, fut mis au courant de la trahison de Nougaret par Mallet, qui à son tour était revenu. Ils évacuèrent tout ce qu’ils purent des dépôts et réserves de Bir Hakeim puis quittèrent les lieux avec leurs hommes et mirent à l’abri le matériel qu’ils purent amener au hameau de Soulatgets.
Bientôt, De Martel alias Delaunay ou Marignan, chef du service “maquis” de la R3 et successeur à ce poste d’André Pavelet muté à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), désigna, à la demande de Capel, Demarne instructeur militaire de la Picharlarié (commune de Moissac-Vallée-Française, Lozère) où Bir Hakeim s’était installé aux côtés du maquis école (AS) commandé par André Toussaint, Miguel Arcas* alias Victor et Aimé Sauvebois. Bir Hakeim allait bientôt l’absorber et fusionner avec la Brigade Montaigne MOI (AS) commandée par François Rouan* cantonnée dans une ferme voisine, le Galabertès. L’ascendant de Demarne contribua puissamment au ralliement du maquis « Toussaint » à Bir Hakeim auréolé du prestige de ses actions audacieuses.
Lorsque, le 12 avril 1944, la 9e division SS Hohensstaufen attaqua Bir Hakeim désormais renforcé du groupe Lapierre et de la brigade Montaigne, Demarne ainsi que Capel et Christian de Roquemaurel* étaient partis à Saint-Geniès-de-Malgoirès (Gard) afin de renconrter Antonin Combarmond*, adjoint d’André Pavelet pour le Gard et la Lozère et responsable de la logistique des maquis cévenols. Roger Torreilles, un Catalan qui était à la tête de maquis FTPF cévenols, assista aussi à cette entrevue. Demarne, de Roquemaurel* et Capel revinrent précipitamment à la Vallée Française. Éveline et Yvan Brès (op. cit., p. 186) ont cependant écrit que Demarne était à ce moment-là à Clermont-l’Hérault et non à Saint-Geniés-de-Malgoirès chez Antonin Combarmond* ainsi que le relatent d’autres auteurs. Cette version semble douteuse puisque pendant quelques jours encore, Demarne côtoya Capel. D’ailleurs, Éveline et Yvan Brès (op. cit., p. 193) expliquent que, le 13 avril, Barot et Demarne reconnurent le corps de Louis Veylet, abattu depuis peu par les Allemands, exposé dans une pièce de Sainte-Croix-Vallée-Française (Lozère).
Capel et Demarne purent ainsi former deux groupes qui établirent initialement leurs cantonnements en des lieux différents. Demarne et Capel retournèrent ensuite un milicien d’Alès, Raynaud alias “Bretelle”, qui leur fournit des renseignements et que les Allemands (plus précisément des Français sous uniforme allemand installés au fort Vauban d’Alès et connus comme "Waffen SS") finirent par arrêter puis exécuter avec des résistants et enfouir dans le puits de Célas (commune de Servas, Gard). Ce contact parut suspect à d’autres chefs de maquis cévenols qui en déduisirent hâtivement une preuve de la “collusion” des chefs de Bir Hakeim avec l’ennemi.
Demarne et Rouan* alias Montaigne gagnèrent ensuite les bases héraultaises de Bir Hakeim dans le Clermontais. Là, le 12 mai, la réception d’un parachutage près du village de Caux, pourtant minutieusement préparée, ne put être normalement assurée, du fait de la présence d’un grand nombre d’Allemands contre lesquels Demarne dirigea un combat pendant une heure avant de donner l’ordre à ses hommes de décrocher. Le 28 mai, Demarne, à la tête d’une quinzaine d’hommes gagnait le Causse Méjean où venait de s’installer le gros du maquis Bir Hakeim, sous le commandement de Capel. Averti du massacre de La Parade par une femme de Meyrueis, il fit demi-tour et revint dans la région de Clermont-l’Hérault. Il récupéra quelques-uns des survivants du combat de La Parade et les installa au Rocher des Deux-Vierges (535 m), nid d’aigle au nord de Saint-Saturnin-de-Lucian (Hérault) sur les contreforts méridionaux du Larzac qui domine la plaine de l’Hérault et de sa basse vallée. Il s’attacha à reconstituer Bir Hakeim à partir de ce noyau de rescapés et en le complétant avec de nouvelles recrues. Il dut faire face, le 12 juin, à une tentative de destruction près de Liausson (Hérault), à la suite de l’infiltration d’un agent allemand. Celle-ci provoqua l’arrestation de quelques-uns de ses amis de Clermont-l’Hérault, soutiens de la logistique du maquis (Voir Bouzid Robert). Il transféra donc le maquis dans le cirque de Mourèze (Hérault), à l’ouest de Clermont-l’Hérault au milieu d’un dédale de reliefs ruiniformes modelés dans des calcaires dolomitiques.
L’activité inlassable de Demarne finit par porter ses fruits. L’effectif de Bir Hakeim atteignit soixante hommes en juin et quatre-vingt-dix hommes à la mi-juillet, dont une partie s’installa à nouveau au rocher des Deux-Vierges. Les volontaires affluèrent, encadrés par les anciens, d’avant le massacre de La Parade. Le maquis multiplia les coups de mains dans le Clermontais et le Lodévois afin de préparer l’affrontement inévitable avec les Allemands. Il bénéficiait de l’appui de nombreux résistants des villages du piémont héraultais du Massif Central, isolés ou organisés de l’AS et même des FTPF.
Paul Demarne mourut le 4 août 1944 au cours d’un affrontement avec les Allemands sur la route de Bélarga à Gignac, sur le territoire de la commune de Gignac (Hérault). L’acte de décès transcrit le 6 août 1944 à l’état civil de Gignac indique qu’il mourut “accidentellement” dans la nuit, à deux heures. Il avait quitté Canet une heure plus tôt en compagnie de son “garde du corps”, Pierre Manzanera qui échappa au guet-apens et en raconta ultéreurement les circonstances.
Plusieurs versions de l’affrontement qui causa la mort de Demarne ont été produites. Nous avons consulté celle de Maruéjol et Vielzeuf (op. cit., 1972, pp. 178-182 et celle consignée dans des dépositions recueillies par la gendarmerie de Clermont-l’Hérault le 6 décembre 1944 (dossier de l’AVCC, Caen) : du maréchal des logis Saison de la brigade de gendarmerie de Gignac ; de Pierre Manzanera, le garde du corps de Demarne. Elles coïncident pour l’essentiel, ne différant que sur deux points de détail. Ainsi, Maruéjol et Vielzeuf indiquent que le véhicule qui obligea Demarne et Manzanera à abandonner leur véhicule les avaient doublé alors que les déclarants de 1944 affirment que cette automobile circulait en sens inverse. Le gendarme Saison fit son enquête dès le lendemain 9 heures avec son collègue l’adjudant Mourey de la brigade de Clermont-l’Hérault. Il constatèrent que, à l’emplacement du corps de Demarne, il y avait une flaque de sang. Ils expliquèrent que les Allemands qui se trouvaient dans l’automobile et participèrent au combat étaient sans doute ceux qui occupaient Gignac car, n’ignorant pas la mort du commandant de Bir Hakeim, le lendemain matin, ils “ont obligé les autorités de Gignac à enterrer cet officier ce qui laisse supposer qu’ils n’ignoraient pas sa mort”. D’après le maire de Gignac à qui ils donnèrent l’ordre d’inhumer immédiatement Demarne, les Allemands affirmèrent qu’ils venaient de tuer un résistant au mas Rouge dont, apparemment, ils ignoraient l’identité mais qui était connue du maire de Gignac et des résistants du cru. La nuit suivante, Pierre Desilla, un résistant du Pouget proche de Demarne qui avait été réquisitionné pour son enterrement, vint avec des amis déterrer le cadavre et l’amenèrent à Canet à sa veuve qui l’installa sur un lit. Peu après, un Allemand vint perquisitionner le domicile et découvrit avec surprise la dépouille mortelle du commandant et s’exclama : « Demarne mort ? Quel bonheur ! ».
Demarne avait donné l’ordre à un groupe de Bir Hakeim d’assurer la réception d’un parachutage nocturne d’armes par les Britanniques. Le chef de la 2e compagnie de Bir Hakeim, Henri Prades alias Pascal, avait été averti par Marcel Feschotte qu’Eugène Donati — qui avait commandé le groupe franc de Bir Hakeim de Montpellier — l’attendait au château Capion (commune de Gignac, à la limite d’Aniane) afin de réceptionner le parachutage. Il s’y rendit avec une quarantaine d’hommes venus du rocher des Deux-Vierges. Bien que risqué, le parachutage s’effectua normalement, mais le vent dispersa les containers et retarda l’opération. Rouan alias Montaigne* conscient des difficultés et du danger encourus envoya des renforts depuis Mourèze. Les Allemands qui avaient remarqué les manèges de l’avion britannique les interceptèrent. Une fusillade éclata. Le groupe de Bir Hakeim de Mourèze se retira avec un seul blessé. Pendant ce combat, Demarne qui rentrait chez lui à Canet entendit les bruits des armes. Il reprit sa moto et escorté par Manzanera alla vers le lieu du parachutage. Au niveau du mas Rouge, une automobile les obligea à se serrer dangereusement sur les platanes du bord de la route et à abandonner leurs motos dont s’emparèrent les occupants du véhicule. Les deux hommes qui marchaient le long de la route, virent le véhicule arrêté et des Allemands qui en étaient sortis patrouiller afin de repérer, semble-t-il le lieu présumé du parachutage. Voulant préserver le bon déroulement de l’opération, Demarne et Manzanera ouvrirent le feu sur les Allemands. En ripostant, Demarne fut atteint par trois balles après que son mousqueton se fut enrayé. Avant de mourir, d’après les deux historiens pionniers de Bir Hakeim, il aurait donné l’ordre à Manzanera de quitter les lieux alors que les déclarants de décembre 1944 ne mentionnent pas ce fait, se contentant de consigner les dernières paroles prononcées par Demarne avant d’expirer : “Pierrot, je suis mort !”. Celui-ci ayant compris que l’affrontement serait inégal décrocha et réussit à traverser l’Hérault à la nage et se rendit aussitôt à Canet annoncer à Mme Demarne la mort de son mari.
Paul Demarne, après que sa dépouille eut été remise à sa femme, fut enterré discrètement dans le caveau familial. Un hommage lui fut rendu par la population canetoise après la Libération. François Rouan alias “Montaigne”* lui succéda à la tête de Bir Hakeim.
Il fut homologué commandant des FFI à compter du 6 juin 1944 et déclaré mort pour la France le 20 octobre 1945. Il a reçu, toujours à titre posthume, la médaille de la Résistance le Distinguished Service Order, la Military Crosset la Légion d’honneur. Le quartier général suprême des forces expéditionnaires interalliées a distingué, sous la signature du général Eisenhower, son nom ainsi que celui de Jean Capel et de François Rouan* pour leur « héroïque conduite ».
La version de sa mort tragique a, depuis, été remise en question. Jacques-Augustin Bailly (op. cit., p. 427) évoqua deux hypothèses pour lesquelles il n’apporte aucun indice probant car fondées sur des témoignages postérieurs motivés par une réinterprétation des faits consécutive à l’histoire politique de l’après-guerre. Il écrit ainsi que sa mort serait consécutive à : « une dispute autour d’un parachutage » (avec quel autre groupe de résistants ?) ; ou à un « règlement de comptes avec les maquisards communistes (Demarne était plutôt anticommuniste) » (mais depuis le début, des communistes ou sympathisants étaient présents dans Bir Hakeim, à commencer par le commandant “Barot” et, depuis juin 1944, Bir Hakeim collaborait avec des communistes ou des FTPF de la vallée de l’Hérault comme, par exemple, Étienne Sanier d’Aniane (Hérault) ; ou encore d’un « accident lors d’une recherche de container parachuté ». Par ailleurs, si la version officielle avait été construite de toutes pièces, les personnes très diverses qui ont témoigné se seraient contredites sur des points cruciaux ou auraient fini, pour certaines d’entre elles, par dévoiler ce que les rumeurs tiennent pour la seule vérité occultée.
Mais ces rumeurs sont peut-être, en dernière analyse, fondées sur les déclarations de l’ancien chef de la Milice de l’Hérault, le docteur René Hoareau, pendant l’enquête qui a précédé sa traduction devant la cour de Justice de l’Hérault qui le condamna à mort. Il écrivit aussi, le 19 mai 1946, de sa cellule de condamné à mort à la prison de Montpellier, au fils de docteur Marissal tué à Montpellier par Raoul Batany, membre des groupes francs de l’AS, capturé puis sauvagement torturé à mort par la Milice dans ses locaux de la caserne montpélliéraine de Lauwe. Hoareau, sans l’ombre du moindre indice de preuve, a affirmé dans cette lettre que Demarne « n’aurait pas hésité à me faire pression pour une entrevue afin de réaliser une entente entre tous les Français désireux de servir. Il a été tué bêtement. Lui non plus ne voulait pas tuer ». Mais le bras qui aurait armé Batany et lui aurait indiqué le docteur Marissal comme étant l’homme à abattre se trouvait dans les rangs du maquis Bir Hakeim. Hoareau indique que « Batany a avoué [sous la torture, rappelons-le] que son crime accompli, il devait se rendre à Clermont-l’Hérault. Qui avait-il à Clermont-l’Hérault ? Le maquis Bir Hakeim ! Qui était le chef de ce maquis ? L’actuel commandant de Martel, de son vrai nom Mollet ». Tout, dans les propos de Hoareau, dans ses « déductions », comme il l’écrivit, tend à démontrer que « De Marne (sic) était un homme propre, un homme ne qui voulait que l’intérêt de la France ». Demarne se différenciait de la sorte, ainsi que le suggère Hoareau, des communistes et de leurs amis. Demarne dont il dit également qu’il avait voulu l’approcher, était, selon Hoareau, trop proche du docteur Marissal et n’aurait donc pas contribué à sa perte en armant le bras d’un Batany. Il va jusqu’à suggérer au fils du docteur Marissal, fervent catholique, qu’« il serait intéressant d’arriver à établir que De Marne et votre père avaient relations résistantes ». Hoareau instrumentalisait donc un Demarne « anticommuniste » prématurément disparu. Il pouvait servir à établir de façon irréfutable l’activité résistante du docteur que Batany avait tué parce qu’il pensait qu’il était un collaborateur (et un ami de son chef départemental de la Milice). Remarquons que Hoareau ignore l’orthographe exacte du nom de Demarne, et présente de Martel comme chef de Bir Hakeim, ce qu’il ne fut jamais. Confond-il de Martel — qui n’a jamais été membre de Bir Hakeim — et Capel ? Sans doute. Ce dernier était, le 4 mai 1944, le chef de Bir Hakeim. Il se trouvait précisément, du 6 au 15 mai dans la région de Clermont-l’Hérault avec le gros des effectifs du maquis principal jusqu’alors cantonné au château des Fons (commune de Bassurels, Lozère). À la veille de son exécution, Hoareau était au courant des rumeurs prétendant que le prédécesseur de Demarne à la tête de Bir Hakeim était un communiste ou un de leurs amis. Il allait jusqu’à affirmer que le prédécesseur de Demarne — Capel et non, comme il l’écrit, de Martel alias Delaunay, chef du service « maquis » pour la R 3 — « aurait été tué non pas par les Allemands comme on l’a prétendu alors mais par des maquisards déguisés en Allemands » (allusion au massacre du gros de l’effectif de Bir Hakeim, le 28 mai 1944). Toute la lettre d’Hoareau est fondée sur des « déductions » qui, selon lui, « permettent d’identifier celui qui a armé la main du meurtrier de votre père », disculpant au passage la Milice mise en cause, en 1944, par tous les résistants et l’immense majorité de l‘opinion publique et accusant de fait le communiste Capel. Hoareau essayait aussi de démontrer — notamment en affirmant qu’il avait rencontré Demarne avant la Libération, ce que ce dernier, tué le 4 août, ne pouvait démentir — que ses contacts avec la partie « saine » de la Résistance incarnée par Demarne permettait de relativiser son engagement dans la Milice et d’évoquer une supposée convergence entre patriotes des deux bords unis contre la menace communiste. Cette utilisation post mortem de Demarne révèle aussi en négatif l’existence, au sein de Bir Hakeim, de personnalités dont les idées politiques étaient loin de coïncider mais qui avaient décidé de les taire tant que leur objectif, la libération du territoire, ne serait pas devenu réalité. Il y eut, certes, des discussions d’ordre politique, parfois vives, dans les divers cantonnements du maquis, attestées par les témoignages de vétérans. Mais elles ne remirent pas en cause le consensus qui rassemblait les membres de la formation. On a pu opposer, par exemple, comme le fait Hoareau, d’une part, Demarne que l’on suppose d’emblée anticommuniste et, d’autre part, Capel/Barot et Rouan/Montaigne*, le premier communiste, le second réputé trotskiste ou du moins sympathisant. René Fiol alias Spahis – sic – (1923-1996) a expliqué, bien après la Libération, que c’était lui et non Rouan/Montaigne qui aurait dû prendre la tête de Bir Hakeim après la mort de Demarne, le 4 août 1944. Mais Fiol avait des convictions très anticommunistes renforcées, pendant la guerre froide, par son engagement dans les rangs de l’Armée et sa participation à la guerre d’Indochine. Il était par ailleurs un grand admirateur de Demarne sous les ordres de qui il s’était engagé dans l’AS puis à Bir Hakeim et il a réinterprété les débats internes à la Résistance qu’il a pu connaître, en fonction des évolutions ultérieures de la conjoncture politique.
En bref, si Demarne n’a sans doute pas été un grand ami du PCF et de ses visées politiques, il n’a pas été, non plus, proche des idées de l’extrême droite ainsi que certains ont pu le supputer. Il fut, rappelons-le, avant 1940, adhérent du Parti radical-socialiste et, en 1943, il côtoya, dans l’AS du Clermontais, des cadres socialistes ou très proches de la SFIO. Dans Bir Hakeim, il fut, pendant six mois très intenses, un des adjoints de Capel, un ancien soldat de 2e classe acquis, certes, aux idées communistes, mais dont il partageait les conceptions stratégiques et avec qui il collabora loyalement, lui qui fut pendant peu de temps dans l’armée régulière (1938-1940 et 1941-1942) un officier, d’abord de réserve puis d’active.
Le nom de Paul Demarne figure sur le monument mémorial de Mourèze (Hérault) érigé à la mémoire des combattants de Bir Hakeim exécutés par les Allemands ou les vichystes et celle de ceux d’entre eux qui furent tués au combat entre septembre 1943 et août 1944. Il a été également inscrit sur la stèle érigée place Jean-Jaurès de Clermont-l’Hérault, près du monument aux morts, pour perpétuer la mémoire des résistants de Clermont-l’Hérault morts au combat, fusillés sommaires, morts en déportation. Une stèle a été érigée au bord de la RD 32 sur le territoire communal de Gignac (Hérault) en face du mas Rouge sur les lieux mêmes où il fut abattu : l’antigermanisme que l’on y relève (allusion au "Boche") est pour le moins malvenu lorsqu’on sait que Demarne a combattu, au sein de Bir Hakeim, aux côtés de valeureux Allemands et Autrichiens antinazis. Un monument, œuvre de Paul Grailles, avec la statue de Paul Demarne a été érigé sur la place centrale de Canet (Hérault). Sous la statue ont été gravées les phrases suivantes : « France d’abord. Au commandant Paul Demarne chef du maquis Bir Hakeim sous l’occupation allemande tué au combat le 4 août 1944 ». À Saint-Georges-d’Orques (Hérault), une stèle a été érigée au « Carrefour commandant Paul Demarne chef du maquis Bir Hakeim. Né le 28 février 1904 à Saint-Georges-d’Orques. Mort pour la France le 3 (sic) août 1944 ». Une plaque a été apposée sur sa maison natale de Saint-Georges-d’Orques (ancien logement de fonction d’instituteurs), à l’angle de la rue des Écoles et de la rue de Fontardies. L’odonymie honore aussi la mémoire de Paul Demarne. À Canet : la place et l’avenue Paul-Demarne ; à Clermont-l’Hérault : la place commandant Demarne ; à Saint-Georges-d’Orques : le carrefour commandant Paul-Demarne déjà cité.
Sources

SOURCES : AVCC, Caen, 21 P 116600 (dossier Paul Demarne). — Arch. dép. Hérault 1 R 1374, f° 510. — Arch. dép. Hérault, 509 W 50, dossier de René Hoareau, cour de justice de Montpellier. — Arch. com. Saint-Georges-d’Orques, acte de naissance de Paul Demarne. — Documents concernant la carrière militaire de Demarne communiqués par Jean-Claude Richard (Saint-Guilhem-le-Désert, Hérault). — Jacques-Augustin Bailly, La Libération confisquée. Le Languedoc 1944-1945, Paris, Albin Michel, 1993, 481 p. [pp. 94, 113, 122, 201, 422, 427]. — Gérard Bouladou, L’Hérault dans la résistance : 1940-1944, Nîmes, Lacour, 1992, 209 p. + illustrations h. t., [p. 92, p. 123]. — Gérard Bouladou, Les maquis du Massif Central méridional 1943-1944. Ardèche, Aude, Aveyron, Gard, Hérault, Lozère, Tarn, Nîmes, Lacour Rediviva, 2006, 617 p. [pp. 306, 308]. — Éveline et Yvan Brès, Un maquis d’antifascistes allemands en France (1942-1944), Montpellier, Les Presses du Languedoc / Max Chaleil Éditeur, 1987, 340 p. [163, 166, 176, 186, 193, 217, 253, 289]. — René Maruéjol, Aimé Vielzeuf, Le maquis Bir Hakeim, nouvelle édition augmentée, préface d’Yves Doumergue, Genève, Éditions de Crémille, 1972, 251 p. [pp. 38-41, 91, 95, 97, 110, 117, 122-125, 169, 172-182, pp. 208-212]. — Henri Prades, Le commandant Demarne dans la Résistance, 11 p. Montpellier, s.d. [1945]. — Harry Roderick Kedward, À la recherche du maquis. La Résistance dans la France du Sud 1942-1944, Paris, Les Éditions du Cerf, 1999, 473 p. [pp. 184-185, p. 347]. — « Paul Demarne, chef du maquis Bir-Hakeim, né à Saint-Georges, mort pour la France », Midi-Libre, 11 novembre 2013. — Site MemorialGenWeb consulté le 2 juin 2017. — Entretien téléphonique avec Jacques Bonnet, de Lamalou-les-Bains, 10 novembre 2016. — Entretien téléphonique avec Jean-Claude Richard, de Saint-Guilhem-le-Désert, 1er juin 2017.

André Balent

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