Né le 20 juin 1894 à Berlin (Allemagne), massacré le 11 juin 1944 peut-être aux environs de Bellac (Haute-Vienne) ; avocat, journaliste ; réfugié politique juif allemand anti-nazi.

Il était issu d’une famille appartenant à la bourgeoisie juive libérale allemande de la fin du XIX° siècle. Son grand père Moritz Steinschneider (1816 – 1907), dont il portait le prénom en second, fut un spécialiste renommé du judaïsme. Son père Max Steinschneider, avocat et conseiller juridique à Berlin était engagé dans de multiples projets sociaux, participant à la fondation de coopératives de production et de consommation, à la création en 1903 d’un quartier d’habitations (Villen-Kolonie à Neu-Döberitz, en périphérie de Berlin) ; il fut également l’un des cofondateurs de la ligue allemande des Droits de l’Homme. Marié avec Léopoldine Fishlowitz, ils eurent trois fils, l’aîné Adolf Moritz né en 1894, Gustav né en 1899 et Karl né en 1900.
Adolf Steinschneider vécut son enfance dans le quartier de Döberitz, créé par son père, suivit les cours du lycée français de Berlin puis des études de droit et d’économie à Berlin et à Munich. Mobilisé en 1917, il fut affecté en 1918 au service des archives de presse du ministère des Affaires étrangères à Berlin. Engagé dans la vie politique à la fin de la première guerre mondiale, il adhéra à Berlin au mouvement spartakiste, participa au soulèvement du début janvier 1919, fut arrêté et condamné à dix mois d’emprisonnement qu’il accomplit de juin 1919 à mars 1920 à la prison berlinoise de Plötzensee. Il reprit ensuite ses études de droit, travaillant au sein du cabinet Max Tucholski et Félix Wolff avant d’être admis au barreau comme avocat en 1923. Dans le même temps, il fit partie avec son ami Adrien Turel (1890 – 1957), futur poète et écrivain suisse rencontré en 1915, d’un cercle de jeunes intellectuels et artistes berlinois rassemblés autour du psychologue Arthur Schinnagel, centrés sur le thème de la psychologie biogénétique.
En 1926, il prit à Francfort-sur-le-Main, la direction d’un cabinet d’avocat situé Untermainkai, 20. Très engagé à gauche, proche du parti des travailleurs socialistes (SAP), issu de la gauche du SPD, il intervint dans les procès politiques de la fin de la République de Weimar, défendant avant tout les sociaux-démocrates de gauche et les communistes. Il fut aussi l’avocat-conseil du Secours Rouge, du mouvement allemand pour la Paix et de la Ligue allemande des Droits de l’Homme. Sur le plan privé, il expérimenta à Francfort de nouvelles formes de vie commune, développant à Untermainkai 20 une véritable communauté où vécurent Adrien Turel ainsi que Paul Frölich, l’ami de Rosa Luxembourg. Ils en firent un lieu d’expérimentation sociale, prônant la libération sexuelle, critiquant les tendances totalitaires et dogmatiques de la gauche, à la recherche d’un socialisme non dogmatique. Adolf Steinschneider se maria en 1926 avec Friederike Kätzler. Ils eurent en 1927 (le 18 septembre) un fils Stefan mais divorcèrent peu après sa naissance, tout en gardant des liens amicaux. La même année 1927, mais le 7 juin, Adolf Steinschneider avait également eu une fille Marie-Louise avec Eva Hillman (née à Hambourg, le 11 août 1899), alors officiellement mariée au pédagogue Adolf Reichwein.
Son mode de vie, ses engagements, ses combats politiques et judiciaires (en particulier contre les juristes membres du parti nazi) en firent à Francfort la cible d’attaques et de campagnes de diffamation. Dès le 28 février 1933, au lendemain de l’incendie du Reichstag, et alors que le régime nazi se préparait à l’arrestation des militants d’extrême-gauche, prévenu par un policier, il s’enfuit en Suisse. Son appartement et ses bureaux d’Untermainkai 20 furent aussitôt pillés par les SA. Une grande partie de la famille l’accompagna en Suisse, Friederike Kätzler et Eva Reichwein et les deux enfants, ainsi que ses frères Gustav et Karl qui émigrèrent peu après en Palestine (Eva Reichwein rentra en 1934 à Francfort avec leur fille Marie-Louise). Soutenu matériellement par la famille Turel, il poursuivit ses activités politiques, développant des activités comme journaliste et auteur de pièces de théâtre (« Nouveau Rêve »). Alors qu’il envisageait à son tour d’émigrer comme ses frères en Palestine, les autorités suisses profitèrent d’un de ses voyages à Paris le 21 juin 1935 pour l’expulser pour activités politiques incompatibles avec le droit d’asile.
Installé à Paris, Adolf Steinschneider dut pour survivre multiplier les emplois et compter sur les secours de ses frères en Palestine. S’intégrant dans le milieu des réfugiés politiques allemands, il écrivit de nombreux textes politiques et de critique sociale (il fut en particulier au printemps 1937 l’un des auteurs de la brochure publiée par le congrès mondial juif « La lutte pour anéantir les juifs économiquement sous le III° Reich »). Il fonda la même année avec l’écrivain Anselm Ruest (mort des suites de son internement en 1943 à Carpentras) et l’avocat Alfred Apfel (mort dans les mêmes conditions à Marseille en 1941), « L’Entraide des savants et gens de lettres allemands réfugiés ». Le 19 mars 1938, fuyant l’aggravation de la situation des juifs en Allemagne, sa compagne Eva (dont le passeport allemand expirait le 7 avril 1938) et leur fille Marie-Louise le rejoignirent à Paris où Eva obtint une autorisation de séjour renouvelable mensuellement. La préfecture de police de Paris délivra à Adolf Steinschneider le 23 mai 1938 une carte d’identité valable jusqu’au 21 juin 1940. La famille s’installa alors 3, rue Henri Pape, dans le XIIIème arrondissement. Il fit l’objet en juin 1939 d’une enquête des renseignements Généraux (Arch. Préf. Police. op. cit.), de nombreuses visites d’étrangers ayant été signalées à son domicile : « Steinschneider qui a suivi en 1937 les cours du Collège libre des Sciences Sociales, 11 rue Danton, serait en train d’écrire un ouvrage sur la sociologie, sur lequel il n’a pu être recueilli aucune précision. Il passe la majeure partie de son temps à son domicile et se sert fréquemment d’une machine à écrire. Il reçoit assez souvent du courrier en provenance d’Allemagne et de nombreux compatriotes lui rendent visite principalement dans la soirée. D’autre part, tous les jours vers 23 heures, Steinschneider se rendrait au bureau de poste situé avenue d’Italie pour y poster son courrier quelque peu volumineux aux dires de ses voisins ». Après l’entrée en guerre en septembre 1939, Adolf Steinschneider fut interné en tant que citoyen allemand au camp de rassemblement de Villerbon (Loir-et-Cher) près de Blois où une grange avait été réquisitionnée pour assigner à résidence des réfugiés politiques, juifs allemands pour la plupart. Sa compagne Eva Hillmann fut victime d’une mesure d’éloignement prise le 10 septembre 1939 et dut gagner Angers (Maine-et-Loire) avec sa fille. Elles s’installèrent ensuite temporairement à Blois. En juin 1940, au moment de l’exode, la famille s’enfuit dans le sud de la France et finit en juillet 1940 par s’installer à Bellac (Haute-Vienne) où ils purent trouver un logement dans la vieille ville 22, rue Ledru-Rollin. Adolf Steinschneider fut intégré dès sa création au 313ème GTE (groupement de travailleurs étrangers) à Saint-Sauveur près de Bellac, qui regroupait essentiellement des opposants autrichiens et allemands. Une instruction du gouvernement de Vichy ordonna au premier semestre 1941 que tous les juifs étrangers « en surnombre dans l’économie » soient dirigés vers des Groupements de travailleurs étrangers spécifiques : les groupes « palestiniens » de travailleurs étrangers (GPTE). Le GPTE 664 à Mauriac (Cantal) où fut affecté Adolf Steinschneider fut créé en juin 1941. Chargé de la construction d’une route (cassage de cailloux et empierrement) pour les Eaux et Forêts, il fut déplacé en 1942 à Saint-Georges-d’Aurac(Haute-Loire) pour la construction d’une route de montagne. Dirigé par un capitaine de l’armée française (juif converti) violemment antisémite, ce camp s’apparentait par ses conditions d’existence et de travail à un véritable bagne (Peter Gaida op. cit.). Adolf Steinschneider gravement malade dut être hospitalisé à Clermont-Ferrand. A sa sortie de l’hôpital, il put rentrer à Bellac, placé au 313ème GTE à Saint-Sauveur (à la sortie sud de Bellac), détaché comme bûcheron aux établissements Pradaud. Il épousa Eva à Bellac en 1942 et commença l’écriture d’un livre « Humanité et Polarité ».
Au lendemain du débarquement allié du 6 juin 1944, et suivant le mot d’ordre d’un soulèvement général, les chefs de la Résistance dans le nord de la Haute-Vienne décidèrent d’une libération de Bellac. Les résistants pénétrèrent dans la ville le 9 juin 1944, l’occupèrent momentanément récupérant un important matériel et arrêtant une vingtaine d’habitants de Bellac suspects de collaboration (qui furent peu après relâchés).
Mais la libération ne fut que temporaire. En effet, dès le 9 juin au soir le Haut Commandement allemand donna ordre aux unités de la division SS Das Reich qui avaient été engagées à partir du 8 juin en Limousin contre la résistance de se préparer à partir vers le front de Normandie. Les 11 et 12 juin les unités allemandes se dirigèrent ainsi de Limoges, où elles avaient été regroupées, vers Poitiers lieu du regroupement suivant, avant le départ vers la Normandie. Le trajet de la RN 147, Limoges – Poitiers passait par Bellac. Une unité de la division occupa temporairement la ville dans l’après-midi du 11 juin contrôlant les entrées et les sorties des habitants. Un courrier adressé au maire de Bellac en 1954 par le service allemand sur les dédommagements pour injustices subies du fait du régime nazi (ADIRP 87 op. cit.) fournit une version de l’arrestation d’Adolf Steinschneider établie sans doute à partir du témoignage de sa femme et de sa fille : « M. Steinschneider et son ami Hans Lauterbach, qui travaillaient dans ce temps en dehors de Bellac, avaient passé le dimanche à la maison et voulaient repartir avant le couvre-feu, qui avait été proclamé pour 21 heures à cause de l’arrivée des Allemands. Or c’est à 20 h 45 lorsqu’ils voulaient passer la route de Limoges au sortir de la rue du Docteur Vetelay que les troupes arrivaient à ce moment au même endroit. Comme M. Steinschneider ne s’était pas arrêté sur interpellation des SS, il fut abattu par ceux-ci à coups de crosse et gravement blessé. Dans cet état on le traîna dans une maison pour l’asperger d’eau et ensuite on jeta les deux amis Steinschneider et Lauterbach sur un camion qui les mena en direction de Limoges. Depuis ce temps tous les deux ont disparu ». Les témoignages recueillis après-guerre confirmèrent qu’ils étaient en possession de leurs papiers d’identité et que les Allemands surent le soir même qu’ils avaient affaire à des réfugiés politiques juifs allemands. Ils furent officiellement considérés comme exécutés à proximité de Bellac sans que le lieu de l’exécution ni de l’inhumation ait pu être retrouvé. L’hypothèse un temps émise par la famille Steinschneider d’une déportation avec l’ensemble des otages et prisonniers, partis de Limoges le 12 juin 1944 vers Poitiers puis Compiègne ne put être confirmée, leurs noms n’apparaissant pas dans les listes des déportés des convois de l’été 1944. Il resterait à vérifier l’hypothèse, s’ils ont bien été conduits à Limoges, d’une exécution sommaire au Malabre dans la banlieue de Limoges. Le 12 juin 1944 à cet endroit en deux lieux différents furent retrouvés 16 corps dont cinq restent à ce jour non identifiés (les 11 autres étant issus d’un groupe de prisonniers faits par une unité de la division Das Reich à Argenton-sur-Creuse).
Après la guerre, une stèle fut apposée à Francfort-sur-le-Main sur la maison occupée dans les années 20 par Adolf Steinschneider, Untermainkai 20 avec l’inscription « Hier wohnte Adolf Moritz Steinschneider, JG 1894, Exil 1933 Schweiz, Ermordet 1944 in Frankreich ».
Sources

SOURCES : AMSTA (Adolf Moritz Steinschneider Archiv) — ADIRP (Archives privées de l’Association départementale des déportés et internés de la Haute-Vienne) — Arch. Préfecture de Police de Paris. 1 W 10541 (notes Daniel Grason) — Peter Gaida, Les étrangers en surnombre, les GTE sous le régime de Vichy, thèse Paris 1 – université de Brême, publiée en version abrégée en 2016.

Bernard Pommaret, Michel Thébault.

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