En 1944, La Versanne (Loire), village du canton de Bourg-Argental (Loire), dans le Massif du Pilat, comptait quelques 300 habitants essentiellement occupés par des tâches agricoles et forestières. Traversé par la route nationale 82 (aujourd’hui RD 1082), la Route Bleue, qui reliait Saint-Etienne (Loire) à Daveizieux près d’Annonay (Ardèche) et plus loin à la vallée du Rhône, il fut un point de passage fort usité par la Wehrmacht, la Gestapo et la Milice mais aussi par les résistants, avant de voir arriver des unités du débarquement de Provence en août 1944.
Dans l’été 1944, La Versanne fut le théâtre de deux évènements tragiques : le 14 juin 1944, l’Armée Secrète de Vanosc perdit là six hommes dans un combat contre des troupes allemandes et le 20 juillet 1944, un maquis récemment installé sur les hauteurs du village, était anéanti par l’occupant.

Les évènements du 14 juin 1944
Pour les résistants d’Annonay (Ardèche) et des montagnes alentours, le
débarquement de Normandie fut le signal de l’insurrection. Le 6 juin 1944, un comité local de libération s’installa à l’hôtel de ville d’Annonay. A sa tête, Jacques Méaudre de Sugny, résistant communiste, envoya aussitôt un message au maréchal Pétain : "Annonay libéré par ses propres moyens a proclamé la République et ne reconnaît plus votre autorité. " Pendant près de quinze jours, les soldats FFI allaient repousser les assauts des gardes mobiles et de troupes allemandes venus de la Vallée du Rhône et de Saint-Étienne (Loire), les obligeant à maintenir des effectifs importants sur place. Le 19 juin 1944, Annonay était reprise par les occupants mais les résistants poursuivirent leurs actions tout au long de l’été, ralentissant la progression des troupes allemandes vers Lyon. Ils accompagnèrent les armées du débarquement de Provence jusqu’à la libération de la région. A 11 kms d’Annonay, dans la partie sud-est du Pilat, le maquis de Vanosc, créé en juin 1944 par l’Armée Secrète avec une centaine de combattants, en aurait compté, selon certaines sources, jusqu’à 1800 au mois d’août 1944. La partie opérationnelle du camp, composée de quatre détachements comprenant chacun 60 hommes, s’installa dans des hameaux autour de Vanosc : Metrosc, Chazeaux, Préaux, Combes et Le Monestier ; l’état-major était installé à l’hôtel Marie à Vanosc et regroupait différents services : ravitaillement, matériel et transports, renseignements, police et prévôté, transmissions, génie, santé.
Le 14 juin 1944, une colonne de la Wehrmacht prit la route depuis Serrières (Ardèche) en direction de Saint-Étienne. Un premier engagement, au relais Saint-Christophe près d’Annonay, fit un mort, Armand Batisse* et deux blessés parmi des résistants FTP. De nouveau attaqués à Saint-Marcel-les-Annonay, les allemands poursuivirent néanmoins leur avancée. Prévenu, le maquis de Vanosc leur tendit une embuscade entre les hameaux des Pommeaux blancs et la Touronne, sur la commune de La Versanne. Sérieusement accrochés, les soldats allemands laissèrent sur place du matériel militaire que les maquisards voulurent récupérer ; la garde en fut confiée à un groupe en attente des renforts pour les acheminer. En début de soirée, les soldats ennemis, revenus plus nombreux de Saint-Étienne, assaillirent les résistants restés sur place, mitraillèrent ceux qui arrivaient de Vanosc et se répandirent dans les maisons et les hameaux avoisinants. Dans le combat très inégal en hommes et en armes, six résistants vont perdre la vie :
DESCHAUX Georges, Louis, Auguste
LOUX Jean, Yvan
ROZANT Jacques, André
SPOTTI Amatore, Guiseppe
ROSET Paul, Auguste
VALLET Constant, Alphonse, Marcellin
Le même jour, FLOURET Jean était assassiné à Bourg-Argental (Loire) à quelques kilomètres.
Les évènements du 20 juillet 1944
Début juin 1944, un groupe de résistants dont une jeune femme, composé en majorité de mineurs d’origine polonaise, s’était d’abord installé dans des bâtiments de ferme entre le col de la République et Saint-Genest-Malifaux (Loire). Le 12 juillet 1944, sept d’entre eux participèrent à une opération de réquisition : un camion, intercepté sur la Nationale 82, fut conduit à Saint-Régis-du-Coin (Loire) à la villa du président de la Légion des Combattants du canton par ailleurs administrateur du Nouvelliste, journal vichyste lyonnais. Sur place, les maquisards saisirent les denrées alimentaires qu’ils chargèrent sur le véhicule et l’affaire fit grand bruit dans le voisinage. Le propriétaire déposa plainte auprès des autorités d’occupation, plusieurs dénonciations parvinrent à la Kommandantur et la Feldgendarmerie de Saint-Etienne fut chargée de faire cesser les pillages qui se succédaient dans le secteur. Vers le 16 juillet, le groupe de maquisards, contraint de quitter son refuge, s’installa quelques kilomètres plus loin, dans une ferme inhabitée des Grands-Bois au lieu-dit « Les loges de Montheux » sur la commune de La Versanne. On ne les perdit pas de vue pour autant : « Ils sont encore par là ; ce matin deux d’entre eux étaient sur la route à proximité de l’Hôtel du Grand-Bois, l’un armé d’une mitraillette et l’autre d’un fusil de chasse… déclara à la police allemande la délatrice la plus zélée ; elle aurait même ajouté : « le patron les ravitaille en boissons et il y a souvent avec eux un GMR qui habite sur la route de Bourg-Argental … et qui répare leurs motos. ». Une intervention sur les lieux fut lancée le 20 juillet par la Feldgendarmerie avec l’aide de la Gestapo allemande et d’agents français.
Au petit matin, une troupe, d’environ 400 soldats sur des camions, accompagnée de voitures de tourisme, fut déployée sur le secteur : les allemands formèrent des barrages sur toutes les routes et encerclèrent l’Hôtel du Grand-Bois situé sur la RN82. L’établissement fut fouillé et le registre contrôlé : une seule cliente, accompagnée de sa fille en bas âge, fut sortie de sa chambre pour être interrogée et le patron fut requis pour indiquer le chemin jusqu’aux Loges de Montheux, à quelques centaines de mètres. Plus bas, sur la route, deux cyclistes furent interpellés par les agents de la Gestapo : l’un d’eux, Jean Goyet, GMR (Garde Mobile Républicain) en congé, porteur d’une arme qu’il aurait justifiée par son statut de policier, dut les suivre ; l’autre put continuer son chemin vers Saint-Etienne. Alors renseignés sur la disposition des lieux, tous les allemands avancèrent vers le refuge et la troupe se positionna en éventail autour de la ferme. A proximité, des paysans travaillant dans leurs champs allèrent être témoins du combat et en rapportèrent le récit. La fumée sortait de la cheminée, un maquisard qui se rasait devant la maison cria « Les voilà ! » et il tomba le premier sous le feu des mitraillettes. Les autres se réfugièrent à l’intérieur et ripostèrent mais ne purent faire face très longtemps devant le nombre d’assaillants et la soudaineté de l’attaque ; à court de munitions, ils durent se rendre. Trois hommes, dont le chef du groupe mains liées dans le dos, furent d’abord faits prisonniers puis passés par les armes derrière la maison, avec un quatrième, blessé au ventre. Plus loin dans la prairie, les soldats allaient poursuivre leur triste besogne, achevant d’au moins une balle dans la tête tous les autres partisans souvent déjà blessés, ainsi qu’en témoigne la description de leur corps dans l’état-civil.
Les allemands commandèrent alors aux paysans d’aller chercher un char à bœufs pour transporter jusqu’aux camions le matériel qui se trouvait dans la maison ; ils l’entreposaient dehors quand un maquisard qu’on appelait le petit chef sortit d’une cachette sous un escalier, prononçant quelques mots en allemand et criant « Camarades, je n’y suis pour rien, vous voyez bien que je n’ai pas d’armes. » ; il tenta de s’échapper mais fut abattu aussitôt. Tandis que les paysans, accompagnés par une partie de la troupe, descendaient le char, ils entendirent de fortes détonations : les allemands avaient fait sauter la ferme ; l’opération était terminée pour eux et avait duré deux heures.
L’après-midi, des villageois remontèrent aux Loges de Montheux avec Pierre Rouchouse, secrétaire de mairie, pour s’occuper des corps. Ce fut à ce moment qu’apparut Pierre Rouby, un jeune réfractaire qui faisait partie du maquis et qui avait réussi à échapper à la tuerie en se cachant sous un rocher. On s’interrogea pour savoir à quelle autorité, Gestapo ou police française, on devait remettre ce terroriste rescapé. Vers 19 heures 30, le maire Joseph Chalayer, absent depuis le matin et revenu de Saint-Etienne, décida que Jean Goyet le raccompagnerait chez son employeur, ce qui fut fait le lendemain. Les actes de décès, rédigés par Rouchouse, portèrent tous la mention « inconnu » en l’absence de papiers sur les morts. Rouby ne connaissait ses camarades que par leur nom de guerre et ne put aider à leur identification établie ultérieurement par le tribunal administratif de Saint-Etienne. Le lendemain, Joseph Chalayer téléphona à la Préfecture de la Loire qui déclara ne pouvoir apporter aucune aide quant aux inhumations. Une fosse fut donc creusée près des ruines de la ferme et les cadavres furent recouverts d’une couche de terre et de fougères ; on installa une barrière de protection ainsi qu’une croix. Dans un témoignage de 1945, le maire déclara qu’un office fut célébré par le curé de la commune, ancien combattant de 14-18, et que, venu de Rive-de-Gier (Loire), un détachement de gendarmerie avait rendu les honneurs.
A la Libération, le Tribunal militaire de Saint-Etienne fut saisi de l’affaire et la commission de criblage examina les responsabilités qui pesaient sur une dizaine de personnes dont Jean Goyet renvoyé devant la Cour de Justice de la République.
Une stèle fut érigée sur les lieux du drame à La Versanne ; pour le premier anniversaire eut lieu La Ricamarie (Loire) une cérémonie réunissant les maires des communes minières toutes tendances confondues ainsi qu’une délégation polonaise tandis qu’était célébrée une messe. Après 1954, sept maquisards furent inhumés à la Nécropole de la Doua à Villeurbanne (Rhône). Quant à l’origine du groupe de maquisards, on sait qu’il se forma au printemps 1944, peu avant le débarquement ; les éléments biographiques recueillis laissent à penser que certains appartenaient à la branche FTP-MOI (Main-d’œuvre Immigrée des Francs-Tireurs et Partisans) comme la mémoire l’a surtout retenu ; le parcours de la plupart des autres, plus difficile à identifier, tient sans doute à des liens communautaires (18 sont d’origine polonaise et le plus souvent mineurs de profession). Sont morts le 20 juillet 1944 :
BERGERETTI Charles, Maximilien
BOJAR Sczepan
BORNE Jean-Marie
BUK ou BUCK Paul
CIACHARA (CZACHARA) Léon
CIACHARA (CZACHARA) Joseph
JACOBOWSKI Adam
JANKOWSKI Stanislas
KAISER Stanislaw
LOPUSZANSKI Théodore
MIS Jean [Pseudonyme dans la résistance : Jacques]
PIETRZACZ Stanislas
ROBASZEWSKI Stanislas
ROJECK Mieczyslaw
SIUCHNINSKI Jean
STEFANIACK Mieczyslaw
STROZ Jozef
WRONSKI Adolphe
ZMUDA Franciszek ou François alias Thomek Thomas]
ZOLKOWSKA Thérésa, Jadwiga
Sources

SOURCES : Arch. Dép. Rhône : Mémorial de l’Oppression cotes 3808W832, 3808W833 – Arch. Dép. Loire : cotes 85W106, 2W39, 13W2. – Jean Badol : "14 juin 1944, terrible journée pour les maquisards", in Le Progrès du 28 juin 2015 ; Jean-Michel Steiner : 2 juillet 1944. La Versanne. Loire : Un maquis Franco-Polonais de la MOI-FTP exterminé par la Wehrmacht, in Le Résistant de La Loire N°157-158, 1er semestre 2010. – Sites : anacr-ardèche, Mémoire des Hommes, — MemorialGenWeb. — Etat-civil de La Versanne (Loire), Villeurbanne (Rhône).

Michelle Destour

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