Le Gua (Isère), du 23 au 26 juillet 1944
Entre le 23 et le 26 juillet 1944, les troupes allemandes qui avaient encerclé le Vercors exécutèrent sommairement 15 hommes près d’une ancienne usine à ciment se trouvant au lieu-dit "Revolleyre" entre Les-Saillants-du-Gua et Saint-Barthélemy-du-Gua, agglomérations de la commune du Gua (Isère)
Monument commémoratif de Revolleyre, Le Gua (Isère)
Photo : Gaby André Vitinger, Mémorial GenWeb, sous licence d’usage CC BY-NC-SA 2.0
En juillet 1944, parallèlement à l’invasion du Vercors, l’armée allemande encercla le massif et toutes les communes situées à sa périphérie furent investies.
Après l’ordre de dispersion donné le 23 juillet 1944 par François Huet, chef militaire du Vercors, de nombreux maquisards tentèrent de quitter le massif.
Adrien Conus, connu sous le pseudonyme de " Capitaine Volume ", officier en mission de liaison avec le maquis de l’Oisans, fut arrêté le 23 juillet à l’entrée de Saint-Guillaume (Isère) au niveau du pont de la Gresse, en compagnie de Jean Foillard et Léon Jail, eux aussi officiers du maquis du Vercors.
Après avoir été interrogés et torturés par des membres de la police allemande, les trois hommes furent conduits à Revolleyre, un lieu-dit de la commune du Gua. Se trouvaient avec eux trois jeunes hommes qui avaient également été faits prisonniers à Saint-Guillaume.
Adrien Conus réussit à s’échapper quelques instants avant son exécution mais il fut témoin de la mort de Jean Foillard, de Léon Jail et de deux des jeunes maquisards.
Son témoignage est retranscrit dans le n°49 du « Pionnier du Vercors » paru en janvier 1985 : « ...Vers 21 heures, on nous reconduit vers le car, après nous avoir retiré tout ce que nous possédons. Nous comprenons alors avec certitude que nous allons être fusillés. Quinze Allemands montent avec nous et nous conduisent sur la route de Saint-Guillaume vers une ancienne cimenterie. On nous fait descendre de voiture avec les brutalités habituelles.
...
Les Allemands nous font ensuite monter le long du ravin, au fond duquel coule le torrent et nous nous asseyons dans un pré, les uns à côté des autres, en silence.
Le peloton d’exécution se met en place, à vingt mètres de nous, et nous restons sous la garde de cinq hommes. Le feldwebel s’avance et crie : « Les deux premiers ». C’est le lieutenant Foillard et un jeune qui se trouvent ainsi désignés. Sans dire un mot, ils se lèvent et, la tête haute, avec une dignité suprême, marchent vers le lieu d’exécution.
Ils se mettent à genoux et sont aussitôt massacrés, de dos, par sept ou huit boches armés de pistolets ou de mitraillettes. Puis le feldwebel revient et dit : « Deux autres ». C’est au tour de Jail et d’un second jeune. Jail se lève et emmène avec lui son malheureux camarade. Leur attitude à tous deux est magnifique de simplicité, de grandeur et de résignation. On se sentait déjà dans l’irréel. Ils sont aussitôt fusillés dans les mêmes conditions.
Pour moi, j’avais remarqué que le feldwebel, après avoir appelé ses victimes, relevait son pistolet. J’étais épuisé par la fatigue de ces longues heures de marche et par les mauvais traitements. Mes épaules déboîtées me faisaient horriblement souffrir, mais j’étais résolu à tout risquer plutôt que de me laisser abattre comme un chien ...
Voici le feldwebel qui revient : « Les deux derniers, crie-t-il. » Je fais semblant de me lever avec peine, je serre violemment la main du dernier jeune qui était à mes côtés, un jeune gars de 17 ans. Le pauvre gosse, avec étonnement et résignation, attend la mort. Je surveille du coin de l’œil le revolver, et dès que celui-ci est relevé, d’un bond je m’élance de toutes mes forces sur le sous-officier qui tire, sans m’atteindre.
Je le bouscule et je parviens au bord du ravin, à dix mètres de là, sous le feu des mitraillettes des soldats et du pistolet du feldwebel. Je saute dans l’à-pic, profond d’une dizaine de mètres. Un arbre, heureusement, amortit ma chute. Poursuivi par les coups de feu de tous les Allemands qui commencent à descendre la pente, je traverse le torrent et commence à m’engager dans les buissons de l’autre rive. Je réussis à me dissimuler dans un trou parmi les ronciers, où je me recouvre de feuilles mortes, de terre et de boue... »
Le 9 août 1944, des scouts qui recherchaient le corps de Léon Jail sur les indications d’Adrien Conus découvrirent quinze corps à Revolleyre, répartis dans quatre lieux mentionnés comme suit dans les actes de décès :
L’« ancienne usine à ciments », où furent trouvés les corps d’ Albert BRAUN, Raymond CHAMPEY, Marcel DROUOT, Léon JAIL, Gaston LANTHEAUME, Jean VIALLET, et d’un INCONNU, qui ne fut jamais identifié.
« Dans les bois qui dominent l’ancienne usine à ciment sur la rive Nord de la combe » furent trouvés les corps de Gustave ÉPARVIER, Henri GAUTIER et Bruno SCHIAVON.
« Dans la combe qui domine l’ancienne usine à ciment, vers le centre », furent trouvés les corps de Robert ARMAND et Jean FOILLARD.
« Dans le champ qui domine la combe Sud, au débouché du petit bois » furent enfin trouvés les corps d’Henri CANOVA, Maurice GAILLARD et Maurice PERRIN.
La date des décès fut fixée au 26 juillet 1944, l’exception de du décès de Jean Foillard fixé au 23 juillet 1944 et de Bruno Schiavon et de l’inconnu dont les actes de décès portent la mention : « dont la mort parait remonter à quinze jours environ ».
Toutefois d’autres sources mentionnent parfois des dates différentes, toutes situées entre le 23 et le 26 juillet 1944.
Seuls Gustave Éparvier et Léon Jail furent identifiés sur le champ.
Dès le 24 novembre 1945, le maire du Gua, M. Émile Doulat, propose au conseil municipal d’ériger un monument à la mémoire des quinze fusillés. Érigé au bord de la route départementale 8 à proximité des lieux des exécutions, il fut inauguré le 21 juillet 1946. Il a depuis, été légèrement déplacé.
SOURCES : Arch. Dép. Isère, Mémorial de l’oppression, 2 MI 2233, transmis par B. Tixier, Association "Histoire et patrimoine du Gua" — 1939-1945 au Gua, Secteur IV Balcon est du Vercors, Histoire et patrimoine du Gua, août 2019 — Mémorial GenWeb — Le Pionnier du Vercors n°49, janvier 1985 — État civil
Jean-Luc Marquer