Né le 1er janvier 1888 à Roubaix (Nord), fusillé après condamnation le 15 juin 1943 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; venu du catholicisme social ; militant communiste du Maroc ; antifasciste, militant du Secours rouge, engagé pour l’Ethiopie ; colonel des Brigades internationales proche d’André Marty ; directeur gérant de Ce soir légal, n° 1, 8 juillet 1940 dont la sortie ne fut pas autorisée par la censure allemande ; résistant avec d’importantes responsabilités militaires et opérationnelles ; sa notoriété largement mise en avant par le PC jusqu’à l’entrée en guerre est ensuite très affaiblie et laisse place à la suspicion ou à un relatif oubli.

Jules Dumont, photographie de sa fiche de police pendant l'Occupation
Jules Dumont, photographie de sa fiche de police pendant l’Occupation
Jules Dumont, fils d’un ouvrier du textile (tisserand sur l’acte de naissance) travaillant à l’usine Toulemonde (né dans une famille bourgeoise, disent Crémieux et Estager (op. cit. par erreur) fit dut quitter l"école tôt, son père devenant aveugle, et travailla un temps comme cordonnier, le métier de son grand-père. Marqué par le Sillon, il s’engagea dans la catholicisme social et collabora au journal catholique local avec des qualités de style qui s’exprimait aussi dans sa poésie. Il s’intéressait aussi à la photo. Parmi ses connaissances figuraient Louis Blain, un des futurs créateurs de la CFTC et Florimond Bonte alors instituteur dans l’enseignement catholique et futur député communiste. Il manifestait alors des sentiments patriotiques et se disait "publiciste".
Il fit son service militaire au Maroc où il fut nommé sous-officier et participa aux opérations de pacification. Pendant la Première Guerre mondiale, il se battit pendant cinquante-deux mois sur tous les fronts : Flandres, Somme, Verdun puis Salonique, et finit la guerre comme capitaine, décoré de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur. Blessé à plusieurs reprises, gazé un mois avant l’armistice, il décida de rester dans l’armée. Dumont quitta l’armée en octobre 1919. Il refusait de rester dans l’active car on ne lui conservait pas le grade de capitaine obtenu sur le champ de bataille (s’il avait choisi de rester, on lui aurait conservé son grade de lieutenant obtenu par concours en 1915). On lui refusa la conservation de son grade de capitaine dans le cadre de la réserve. Il part, après sa démobilisation, très rapidement au Maroc, mais pour faire du commerce à Marrakech.
Il s’établit alors à Marrakech puis Settat comme commerçant puis à Aïn Taoudjat dans une concession à défricher, fit des agrumes et de l’apiculture. La misérable condition des Marocains l’indigna et il prit leur défense, rédigeant pour eux des requêtes auprès de l’administration. Puis il se tourna vers les petits colons que la crise ruinait. Il les rassembla, fonda une coopérative d’achat de matériel agricole, se battit pour une indexation du prix des céréales, dénonça la pesante tutelle des banques. La lecture de l’Humanité, que lui procurait le chef de gare, fit de lui un communiste. En 1934, parce que ses enfants grandissaient, il demanda une charge de mandataire au marché de Meknès, ce qui lui fut accordé.
Qu’il ait cherché à prendre des contacts avec des indigènes pour développer une propagande anticolonialiste, ce n’est pas douteux. Ainsi accepta-t-il d’exposer ses vues dans deux réunions « clandestines », les 19 et 28 novembre 1934, mais les réunions en question avaient été organisées par deux indicateurs de police. Aussi son domicile fut-il perquisitionné, Jules Dumont arrêté, traduit devant le tribunal militaire de Meknès, condamné le 15 janvier 1935 pour propagande communiste et distribution de journaux interdits : L’Orient arabe et l’Humanité, et aussitôt expulsé. Les effets de cette affaire furent de deux ordres :
– Les amis de Dumont, dans un élan de solidarité, se manifestèrent. Louis Apcher recueillit les trois enfants, alerta les sympathisants de Casablanca dont Charles Dupuy et Xavier Gransart, et une section du Secours rouge fut créée en février.
– Pour clouer au pilori « les porteurs de sabre », deux tracts furent diffusés à un mois d’intervalle, le 1er février et le 1er mars. « Maroc rouge » annonçait la création d’un « Parti communiste marocain » et appelait « les peuples exploités » à la révolte. Ils firent scandale. La confection et la diffusion de ces tracts, envoyés par la poste, exigèrent des prises de contact, des liaisons qui révélèrent les premiers communistes du Maroc à eux-mêmes et à la police.
Quant à Dumont, pris en charge par le Secours rouge en France, il participait en mars 1935, à Paris, à des réunions du SRI et présenta à la conférence nationale des 16 et 17 mars 1935 un rapport sur la situation au Maroc. À l’automne de 1935, c’est l’Internationale communiste qui l’envoya comme conseiller militaire auprès de l’état-major du Négus en Éthiopie attaquée par Mussolini.
Dès juillet 1936, Jules Dumont se porta volontaire pour organiser l’instruction des combattants des Brigades internationales (BI). Il constitua à Madrid la centurie « Paris » (92 hommes, dont 77 Français) qui semble avoir été le noyau des unités françaises des BI. Très lié à André Marty, à partir du 22 octobre 1936, il commanda, avec le grade de colonel, le bataillon « Commune de Paris » de la 1re BI. Il exerça cette fonction, secondé par Marc Sagnier, jusqu’au 3 janvier 1937 puis du 18 janvier au 15 février 1937. André Marty lui confia ensuite le commandement de la XIVe BI (« La Marseillaise ») du 28 février 1937 au 23 février 1938. Il conduisit ses troupes au Jarama et à Cuesta de la Reina. Malade en décembre 1936, blessé le 4 janvier 1937, il bénéficia d’une permission en novembre-décembre 1937 et fut remplacé par Boris Guimpel. Dumont, qui habitait semble-t-il à Montreuil-sous-Bois, vint saluer la conférence régionale communiste Paris-Est en décembre. Il aurait quitté définitivement l’Espagne au milieu du mois de janvier 1938 mais son commandement prit fin un mois plus tard.
Lieutenant-colonel de réserve, Jules Dumont ne fut pas mobilisé en 1939. Rien ne le signale dans son livret militaire, ni dans les témoignages recueillis. Cette période de sa vie (automne 39 - printemps 40) est d’ailleurs assez énigmatique. Le fils de Bernadette Cattanéo se souvient l’avoir vu venir en civil visiter cette militante et amie personnelle pour parler avec elle de sa rupture avec le Parti communiste en raison de son désaccord avec le Pacte germano-soviétique ; il lui conserva sa sympathie et c’est d’ailleurs à elle qu’il fit adresser sa dernière lettre (voir ci-dessous) pour qu’elle la communique à sa famille.
Il se mit aussitôt au service du Parti communiste clandestin. Pressenti comme directeur-gérant de Ce Soir, « grand quotidien indépendant d’informations », il se rendit le 6 juillet 1940 à l’ambassade d’Allemagne accompagné de Me Foissin. Reçu par Otto Abetz, il lui remit la morasse du numéro 1, daté du lundi 8 juillet 1940 (conservé aux Arch. Nat. AJ 40883). L’éditorial annonçait qu’après dix mois d’interdiction, Ce Soir avait obtenu l’autorisation de reparaître : « Ce Soir, journal indépendant, qui mena de courageuses campagnes pour défendre le peuple de France, fut interdit, en même temps que l’Humanité, pour avoir approuvé le Pacte germano-soviétique et servi par cela même la cause de la paix. » En bas de page une manchette annonçait : « Amis de Ce Soir souscrivez !... Envoyez les fonds à Jules Dumont, 123 rue Montmartre, Paris. » Dans une note du 7 juillet, Abetz se prononçait pour l’autorisation de Ce Soir : « Les journalistes désignés par le mouvement communiste pour la direction de la rédaction se sont déclarés prêts à soumettre chaque projet d’article avant impression et à s’aligner au plus près pour le traitement des questions politiques les plus importantes sur le journal la France au travail que nous rédigeons nous-mêmes » (CDJC, LXXIX a I, document trouvé par Denis Peschanski et cité dans L’Histoire, no 60, octobre 1983). On ignore si le cas Ce Soir fut évoqué le 13 juillet lors de la rencontre entre Me Foissin, Catelas, Tréand et Otto Abetz. Ce dernier partit en Allemagne pour répondre à une convocation d’Hitler. De retour en France, il reçut Me Foissin, le 22 août pour lui annoncer qu’Hitler et Ribbentrop jugeaient impossible la reparution de Ce Soir, trop marqué par la guerre d’Espagne.
Jules Dumont aurait ensuite été chargé pendant l’automne 1939 et l’hiver 1939-1940 de préparer l’évasion des députés communistes de la prison du Puy (Haute-Loire), mais, en mars 1941, les députés furent transférés à Marseille. Selon l’Humanité du 20 juillet 1940, Jules Dumont avait été arrêté dans le XXe arrondissement. Un tract communiste, ramassé par la police le 25 juillet, évoquait l’arrestation de Jules Dumont, le 14 juillet à Charonne, pour distribution de tracts (Arch. Tasca, vol. 23). Il fut relâché rapidement. Fin novembre ou début décembre, la police découvrit à Montreuil, dans un local loué par Jules Dumont, du matériel de propagande : deux ronéos, 15 000 tracts, des numéros de l’Humanité clandestine, de La Vie ouvrière et de La Voix du XXe (Rapport de police hebdomadaire, 3 décembre 1940, Arch. Tasca).
Jules Dumont fut à l’automne 1941 un des fondateurs de l’Organisation spéciale (OS) et un des commissaires militaire du premier comité militaire national des FTP. Elie Ventura* le rencontra alors, présenté par Couliboeuf, "il recherchait des anciens combattant de la guerre d’Espagne. Je pus lui en indiquer deux dans le 19e." (déclaration orale à la commission des cadres le 9 novembre 1948) Il avait organisé le déraillement de train d’Épinay en juillet 1941. Il mit au point les opérations « brûlots » effectuées par des groupes mobiles loin de leur base. C’est lui qui envoya Brutslein commettre l’attentat du Nantes le 20 octobre 1941. L’état-major FTP le désigna comme chef militaire de la région Nord-Pas-de-Calais-Aisne-Ardennes, au début de l’année 1942, sous le nom de « colonel Paul ». Il était secondé par Jules Hapiot et Charles Debarge et eut un rôle fondamental qui marqua les témoins. . Arrêté à la fin de l’année 1942, torturé, incarcéré à Fresnes, il fut condamné à mort par le tribunal Paris Boissy d’Anglas / Kdt. Gross Paris Section B le 7 juin 1943.
il a été fusillé le 15 juin 1943 au Mont-Valérien.
Jules Dumont s’était marié le 19 avril 1913 à Roubaix et était père de trois enfants. Un fils, arabisant, fit une carrière importante au Maroc. Il fut officier des AMN (affaires militaires musulmanes) au Maroc. Gaulliste, au moment du putsch à Alger, il dirige la radio en langue arabe et s’oppose aux rebelles, ce qui lui vaudra d’être inscrit sur les listes noires de l’OAS. Il est exfiltré d’Algérie avec sa famille pour cette raison. Ensuite, en 1963, il part en coopération militaire au Sénégal et y reste après son dégagement du cadre avec le grade de colonel, pour un contrat civil de conseiller du président Senghor pour les affaires musulmanes. Il est en effet titulaire d’un doctorat et auteur de deux ouvrages sur les confréries Tijane et Mourides qui font toujours autorité aujourd’hui au Sénégal et au Maroc. Arabophone et spécialiste de l’islam, il avait encore en projet en 1999, à sa mort, une publication sur l’islam.
Une plaque, 6-8 rue Louis-Ganne, à Paris (XXe arr.), honore la mémoire de Jules Dumont.
Dernières lettres
14 heures
Mardi, 15 juin 1943
Mes chers enfants,
On vient de m’avertir que la dernière cérémonie aura lieu dans deux heures.
J’aurais tant voulu me dire ce qui me gonfle le cœur, toute l’affection inexprimée.
Ce qu’il faut que vous sachiez c’est que mon courage n’aura pas faibli un seul instant. J’ai voulu que toute ma vie fut au service du peuple et de mon pays, ma mort aussi peut être leur servira.
Je sais au moins pourquoi j’ai souffert et pourquoi je vais mourir, tant d’autres souffrent et meurent sans savoir pourquoi.
Je veux aussi vous dire que depuis le départ de votre mère une autre femme en toute clarté est entrée dans ma vie. ; L. P. a été pour moi le dévouement même, c’est pour me sauver la vie qu’elle est elle-même en prison depuis 18 mois.
Ayez pour elle, comme pour votre mère d’ailleurs toute l’affection possible, que votre bonne affection remplace près de ces deux femmes également admirables, celle que je n’ai pu leur donner.
Au revoir, ma foi est intacte, je meurs content puisque c’est pour le peuple et pour mon pays.
Aimez-vous bien, soyez heureux, je vous embrasse de toutes mes forces.
Pierre, Fernand, Mimi
J. Dumont
 
Mardi 15 juin 43 (15 heures)
Chère Maria,
Dans une heure je serai fusillé, je pense à toi en toute sérénité.
Sans doute je n’ai pas été celui que j’aurai pu et voulu être.
Toute ma vie sentimentale a été impressionné par l’accident que tu sais, j’ai eu l’immense tort de ne pouvoir surmonter cet accident et de t’en garder rigueur. Pardonne-moi.
Un calme infinie n’a cessé d’être mien depuis 7 mois que (je souffrent) et en ce moment même où je vois la mort.
Il te reste nos bons, nos vaillants enfants.
Il faut leur dire, ils furent jusqu’à ma dernière minute mon refuge, mon meilleur souvenir.
J’étais tellement fier d’eux !
Ils t’aimeront tant que tu oubliera.
Je voudrais pourtant que toi et mes fils conserviez de moi un souvenir assez agréable, je suis tellement sur qu’on ne me connaissait pas !
Je vais tomber comme un soldat, sans peur et sans reproche, que cela au moins vous réconforte. Vive la France !
A Dieu je t’embrasse une dernière fois.
Jules
Sources

SOURCES : RGASPI, 495 270 1867, dossier Jules Dumont dans les archives du Komintern, mais nos demandes sont restées sans résultat. Le dossier a dû être versé à un autre service. – Arch. A. Marty (J. Maitron), E VIII, S I et S II. – Arch. AVER. – Arch. Tasca, Fondation Feltrinelli, communiqué par Denis Peschanski. – AVCC, Caen. — Arch. CDJC, LXXIX a I, communiqué par Denis Peschanski. – RGASPI, 495 270/1867. – La Voix de l’Est, 18 décembre 1937. – Albert Ayache, « Droite et gauche au Maroc de 1934 à 1936 », dans La Pensée, no 188, août 1976. – Alain Guérin, La Résistance, t. I, Paris, 1972, p. 238. – Francis Crémieux et Jacques Estager, Sur le Parti 1939-1940, Paris, Éd. Sociales, 1983. – Andreu Castells, Las Brigadas Internacionales de la guerre de Espana, Barcelone, 1974. – Denis Peschanski, « L’été 40 du Parti communiste français », L’Histoire, no 60, octobre 1983. – Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40. La négociation secrète, Éd. de l’Atelier, 2006. – Françoise Demougin Dumonty, La promesse de l’oubli. Mon grand-père Jules Dumont, Tiresias, 2017. — Témoignage de Charles Dupuy. – Correspondance de Patrick Demougin. — Notes Albert Ayache. – État civil, Roubaix. —Biographie du Maitron papier, par Jean Maitron et Claude Pennetier.

Iconographie
ICONOGRAPHIE : Jacques Duclos, Mémoires, op. cit., t. 3, p. 43-45. — Épopée d’Espagne, 1956, p. 51 et 126.

Claude Pennetier

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