Né le 16 décembre 1910 à Paris (XIIIe arr.), mort torturé par la Gestapo le 24 ou le 25 février 1944 à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) ; artisan peintre, ouvrier de raffinerie et chauffeur ; militant communiste de Martigues (Bouches-du-Rhône) ; syndicaliste ; résistant, chef d’un groupe FTP à Martigues, puis responsable régional du sous-secteur Istres-Saint-Mitre-Martigues.

Portrait de Maurice Tessé au siège de la section du PCF de Martigues (photo de Renaud Poulain-Argiolas).
Quai Maurice Tessé, ancien Quai de Rive Neuve, à Martigues (photo de Renaud P-A, avril 2021)
Stèle rendant hommage à Maurice Tessé, à Miramas sur la route de Salon (photo de Renaud P-A, août 2022).
Le père de Maurice Tessé s’appelait Maurice, Pierre Tessé. Né à Vern-d’Anjou (Maine-et-Loire), il était « scieur à la mécanique » (machiniste) à la naissance de son fils. Sa mère, Marie, Amélie, Joséphine Bully, était née à Champagnole (Jura) et sans profession. Maurice Tessé fils vint au monde au 17, rue Baudricourt, domicile de ses parents, qui n’étaient pas mariés.
Lors de leur mariage, le 21 juin 1915 à Montrouge (Seine, Hauts-de-Seine), Maurice Tessé père et Marie Bully reconnurent pour les légitimer Maurice et ses deux sœurs : Renée, Mathilde, Louise, née en février 1909, et Marguerite, Désirée, née en octobre 1914. Le ménage vivait alors au 24, rue Marcelin Berthelot, à Montrouge, chez la famille du père. D’après le recensement de la population, la famille Tessé vivait en 1926 à Revolon, lieu-dit dépendant de la commune de Quincié-en-Beaujolais (Rhône). Le père travaillait comme menuisier pour un patron ou une entreprise nommée Balayre.
Maurice Tessé (fils) fit son service militaire dans les chasseurs alpins. En octobre 1932, il obtint un « Brevet d’observateur d’élite » dans le 18e bataillon de chasseurs alpins de Grasse (Alpes-Maritimes), signé par le Chef de bataillon breveté Malraison.
Ancien artisan peintre, fervent antifasciste, sympathisant communiste et militant syndicaliste, il travailla selon Jacky Rabatel à la raffinerie de Lavéra (un hameau de Martigues), où il côtoya Paul-Baptistin Lombard. Après les grèves du 30 novembre 1938, 36 militants syndicaux et politiques furent licenciés des industries locales (15 d’entre eux ont été identifiés comme membres du PCF ou sympathisants ou responsables de la CGT). Parmi eux, 14 travaillaient à la raffinerie de La Mède (commune de Châteauneuf-les-Martigues) et autant à celle de Lavéra. Tessé était l’un deux, tout comme Paul-Baptistin Lombard.
Maurice Tessé vivait avec Yvonne Guistino. Le couple avait trois enfants. Ils en eurent un quatrième plus tard et se marièrent le 21 avril 1942 à Martigues. Pour subvenir aux besoins de sa famille il aurait travaillé un temps comme casseur de pierres en échange d’un salaire dérisoire.
D’après un rapport du commissaire de police de Martigues du 3 février 1942, Tessé travaillait comme chauffeur de machines. Après la grève du 30 novembre 38, il avait été licencié de la Compagnie de raffinage de La Mède ou de Lavéra, condamné par le Tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence pour entrave à la liberté du travail fin 1938 ou début 1939. Selon lui, ce n’était pas le militant le plus dangereux, car il agissait « par entrainement » . Son père était lui aussi un militant communiste et avait été également poursuivi pour entrave à la liberté du travail.
En 1939, lors de la déclaration de guerre, il fut volontaire pour être affecté dans les corps francs qui se battaient devant la ligne Maginot.
Le 11 mars 1941, Maurice Tessé fit l’objet d’une première proposition d’internement administratif par le commissaire de police de Martigues, après la diffusion de papillons des Jeunesses communistes dénonçant « Pétain le flic » et demandant la libération des communistes. Suite à l’entrée en guerre de l’URSS, dans la nuit du 18 au 19 septembre 1941, les murs du centre-ville de Martigues furent recouverts de papillons clamant : « Vive Staline – le Lénine d’aujourd’hui ! ». Pour en retrouver les auteurs, la police fit des perquisitions chez 9 communistes, dont Paul-Baptistin Lombard. Malgré l’absence d’éléments concrets, le préfet ordonna 4 internements dont ceux de Maurice Tessé et de Jean Parédes, garçon-coiffeur de 24 ans.
Le 10 octobre, la police procéda à l’arrestation des quatre militants ainsi qu’à celles de Lombard et d’Albert Domenech. Faute de preuves, Lombard fut relâché à la fin de l’année. Maurice Tessé fut interné à partir du 12 au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn), d’où il s’évada avec Parédes, le 1er décembre 1942, profitant d’un transfert en train. Le chef du camp envoya une lettre à Mme Tessé pour lui annoncer que son mari s’était évadé et que ses papiers et effets personnels resteraient au camp. La famille Tessé vivait alors au 4, quai de Rive Neuve à Martigues. Parédes se cacha dans le Vaucluse, où il entra dans les FTP, devenant responsable régional des services de renseignements sous le pseudonyme de « Cardinal Saint-Sulpice ».
Dans un contexte d’unification de la Résistance, qui vit l’autorité du général de Gaulle reconnue par le PCF et alors que le CNR allait bientôt voir le jour, Lombard souhaitait voir les FTP s’implanter solidement à Martigues. Il recevait des tracts communistes venant de Marseille, distribués ensuite par les militants dans sa commune. La police ne relevait cependant officiellement aucune présence de propagande communiste. Raison probable de cet aveuglement policier : le commissaire et deux inspecteurs de Martigues faisaient partie des MUR (Mouvements Unis de Résistance).
Lombard sollicita donc Maurice Tessé pour travailler à l’implantation des FTP à Martigues. Celui-ci vivait caché dans les environs, à Saint-Pierre, dans un cabanon du quartier de la Gatasse, près de la maison de son père. Sa situation familiale était devenue critique. En effet, pendant son internement, lui et sa femme avaient perdu une fille en bas âge. Pour pouvoir continuer à lui apporter des provisions et à nourrir les enfants, Yvonne Tessé dut vendre progressivement leur mobilier. Dans son malheur, Maurice Tessé bénéficia toutefois de la bienveillance voire de la complicité des habitants de Saint-Pierre. Non seulement on ne signala pas sa présence aux autorités, mais il fut assez généreusement protégé. Un gendarme prévenait, par exemple, sa femme des perquisitions, tandis qu’Alex, un antifasciste allemand ami de la famille, informait des réactions de l’armée occupante. Quand c’était nécessaire, Tessé allait se cacher dans les galeries désaffectées de La Plâtrière de Saint-Pierre.
Début 1943, il se trouva quand même un pétainiste militant de Saint-Pierre pour aller le dénoncer à la police. Comme le commissaire avait mis le délateur dehors, celui-ci récidiva en s’adressant à Ehrard Mutschler, chef de la Kommandantur locale. Ce dernier raconta plus tard qu’un matin il avait trouvé une lettre anonyme dans sa boîte-à-lettres, mentionnant un prisonnier évadé à Saint-Pierre et le nom de la personne qui le cachait. Choqué, le capitaine serait allé voir le maire avec la lettre en déclarant :« Si ce prisonnier s’est évadé, il a mérité sa liberté. Essayez de trouver le salaud qui l’a dénoncé... » Une attitude qui semble caractéristique de l’officier qui, selon le souvenir qu’il laissa aux autorités françaises, se donnait comme tâche de veiller à la sécurité de ses troupes en évitant les conflits avec les habitants.
C’est donc à Saint-Pierre que se constitua le premier foyer important de FTP de Martigues, autour d’une famille complice de Tessé : les Arnaud. Ce noyau venait renforcer des groupes de trois qui existaient déjà, tous reliés à Lombard, dont celui formé par Paul Mudadu, Canova et Esquiva (« Jésus »), que François Miras approvisionnait en matériel de propagande. Sauveur Mudadu, le frère de Paul, avait été également recruté par Lombard en octobre 1942. Il faisait la liaison avec Port-de-Bouc, où il travaillait aux Chantiers et Ateliers de Provence.
Le père Arnaud, boulanger, avait 4 filles et 3 fils. Une des filles, Madeleine, faisait de la résistance à Toulon avec son mari. Une autre, Jeanne, avait épousé Henri Bonifay, 29 ans, qui tenait la boulangerie. Louisette, une troisième, s’était mariée avec François Martinez, 26 ans.
En janvier 1943, Tessé recruta dans les FTP les deux gendres ainsi que les trois fils Arnaud : Albert, 31 ans, chauffeur ; Marius, 28 ans, cultivateur ; Henri, 19 ans, qui aidait à la boulangerie.
Henri Arnaud rapporta que Tessé leur fit prêter serment dans le fournil « sur un vieux colt espagnol ». Chaque membre reçut un pseudonyme : Maurice Tessé devint « Ténor », François Martinez « Le Calmeé », Albert Arnaud « Le Bic », Henri Bonifay « Lagardère », Henri Arnaud « Blondin » et Marius Arnaud « Le Bôche ».
Louis Delague (« Duclos »), 21 ans, employé à la Plâtrerie, fut recruté par Marius Arnaud qu’il avait connu avant la guerre, lorsqu’il était apprenti à la boulangerie. Le réflexe patriotique fut la motivation principale de l’engagement de ces jeunes. L’instauration du STO avait fait grandir l’hostilité envers l’occupant et de nombreux jeunes gens prirent le maquis pour éviter d’être envoyés en Allemagne.
Le mouvement rassemblé autour de Maurice Tessé prit de l’ampleur. A ce propos, Yvonne Tessé, qui fit également partie du groupe, hérita une liste de son mari. Celle-ci répertoriait les noms des FTP, leurs pseudonymes, numéros de matricule, dates et lieux de naissance, professions et dates de recrutement. D’après les recherches de Jacky Rabatel, l’exactitude de ces données fut confirmée par des témoignages.
Entre janvier et mars 1943, de nouveaux éléments vinrent agrandir la nébuleuse autour de Maurice Tessé : Pierre Costa (« Lavison »), 23 ans, pêcheur ; Émile Mecquerque (« Séraphin »), 46 ans, monteur ; André Labadie (« Pétrole »), 28 ans, chauffeur ; Alfred Padeu (« Argus »), 24 ans ; Claude Vandelle (« Lunette »), 22 ans, maçon. Beaucoup étaient de jeunes ouvriers, anciens membres de la CGT pour la plupart, et soudés par un esprit de camaraderie. Certains étaient en plus de cela communistes, comme Antoine Blanc (« Esponner »), chauffeur de 31 ans, déjà contacté début 1942 par Gaston Beau (« Commandant Callas »), responsable des FTP à Marseille, chargé de l’approvisionnement en munitions.
Ils respectaient plus ou moins bien l’organisation sur la base des groupes de trois. De nombreux membres se connaissaient et la frontière entre militantisme au PCF et actions dans les FTP n’était pas toujours très nette. Marius Arnaud devint l’adjoint de Tessé et Antoine Blanc le responsable militaire. Vu que les hommes se fréquentaient au quotidien, la répartition des tâches et les départs en actions se faisaient souvent selon les membres disponibles ou les plus décidés.
A partir de juillet 1943, le groupe accueillit de nouveaux arrivants : Raymond Betza (« Popeye »), 18 ans, pêcheur ; Raymond Durand (« Daniel »), 21 ans, mécanicien ; François Ivars (« Hirondelle »), 19 ans, mineur ; Auguste Tolosano (« Nouveau Jules »), 20 ans, pêcheur.
Ils étaient maintenant plus de 20 au total. Ils devaient se compter et s’organiser, car mises à part quelques distributions de tracts, les moyens faisaient défaut pour accomplir des actions armées. Le vieux colt de Tessé et quelques fusils de chasse non déclarés étaient insuffisants. A la plâtrerie, Louis Delague réussit à se procurer un peu de dynamite, qui servit bientôt. Dans la nuit du 7 au 8 juillet, les FTP de Carry-le-Rouet avaient donné l’exemple en s’attaquant à la voie ferrée près de la gare de Carry. Cependant la charge, mal placée, n’avait pas pu faire dérailler un train de marchandises.
En décembre 1943, d’autres vinrent encore grossir leurs rangs : Joseph Gatto (« Gueule d’amour »), 18 ans, pêcheur ; Antoine Anguille (« Carpe Francis »), 21 ans, pêcheur ; Jules Turcat (« Poirier ») et Gaston Laurent, 22 ans, facteur. Ce dernier avait déjà pris l’initiative de saboter des trains à destination de l’Allemagne avec ses frères. Plusieurs membres de sa famille rejoignirent leurs effectifs.
Les structures des FTP étaient multiples. Outre les groupes de trois reliés à Lombard, le groupe d’une douzaine de membres mené par Tessé était le fer de lance de l’action armée. Autour d’eux, il y avait de plus des personnes de confiance, qu’on sollicitait pour distribuer des tracts, cacher des armes ou pour des coups de main ponctuels.
Le 15 décembre 1943, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Gabriel Péri, fusillé par les Allemands, ils déposèrent une gerbe de fleurs « cravatées aux couleurs de la France » sur le socle de l’ex-monument Richaud, devant la mairie.
Sortant du travail de propagande et de recrutement, les FTP passèrent à l’action directe à partir du début de l’année suivante.
En janvier 1944, la région connut de nombreux sabotages. Le 1er janvier, 30 locomotives furent visées à Miramas. C’était une action concertée à l’échelle départementale à laquelle les FTP de Martigues participèrent le 7, en tentant de saboter la voie ferrée Marseille-Martigues près de la gare de Ponteau-Saint-Pierre. Étaient présents : Louis Delague, Gaston Laurent, Henri Arnaud, Marius Arnaud, François Ivars, Henri Bonifay et François Martinez.
Vers minuit, le poste des garde-voies fut investi. Les résistants ligotèrent et bâillonnèrent le chef de poste, coupèrent les fils du téléphone et emportèrent les fusils de chasse des garde-voies. Ensuite, Marius Arnaud attacha à un rail de la dynamite volée à la plâtrière. Trois garde-voies, des civils, arrivèrent à ce moment-là, dont Joseph Gatto et son père. Ils furent sommés de lever les mains en l’air et de suivre les FTP dans leur retraite. Joseph Gatto reconnut alors certains de ses copains. Le sabotage échoua : quelques boulons lâchèrent, mais le rail resta en place.
Cette expérience leur fit prendre conscience de la nécessité brûlante d’acquérir des armes et des explosifs pour prendre exemple sur ce qui se passait dans la région : le 11 janvier, trois locomotives à Rognac ; le 17, déraillement d’un train de pensionnaires allemands près de Miramas ; le 18, exécution à Aix-en-Provence du président de Chambre à la Cour d’appel ; le 19, exécution du responsable départemental du STO.
Afin d’obtenir des armes, ils attaquèrent la poudrerie de Saint-Chamas le 31 janvier. D’après le rapport de gendarmerie, 7 individus masqués menacèrent 3 gardes avec des revolvers. Ces derniers leur remirent « six revolvers colt du modèle 1892 qui se trouvaient dans la loge du concierge. » Maurice Tessé, Henri et Marius Arnaud, Auguste Tolosano et trois FTP de Saint-Chamas étaient partis la veille à vélo. Après l’opération ils dormirent dans une grange et rentrèrent à Martigues le lendemain.
Tessé venait d’être choisi comme responsable du sous-secteur Istres-Saint-Mitre-Martigues. À ce titre, il était en contact avec les FTP de Miramas et Saint-Chamas. Marius Arnaud l’avait donc remplacé à la tête des FTP de Martigues, une liaison qui lui permit de se procurer du plastic : le rêve de tout saboteur.
Le 10 février 1944 eut lieu leur première action au plastic. Deux engins explosifs placés sur deux locomotives au dépôt de la gare du B.D.R. Cette ligne était utilisée par les Allemands pour transporter du matériel et des Annamites qui travaillaient pour eux, assurant la liaison entre le Pas-des-Lanciers et Martigues. Le dépôt et les machines furent gravement endommagés. Maurice Tessé était présent, avec François Martinez, les frères Arnaud (Henri, Marius et Albert) et un autre FTP. Ils s’étaient infiltrés dans la gare pendant la nuit, entre deux rondes des soldats allemands, avaient posé le plastic et étaient repartis vélo sur l’épaule à travers champ.
Le 22 février 1944, l’action suivante se déroula à Saint-Chamas. Un responsable de Marseille avait donné à trois partisans la mission de s’emparer d’un camion de la poudrerie de Saint-Chamas. Le supérieur leur avait remis un revolver à chacun : Jacques Vridas, un déserteur de la LVF qui était passé au maquis dans la Drôme avant d’être mis en contact avec les FTP de Miramas, « Bernard » et Jacques S., deux réfractaires au STO. Malheureusement, aux dires du rapport de gendarmerie, les hommes se seraient trompé de camion... Leur vraie cible était un camion transportant de l’essence et des armes. Quand ils prirent conscience de leur erreur, ils garèrent le camion sur la route entre Miramas et Istres et rentrèrent à Salon en autobus.
Une fois à Salon, Vridas rencontra deux FTP au bar du commerce, Gaston C. de Miramas et André J., autre déserteur de la LVF. Ils se rendirent ensemble à Saint-Chamas, où Tessé vint les prendre à 19h30 dans une 402 Peugeot, accompagné de D., un FTP de Saint-Chamas, lui aussi réfractaire au STO. Tessé remit à Vridas un revolver de gros calibre avant de prendre la route de La Mède.
Près de cette ville, Henri Bonifay les attendait au volant d’une traction avant, accompagné de quatre FTP de Martigues dont Marius Arnaud, Henri Arnaud et Auguste Tolosano. Les deux voitures arrivèrent vers 20h15 à la raffinerie de La Mède. Ils avaient pour tâche de s’emparer de bidons d’essence. Un complice employé de l’entreprise avait indiqué à Lombard le meilleur moyen d’y parvenir.
Les résistants entrèrent par le "rak", pipeline reliant la raffinerie à l’Étang de Berre qui surplombait la route. Au poste de garde, ils maîtrisèrent un gardien et un ingénieur. Les deux voitures pénétrèrent alors dans la raffinerie, chargèrent quelques bidons et reprirent la route de Miramas vers 21h15. Pourtant, à Martigues, sur le pont à voie unique de Ferrières, ils se trouvèrent face à un barrage de gendarmerie, dont la présence était peut-être due à l’alerte donnée par la raffinerie. La 402 Peugeot dans laquelle étaient Maurice Tessé, Jacques Vridas, D., Gaston C. et André J. outrepassa l’ordre de s’arrêter à l’entrée du pont. Mais une camionnette déjà engagée sur le pont l’obligea à s’arrêter. Les FTP menacèrent les gendarmes et s’enfuirent dans les rues obscures du quartier de Ferrières.
Maurice Tessé rentra chez lui, quai de Rive Neuve, accompagné de deux de ses camarades. D’après Yvonne Tessé, il se serait changé avant de ressortir pour voir ce qui se passait. Un gendarme, qui n’avait pas manifesté beaucoup d’enthousiasme à le poursuivre dans la scène précédente, lui aurait lancé : « Tu es encore là ! Mais fous le camp, nom de Dieu ! ».
La traction avant conduite par Bonifay avait elle aussi réussi à prendre la fuite. Jacques Vridas, accompagné de D., était allé passer la nuit chez ses parents à Saint-Mitre.
Le 23 février, ils prirent la route de Miramas à pied, mais vers 7h15, deux gendarmes d’Istres, mobilisés depuis la veille, les arrêtèrent à l’entrée de leur ville. Les partisans furent désarmés et D., tentant de s’enfuir, fut maîtrisé. Au cours de l’interrogatoire qui suivit, D. s’enferma dans le mutisme, tandis que Vridas, peut-être dépassé par les événements, raconta volubile comment il s’était engagé dans les FTP, qui lui avait fourni ses faux papiers, les noms de tous ceux qui étaient avec lui dans la voiture ainsi que l’imminence d’une attaque, le jour-même, contre la poudrerie de Saint-Chamas grâce à la complicité d’un garde.
Les deux prisonniers devaient être transférés à Aix-en-Provence le lendemain.
Probablement informé du transfert, Maurice Tessé organisa une embuscade au passage à niveau se trouvant à la sortie de Miramas.
Le 24 février à 9h15, une vingtaine de FTP étaient cachés derrière la maison du garde-barrière et les talus bordant la route, lorsqu’ils virent arriver une Juvaquatre avec à son bord les deux prisonniers escortés de quatre gendarmes, suivis à deux cents mètres par un gendarme à moto.
Maurice Tessé fit baisser la barrière et les résistants mitraillèrent les gendarmes. L’un d’entre eux riposta et toucha Tessé à la tête. Le chauffeur de la voiture fit marche arrière. Un gendarme, descendu du véhicule et à cours de munitions, fut immobilisé par les FTP. Le motard également. Le chauffeur, encerclé et ayant reçu une balle dans la cuisse, coupa le contact et descendit de la voiture. Tous les gendarmes furent désarmés et les deux prisonniers libérés.
Entre-temps l’autobus Aix-Salon-Martigues s’était arrêté devant la barrière baissée. Un FTP y pénétra revolver au poing pour tenir les passagers en respect. C’est alors qu’arriva de Salon un détachement à pied de troupes allemandes à proximité du passage à niveau. Les résistants eurent tout juste le temps de rejoindre deux voitures et un camion garés plus loin pour prendre la fuite.
Maurice Tessé, grièvement blessé, fut pris par les Allemands. Transporté à Salon, il mourut le jour-même ou le lendemain de sa blessure et des tortures infligées par la Gestapo. Si un consensus semble s’être fait pour dater sa mort au 24 février, Jacky Rabatel suggère qu’il serait mort le 25. Le site "Mémoire des Hommes" le fait même mourir le 23, ce qui, au vu des autres événements, semble impossible.
Il n’en demeure pas moins que Tessé fut le premier résistant martégal à tomber.
Comme les FTP avaient réussi à s’emparer de la sacoche contenant la transcription des interrogatoires de D. et Jacques Vridas, ils apprirent la trahison du dernier. Il fut exécuté d’une balle dans la tête et son corps ne fut trouvé qu’après la Libération, à Tarascon.
La mort de Tessé fut un rude coup porté aux FTP. Ils interrompirent leurs actions jusqu’au 10 avril, jour où Marius Arnaud et Henri Bonifay sabotèrent au plastic la plâtrière de Saint-Pierre, dont la production était destinée aux Allemands.
Quelques mois après la mort de Maurice Tessé, sa dépouille fut transférée du cimetière de Salon où il avait été inhumé à celui de Martigues. Le 28 octobre 1944 eurent lieu ses funérailles, la population martégale ayant été encouragée à venir lui rendre hommage.
Le long cortège arriva depuis le cours du 4-septembre, donnant l’impression de rassembler toute la ville : sapeurs-pompiers, "gardes de communications", douaniers, enfants des écoles, Comité d’administration provisoire, Comité de Libération et d’Épuration, délégations du parti communiste du canton ainsi que d’autres groupements politiques, sociétés de secours mutuels de Martigues, instituteurs et institutrices, pécheurs, prisonniers et déportés, la Libre Pensée, les Anciens Combattants, la Croix-Rouge, les Femmes de France et de nombreuses personnalités civiles et militaires de la ville.
Un détachement de FTP et de troupes coloniales encadraient le cercueil. Au cimetière, des allocutions furent prononcées par Max Payssé, membre du Front national et président du Comité d’Administration Provisoire et du Comité de Libération de Martigues, et par M. Vergnolles (ou Vergniolle, selon les versions), représentant de la section communiste. En signe de deuil, les magasins furent fermés durant l’après-midi.
En janvier 1946, le Tribunal civil d’Aix-en-Provence décida de l’adoption par la Nation de deux enfants de Maurice et Yvonne Tessé : Liliane, Régine, Odette Tessé, née le 19 juillet 1935 à Martigues ; Renée, Christiane Tessé, née le 23 juillet 1937 à Martigues. Ils avaient également un fils prénommé Guy.
Le 9 mars 1947, à l’initiative des anciens FTP de Martigues, une stèle fut posée à Miramas à l’endroit où Maurice Tessé avait été blessé par les gendarmes.
Quelques mois plus tard, le quai de Rive Neuve où vivait la famille Tessé à Martigues fut rebaptisé « quai Maurice Tessé ».
Maurice Tessé reçut un grand nombre d’honneurs et de décorations posthumes. Ainsi, on lui décerna la Croix de guerre avec Étoile de Bronze en novembre 1946, la Médaille de la Libération en septembre 1948, la Croix de guerre avec Étoile de Vermeil en septembre 1950, la Médaille des Évadés en décembre 1951 et la Médaille de la Résistance française en septembre 1959.
Il fut reconnu « Mort pour la France », reçut le grade de sous-lieutenant en décembre 1947 et le titre de Grand Chancelier de la Légion d’Honneur en octobre 1954.
Il est enterré avec sa femme Yvonne Guistino au cimetière de Canto-Perdrix à Martigues, à quelques mètres de la tombe de sa sœur Marguerite et de leur mère.
Le site « Mémoire des Hommes » fourmille de références à Tessé. Parmi elles, on mentionne qu’il était membre des FTPF - bien que sa mort soit ici datée du 23 février 1944 - et on le gratifie de la mention « Mort pour la France ».
Dans sa partie Titres, homologations et services pour faits de résistance, le site le répertorie comme « déporté et interné de la résistance » (DIR) et membre du mouvement de résistance Front national. A propos de son rôle dans la Résistance, une cote contient des informations le concernant au Service historique de la Défense de Vincennes (GR 16 P 565690) et une autre au Service historique de la Défense de Caen (AC 21 P 681021).
Sur la Base des militaires décédés pendant la Seconde Guerre mondiale, il a également une cote au Service historique de la Défense de Caen (AC 21 P 161872).
Sources

SOURCES : Département de la Seine, arrondissement de Sceaux, Commune de Montrouge, Registre double des actes de mariage pour l’an 1915, acte n°48 du 21 juin 1915 concernant Maurice, Pierre Tessé et Marie, Amélie, Joséphine Bully. — Registre des naissances du XIIIe arrondissement de Paris, 1910, Acte n°2481 concernant l’intéressé, 13 13N 197. — Recensement de 1926, Archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon, Quincié-en-Beaujolais, 6 M 601. — Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Dossier d’internement, 5 W 216. — Mémoire des Hommes, SHD Vincennes, GR 16 P 565690 (nc) ; SHD Caen, AC 21 P 681021 (nc) ; SHD Caen, AC 21 P 161872 (nc). — Cimetière de Canto-Perdrix, Martigues. — Jacky Rabatel, Une ville du Midi sous l’Occupation : Martigues, 1939-1945, Centre de Développement Artistique et Cuturel, 1986 (p. 44, 48, 54, 102, 104, 154-155, 180, 222, 224, 252 à 255, 257, 260, 378). — Données du site Généanet. — Archives Argiolas. — Notes de Jean-Marie Guillon.

Renaud Poulain-Argiolas

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