Condamnations à mort prononcées par erreur par le « tribunal du peuple » instauré par le maquis (16 juillet 1944) et exécutions extra-judiciaires d’innocents accusés d’actes collaborationnistes (19 juin (?) et 21 juillet 1944)

Rivèrenert (Ariège), massif de l’Arize, col de la Crouzette : l’altitude officielle est en fait 1244 m
Cliché : André Balent, 17 septembre 2020.
Rivèrenert (Ariège)
La Crouzette, nid d’aigle, base des FTPF et des guérilleros de l’AGE, pour leurs incursions dans les vallées, au nord et au sud. Ici, vue vers le sud-ouest, la zone axiale des Pyrénées
Cliché : André Balent, 20 septembre 2020
Esplas-de-Sérou et Boussenac (Ariège). Col de Portel (1435 m), limite entre les deux communes.
Le massif de l’Arize, hautes crêtes, lieu d’évolution des maquis de la Crouzette. Le couvert forestier. Vue vers le nord (Espals-de-Sérou), le piémont aquitain des Pyrénées.
Cliché : André Balent, 17 septembre 1944.
Cliché André Balent, 16 juillet 2021 ">
Limite entre les communes de Rimont et Rivèrenert (Ariège), intersection entre les RD 18b et 33, avant d’atteindre les cols de Rillé (938 m) et de la Crouzette (1245 m) en venant de Rivèrenert. Stèle érigée en 1964 en hommage aux maquisards de la Crouzette : "Ici combattirent la 3102e compagnie FTPF et les guerrilleros espagnols pour que vive la France"
Cliché André Balent, 16 juillet 2021
Limite entre les communes de Rimont et de Rivèrenert (Ariège), croisement entre les RD 33 et 18b, stèle (1964) commémorant les maquis de la Crouzette (FTPF & AGE). Détail
Cliché André Balent, 16 juillet 2021
Neuf civils ou résistants ont été exécutés par erreur à leur domicile ou enlevés ou à la suite d’un jugement expéditif prononcé par un « tribunal du peuple » émanation unilatérale de trois maquis du Couserans (Ariège) alors qu’ils étaient innocents des crimes dont on considérait qu’ils portaient une part de responsabilité :
Esplas-de-Sérou, Rivèrenert et Biert ; le col de la Crouzette ; le col de Rillé :
Le col de Rillé à proximité duquel siégea le « tribunal du peuple » est situé dans la commune forestière d’Esplas-de-Sérou. Les condamnés furent obligés de creuser leur tombe le long de la route qui vient de Rimont, en contrebas, au nord. Esplas, en déclin démographique, avait 535 habitants en 1936. Son relief abrupt couvert de forêts, son habitat dispersé entre plusieurs hameaux, en faisait un lieu propice pour abriter des maquis. Pour l’essentiel, les maquis établirent leurs cantonnements dans le territoire communal d’Esplas-de-Sérou. Les deux maquis qui coopérèrent étroitement sont connus comme maquis de la Crouzette, du nom du col à proximité duquel ils s’installèrent. Mais ce col est à la limite des communes de Biert, au sud, et de Rivèrenert, au nord-ouest. Seule cette dernière fut concernée par les actions punitives des maquis de la Crouzette, avec Esplas-de-Sérou et les villages, en contrebas, vers le nord (Rimont, Castelnau-Durban, Montseron). Le territoire communal d’Esplas arrive à quelques dizaines de mètres à l’est du col de la Crouzette.
Entre deux affluents de la Garonne coulant du sud vers le nord, le Salat à l’ouest et l’Ariège à l’est, le massif de l’Arize occupe une place centrale dans les massifs pré-pyrénéens de l’Ariège. Il est parallèle, au nord avec la chaîne pré-pyrénéenne du Plantaurel beaucoup plus basse et, au sud, un massif de la zone axiale des Pyrénées, celui des Trois Seigneurs. Le massif de l’Arize culmine à 1716 m. Ses versants abrupts dominent deux axes majeurs de communications internes au département de l’Ariège : au sud la route qui relie Tarascon-sur-Ariège à Saint-Girons par le col de Port, avec la vaste « commune-vallée » de Massat, à l’ouest de ce passage naturel, dans la vallée de l’Arac, affluent du Salat ; au nord, un axe intra-pyrénéen beaucoup plus fréquenté que le premier (RN 117 ; voie ferrée en service jusqu’en 1955) reliant Foix à Saint-Girons, la « capitale » du Couserans, jalonné de gros villages comme La Bastide-de-Sérou, Castelnau-Durban, Rimont où Résistance et collaborationnistes trouvèrent des appuis. Le massif de l’Arize est donc stratégiquement situé en un lieu central de l’Ariège, difficile d’accès. De juin à août 1944, le massif de l’Arize et son piémont nord davantage que son versant sud furent au centre des affrontements entre la Résistance d’une part, et les Allemands et les collaborationnistes de l’autre.
Le massif de l’Arize, cantonnement de deux maquis très actifs (juin-août 1944) :
Le 3e bataillon de la 3e brigade (Ariège) de l’AGE :
Au printemps de 1944, le 3e bataillon de la 3e brigade de l’Agrupación de guerrilleros españoles (AGE) avait regroupé des forces et s’était structuré dans le Couserans. Il avait pour chef le commandant Alfonso Soto alias « el Barbero » (1919-2000) dont l’adjoint était Fidel Puerto » alias « Ramon » évoqué, entre autres, par Élérika Leroy (op. cit., 1998, p. 53.) Pour les auteurs du livre dirigé par Narcisse Falguera (Op.cit., 2007, p. 111), c’était le commandant « Ramon » qui était le chef du 3e bataillon de la 3e brigade des GE et qui décida avec René Plaisant des opérations à mener, parmi lesquelles celles des représailles à l’assassinat de Laffont et de Labro. Ses chefs firent le choix d’établir dès mars 1944, un campement à proximité du col de la Crouzette. Le maquis fut ensuite renforcé par des arrivées de nouveaux guérilleros provenant de chantiers forestiers très nombreux dans le Plantaurel occidental et le massif de l’Arize. Dans la commune d’Esplas-de-Sérou, il y avait aussi une carrière de marbre et, dans celle de Rivèrenert, a les Cabesses, une mine de manganèse qui employait de la main d’oeuvre espagnole. Il en était de même d’autres industries extractives du massif du Plantaurel et de la dépression entre ce massif et celui de l’Arize. Sur les guérilleros de l’AGE à la Crouzette, voir aussi : Sánchez Herrero Bruno.
La 3102e compagnie de FTPF de l’Ariège :
Un premier groupe des FTPF fut organisé dans le Couserans dès 1943. Il se procura des armes et des explosifs au camp du Vernet-d’Ariège et noua des contacts avec les autres groupes de Résistance couseranaise. En septembre 1943, l’accord fut réalisé avec les guérilleros espagnols (3e bataillon, Couserans, de la 3e brigade, Ariège, de l’AGE) qui prirent position au col de la Crouzette à partir du 10 juin 1944. Le commissaire aux opérations de la 3102e compagnie, c’est-à-dire son responsable politique, était le militant communiste saint-gironnais René Plaisant alias « Jean Lacourt ». Il était secondé par Marius Laballe alias « Lepetit », commissaire aux effectifs et Roger Estaque alias « Marquet » commissaire technique. Mais ce « triangle » de direction ne fonctionna qu’après avoir rallié le col de la Crouzette. Entre temps, en effet, Plaisant et ses hommes avaient préféré intégrer, le 6 juin, un autre maquis des FTPF, celui de Betchat (Ariège). Ils le quittèrent rapidement, dès le 10 juin, après la tuerie Marsoulas. Les effectifs des FTPF de la Crouzette se développèrent avec l’arrivée de réfractaires au STO et de jeunes qui abandonnèrent les Chantiers de jeunesse.
Les exécutions perpétrées par les maquisards de la Crouzette. Motivations et bavures d’une justice expéditive :
Les erreurs (involontaires ou non) du maquis de la Crouzette :
Mais des divergences stratégiques se firent jour avec la direction départementale des FTPF, en particulier avec le commissaire aux opérations régional, Amilcar Calvetti. Elles se manifestèrent lors d’une entrevue à Malléon, le 22 juin, lorsque Calvetti adressa des reproches à Plaisant sur la stratégie à adopter par les maquis des FTPF en Ariège. Les événements qui suivirent, desservirent la cause de Plaisant dont certaines initiatives risquaient d’entacher la réputation du maquis de la Crouzette. La « bavure » de Quercabanac allait bientôt être suivie de celles du 15 juillet et des jours postérieurs. Elles furent, sans nul doute, en plus de la stratégie militaire, l’objet de reproches qui expliquent aussi pourquoi Plaisant fut destitué de ses fonctions de commandant militaire du maquis de la Crouzette à la veille des combats pour la Libération de Saint-Girons (20 août 1944).
Le 15 juillet 1944, des hommes de main de la Sipo-SD de Saint-Girons affiliés au PPF (Parti populaire français) massacrèrent sauvagement deux notables qui aidaient les maquis des FTPF et de l’AGE de la Crouzette, Paul Laffont, ancien député et ministre et Charles Labro, médecin (il soignait les maquisards blessés ou malades). Ce groupe du PPF (parti collaborationniste fort actif à Saint-Girons), le Groupe d’action pour la justice sociale composé de Français mais aussi d’un Italien, agent de la Sipo-SD de Saint-Girons, Guido Rigini et d’un Allemand —Sarrois —, l’interprète de la Sipo-SD, Helmut John, arriva le matin à Rimont. Ils se présentèrent au château de la Vignasse, le domicile de Laffont. Après avoir pillé et saccagé la demeure, ils s’emparèrent de Laffont et l’emmenèrent. Entre temps, un voisin, le docteur Labro alerté par le bruit accourut chez Laffont. Il fut à son tour arrêté. Tous deux furent torturés puis abattus. Leurs corps furent retrouvés quelques jours plus tard sur le territoire de la commune voisine de Lescure. Les représailles décidées furent l’objet de nouvelles bavures car furent exécutés des collaborationnistes mais aussi des résistants et des innocents. Les descentes de groupes de maquisards vers les villages du piémont septentrional de l’Arize en représailles aux assassinats de Labro et de Lafont furent signalées dès le 17 juillet par la préfecture régionale de Toulouse dans son rapport des synthèse quotidien. Les notes manuscrites de Claude Delpla d’après des rapports de gendarmerie (Saint-Girons, 18 juillet et Foix, 17 juillet) font également état de ces enlèvements.
Les représailles contre l’assassinat de Laffont et de Labro :
Plaisant, le chef charismatique des FTPF de la Crouzette, avait beaucoup d’ascendant et d’autorité sur ses hommes. Il agissait de concert avec les Espagnols de l’AGE. Il fut alors décidé d’exercer des représailles contre les collaborationnistes de Rimont et des villages environnants. Les maquisards étaient informés sur les activités de certaines personnes suspectées d’aider les Allemands et de militer dans les rangs de formations collaborationnistes. Mais les renseignements recueillis, rassemblés plus particulièrement par le second de René Plaisant, Marius Laballe, n’étaient pas toujours très fiables et furent à l’origine de méprises fatales.
Des groupes mixtes de maquisards regroupant des Français et des Espagnols cantonnés à la Crouzette furent chargés de s’emparer de collaborationnistes afin de les juger très sommairement et de les condamner à mort. Plaisant fixa à vingt le nombre d’individus à capturer. Claude Delpla a expliqué que les « conseils de guerre » mis en place par les maquis, comme celui de la Crouzette, exerçaient une justice qu’il a qualifiée de « militaire ». Les décisions prises, dans l’urgence, par ces maquis (FTPF et AGE de la Crouzette auxquels s’étaient joint le maquis (AS) de La Bastide-de-Sérou) aboutirent certes à l’exécution de collaborationnistes coupables d’actions contre les maquis ou de dénonciations, en premier lieu celles de Pierre Estel, facteur des PTT à Castelnau-Durban, informateur du chef de la Milice de La Bastide-de-Sérou dont une des tâches était d’informer sur les actions des maquisards présents sur le territoire de la commune. Interrogé à la Rille, Estel, particulièrement redouté par les maquisards pour ses opinions et ses actes, prit peur et « balança » beaucoup d’innocents, jusqu’à sa propre fille. Il expliqua, avant d’être exécuté, que des habitants de Castelnau-Durban et d’autres villages étaient de dangereux collaborationnistes, ce qui était faux. Plaisant et son adjoint, Laballe, prirent le plus souvent ces accusations comme argent comptant.
Mais ces dénonciations motivées par la vengeance ou, simplement, le désir de donner le change furent à l’origine de « bavures », erreurs manifestes des exécutants ou dénonciations inspirées par des vengeances personnelles. Plaisant a su que Dominique de Cabarrus (1878-1944) maire, président de la délégation spéciale de Rimont nommée par Vichy, dénonça des résistants à Walter Dreyer, le chef de l’antenne de l’Abwher de Saint-Girons. Il avait envoyé une lettre à la Sipo-SD de Saint-Girons interceptée par des postiers favorables à la Résistance dans laquelle il proposait aux Allemands de tendre un piège aux maquisards cantonnés dans le massif de l’Arize : « Nos forêts sont trop vastes pour y faire des battues, quand on ne peut aller au gibier, on le fait venir à soi. Si vous voulez parler avec moi des possibilités que je crois avoir de tendre un piège aux terroristes, je suis à votre disposition, fixez-moi un rendez-vous. » (Élérika Leroy, op. cit., 1998, p. 55). Cette lettre fut produite lors du « procès » tenu à proximité du col de Rillé.
Un innocent de 74 ans, Joseph Pédoya, favorable à la Résistance, fut exécuté « par erreur » au moment du repas vespéral, à son domicile à Montseron. Le boulanger de Rivèrenert victime d’une dénonciation calomnieuse, Étienne Caujolle avait été exécuté — théoriquement, le 19 juin 1944, en fait un mois plus tard — par des guérilleros espagnols. Il avait été exécuté par le maquis, enterré en un lieu demeuré inconnu à ce jour (2021). Maurice Picard, résidant lui aussi à Rivèrenert, fut abattu par des guérilleros espagnols à une date non déterminée, la vengeance ayant été le motif de l’exécution sommaire de ce résistant.
Les « procès » et les verdicts du « tribunal du peuple » (16 juillet 1944) :
Les hommes et la femme enlevés à leur domicile furent conduits à proximité du col de Rillé (commune d’Esplas-de-Sérou) où siégea le « tribunal du peuple » créé à cet effet par les représentants des deux maquis (FTPF et AGE) de la Crouzette et du maquis de l’AS de La Bastide-de-Sérou. Élérika Leroy a recueilli en 1997 les témoignages de maquisards FTPF ou AGE, Achille Baselga, Charles Dougnac et Aristide Pérille — ce dernier, un des premiers volontaires qui rejoignit René Plaisant dès le 8 juin intégra l’état-major du maquis avec le grade de sous-lieutenant ; il était, dans un état des cadres de la 3102e compagnie des FTPF de l’Ariège, au 6e rang dans la hiérarchie de commandement de cette unité — et qui participèrent à des commandos chargés d’enlever les collaborationnistes ou prétendus tels et de les mener à Rillé. Ils assistèrent aussi aux interrogatoires, jugements et exécutions des victimes. Ils lui expliquèrent comment s’effectuèrent les enlèvements des présumés collaborationnistes et leur « procès ».
Les douze premiers justiciables répartis en deux rangs étaient attachés les uns aux autres. Les chefs des maquis les interrogeaient. Ils furent tous condamnés à mort. Robert Fareng (1985) cité par Élérika Leroy (1998, p. 56) expliqua que les personnes interrogées furent matraquées « avec une espèce de tuyau », « devant les maquisards » par un Espagnol, un certain Rubio. Mais d’autres anciens FTP de la Crouzette interrogés par Élérika Leroy (op. cit., p. 47) « sont moins loquaces quand vient le moment de parler des exécutions (…) des silences lourds s’installent, empreints de gêne, les réponses à des questions [sauf pour les trois nommés plus haut] marquées par une certaine amnésie, ’’on ne se rappelle plus, ça fait si longtemps ’’. Et puis quand ils se souviennent, ils trouvent des réponses toutes faites du genre ’’il y a toujours des bavures en temps de guerre’’ sans préciser, évidemment, de quelles bavures il s’agit ». Il ne fait aucun doute que l’élimination des collaborateurs (réels ou présumés) fut une des activités importantes — avant les coups de main dans les villages ou les embuscades contre les Allemands — du maquis de la Crouzette et qu’elle provoqua la mort d’innocents.
Les victimes des maquisards de la Crouzette (19 juin-21 juillet 1944) :
Nous envisageons ici les victimes des maquisards, résistants, collaborateurs et « civils » innocents confondus, entre la date présumée de l’exécution du premier d’entre eux, Étienne Caujolle, peu après l’installation des FTPF à la Crouzette à proximité des guérilleros de l’AGE, et l’attaque du maquis par les forces allemandes et collaborationnistes (21 juillet 1944) suivie du repli momentané du maquis près de Camarade, sur le versant septentrional du Plantaurel.
Après le 21 juillet 1944, Élérika Leroy a retenu deux autres noms de victimes d’une épuration extra-judiciaire antérieure à la Libération, exécutées à Maury, près de Camarade, où le maquis cantonnait momentanément après l’attaque et le combat du 21 juillet. Il s’agissait d’un officier polonais passé au service de la Sipo-SD de Foix dont on a pensé qu’il s’agissait de Müller, chef de cette force répressive. En effet, on a appris, plus tard, que Müller vivait tranquillement en Allemagne bien après la guerre. La deuxième personne exécutée était une Ariégeoise du nom de Palharès, la maîtresse du vrai Müller qui était venue dans le secteur espionner l’activité des maquis et qui a été capturée en même temps que le Polonais. Claude Delpla (op. cit., 1994, p. 27]) évoque aussi d’autres exécutions extra-judiciaires postérieures au 21 juillet : une à Montégut-Plantaurel, trois à Esplas-de-Sérou, deux à Aigues-Juntes.
Nombre :
Les victimes furent au nombre de seize.
Douze, résidant à Rimont, Castelnau-Durban, Esplas-de-Serou, Montseron, furent jugées par le « tribunal du peuple » de Rillé et fusillées par un peloton du maquis :
-  De Rimont (5) : Dominique de Cabarrus, né le 15 février 1878, président de la délégation spéciale de la commune, informateur de la police allemande ; Antonin Daudon, cinquante-trois ans, informateur de la police allemande ; Éliacin Lacroix, né le 20 mars 1872, collaborationniste ; Camille Lacroix, né le 21 novembre 1911, résistant ; Raymond, Alexandre Olivier, né le 26 décembre 1901, chauffeur d’automobile pour la police allemande, milicien, ami de Philippe Berkane, du PPF de Saint-Girons, agent actif et tueur de la Sipo-SD de cette ville. Il aurait été le premier fusillé de la Crouzette car il a tenté de s’évader (témoignage de Charles Dougnac recueilli en 1997 par Élérika Leroy) ; Antonio S., Espagnol, ami d’Alexandre Olivier, chauffeur d’un grand propriétaire terrien.
-  De La Bastide-de-Sérou (1) : Alexandre Lenoir, né le 14 avril 1889, épicier et percepteur, milicien, dénonciateur d’Élie Balança. On trouva chez lui la carte de la Milice et des armes ;
-  D’Esplas-de-Sérou (1) : Jean-Baptiste Portet, né le 18 avril 1899, cultivateur, apparemment exécuté par erreur alors qu’on ne lui reprochait rien. Il n’est pas mentionné dans l’ouvrage de Delpla (op. cit., 1999) ;
-  De Castelnau-Durban (3) : Joseph Dupuy, né 13 mai 1876, militaire à la retraite, résistant ; Jules Subra, né le 11 juillet 1883, instituteur retraité adhérent ou sympathisant du Parti communiste ; Denise Soula, soupçonnée d’être une délatrice mais en fait victime d’une vengeance ;
-  De Montseron (2) : Léon Soula, né le 12 octobre 1888, chef local de la Légion des combattants, avait menacé verbalement, par défi, les résistants ; Pierre Soula, fils du précédent, né le 17 octobre 1914, a priori, n’était pas recherché, comme son père, par les maquisards.
Deux habitants de Rivèrenert, un permanent (Étienne Caujolle) qui aidait le maquis et un autre, temporaire, (Maurice Picard) résistant à Toulouse, d’origine ariégeoise, furent exécutés par des guérilleros de l’AGE. Le corps du premier qui n’a pas été exécuté lors des « rafles » du 15 juillet ne fut jamais retrouvé. Tous deux furent victimes d’une vengeance ou d’un crime passionnel maquillé en « liquidation » d’un collaborationniste. En ce qui concerne Caujolle, un des témoins de son exécution, Aristide Pérille (1918-2008) déclara le 26 mars 1997 à Élérika Leroy : « Ils l’ont enterré dans une malle. Il y est encore maintenant. Ils ne sont pas allés le chercher. Tous les autres qu’on avait tués, les familles sont allées se se chercher [il oublie ici le cas de Pierre Estel, de Castelnau-Durban, évoqué plus bas]. C’est un maquisard qui les y a amenées. »
À Montserron Joseph Pédoya, victime d’une terrible méprise fut abattu à son domicile.
À Castelnau-Durban, Pierre Estel, né le 12 mars 1892, facteur des PTT, a été arrêté par le maquis, sans doute dès le 11 juillet, avant les enlèvements opérés dans la soirée du 15 juillet car, à la demande du chef de la Milice de La Bastide-de-Sérou, il surveillait les maquisards de la Crouzette. Enlevé et amené à la Crouzette, il a inauguré des interrogatoires qui préfiguraient ceux du « tribunal du peuple » qui fonctionna le 16 juillet. Son corps n’a pas été retrouvé. Il fut déclaré mort en 1948. Son décès, officiellement le 11 juillet 1944, fut transcrit : le 7 novembre 1949 sur le registre de l’état civil de Castelnau-Durban où il résidait ; sur celui de Saint-Victor – Rouzaud, sa commune natale, avec deux dates, 11 juillet 1944 et 11 juillet 1949, la deuxième manifestement erronée.
Découverte des corps, corps non retrouvés :
Si l’on prend en compte les douze fusillés à la suite des séances du « tribunal du peuple », les corps furent retrouvés près du col de la Crouzette, à des dates différentes, du 25 septembre 1944 au 2 mai 1946 :
-  La majorité d’entre eux (8) le fut le 25 septembre 1944 : Dominique de Cabarrus, Antonin Daudon, Joseph Dupuy, Éliacin Lacroix, Camille Lacroix, Léon Soula, Pierre Soula, Antonio S.
-  Le 23 octobre 1944 : Maurice Picard
-  Le 20 février 1945 : Jules Subra
-  Le 15 mars 1945 : Denise Soula
-  Le 11 septembre 1945 : Alexandre Lenoir, Jean-Baptiste Portet
-  Le 2 mai 1946 : Raymond Olivier
Leur découverte, étalée dans le temps, laisse supposer que les maquisards n’ont guère collaboré aux recherches des corps. Mais Aristide Pérille, dans son témoignage du 26 mars 1997, expliqua que les familles des victimes, ou, du moins, celles qui en ont manifesté le souhait, furent guidées par un maquisard.
Deux corps n’ont pas été retrouvés, ceux d’Étienne Caujolle et de Pierre Estel (détails ci-dessus).
Typologie des exécutions :
Les victimes des maquis de la Crouzette, français et espagnol, correspondent à des cas de figure différents.
La femme et les hommes jugés à Rillé, fusillés par un peloton relèvent d’une action de représailles contre les agissements des collaborationnistes de Saint-Girons et des villages du massif de l’Arize et de son pourtour. L’objectif, partiellement atteint, consistait à se saisir de vingt collaborationnistes, de les juger, de les condamner, de les exécuter. Seuls douze purent l’être. À la base, une première liste de collaborationnistes à laquelle on avait rajouté des noms recueillis par les informateurs du maquis. Les dirigeants du maquis ignoraient si les accusations formulées contre certaines personnes étaient fondées. La précipitation dans la mise en œuvre des représailles empêcha des vérifications nécessaires. Ce qui explique que, en fait, certains résistants purent tirer profit de la situation afin d’exercer parfois des vengeances personnelles contre des personnes n’ayant rien à se reprocher. Nous avons là l’origine des multiples bavures qui conduisirent à l’exécution d’innocents, parmi lesquels des résistants ou des sympathisants de la Résistance et des « civils » non engagés dont on ignorait les opinions ou qui pouvaient avoir des sympathies maréchalistes n’impliquant nullement un engagement actif dans les rangs de la Collaboration. Les résistants ne connaissaient pas toujours très bien les personnes qu’ils devaient enlever, ce qui provoqua des confusions et une méprise déjà évoquée. Cette dernière fut fatale à Pédoya, de Montseron.
D’ailleurs, parmi les collaborationnistes, avait-t-on toujours distingué les délateurs, les tortionnaires ou assassins de résistants de personnes n’ayant à leur passif qu’un engagement verbal ? Claude Delpla a comparé cette justice sommaire des maquis à des tribunaux militaires. Mais, dans le cas de la Crouzette, les condamnés ne pouvaient nullement solliciter un recours en grâce, comme le firent auprès du président de la République, lorsqu’ils en eurent la possibilité réelle, les condamnés des conseils de guerre de 1914-1918.
René Plaisant n’apprécia guère la bavure qui fut fatale à Pédoya. Il déplora aussi que seulement un peu plus de la moitié des vingt personnes à arrêter l’ait été effectivement. Peut-être que tout ceci l’incita à accélérer les procédures visant les personnes amenées au maquis après avoir été enlevées ?
Nous avons vu que Pierre Estel arrêté et enlevé dès le 11 juillet a peut-être inauguré la première séance du tribunal du peuple. Les autres victimes de Rivèrenert furent exécutées par des hommes de l’AGE. Dans le cas de Picard, il s’agit d’une vengeance à motivations politiques. La mort de Caujolle n’a été rien d’autre qu’un meurtre de droit commun à motivations « passionnelles » camouflé en liquidation d’un « traitre » collaborationniste. Il n’a pas donné lieu à une instruction judiciaire. Dans les deux cas, il s’agit d’une exécution extra-judiciaire puisqu’il n’y a pas même pas eu parodie de procès.
Les victimes : Collaborateurs, résistants ou sympathisants de la résistance, « civils » innocents :
Dominique de Cabarrus, Antonin Daudon, Éliacin Lacroix, Alexandre Lenoir, Alexandre Olivier, Léon Soula, Antonio S., Pierre Estel étaient des collaborationnistes. Au total, huit hommes.
Jean-Baptiste Portet, Pierre Soula et Denise Soula étaient des victimes civiles innocentes.
Camille Lacroix, Joseph Dupuy, Jules Subra, Étienne Caujolle, Maurice Picard, Joseph Pédoya] étaient des résistants ou de proches sympathisants de la Résistance. Rappelons que Subra était de la même mouvance politique que ceux qui le firent fusiller.
En comparant ces trois listes, on mesure l’ampleur de la bavure commise, dans leur action épuratrice, par les maquis de la Crouzette, stimulée par l’intransigeance de ses chefs, en particulier celle de René Plaisant.
Le Maitron des fusillés ne retient, pour la rédaction de notices et la mise en place de son corpus, que les victimes civiles et résistantes : ce sont celles, au nombre de neuf, dont on trouvera la nomenclature à la fin de cet article. Celles de l’épuration extra-judiciaire, avant ou après la Libération relèvent d’une autre problématique.
Bilan :
À court terme, ces bavures, après celle de Quercabanac le 10 juillet 1944, contribuèrent à ternir l’image des FTPF, de l’AGE, et, en définitive, celle de la Résistance d’obédience communiste en Couserans. La disgrâce de Plaisant intervint à la veille de la Libération de Saint-Girons. L’état-major départemental des FTPF avec qui il avait déjà eu des différents sur la stratégie militaire de la lutte des maquis lui retira, au moins de façon nominale, tant il avait d’ascendant sur ses hommes, la direction de la 3102e compagnie des FTPF de l’Ariège.
Dans les dernières semaines d’août 1944, la tragédie de Rimont (21 août 1944), le combat victorieux de Castelnau-Durban (22 août 1944) suivi de la capitulation en rase campagne du Marschgruppe allemand et turkestanais venu de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) qui scella la Libération définitive de l’Ariège fit oublier quelque peu ces bavures. Tout fut fait ensuite pour qu’elles fussent définitivement gommées. Aucun monument commémoratif, bien sûr, ne célèbre la mémoire de ces victimes innocentes. Les cérémonies les oublient. En 2019, le livre posthume de Claude Delpla, les a fait sortir de l’ombre, sans toutefois donner leurs noms et prénoms, si ce n’est qu’à travers des initiales que seuls des initiés sont à même de pouvoir déchiffrer. Le 14 mars 1997, le maquisard Charles Dougnac (FTPF) avait remarqué : « De tous ces exécutés, certains ont été considérés morts pour la France. Je sais que les Soula, les Lacroix ont été réhabilités, et d’autres. Pourtant je n’ai pas trouvé les noms sur les monuments aux morts. Mais est-ce-que les municipalités ont refusé quand ils (sic) ont su qu’il y en a qui étaient réhabilités ? (...) Je n’ai vu nulle part leurs noms, pour moi, ce sont les municipalités qui se sont dégonflées, parce que je sais qu’il y en a qui ont été réhabilités. » (témoignage recueilli par Élérika Leroy).
Le 15 juillet 1944, une ferme du hameau de la Casace, dans la commune de Castelnau-Durban, fut le théâtre d’un terrible massacre perpétré par des guérilleros venant selon toute probabilité du maquis de la Crouzette. Le militant anarchiste espagnol Ricardo Roy Escribano refusait d’intégrer les rangs de l’UNE et de l’AGE. Sa famille, dont deux fillettes, et des amis furent tués par balles et la ferme incendiée. La coïncidence de date, d’heures, de lieux (entre autre autres la commune de Castelnau-Durban) et de mode opératoire indique que le massacre de la Casace fut une réponse à l’absence de celui que le groupe de guérilléros venaient chercher — Ricardo Roy — pour le conduire, selon toute vraisemblance, vers les hauteurs de la Crouzette et laisse penser que cette opération était incluse dans les séries de rafles que nous venons de relater. Si cela est confirmé par d’autres documents, les victimes de la Casace doivent être rajoutées à celles que nous avons dénombrées et qui n’incluent pas les collaborationnistes avérés.
Les victimes :
Victimes résistantes :
Étienne CAUJOLLE
Joseph DUPUY
Camille LACROIX
Joseph PÉDOYA
Maurice PICARD
Joseph SUBRA
Victimes civiles :
Jean-Baptiste PORTET
Denise SOULA
Pierre SOULA
Sources

SOURCES : Arch. dép. Ariège, 5 W 57, rapports de synthèse journaliers de la préfecture régionale de Toulouse, rapport du 17 juillet 1944 ; 64 J 203, rapports de gendarmerie ou notes manuscrites et tapuscrites de Claude Delpla d’après des rapports ; 64 J 213, fonds Delpla, maquis de la Crouzette, listes des effectifs des FTPF et de l’AGE ; 4 E 3755, état civil de Saint-Victor–Rouzaud, mentions marginales de l’acte de naissance de Pierre Estel. — Textes des témoignages de Charles Dougnac (2 février et 14 mars 1997) et Aristide Pérille (26 mars 1997) recueillis par Élérika Leroy. — José Cubero, La Résistance à Toulouse et dans la Région 4, Bordeaux, Éditions Sud-Ouest, 2005, 415 p. [p. 295]. — Claude Delpla, La bataille de Rimont et de Castelnau-Durban ... L’Ariège était libérée, Saint-Girons, Imprimerie Barat, 1994, 39 p. — Claude Delpla, « Les origines des guérilleros espagnols dans les Pyrénées (1940-1943) », in Jean Ortiz (dir.), Rouges. Maquis de France et d’Espagne. Les guérilleros, actes du colloque des 20 et 21 octobre, université de Pau et des pays de l’Adour, Biarritz, Atlantica, 2006, p. 153-209 [p. 163]. — Claude Delpla, La libération de l’Ariège, Toulouse, Le Pas d’oiseau, 2019, 514 p. [p. 134, p. 458-459]. — Narcís Falguera (dir.), Guérilleros en terre de France. Les républicains espagnols dans la Résistance française, Pantin, Le Temps des cerises, 2004, 316 p. — Élérika Leroy, Les résistants et l’épuration. Aspects de la répression contre les collaborateurs dans le Midi toulousain 1943-1953, maîtrise sous la direction de Pierre Laborie, université de Toulouse-Le Mirail, 1998, 200 p. [p. 48-57]. — Notes communiquées, 4 décembre 2020, par Élérika Leroy (liste nominative des personnes exécutées par le maquis de la Crouzette en juillet 1944). — Sources particulières à chacune des notices.

André Balent

Version imprimable