Né le 7 décembre 1924 à Budapest (Hongrie), fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; lycéen ; résistant Francs-tireurs et partisans-Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), un des membres de l’Affiche rouge.

Thomas Elek
Thomas Elek
Thomas Elek naquit dans une famille juive de Budapest. Aucun enseignement religieux ne lui fut dispensé et aucune fête rituelle n’était célébrée au sein de cette famille matérialiste et athée, profondément imprégnée de l’idéal communiste. Il était circoncis non pas par tradition religieuse, mais parce que, raconta sa mère dans ses mémoires, « c’était très sain ». La pratique fut abandonnée à la naissance d’un second garçon. Thomas prit conscience de son appartenance culturelle à l’école maternelle de Budapest, la religion étant mentionnée lors de l’inscription. Cette conscience fut toutefois éclipsée par la mémoire politique. Son père, Sandor Elek, fit partie des cadres chargés de la réquisition des biens des églises au sein de la commune insurrectionnelle bolchevique organisée par Béla Kun entre mars et août 1919. Son oncle maternel, Béla Hofmann, ami du maire communiste Bermann Itsvan dit Pista, fut nommé au cours de la même période conseiller du VIIe arrondissement de la capitale hongroise. Après avoir été interné au camp de Zalagerszeg, son père, intellectuel polyglotte parfaitement francophone, devint correspondant étranger pour une fabrique de textile.
Menacé de chômage, Sandor Elek gagna Paris en avril 1930 en compagnie d’Hélène Hofmann qu’il avait épousée en mars 1924, de sa fille Marthe, âgée de dix-huit ans et de Thomas, âgé de cinq ans. Un deuxième fils, Béla, naquit le 7 juillet 1930. Les époux Elek appartenaient au Parti communiste hongrois clandestin. Ils militèrent particulièrement à partir de 1936 en faveur de l’aide à l’Espagne républicaine au sein du Secours rouge.
Réfugiée à Dinard pendant l’offensive allemande de 1940, la famille Elek regagna Paris et, le 7 octobre, tous se firent recenser comme Juifs auprès des services de la préfecture de police. Hélène reprit ses activités à la tête du restaurant « Le fer à cheval » qu’elle avait ouvert depuis 1933 au 42 rue de la Montagne-Sainte-Geneviève dans le Ve arrondissement. C’était le lieu où se réunissaient des étudiants de la Sorbonne, membres du réseau de résistance du Musée de l’Homme, auprès desquels Thomas, adhérent aux Jeunesses communistes, trouva ses premiers contacts en 1941.
Thomas Elek avait alors seize ans. Une cache derrière la cuisine du restaurant servait à entreposer les bidons de peinture rouges, des pinceaux, de la colle, des piles de tracts qui étaient acheminées par une des entrées, aménagée dans l’arrière-cour. Il entraînait de nuit son frère Béla, âgé de douze ans, à coller des papillons dont il confectionnait les premiers textes. Pendant sept ou huit mois, profitant d’un deuxième accès direct par la salle de bain au premier étage au-dessus du restaurant, ces premiers résistants se réunissaient, tous étudiants, à l’exception de Thomas et d’un autre Hongrois qui fut arrêté et emprisonné à Fresnes. L’exécution de l’étudiant Lalou, fusillé par les Allemands, marqua la fin de cette première expérience de réunions clandestines. Sans doute dès 1941, les armes furent stockées au-dessus du restaurant, dans une grande improvisation et sans consigne de la direction du PCF avec lequel les liens furent interrompus. Un étudiant roumain qui fut membre du 1er détachement de la MOI, Joseph Clisci, alors client du restaurant, apporta les premières armes. Avec son épouse Henriette, Thomas Elek les camouflait dans la voiture d’enfant de leur fils Serge. Des grenades et armes de poing furent provisoirement stockées sous le divan ou au-dessus de l’armoire de l’appartement de la famille Elek.
En tant que Juifs hongrois, les Elek furent épargnés par les grandes rafles de l’été 1942. Hélène aurait en outre bénéficié des fuites émanant du commissariat de police du Ve arrondissement qui lui auraient permis de prévenir des amis juifs polonais. En dépit de la menace d’internement et de déportation visant tout contrevenant à la 8e ordonnance allemande du 29 mai 1942, les Elek refusèrent de porter l’étoile jaune et leurs enfants continuèrent à fréquenter les piscines et les cinémas, autant de lieux interdits aux Juifs. En août 1942 toutefois, la famille aménagea à proximité du restaurant, au 34 rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. Avant de prendre les armes, Thomas poussait le refus jusqu’à braver les horaires du couvre-feu. C’est dans ce contexte de l’Occupation que, selon les mémoires d’Hélène Elek, ses enfants sont devenus juifs. Thomas serait allé à la synagogue, de manière à comprendre l’origine de la persécution qui le visait. Cette revendication ouverte de ses origines juives et hongroises eut rapidement des conséquences sur sa scolarité. Après avoir terrassé un élève qui l’avait insulté et menacé, il choisit, en dépit de sa passion pour la poésie et pour la musique, de quitter le lycée Louis-le-Grand en 1942, prévenant le censeur de son engagement dans la Résistance.
En août 1942, par l’intermédiaire de Joseph Clisci, Thomas Elek, dit Tommy, devint membre des FTP-MOI, sous le matricule 10306. Il organisa, semble-t-il de son propre chef, un attentat contre la librairie franco-allemande « Rive gauche », située au 47 boulevard Saint-Michel, une librairie dont Robert Brasillach était membre du conseil d’administration. Après avoir acheminé au domicile familial de la poudre par pincées, au cours de plusieurs dizaines de voyages, il prépara un engin incendiaire qu’il inséra dans une version en allemand du Capital de Karl Marx, gros volume préalablement creusé appartenant à son père. Ainsi, le 9 novembre 1942, après avoir déposé son ouvrage sur une étagère de la librairie et procédé à quelques achats, Thomas Elek remonta le boulevard Saint-Michel et rejoignit son frère aux abords du jardin du Luxembourg. L’explosion se produisit aux environs de 19 heures. Béla fut dépêché en reconnaissance pour constater l’ampleur de la dévastation. Au cours des mois suivants, c’est au sein des groupes de combat des FTP-MOI qu’il connut l’expérience du feu. Le 29 mars 1943, il était, cette fois, accompagné par un jeune Tchèque de dix-huit ans, Pavel Simo, fils d’un combattant des Brigades internationales en Espagne. Une grenade fut jetée à l’intérieur d’un restaurant réservé aux officiers allemands à Asnières. Préfigurant le sort de Thomas huit mois plus tard, Pavel Simo fut arrêté par la police française, livré aux Allemands et fusillé. Le 16 avril, Thomas Elek, au signal de deux autres combattants déguisés en ouvriers et affublés de postiches, lança une grenade qui explosa au milieu d’un détachement allemand de passage place de l’Odéon, remontant vers le Luxembourg. Les combattants de la MOI se replièrent en direction de la rue Monsieur-le-Prince où ils remirent à deux ou trois jeunes filles leurs bleus de travail, leurs fausses moustaches et leurs armes. Après l’action, Thomas se rendit à la piscine, muni de faux papiers d’identité au nom de Pierre Deschamps.
Depuis février 1943, mis en demeure d’apposer sur la vitrine de leur restaurant une affiche le désignant comme « entreprise juive », la famille Elek avait plongé dans la clandestinité. Sur dénonciation anonyme accusant le père de se livrer au marché noir, d’avoir des opinions communistes et de ne pas porter l’étoile jaune, une enquête fut diligentée par le service des affaires juives de la préfecture de police qui rendit son rapport le 14 avril : « Depuis deux mois environ, Elek, ainsi que sa famille, ont quitté leur domicile sans laisser d’adresse et, dans leur entourage, on apprend que les époux Elek vivraient actuellement dans la zone non occupée, [...] dans la région de Royan où un frère du mari serait établi restaurateur. Toutefois, ils ont été vus depuis cette époque à différentes reprises dans le voisinage, ce qui laisse supposer qu’ils viennent souvent à Paris et qu’ils se cachent vraisemblablement dans le but d’échapper aux mesures prises contre les Israélites. » Une enquête de la police des garnis fut alors lancée contre la famille Elek qui occupa successivement plusieurs logements à l’intérieur desquels une planque était réservée à Thomas. Ainsi, rue Daguerre, le jeune homme agrandit la fenêtre de la cuisine donnant sur les toits. Thomas logeait également à proximité du 69 rue du Cardinal-Lemoine. Ces logements permettaient de stocker des armes. Le 1er juin, à 22 h 30, Thomas fit partie des six hommes répartis en trois équipes qui, à la station de métro Jaurès, attaquèrent à la grenade et au pistolet un détachement de 70 soldats allemands. Le rapport de la MOI signala : « les grenades ont explosé en plein ».
En 1943, Thomas Elek, appointé 2 300 francs par mois, devint l’adjoint technique de Joseph Boczor dit Pierre, qui fonda et dirigea le 4e détachement des dérailleurs des FTP-MOI. Cet ancien volontaire des Brigades internationales en Espagne était à la tête d’une quinzaine de Roumains, de Hongrois, de Tchèques et de Polonais, la plupart d’origine juive comme Moïshe Fingercweig, muté à son tour en août 1943 au sein du 4e détachement, et Wolf Wajsbrot dont les portraits figuraient également en médaillons sur l’Affiche rouge. Hélène Elek se souvient avoir pris conscience de l’ascèse choisie par ces combattants en voyant rentrer un jour son fils, un épisode qu’elle situait au cours d’un mois de novembre, peut-être quelques jours avant son arrestation : « La glace tombait. Il m’a dit : Je ne pouvais plus supporter les chaussures. Ses pieds étaient pleins de cloques. Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’il a souffert physiquement. J’ai pris de la graisse de mouton et je lui ai pansé les pieds. C’était un gosse encore, il n’était pas habitué à marcher trente kilomètres avec sur le dos trente kilos d’outils de déraillement. »
Au début de juillet 1943, Thomas Elek fit partie d’une équipe de trois combattants qui firent dérailler un convoi sur la ligne Paris-Dreux. Il participait deux fois par mois aux actions du 4e détachement. Le 28 juillet, près de Château-Thierry, un convoi de 600 soldats et officiers allemands fut ainsi détruit. Dans son rapport, Thomas écrivit : « On m’appelle Bébé Cadum. Aujourd’hui, Bébé Cadum a envoyé 600 nazis au diable. » Le 3 août, sur la ligne Paris-Reims, un train de permissionnaires allemands dérailla à hauteur de La Ferté-Milon. Le 20 août, Thomas fit partie de l’équipe de quatre combattants qui provoqua le déraillement d’un train de marchandises et de matériel de guerre sur la ligne Paris-Rethel. Le 3 septembre, un nouveau train de marchandises dérailla à La Peigne, sur la ligne Paris-Reims. Une action identique suivit à Nemours le 20 septembre, sur la ligne Paris-Montargis.
Le rythme des actions fléchit à la suite de premières arrestations au sein de la MOI. L’équipe des dérailleurs tomba à la fin du mois de novembre 1943. Thomas Elek fut arrêté le 21 novembre dans sa planque parisienne du 7 rue Roger (XIVe arr.). Le rapport des policiers français de la 2e brigade spéciale signale : « trois clefs à tire-fond et différents tracts d’inspiration communiste ont été saisis ». Thomas Elek subit dès le lendemain l’épreuve de l’identité judiciaire dans les locaux de la préfecture de police. Livré ensuite aux Allemands, il fut emprisonné à Fresnes pendant trois mois et torturé. Condamné à mort le 18 février 1944, devant le tribunal allemand de la Seine, pour son action de franc-tireur, il a été fusillé au fort du Mont-Valérien, le 21 février à 15 h 47. Sa dernière lettre adressée à ses amis se termine par cette phrase : « Adieu, gardez ma mémoire dans vos cœurs et parlez quelquefois de moi à vos enfants. »
Sources

SOURCES : Arch PPo, BA 2297. – Hélène Elek, La mémoire d’Hélène, Maspero, Paris, 1977. – Boris Holban, Testament, Calmann-Lévy, Paris, 1989. – Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le sang de l’étranger, Paris, Fayard, 1989. – Entretiens de l’auteur avec Béla Elek, le frère de Thomas, en 1996 et en 2002.

Michel Laffitte

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