Le 21 juin 1944, les maquisards du camp FTP Wodli tentèrent d’investir la ville de Brioude et de s’emparer de l’armement de la gendarmerie et de la garnison allemande.

Au cœur du Massif Central, le Brivadois est un territoire de la Haute-Loire, débordant sur le Cantal et le Puy-de-Dôme. Son chef-lieu est Brioude, sous-préfecture, au carrefour des routes de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), de Saint-Flour (Cantal) et du Puy-en-Velay (Haute-Loire). En 1944, la ville comptait environ 5500 habitants et son arrondissement ne partageait pas les convictions cléricales et réactionnaires du Velay : on y votait majoritairement pour les partis républicains et le parti socialiste. La Résistance y fut précoce, diverse et active avec le mouvement Combat, les Francs-Tireurs et Partisans (FTP), des groupes polonais dans le bassin minier de Sainte-Florine, des espagnols issus des Groupements de travailleurs étrangers (GTE)… La plupart payèrent un lourd tribut dans les combats du Mont Mouchet, notamment le groupe-franc des Truands mis sur pied par Jean Mazuel dit Judex. Les mouvements collaborationnistes furent également actifs sous l’impulsion d’un journaliste local, Jean Achon, nommé en 1944 chef régional de la Milice française pour l’Auvergne. Le 2 mars 1941, le Maréchal Pétain reçut dans la ville un accueil enthousiaste à l’initiative de la Légion des combattants. Le 5 janvier 1943 le maire élu, Vincent Chazelet, maintenu en 1941, fut révoqué et remplacé par Clovis Dijon, un des fondateurs de la Milice à Brioude ; le 29 avril 1944, ce dernier fut exécuté avec son épouse devant leur maison par le groupe Judex.
Le 21 juin 1944, vers sept heures du matin, une soixantaine de FTP du camp Wodli, sous les ordres de Théo Vial-Massat, attaquèrent la garnison allemande de Brioude. La veille, la dizaine de territoriaux qui la composaient habituellement avait été renforcée de quarante hommes commandés par le Feldwebel Recker et le lieutenant Strasser, appartenant à une unité de Riom (Puy-de-Dôme). L’objectif du maquis, qui n’avait pas connaissance de cette situation nouvelle, était de s’emparer de l’armement des gendarmes et des territoriaux allemands en occupant temporairement la ville. Un groupe s’engagea à pied par l’avenue principale, un second entreprit de contourner le centre-ville par le nord pour faire diversion, les autres couvraient différents accès. Le groupe de tête fut bientôt pris sous le feu d’armes automatiques et un partisan fut blessé à l’aine. Malgré une position difficile, les assaillants parvinrent à détruire à la grenade le nid de mitrailleuses allemandes et à se replier sans perte humaine avec le retour du groupe du nord et l’appui de combattants du maquis Tarzan des Mouvements Unis de la Résistance (MUR) alertés par les échos de la bataille. Dans l’engagement, la Wehrmacht perdit un homme et eut plusieurs blessés. Une victime civile, Marie Langlade, fut tuée par balle près de sa fenêtre.
Dans la matinée, les maquisards firent soigner leurs blessés à la pharmacie Luizy - l’un d’entre eux dut être transporté à l’hôpital d’Allègre - puis ils se retirèrent. Sur la route vers La Chaise-Dieu (Haute-Loire), ils croisèrent à Collat (Haute-Loire) un camion qui venait en renfort et firent halte. Un accident dramatique se produisit alors près des véhicules arrêtés : la mitraillette Sten d’un combattant se décrocha, percuta le sol et atteignit Roger Briat qui fut tué sur le coup.
En début d’après-midi, les représailles contre la population civile commencèrent avec l’arrivée de renforts ennemis aidés par des miliciens locaux. Des actes de vandalisme, des mesures d’intimidation et des arrestations précédèrent le pillage et l’incendie d’une dizaine d’immeubles dans le quartier de la place de Paris. Abel Jonget, un jeune homme de 16 ans, fut abattu alors qu’il courait pour rentrer chez lui. Le Feldwebel Recker ordonna pour 18 heures le regroupement de tous les hommes présents à Brioude sur un terrain au nord de la ville. Plusieurs centaines de personnes y furent rassemblées sous la menace des mitrailleuses. Après deux contrôles successifs, une trentaine d’otages furent emmenés à Clermont-Ferrand : parmi eux figuraient le sous-préfet Marcel Sereyjol, le docteur Joseph Jalenques, maire-adjoint exerçant les fonctions de maire et le pharmacien Luizy. Ces derniers furent libérés quatre jours plus tard avec Monsieur Veysset, charcutier ; Monsieur Velez, transféré à Paris retrouva la liberté peu après et Monsieur Ernwein qui parlait allemand fut réquisitionné comme interprète à Clermont-Ferrand. Six otages furent déportés dont quatre jeunes gens de Brioude âgés de 19 ans. Les 27 autres, presque tous âgés de moins de trente ans furent conduits comme travailleurs forcés vers des entreprises allemandes de la Ruhr et l’usine I.G. Farben près de Katowice en Pologne.
Les évènements de Brioude ont suscité nombre d’interrogations et de controverses après la Libération. Certains ont voulu y voir une démonstration de force du maquis – et du parti communiste – sous-estimant les risques de représailles contre la population civile, inspirée par les actions des MUR à Nantua (Ain) et des FTP à Annonay (Ardèche). S’il ne s’agissait pas de créer une « zone libérée », en cas de réussite l’occupation temporaire d’une sous-préfecture n’aurait pas été pour déplaire à la direction de l’inter-région Auvergne des FTP dans le débat qui l’opposait à la direction de la Zone sud du Parti communiste à propos du rassemblement du Mont Mouchet.
L’objectif premier de l’incursion était bien la récupération d’armes, vitales pour un maquis qui avait vu ses effectifs passer en quelques jours de 70 à 300 hommes avec le repli des combattants du Mont-Mouchet et qui n’avait pas facilement accès aux parachutages alliés. Le 8 juin 1944, Wodli avait mené une opération analogue contre la gendarmerie d’Allègre (Haute-Loire) où l’armement avait été confisqué ; quatre gendarmes avaient alors été « enlevés » avec leur consentement et ils avaient rejoint le Mont-Mouchet. A Brioude, le Wodli n’avait pas pu s’assurer de complicité auprès des gendarmes. Il ne disposait apparemment pas d’informateur sur place et ignorait l’arrivée de renforts dans la garnison allemande. Conduisant une opération de plus grande envergure, il avait engagé un effectif important de maquisards renforcé par un groupe de l’Union Nationale Espagnole commandée par Francisco Rodamilans dit Luc. Il fut surpris par le nombre et la force de frappe de l’ennemi, l’aide apportée par Tarzan dans le cours de l’action eut un caractère fortuit.
Le bilan humain du combat de Brioude le 21 juin 1944, rapporté par René Gentgen sur la foi des informations de Camille Pradet, mérite réflexion. Il fait état de « fortes pertes ennemies » alors que tous les témoignages mentionnent un seul mort allemand et quelques blessés. René Vittoz, qui participa au combat, évoque plusieurs morts allemands tombés dans une embuscade tendue par un autre maquis espagnol, sur la route de Saint-Flour, il précise néanmoins que « l’action de ce maquis n’avait aucun lien avec notre opération, le maquis de Luc était engagé avec nous ce jour-là. »
Le lendemain, 22 juin 1944, près de Brioude, des exactions furent commises par des patrouilles appartenant à une unité de la Wehrmacht de Clermont-Ferrand. Agissant sur dénonciation, à la recherche de résistants repliés du Mont Mouchet, les allemands investirent les villages de Domeyrat et Lavaudieu (Haute-Loire) se livrant à l’intimidation, au vandalisme et au pillage. Le même jour, Raymond Terrasse du groupe Action R6 et André Meynadier du groupe Marco-Polo furent arrêtés à Malgascon sur la commune de Saint-Georges-d’Aurac (Haute-Loire) alors qu’ils étaient en repérage pour un sabotage sur la RN 102. Ils furent tous deux déportés et périrent : Meynadier sous un bombardement à Kaltenkirchen « aux environs du 10/4/45 ») et Terrasse le 9 avril 1945 à Buchenwald.
Victimes du combat du 21 juin 1944 :
LANGLADE Marie, victime civile
JONGET Abel, victime civile
BRIAT Roger, mort par accident
Victimes arrêtées le 21 juin 1944 et déportées :
CHAMPAGNAT Jacques, déporté, rescapé des camps
FEYEL Michel
GERVAIS René
MONTGON Louis
TOURNAY Jacques, tous les 4 déportés et décédés à Neuengamme.
COUDERT Pierre, déporté et décédé à Bergen-Belsen
Victimes arrêtées le 27 juin 1944 et déportés du travail forcé en Allemagne et Pologne.
COUR Robert, travailleur forcé, mourut à Katowice pendant la contre-offensive soviétique.
Sources

SOURCES : René Gentgen, Résistance Loire, Editions Esperluette , 38620 Montferrat, 1993, pages 178-188, page 389. — P. Gervais et R. Chany, La Résistance à Brioude et dans la région, Imprimerie Robert, Brioude, juin 1986, 284 pages. — Henri Pailler et Sylvia Millet, Estivareilles 1944, Éditions du Musée d’histoire du 20e siècle, février 2013, 127 pages (pages 30 à 36). — Bernard Capuano : Témoignage manuscrit, non daté, vraisemblablement 1986, 8 pages. — René Vittoz : Reconstitution de mon parcours dans la Résistance, témoignage rédigé à Lansargues (Hérault), le 30 juillet 1994, 43 pages. — Site Mémoire des Hommes. — Site Fondation pour la Mémoire de la Déportation. — Site ville de Brioude.

Henry Destour

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