Né le 17 janvier 1921 à Saint-Martin-de-Querières (Hautes-Alpes), fusillé le 15 août 1944 à Nant (Aveyron) ; résistant du maquis Duguesclin de l’Armée Secrète (AS) du Sud-Aveyron

Jean Estournel (1921-1944)
Archives privées de Christian Laborier, neveu de Jean Estournel transmise par Jean-Pierre Pellegrin
Jean Estournel était le fils d’Adolphe Estournel et Argence Estournel, avec lesquels il habitait à Eyguians (Hautes-Alpes), où son père était garde forestier. Selon une nièce, la famille « n’appréciait pas du tout le régime de Vichy ». Il avait l’intention d’entrer dans l’administration des Eaux et Forêts. Dans cette commune, le président local et très zélé de la Légion des Combattants, — par ailleurs directeur de l’une des deux briqueteries locales —, exigeait des jeunes gens une participation active à toutes les manifestations rituelles du régime de Vichy. En décembre 1941, par bravade ou par geste d’opposition, trois jeunes gens, dont Jean Estournel, hissèrent au sommet de la cheminée de cette briqueterie un drapeau à Croix de Lorraine. Les gendarmes du bourg voisin de Laragne identifièrent facilement les coupables, et informèrent discrètement leurs familles de leur arrestation imminente. Ce Président de la Légion, défenseur très actif, du régime, sera abattu chez lui « le 31 décembre 43 au cours de son dîner, d’un coup de revolver tiré depuis la fenêtre à laquelle il tournait le dos et sa tête tomba dans son assiette » . Les auteurs de ce meurtre, — dont on ignore s’il a un lien avec les faits précédents —, ne furent jamais identifiés, mais une rumeur locale l’attribua à un petit groupe de maquisards sans affiliation qui se cachaient dans la montagne voisine de Chabre.
Les trois jeunes gens quittèrent aussitôt le pays. Les deux amis de Jean Estournel, qui étaient ouvriers de cette briqueterie, partirent à Marseille d’où ils parvinrent à rallier l’Algérie et ils s’enrôlèrent dans l’armée. Jean Estournel quitta la région et se réfugia dans l’Ardèche, d’où son père était originaire, chez des parents. On ignore ses activités et ses engagements, mais né en 1921, il fut, en 1943, très certainement requis par le STO, et très probable réfractaire, il dut se cacher et intégrer un maquis de la région. Il finit par intégrer le maquis Duguesclin, affilié à l’AS, à compter du 1er juin 1944.
L’exécution de Jean Estournel intervint au lendemain d’un violent accrochage entre un détachement de la 11e division blindée allemande venant d’Albi (Tarn), en repérage sur la route du Larzac, et le groupe du maquis des Corsaires, affilié à l’Organisation Résistance de l’Armée (ORA, fondée en mars 1943). Parti de Mandagout (Gard), situé au nord du Vigan (Hérault), le maquis des Corsaires, sur ordre du lieutenant-colonel Schumacher (qui avait succédé à la tête de cette formation au colonel Joseph Guillaut, arrêté puis fusillé par les Allemands), aurait dû rejoindre La Selve (Aveyron, commune située à l’Est de Rodez) et fusionner avec le maquis ORA de l’Aveyron afin d’organiser une action commune à Rodez. Le maquis des Corsaires arriva au Mas des Pommiers, à Nant, le 4 ou le 5 août 1944, mais l’objectif initial fut abandonné. Plusieurs auteurs indiquent que le maquis aurait opéré un nombre important de recrutements à Nant passant ainsi de 100 à 200 membres, ce qui aurait eu pour conséquence la nécessité de former les nouvelles recrues avant d’envisager une action armée. On peut aussi se demander s’il ne fallait pas restructurer les différents maquis affiliés à l’ORA présents dans le Sud de l’Aveyron après les combats du maquis de La Selve, au moulin de Clary, et de Bonnecombe à Sainte-Juliette-sur-Viaur (Aveyron), les 5 et 6 août 1944.
Le 13 août 1944, le lieutenant-colonel De Villers (dit « Leroy »), ancien chef du maquis aveyronnais Du Guesclin (AS) nommé le 1er août 1944 chef de l’arrondissement Sud-Aveyron de l’AS (dont le cantonnement se situait à Tournemire, tout près de Roquefort, Aveyron), se rendit au siège du maquis des Corsaires à Nant et demanda un appui afin de mener une action de sabotage au Pas de l’Escalette (Hérault) le 14 août. Il s’agissait de détruire la route (la RN 9) en faisant exploser la falaise. Un groupe de 33 Corsaires, dirigé par Raymond Cassanas (dit « Roger ») se mit en route dès le 13 août dans l’après-midi. C’est à son retour à Nant, le lendemain, une fois la mission achevée, qu’il se heurta aux Allemands. Cet accrochage entraîna des combats et des actions de représailles les 14 et 15 août à Nant. C’est dans ce contexte que Jean Estournel fut sommairement fusillé avec Ludovic Tesseyre.
On sait par un compte-rendu de ces journées écrit par le capitaine Theule (dit « Bénédict »), adjoint du commandant de Villers, que Jean Estournel était chauffeur au sein de l’AS Sud-Aveyron : « je confirme à Cassanas que je me trouverai à 19 heures au Caylar, accompagné par le lieutenant Tisseyre et son chauffeur Estournel avec la voiture Peugeot de l’armée. (Le lieutenant Tisseyre s’étant mis à notre disposition depuis le début d’août) ». Il apparaît donc que Jean Estournel et Ludovic Tesseyre étaient tous les deux membres de l’AS Sud-Aveyron et non des Corsaires. C’est en tant que chauffeur qu’il accompagna le capitaine Theule (dit « Bénédict ») et Ludovic Tesseyre dans leurs différents trajets entre le 13 et le 15 août.
La date de décès de Jean Estournel est différente selon les auteurs. Christian Font et Henri Moizet situent sa mort le 14 août, après le premier accrochage avec les Corsaires, alors que Gaston Laurans la place le 15 août en début d’après-midi. C’est également la date du 15 août qui est indiquée sur l’acte de décès consulté à la mairie de Nant. Nous retiendrons donc cette dernière.
On sait ainsi par le rapport rédigé par le capitaine Theule que c’est lui qui accompagna Theule et Ludovic Tesseyre au Caylar (Hérault), le 13 août en début de soirée, pour la première partie de la mission de sabotage. Le retard pris par le camion du maquis de l’Aigoual les obligèrent à faire un aller-retour entre Le Caylar (Hérault) et Saint-Jean-du-Bruel (Aveyron), situé à quelques kilomètres à l’est de Nant, afin de se renseigner auprès d’un agent de liaison, Blicher. Il y a tout lieu de croire que les déplacements du capitaine Theule dans la matinée du 14 août entre le lieu de la première explosion au Pas de l’Escalette, pour se rendre compte du résultat du sabotage (il est insuffisant), et les alentours de Lodève (Hérault) où un autre sabotage eut lieu furent également effectués par Jean Estournel. Toujours, par le rapport du capitaine Theule, nous savons qu’il retourna en début d’après-midi à Tournemire (Aveyron), quartier général de l’AS Sud-Aveyron. Dans la soirée, la nouvelle du débarquement en Provence arriva, impliquant un ordre immédiat de combat à tous les maquis. On peut ainsi supposer que Ludovic Tesseyre fut chargé de prévenir le maquis des Corsaires de cet ordre et qu’il fut conduit dans sa mission par Jean Estournel. C’est l’explication que donne Raymond Cassanas (« Roger ») dans un compte-rendu des journées des 14-15 août. Lorsqu’il revint à Nant le 16 août, deux morts n’étaient pas encore identifiés. En faisant le tour du village pour obtenir des informations, il reconnut une voiture, la traction avant Peugeot n° 1174 du commandant Leroy (dit « Theule »). Il supposa alors que les deux inconnus décédés étaient les occupants de la voiture. C’est en rejoignant le capitaine Blicher, dit « Maus », à Saint-Jean-du-Bruel (Aveyron) à quelques kilomètres de Nant qu’il apprit leurs noms : Ludovic Tesseyre et Jean Estournel, son chauffeur. Il en conclut que Jean Estournel se rendait au siège du maquis des Corsaires pour porter un ordre de mouvement émanant du commandant Leroy. S’appuyant sur un autre témoignage, celui du capitaine Cuche (dit « Dorval ») livré au Midi Libre dès le 15 août 1945, Christian Font et Henri Moizet expliquent que Jean Estournel conduisait Ludovic Tesseyre à Millau afin d’y porter un message aux résistants. Peut-être que la mission de Ludovic Tesseyre impliquait effectivement un passage par Millau après Nant afin d’y porter les ordres, suite au débarquement en Provence. Quoi qu’il en soit, lorsque Jean Estournel et son passager arrivèrent à Nant ils ignoraient tout de ce qui s’y jouait. Le résumé chronologique des opérations effectuées par le groupe du maquis Duguesclin entre 1943 et 1944 ne mentionne pas les combats des 14-15 août 1944, il est donc bien établi que la présence de Jean Estournel à Nant le 15 août fut indépendante de l’action de sabotage au Pas de l’Escalette.
Le 15 août 1944, Jean Estournel et Ludovic Tesseyre se firent donc arrêter par les Allemands en traversant le village de Nant en voiture pour se rendre très certainement au mas des Pommiers. Relatant les journées des 14 et 15 août 1944, Gérard Bouladou reprend dans son ouvrage Les maquis du Massif Central méridional : Ardèche, Aude, Aveyron, Gard, Hérault, Lozère, Tarn, 1943-1944 le récit des minutes précédent l’exécution fait par Gaston Laurans dans Nant au mois d’août 1944 : en début d’après-midi, deux habitantes du village rentraient chez elles « lorsqu’elles voient deux étrangers conduits par deux Allemands près des Embalses ; ces derniers discutent, semblent se raviser, et placent les deux étrangers devant un gerbier à quelques mètres de là. Puis, un Allemand tend un revolver à l’un deux et, par geste, lui demande de tuer son compagnon ; l’homme refuse et jette le révolver aux pieds de l’Allemand ; celui-ci le ramasse et abat les deux hommes ». Inconnu des gens du village, Jean Estournel ne fut identifié que trois jours plus tard, le 18 août.
Ces témoignages nous permettent de souligner que l’action de sabotage au Pas-de-l’Escalette fut une action concertée entre au moins trois maquis de la région R3 (Aude, Aveyron, Gard, Hérault, Lozère et Pyrénées-Orientales) affiliés à des mouvements de résistance différents, l’ORA et l’AS Sud-Aveyron. On peut relever également que les liens entre les maquis des Corsaires et de l’Aigoual-Cévennes, tous deux affiliés à l’ORA, étaient étroits puisque ce dernier fournit une partie de la logistique nécessaire au sabotage de la route (explosifs et camion) bien que cantonné dans le département voisin du Gard.
Le 17 août 1944, le sous-préfet de Millau transmit au maire de Nant, sur autorisation des autorités allemandes, le droit d’inhumer le corps de Jean Estournel dans le cimetière communal. D’après un recensement des tombes militaires dans l’Aveyron effectué à partir de février 1945, la sépulture de Jean Estournel figurait parmi les tombes FFI de la commune de Nant, avant le transfert de sa dépouille au cimetière d’Eyguians. À ses côtés, on trouvait également les mentions de Ludovic Tesseyre ou Tisseyre, qui fût exécuté en même temps que lui, ainsi que celles de Manuel Cuenca, Jean Boudon, François Huber ou Hubert, Alain Robic, Joseph Quehec, tous membres du maquis des Corsaires et morts au combat ou fusillés les 14-15 août 1944 à Nant. Sa dépouille fut transférée au cimetière d’Eyguians, où habitaient ses parents qui ne firent jamais le deuil de sa perte.
Son nom figure sur le monument des Résistants de Sainte-Radegonde ainsi que sur une plaque commémorative des fusillés des 14-15 août à Nant. Il est également mentionné sur deux monuments dans son département natal : à Eyguians (Hautes-Alpes), sur le monument aux morts et à Lagrand (Hautes-Alpes), sur une stèle commémorative. Son nom a été donné à la place du village d’Eyguians où se trouve la maison familiale. Jean Estournel fut médaillé de l’Ordre de la Résistance le 2 septembre 1959 et obtint la mention Mort pour la France.
Voir : Nant (Aveyron), 14 et 15 août 1944
Sources

SOURCES : Arch. Dép. Aveyron : 217 W 36, 1212 W 6, 93 J 4. — Arch. com. Nant : acte de décès n° 15 (registre état civil 1936-1945). — Service historique de la Défense, Caen : AC 21 P 180649 et AC 21 P 642354 (non consultés) — Service historique de la Défense, Vincennes : GR 16 P 211963(non consulté) — monumentsmorts.univ-lille.fr, consulté le 21 février 2021. — Christian Font et Henri Moizet, Construire l’histoire de la Résistance. Aveyron 1944, CDDP Rodez–CDIHP Aveyron, CRDP Midi-Pyrénées, 1997, pp. 212-213. — Gérard Bouladou, Les maquis du Massif Central méridional : Ardèche, Aude, Aveyron, Gard, Hérault, Lozère, Tarn, 1943-1944, Nîmes, éd. C. Lacour, 2006, pp. 402-405. — Gaston Laurans, Nant au mois d’août 1944, Rodez, Imprimerie Carrère, 1969, pp. 40-41. — Aimé Vielzeuf, Ardente Cévenne, Nîmes, Imprimerie Bené, 1973. — Notes personnelles et extraits de documents transmis par Henri Moizet par mail le 16 février 2021 par André Balent et à Clotilde Bigot le 19 mars 2021. — Informations recueillies (Jean-Pierre Péllegrin) auprès de sa nièce, Mme Guichard et de deux témoins locaux Feue Mme Lepetit née Rouy et M. Henri Blanc. — Site internet : monumentsmorts.univ-lille.fr (consulté le 21 février 2021), memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr (consulté le 3 mai 2021). 

Clotilde Bigot, Jean-Pierre Pellegrin

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