Neuf victimes, des civils et des résistants exécutés ou morts au combat appartenant à deux maquis différents (ORA, AS) lors du passage d’une colonne allemande venant d’Albi (Tarn)

Nant [Aveyron), vue générale (c. 2020)
Source : Wikipedia
Nant. Plaque commémorative Paul Pagès et Charles Causse, rue du Faubourg Haut.
Photo Clotilde Bigot, 24 février 2021
Nant. Anciennes halles, place du Claux, lieu d’exécution d’Alain Robic et Joseph Quéhec.
Photo : Clotilde Bigot, 24 février 2à21
Nant. Plaque commémorative en l’honneur de Léon Eisenmann, place des Bénédictins.
Photo : Clotilde Bigot, 24 févier 2021
Nant. Mas des Pommiers, cantonnement du maquis des Corsaires (ORA)
Phto : Clotilde Bigot, 24 févier 2021
Nant. Plaque commémorative des victimes des 14 et 15 août 1944, place du Claux ;
Photo : Clotilde Bigot, 24 février 2021
Le maquis des Corsaires (ORA) dans la région de Nant (Aveyron) en août 1944.
Extrait du livre d’Aimé Vielzeuf, Ardente Cévenne}, Nîmes, Imprimerie Béné, 1973, p. 101.
1- Nant en 1941 :
Nant est un petit village situé dans le Sud de l’Aveyron, entre la Dourbie et un des ses affluents, le Durzon, au pied du Causse du Larzac auquel il est relié par la route des Liquisses (départementale 999). En 1941, la commune comptait 1547 habitants (elle en compte 1017 en 2018 selon l’INSEE) : 80% d’agriculteurs et 20% d’ouvriers. On y trouvait également 17 fonctionnaires (essentiellement des enseignants et des facteurs), des artisans (dont 6 menuisiers, 5 cordonniers et 40 gantières) et des commerçants (dont 3 boulangers, 4 bouchers, 7 épiciers, 5 cafetiers et 4 hôteliers). Le maire, Maurice Marquez, avait été élu en 1935 sous l’étiquette Union républicaine et démocratique (URD). Presque 10% de la population masculine de Nant avait participé à la Première Guerre mondiale. 35 enfants étaient scolarisés à l’école publique (25 garçons et 10 filles pour 3 enseignants) et 58 l’étaient dans le privé (25 garçons et 33 filles pour 5 enseignants). Les liaisons avec la région se faisaient par deux lignes de transports routiers qui reliaient Saint-Rome-de-Cernon (Aveyron) au Vigan (Gard) et Saint-Jean-du-Bruel (Aveyron) à Millau (Aveyron). Nant disposait également d’une gare, Nant-Comberedonde, sur la ligne ferroviaire Tournemire (Aveyron) – Le Vigan.
2- Du maquis de Mandagout (Gard) au maquis des Corsaires :
Au début du mois d’août 1944, les environs du village de Nant sont choisis pour le stationnement du maquis des Corsaires, maquis affilié à l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA), organisation fondée en mars 1943 à la suite à l’invasion de la zone dite « libre » le 11 novembre 1942. Le maquis des Corsaires fut fondé à la fin du mois de juillet 1943 lorsque Madame Creston, une ancienne postière du Vigan (Gard), cacha durant quelques jours deux jeunes hommes réquisitionnés pour partir travailler en Allemagne (STO), prit contact avec le pasteur de Mandagout (Gard), Georges Gillier, et lui demanda de cacher à son tour les deux déserteurs. La réponse par l’affirmative du pasteur à cette demande marqua ainsi la naissance du maquis de Mandagout, le futur maquis des Corsaires. Le maquis accueillit entre juillet et novembre 1943 six autres réfractaires venus s’y réfugier. Le 3 novembre 1943, Georges Gillier rencontra à Montpellier le colonel Joseph Guillaut, chef de l’ORA pour la région 3 (R3 : Aude, Aveyron, Gard, Hérault, Lozère et Pyrénées-Orientales), qui l’intégra à son organisation de résistance et fit de ce maquis le premier maquis de l’ORA dans le département du Gard. Selon Gaston Laurans, le 13 mai 1944, Raymond Cassanas, dit « Roger » (recherché par la Gestapo), entra au maquis et en prit la direction militaire. Il fut remplacé deux semaines plus tard par le lieutenant André Collière (dit « Prévost) et en devint son adjoint. Georges Gillier, dit « Gervais », le fondateur, assura la liaison entre le maquis et Montpellier. Lorsqu’il rencontra le lieutenant-colonel Charles Schumacher (chef régional de l’ORA après l’exécution du colonel Guillaut) le 20 juillet 1944, ce dernier lui demanda de quitter Mandagout, localité jugée trop isolée, pour rejoindre La Selve avant le 4 août. L’objectif de ce mouvement étant de réunir le maquis des Corsaires aux autres maquis ORA déjà présents dans le Sud de l’Aveyron, aux alentour de La Selve et de Durenque au Nord de Réquista, région qui était alors le quartier général du lieutenant-colonel Schumacher et le lieu de cantonnement du maquis ORA de l’Aveyron dirigé par le commandant Puget. Cette fusion devait permettre, du moins c’est que semble espérer l’état-major de l’ORA, une opération d’ampleur à Rodez. Avant de quitter Mandagout, les maquisards décidèrent de se renommer les Corsaires, en hommage au colonel Guillaut, dit « Le Corsaire », arrêté et fusillé à Castelmaurou (Haute-Garonne) par les Allemands le 27 juin 1944.
Aimé Vielzeuf raconte le départ du groupe de maquisards le 1er août vers 21 heures : un ramassis de jeunes gens aux vêtements disparates, un contingent de pensionnaires d’une cour des miracles bon enfant !. Ils franchirent le col de Mouzoulès (Gard), firent une pause peu après puis repartirent au matin. Après avoir passé les cols des Portes, du Lingas, de la Luzette et de l’Homme Mort, ils descendirent la vallée d’Alzon (Gard). Nouvelle pause pour manger à Cazebonne puis arrivée au hameau du Villaret à 5 kilomètres d’Alzon où les attendait Gillier (« Gervais ») qui partit en reconnaissance au mas du Pré, situé à quelques kilomètres au Sud de Nant dans la vallée du Durzon. Mais l’emplacement, trop peu boisé, ne fut pas retenu et le choix pour le cantonnement se porta au mas des Pommiers, composé de plusieurs bâtiments où habitaient Georges Coulet, sa femme et leurs deux enfants de trois et cinq ans. Georges Coulet accepta sans difficulté d’accueillir les maquisards. Il les mit toutefois en garde sur l’emplacement de son mas : situé au bout d’une petite route partant du village qui se terminait en impasse à la source du Durzon, il offrait peu de possibilité de fuite en cas de nécessité, et il était situé à quelques kilomètres du camp militaire du Larzac occupé par les Allemands. Peu importe, le cantonnement ne devait durer que quelques jours avant de rejoindre La Selve.
C’est donc à partir des premiers jours d’août 1944 que le maquis des Corsaires, composé d’une centaine d’hommes, stationna au mas des Pommiers. Progressivement les trois autres mas situés à proximité accueillirent également les maquisards au fur et à mesure que leurs rangs grossirent : les mas de Sabde, de La Place et de Rogez. Le témoignage du capitaine Cuche-Dorval (recueilli dans Le Midi Libre dès 1945) nous apprend en effet que le maquis doubla rapidement son effectif. Aimé Vielzeuf nous en indique sa structuration : il était divisé en trois sections, la section dite de choc (celle qui partit le 13 août au Pas de l’Escalette) bien équipée, une section dite de renfort un peu moins bien équipée et une troisième section, dite de mitrailleuses, formée de 22 gendarmes ayant quitté leur caserne et possédant 3 mitrailleuses. La direction militaire du maquis fut assurée par André Collière (dit « Prévost »), commandant, secondé par Roger Cuche (dit « Dorval »), lieutenant. Chacune des trois compagnies fut respectivement placée sous les ordres de Raymond Cassanas, de Randon (dit « Rozoli ») et d’un adjudant de gendarmerie dont le nom n’est pas mentionné. Les maquisards furent en relation avec les autres maquis de la région, mais aussi avec la France Libre grâce à « l’aspirant Bob », parachuté d’Alger avec un poste émetteur-récepteur. Est-ce parce que l’effectif du maquis doubla et qu’il fallut entraîner les hommes avant de tenter une action ou plutôt parce qu’après les combats des maquis ORA de La Selve au moulin de Clary, et de Bonnecombe, à Sainte-Juliette-sur-Viaur les 5 et 6 août 1944, qu’il fut nécessaire de restructurer les maquis ORA de la région ? La question reste aujourd’hui encore ouverte. Toujours est-il que le maquis des Corsaires ne partit pas de Nant comme cela était prévu.
3- L’action de sabotage au Pas de l’Escalette (Hérault) par les Corsaires de Nant :
Le point de départ des journées des 14 et 15 août se situe la veille, le 13 août, lorsque le lieutenant-colonel de Villers, dit « commandant Leroy », responsable de l’arrondissement AS Sud-Aveyron et son adjoint le capitaine Theule, dit « Bénédict », se rendirent au mas des Pommiers. Ils demandèrent à André Collière de mettre à leur disposition un groupe d’hommes pour venir appuyer le sabotage de la route nationale 9 à 2 kilomètres au sud du Pas de l’Escalette. Le lieutenant Cassanas, secondé par le lieutenant Richard et par « Randon », quitta avec son groupe (33 à 36 personnes) le mas des Pommiers le jour même, vers 14 heures. Leur mission était double : couper tous les fils électriques au nord et au sud du Caylar avant 19 heures ce même jour afin d’isoler le village et protéger le groupe de maquisards (qui n’appartiennent pas aux Corsaires) durant leur action de sabotage qui devrait permettre de détruire la route au Pas de l’Escalette, la RN n°9, par éboulement de la falaise. Le retour des Corsaires au mas des Pommiers fut alors prévu dans la matinée du 14 août.
Le lieutenant Cassanas mentionne dans son rapport que la mission des Corsaires fut menée à bien dès le 13 août malgré un « accident mécanique » : le camion prêté par le maquis de l’Armée Secrète (AS) de l’Aigoual-Cévennes et transportant les explosifs nécessaires à l’opération versa en cours de route sur la chaussée entre la Dourbie et le col de la Pierre Plantée (situé au Nord de Saint-Jean-du-Bruel, à la limite des départements de la Lozère et de l’Aveyron), retardant donc au lendemain matin le sabotage de la route. Selon Gérard Bouladou, le dispositif de sécurité prévu fut cependant mis en place en début de soirée par les Corsaires : les fils téléphoniques au Nord du Caylar sont sectionnés sur les routes départementale n°55 et nationale n°9 (aujourd’hui tronçon de l’A 75) ainsi qu’au Sud du village entre 18 h 30 et 19 h 15. Les Corsaires furent ensuite divisés en 3 groupes de 3 : 2 stationnèrent au nord du Pas de l’Escalette et un troisième au Sud, de manière à prévenir toute attaque ennemie venant de Millau ou de Lodève durant l’action de sabotage. Cependant, les Corsaires avaient reçu pour consigne de ne pas ouvrir le feu sur une voiture ennemie tant que l’action de sabotage de la route n’avait pas débuté. La nuit du 13 au 14 août fut donc une nuit d’attente pour eux, une « inutile attente » selon Gérard Bouladou.
Le 14 août au matin, entre 10 h et 10 h 30, la route ne fut finalement que partiellement détruite (par conséquent, le lieutenant Dumont, chef du maquis Paul Claie reçut le 16 août un ordre de destruction de la route nationale au Pas de l’Escalette). Le groupe des Corsaires ne reprit son chemin vers son camp de base qu’en début d’après-midi, vers 13h, après avoir attendu le passage de convois allemands. L’objectif de cette attente était clairement « de prendre à partie » (rapport Cassanas) ces convois qui pourraient passer. En vain. Le lieutenant Cassanas ordonna donc à ses hommes le retour à Nant. La confrontation entre la colonne allemande et les maquisards n’eut donc pas lieu là où l’escomptaient les Corsaires, mais à leur arrivée à Nant en début d’après-midi et alors qu’ils ne s’y attendaient plus. C’est avec cette rencontre que débutèrent combats contre le maquis et actions de représailles contre la population de Nant jusqu’au 15 août au soir et dont le bilan humain s’élève à neuf morts au total : deux civils fusillés : Paul Pagès et Charles Causse ; deux Corsaires morts au combat : Jean Boudon et [Manuel Cuenca—240277] ainsi que trois autres Corsaires faits prisonniers et fusillés : Alain Robic, Joseph Quehec et François Huber (que l’on peut trouver orthographier Hubert. Nous reprenons ici l’orthographe de l’acte de décès) ; deux membres de l’AS Sud-Aveyron fusillés : Ludovic Teysseyre* (que l’on peut trouver orthographier : Tisseyre ou Tesseyre. Nous reprenons ici l’orthographe de l’acte de décès) et Jean Estournel
4- L’accrochage avec les Allemands et les représailles à Nant (journées des 14 et 15 août 1944) :
Le 14 août, aux alentours de 14h-14h30, le camion des maquisards traversa donc Nant au lieu de passer par la route du Liquier pour rejoindre le mas des Pommiers, un itinéraire secondaire et plus discret. En face, sur la route des Liquisses descendant du Larzac et surplombant Nant, la 11e colonne blindée allemande, partie d’Albi (Tarn), se dirigeait au même moment vers le village. Tout à leur joie, les maquisards ne virent pas les véhicules allemands pourtant nombreux. La confrontation devint alors inévitable. Le camion des Corsaires fut stoppé par une première rafale allemande à environ 300 mètres du cimetière, juste avant l’embranchement pour la route menant au mas des Pommiers. Le lieutenant Cassanas raconte qu’au moment du choc, il donna l’ordre à ses compagnons de se disperser alors que les deux maquisards en charge du fusil mitrailleur reçurent l’ordre de les couvrir. Mais seul, Alain Robic (dit « Sirocco ») put mettre à exécution cet ordre (il ne nomme pas le second). Le capitaine Cuche (dit « Dorval) nous apprend que le second fusil mitrailleur était tenu par un maquisard surnommé « Marin ». Tous deux furent faits prisonniers et fusillés sur la place de Nant en présence des hommes du village. L’échange de tirs tourna assez rapidement en faveur des Allemands, bien mieux armés et plus nombreux d’après le rapport de l’adjudant Alaux, commandant de la brigade de La Cavalerie, daté du 1er septembre 1944. Le lieutenant Cassanas cite dans son rapport les armes aux mains de l’ennemi : « mitrailleuses lourdes et légères canon d’infanterie et mortiers ». Il mentionne ensuite Jean-Baptiste Boudon et Manuel Cuenca, les deux premiers Corsaires tués lors de cet affrontement initial. Deux autres maquisards furent faits prisonniers : Jean Boudon, Joseph Quehec et Fontana (le seul prisonnier qui fut relâché).
Toujours selon Raymond Cassanas, une partie de ses hommes se replia sans trop de difficulté grâce à un angle mort formé par la rivière le Durzon alors que les autres, une dizaine au total, prirent la fuite avec lui en direction de Saint-Jean-de-Bruel (Aveyron). Ils furent accrochés par les Allemands au moment de traverser la route, mais il n’y eut qu’un blessé léger à la main, le surnommé « Cartouche ». Gérard Bouladou s’appuie sur le témoignage de Robert Fesquet pour justifier l’idée selon laquelle la dispersion aurait été bien plus mouvementée. Ce dernier raconte comment ses camarades de fuite et lui-même durent courir en zig zag pour éviter les tirs allemands (comme on leur avait appris) et se jeter dans le cours du Durzon. Il raconte également « la « trouille » d’avoir été comme un lapin sur qui on tire » qui les rendit malades et l’aide apportée par un habitant qui les ravitaille le soir. Le groupe du lieutenant Cassanas se réfugia sur un emplacement en hauteur entre la Dourbie et Ambouls, hameau situé à la sortie sud de Nant. De ce point de vue, le lieutenant Cassanas put évaluer l’importance du convoi : il compta 413 véhicules. Selon lui, vers 18 heures les combats avaient cessé. Il put alors partir à la recherche des autres membres de son groupe.
Après ce premier combat, les Allemands ratissèrent le village à la recherche de maquisards et d’armes cachées : Paul Pagès, 23 ans, et son oncle Charles Causse, 62 ans, furent fusillés devant la maison de ce dernier alors que sa femme fut blessée par balle à la poitrine (Charles Causse n’est pas tué au Mouret comme l’indique le site Mémorialgenweb.org). Selon Gaston Laurans, ils étaient sur le point de rejoindre le maquis et leurs habits de maquisard les auraient trahis. Selon le rapport de l’adjudant Alaux, les dégâts matériels sont très importants : il estime que la moitié de la population a subi des pillages et que les dégâts ne peuvent être exactement déterminés. En revanche, Gaston Laurans évoque des visites rapides dans les maisons. En fin d’après-midi, les trois maquisards prisonniers sont interrogés par les Allemands dans un café du village. Léon Eisenman, originaire d’Alsace-Lorraine et marié à une Nantaise, se proposa de faire l’interprète de l’officier allemand. Selon Gaston Laurans, son intervention fut décisive. Elle aurait permis de sauver la vie de Roger Julien, qui remplaçait le maire démissionnaire, défavorable au maquis, et d’éviter des représailles massives et meurtrières contre la population. Après les interrogatoires, Fontana fut libéré, mais Alain Robic et Joseph Quehec furent fusillés sous les anciennes halles de la place du Claux, en présence des hommes du village. Deux d’entre eux furent ensuite désignés pour enterrer les corps. Le chef du détachement allemand, l’Obertleutnant Duday, somma ensuite la population de ne pas quitter le village sous peine d’exécution immédiate et imposa un couvre-feu de 21 heures à 6 heures du matin. Il la menaça également de représailles en cas d’un quelconque acte d’hostilité (le message fut traduit par Léon Eisenman).
Le 15 août dès 6 heures du matin, les Allemands donnèrent l’assaut contre le mas des Pommiers. Ils en prirent possession après l’avoir bombardé et ne trouvèrent aucun maquisard. Par rage, ils l’incendièrent ainsi que les trois mas situés en amont de mas des Pommiers et qui avaient été également investis par les Corsaires. Ce même jour, Jean Estournel et Ludovic Teysseyr, de l’AS Sud-Aveyron, se firent arrêter par les Allemands en traversant le village de Nant en voiture. La nouvelle du débarquement en Provence, connue le 14 au soir, entraina un ordre de combat à tous les maquis. Ludovic Teysseyre, conduit par Jean Estournel, furent pris alors qu’ils portaient cet ordre aux Corsaires et en ignorant tout des événements qui se déroulaient à Nant. Ils furent exécutés peu après leur arrestation. Une troisième victime passa par Nant en ignorant tout de l’accrochage de la veille et des opérations de représailles en cours, François Huber (homologué avec le grade de capitaine), qui rentrait d’une mission à Rodez. François Huber était membre de l’ORA et dirigeait les Établissements Brun à Arre, situé entre Alzon (Gard) et Le Vigan (Gard). Surpris également sur la route de Nant par les Allemands, il fut fait prisonnier. Il assista à l’exécution de Jean Estournel et Ludovic Teysseyr et fut fusillé dans la soirée. Enterré dans le jardin d’un habitant, son corps fut retrouvé le 16 août au matin par ce même habitant et il fut reconnu par Georges Gillier le 17 août.
Le 17 août 1944, le sous-préfet de Millau transmit au maire de Nant, sur autorisation des autorités allemandes, le droit d’inhumer les corps des victimes dans le cimetière communal de Nant. Il demeure aujourd’hui uniquement la tombe de Manuel Cuenca, les autres ont été rapatriées par les familles.
La question de la responsabilité de Raymond Cassanas fut posée par différents auteurs. La documentation consultée à ce jour montre que la présence allemande dans la région de Nant était bien connue des maquisards et vice versa. En premier lieu, parce qu’à quelques kilomètres du mas des Pommiers se trouvait le camp militaire du Larzac occupé par les Allemands. Ensuite, parce qu’en ce mois d’août 1944, les troupes allemandes étaient en mouvement, elles pratiquaient soit des opérations de ratissages pour débusquer et anéantir les maquis, soit des manœuvres pour se replier. C’était le cas de la 11e colonne blindée partie d’Albi pour rejoindre la vallée du Rhône. Ainsi, selon Gérard Bouladou, « les Allemands savaient qu’il y avait un « très fort maquis » dans la région, le mot a été prononcé par l’officier allemand qui faisait l’interrogatoire des maquisards prisonniers (…). Il étaient donc sur leur garde et descendaient « à la jumelle » ». En effet, les sabotages des maquisards dans la région se multiplièrent après juin. Le 30 juillet 1944, une vingtaine de FFI pénétrèrent à l’intérieur du camp du Larzac, prirent possession des bureaux de l’intendance où ils opérèrent un sabotage général. Sans savoir s’il s’agissait d’une action des Corsaires en particulier, cela nous montre bien que la tension entre les troupes d’occupation allemandes et les maquisards était à son comble à cette période. Les deux forces en présence savaient donc qu’elles se côtoyaient dans un rayon restreint. Autrement dit, le danger était permanent pour les maquisards. La question qui se pose alors est de savoir si les Corsaires étaient au courant du passage de la 11e colonne blindée dans leur région. Si l’on suit Gaston Laurans, la réponse est oui. En effet, il relate dans son ouvrage que : « le capitaine Collière-Prévost avait été informé quarante-huit heures plus tôt du mouvement de cette colonne et donc de la possibilité de son passage par Nant ». Cette information aurait été donnée par Georges Dumazer, chef de centre à La Cavalerie (village situé sur le Larzac, non loin de Nant) de la Société générale des transports départementaux à un lieutenant du maquis. Georges Dumazer se trouvait le 14 août à Nant, et selon Gaston Laurans, aperçut à 13 h 45 le lieutenant qu’il avait prévenu la veille dans le camion des Corsaires. Le jugement de Gaston Laurans est tranché : selon lui, « tout aurait pu être évité sans la négligence d’un lieutenant ». Ce lieutenant ne pourrait être alors que Raymond Cassanas. On peut noter que son rapport est à cet égard saisissant : il passe sous silence le changement d’itinéraire. Gaston Laurans mentionne un autre rapport de Raymond Cassanas dans lequel il se disculpe explicitement : « Il était impossible d’éviter Nant, car le camion à gazogène qui transporte la section, trop chargé, n’aurait pu monter la côte du Liquier ». Gérard Bouladou s’interroge également sur les raisons qui ont pu conduire à choisir la route traversant le village pour rejoindre le Mas des Pommiers au lieu de l’itinéraire initial plus discret. Il reste vague dans son explication en mentionnant que certains ont pu justifier ce choix parce que le camion était trop chargé pour monter la côte du chemin menant au mas (il fait donc allusion à l’explication donnée par Raymond Cassanas). Mais selon lui, le groupe « excité par cette action (…) voulu emprunter les grandes routes… et le lieutenant eut le tort de céder ». Autrement dit, les maquisards, galvanisés par leur action et certainement aussi par le contexte d’une Libération imminente, voulurent traverser le village comme pour prendre à témoin la population locale de leur joie et de leur fierté de participer à cette lutte. Georges Gillier, cité par Aimé Vielzeuf et Gaston Laurans, accrédite l’idée selon laquelle Raymond Cassanas aurait tenté de faire porter la responsabilité du drame sur certains membres de son maquis : « Depuis quelques jours nous nous apercevons que les hommes font la tête à Dorval et à Dalmas (…). Je finis par apprendre que ces deux officiers seraient deux traîtres ; ce seraient eux qui auraient vendu le camp du mas de Pommiers ! Renseignement pris, ce n’est autre que Roger qui, pour rejeter sur d’autres la responsabilité qui pèse sur lui (car il n’a pas suivi l’itinéraire prévu, ce qui eût évité la rencontre du camion avec la colonne allemande), a répandu ce faux bruit ». Il n’est en aucune manière question de porter ici un jugement sur une décision que Raymond Cassanas dut prendre en quelques secondes à peine, dans une ambiance si particulière que l’on peine encore à la restituer à travers la documentation. Il faut aussi sans doute garder à l’esprit que les jeunes gens ayant été amenés à entrer dans le maquis étaient tombés dans l’illégalité et s’étaient engagés dans une vie que l’on a du mal à se représenter sous toutes ses facettes. Il faut faire un effort de compréhension pour essayer d’appréhender leur état d’esprit en ce 14 août, veille du débarquement de Provence et alors que le département de l’Aveyron était sur le point d’être entièrement libéré (c’est le cas avec la libération de Millau quelques jours plus tard, le 22 août).
Le souvenir des victimes des 14-15 août 1944 est commémoré par une plaque offerte le 14 août 1945 par la commune de Nant et apposée sur l’arche contre laquelle Alain Robic et Joseph Quehec furent fusillés. Les noms de Charles Causse et Paul Pagès sont inscrits sur le monument aux morts du village (pas les autres victimes ; contrairement à ce qu’indique memorialgenweb.org) et sur une plaque commémorative à l’endroit de leur exécution, rue du Faubourg Haut. Non loin, une place a été baptisée Place du 14 août 1944. Le rôle de Léon Eisenman est également commémoré par une plaque sur la façade de la maison où il vécut et sur sa tombe au cimetière. Toutes les victimes ont obtenu la mention Mort pour la France, à l’exception de Paul Pagès.
Les victimes des 14 et 15 août 1944 :
Résistants du maquis des Corsaires (ORA) morts en action de combat :
Jean BOUDON
Manuel CUENCA
Résistant de l’ORA fusillé sommairement :
François HUBER
Résistants du maquis des Corsaires (ORA) fusillés sommairement :
Joseph QUEHEC
Alain ROBIC
Résistants de l’Armée secrète du Sud-Aveyron exécutés sommairement :
Jean ESTOURNEL
Ludovic TEYSSEYRE
Civils :
Charles CAUSSE
Paul PAGÈS
Sources

SOURCES : Arch. Dép. Aveyron : 14 W 151/10, 1212 W 6, 93 J 4 — Gaston Laurans, Nant au mois d’août 1944, Rodez, Imprimerie Carrère, 1969 — Aimé Vielzeuf, Ardente Cévenne, Nîmes, Imprimerie Bené, 1973 — Cuche-Dorval, Le combat sanglant de Nant (14-15 août 1944) dans Midi Libre, 15 août 1945 cité dans Gaston Laurans, Nant au mois d’août 1944, Rodez, Imprimerie Carrère, 1969 — Gérard Bouladou, Maquis du Massif Central méridional 1943-1944 : Ardèche, Aude, Aveyron, Gard, Hérault, Lozère, Tarn, Nîmes, éd. C. Lacour, 2006 — Christian Font et Henri Moizet, Construire l’histoire de la Résistance. Aveyron 1944, CDDP Rodez – CDIHP Aveyron, CRDP Midi-Pyrénées, 1997 — Notes personnelles et extraits d’archives transmis par Henri Moizet le 16 février 2021 à André Balent et le 19 mars 2021 à Clotilde Bigot.

Clotilde Bigot

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