Saint-Denis-le-Thiboult, commune forestière de Seine-Maritime, fut le siège du maquis souterrain des Frères Boulanger : appelé le Maquis des Diables noirs ou encore le Maquis de Ry. Dans le périmètre de cette commune existe un monument du souvenir des disparus de ce maquis dont la majorité périrent en déportation en Allemagne.

Plan du souterrain des Diables noirs
Plan du souterrain des Diables noirs
Le monument édifié par l'amicale du Maquis au hameau des Ventes tout proche de la scierie des frères Boulanger.
Le monument édifié par l’amicale du Maquis au hameau des Ventes tout proche de la scierie des frères Boulanger.
Raoul Boulanger à gauche au Maquis-Parc vers 1960, à droite tel qu'il apparaissait lors des parachutages
Raoul Boulanger à gauche au Maquis-Parc vers 1960, à droite tel qu’il apparaissait lors des parachutages
La stelle des deux Diables Noirs pendus par des SS à Bois-Guilbert
La stelle des deux Diables Noirs pendus par des SS à Bois-Guilbert
A Saint-Denis-le-Thiboult, située à vingt cinq kilomètres à l’est de Rouen, les frères Henri et Raoul Boulanger tenaient une menuiserie-scierie près de la forêt. Ils étaient des « fils de tués », Raoul, leur père, était mort au front en 1915. Leur scierie était située au hameau des Ventes, au bord d’une route, derrière la maison : une vaste cour encombrée, contenant les stockages de planches et les fabrications en bois, des monceaux de sciure, derrière cette cour, la forêt s’étendait. En 1940, les deux frères étaient mariés à Lucienne et Augustine et leur mère Pascaline dirigeait la maison en compagnie des deux couples. Cette famille très enracinée dans son terroir, constitua un étonnant réseau de résistance à la fois rural et familial basé sur les relations entre villages au cœur d’un monde rural normand (le pays de Bray) où chacun sait se taire quand il le faut.
Pour commencer, les deux frères décidèrent d’aménager une cache souterraine partant de leur maison qui communiquerait avec la marnière existante sous la cour de la scierie. Amoureuse de théâtre et organisatrice de concerts, la famille Boulanger prit le prétexte de répétitions fréquentes mais réelles d’acteurs amateurs du voisinage pour dissimuler les va-et-vient d’une équipe de « creuseurs » nocturnes dans la maison Boulanger. Petit à petit, à coup de pioches, une cave secrète fut créée, puis un boyau prit forme et s’étendit sous la cour, atteignant la forêt, des pièces furent creusées, le maquis se créait. Ce sous-terrain était ingénieusement conçu : accès depuis la maison par une porte camouflée derrière un haut placard de la cuisine, nombreuses aérations discrètes du sous-terrain dans la cour. Issues de secours vers la forêt. Eclairage électrique dissimulé. Dortoirs. Douches. WC. On pouvait y séjourner durablement. Le sous-terrain pouvait contenir 20 personnes. De nombreux résistants et réfractaires y passeront parfois des mois, ne sortant que la nuit.
Les frères Boulanger, en s’appuyant principalement sur des cousins ou amis de la famille fondèrent ainsi un réseau de renseignement et recrutèrent des combattants dans des communes situées dans un rayon de vingt-cinq kilomètres à la ronde. Les problèmes d’intendance résultant de l’alimentation quotidienne des hommes de ce maquis furent résolus grâce à la franche complicité de certains agriculteurs et commerçants locaux, ainsi que par des cambriolages de tickets de rationnement dans les mairies alentour. Les frères Boulanger et leur équipe portaient à cette occasion une cagoule qui les fit appeler les Diables Noirs. Pour couronner le tout, le côté romanesque des Boulanger s’exprimait ainsi : Raoul prit pour pseudonyme Fantômas et Henri celui de Cartouche.
Puis mai 1942, vit la reconnaissance du maquis par Londres, opérée par Eric Gueugnier et le réseau Jean Marie Buckmaster (SOE). Plus tard on classera le réseau du côté de Combat. Dès lors, le maquis bénéficia de parachutages d’armes dont la majeure partie était stockée pour une utilisation le jour J du débarquement. Mais dans l’immédiat les Diables furent correctement armés ce qui permettait d’espérer transformer les réfractaires qui affluèrent en 1943 en soldats d’élite.
Les polices allemande et française de Rouen cherchèrent activement cet intrépide et insaisissable maquis.
Elles n’ignoraient pas les sentiments anti-nazis des frères Boulanger, mais jusqu’à présent, on ne parvenait pas à les prendre en défaut. Une première expédition à la scierie avec à sa tête le sinistre inspecteur Alie fut vouée à l’échec malgré une fouille de la maison au cours de laquelle le sous-terrain ne fut pas découvert par les Allemands et les GMR de la police française.
Puis en mars 1944, l’inspecteur Alie, obtint les aveux d’un membre du réseau capturé par la police de Rouen, sur quoi une nouvelle expédition investit la scierie le 14 mars 1944 et tortura chez eux les deux frères Boulanger qui tinrent bon et ne parlèrent pas. Le soir même, les frères furent emmenés au siège de la Sipo SD, rue du Donjon à Rouen mais l’essentiel était sauf : la forteresse souterraine n’était toujours pas découverte et les maquisards qui s’y trouvaient purent continuer, non sans pertes en vies humaines ultérieures, leur combat jusqu’à la libération du département. Les frères Boulanger à nouveau torturés Rue du Donjon, furent déportés à Buchenwald après le sévère bombardement du 19 avril 1944 qui dévasta Rouen et pulvérisa en particulier le siège de la police Allemande, Rue du Donjon. L’ampleur des dégâts accéléra l’envoi vers l’est des prisonniers politiques de Rouen.
En 1945, Raoul Boulanger (alias Fantômas) rentra vivant du camp de Buchenwald, son frère Henri (alias Cartouche) avait été assassiné au camp de Flossenburg. Les épouses des deux frères, Lucienne et Augustine qui avaient été déportées revinrent vivantes de Ravensbrück et Bergen-Belsen. Le nombre des Diables noirs, hommes et femmes qui perdirent la vie au cours de ces années de maquis s’élevait à treize morts en déportation et quatre fusillés ou morts au combat.
Les Diables noirs avaient été dès le début de l’Occupation une sorte d’« entreprise familiale » menée de main de maître par les frères Boulanger. Raoul continua après la guerre à en porter le flambeau dans ce même esprit teinté de goût pour le spectacle. Reprenant la direction de la Scierie, l’amicale locale des résistants qu’il fonda, finança un monument rendant hommage aux dix-sept morts du maquis. Ce monument pyramidal est situé à cent mètres de la maison des Boulanger à Saint-Denis-le-Thiboult, hameau des Ventes.
Enfin signalons que la maison de la famille Boulanger avait pour voisin d’en face le Château des Ventes qui était occupé par les Allemands qui n’imaginaient pas la présence si proche d’une activité maquisarde.
Raoul qui avait déjà fait toutes ses preuves de prodigieux inventeur et constructeur, créa, dans les années cinquante un parc d’attraction au château des Ventes qui attira les jeunes de toute la région pendant plus de dix ans. Les familles passaient ainsi une journée à Maquis-Parc. Elles rencontraient à cette occasion mêlé aux promeneurs du dimanche un homme accueillant et dynamique portant un grand chapeau noir : c’était Raoul Boulanger.
Les Diables Noirs morts pour la France
Fusillés ou mort au combat :
LABOUROT Roger, Henri
REVERT Marceau, Serge
DE STOPPELEIRE Louis, Ernest
FLEURY Jean, Désiré
Les morts en déportation du Maquis des Diables Noirs :
SUEUR Jeanne Ravensbruck Décédée à son retour à Rouen le 29 juin 1945
LIZEAUX Ernest Buchenwald le 2 février 1945
BARON Robert Terezin le 11 juin 1945
THEVENET Charles Flossenburg le 10 octobre 1944
QUEDEVILLE André Flossenburg le 20 novembre 1944
BOULANGER Henri Flossenburg le 8 mars 1945
FORTIN Marceau Buchenwald le 6 juin 1944
RICHARD Henri Mauthausen le 10 avril 1945
FRANCHETERRE Raymond Bergen-Belsen en avril 1945
SCHWACH René Flossen le 15 décembre 1944
LECHEVALLIER Honoré Weimar le 9 février 1945
VANCEMESTIER Léon Mulsen le 7 février 1944
BENARD Léon Dormettingen le1er avril 1945
Sources

SOURCES :Hommage aux fusillés et aux massacrés de la résistance en Seine Maritime. 1940-1944. Edité par l’Association Départementale des familles de fusillés de la Résistance de Seine-Maritime 1994 .— René Vérard, brochure Maquis des Diables Noirs L’éclaireur à Gournay-en-Bray (1950).—Raymond Ruffin la résistance Normande face à la Gestapo P. de la Cité ( 1984).—mémorial Gen Web.—Bureau Résistance.

Jean-Paul NICOLAS

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