Les combats de la Libération de la ville firent 13 victimes, 6 parmi les maquisards participant aux combats et 7 parmi les civils. Mais de la fin mai au début juillet 1944, la féroce répression allemande et collaborationniste avait causé la mort d’au moins 15 personnes, résistants, civils ou collaborationnistes liquidés par leurs « amis » (13 à Saint-Girons et 2 à Saint-Lizier, commune de l’agglomération de Saint-Girons)

Saint-Girons (Ariège). Défilé de la Libération : les maquisards de l’AGE. Le chef militaire des guérilleros de la Crouzette, Ramon Rubio, est monté sur le cheval du gendarme rallié aux FTPF, Marcel Oursel, tué dans les combats pour la Libération de Saint-Girons
Libération de Saint-Girons, défilé de la victoire. In Delpla, op.cit., 2019, p. 305.
Libération de Saint-Girons, chef du PPF montré à la foule. In Delpla, op.cit., 2019, p. 347.
Au cœur du Couserans, entre la frontière et des maquis actifs, une petite ville stratégique dans la tourmente de la répression du printemps et des combats de la Libération
Au recensement de la population de 1936, Saint-Girons (Ariège) avait 6406 habitants. Mais elle forme une petite agglomération industrielle (beaucoup de fabriques de papier) avec Saint-Lizier, vieille cité épiscopale, Eycheill et Lorp-Sentaraille. Saint-Girons, sous-préfecture de l’Ariège est par ailleurs la « capitale » du Couserans, région historique de l’ouest du département, correspondant à la plus grande partie du bassin versant du Salat, affluent de la Garonne et limitrophe, au sud avec l’Espagne ; au nord avec le Comminges, au sud-ouest de la Haute-Garonne. Le Couserans est traversé, d’ouest en est par les deux chaînes pré-pyrénéennes de l’Arize et du Plantaurel. Placée à un lieu stratégique permettant la surveillance d’une partie de la frontière franco-espagnole, Saint-Girons est devenue, à partir du 12 novembre 1942 un point d’appui de première importance. La Sipo-SD, la Zollgrenzschutz (Douane, militarisée), le Heer y étaient présents et, dans un premier temps étaient surtout préoccupés par la lutte contre les filières de passage vers l’Espagne. Mais à partir de la fin de 1943, puis, surtout, du printemps 1944, les maquis s’implantèrent en Couserans, dans les massifs pré-pyrénéens : la Crouzette (FTPF et AGE, Agrupación de guerrilleros espa֤ñoles), Betchat (FTPF), Cazavet (bataillon espagnol, anarchiste, du maquis « Bidon 5 » de l’AS. Cf. : Vizcaya Eduardo), La Bastide-de-Sérou (AS). Les forces d’occupation épaulées par les collaborationnistes, en particulier ceux du Groupe d’action pour la justice sociale (GAJS) du PPF de Saint-Girons s’attaquèrent aux maquis dans les semaines précédant la laborieuse et meurtrière Libération, en deux temps, de la ville. Leur action brutale, les meurtres commis dans les actions de répression semèrent la terreur et laissèrent un souvenir glacé des horreurs commises. Celles-ci firent tomber dans l’oubli les graves « bavures » commises par les maquis de la Crouzette et de Betchat. Les combats firent 13 victimes parmi les maquisards participant aux combats (6) et parmi les civils (7). Mais beaucoup d’autres avaient été tués entre la fin mai et juillet 1944 (12 à Saint-Girons et 2 à Saint-Lizier, commune de l’agglomération de Saint-Girons).
Marie-Christine Dargein (op. cit., 1989, p. 37) a signalé dans son remarquable travail pionnier 12 victimes (qu’elle ne nomme pas, sauf René Plaisant) des combats de la libération de Saint-Girons.
Terreur et violences en Couserans avant la Libération de Saint-Girons
Dans les semaines qui précédèrent leur libération, Saint-Girons, le Couserans et la partie du Comminges (Haute-Garonne) de la zone d’influence de cette ville, connurent un déchaînement de violences, du fait, bien connu, de l’action conjointe des forces d’occupation et de leurs amis français. Il faut y rajouter celles provoquées par l’action de certains maquis : bavures, meurtres et même massacre. Celles-ci furent volontairement occultées afin de ne pas entacher la bonne réputation de la Résistance. Ce fut dans ce contexte que se déroulèrent les combats de la libération de Saint-Girons, suivis immédiatement par ceux de Rimont et de Castelnau-Durban.
La Zollgrenzschutz (Douane) avait fait de Saint-Girons un centre stratégique puisque depuis cette ville, elle contrôlait de longs segments des frontières avec l’Andorre et l’Espagne, de L’Hospitalet, à la limite des Pyrénées-Orientales, jusqu’aux Hautes-Pyrénées. Le commandant Robert Piersig, qui était à la tête de la place militaire de Saint-Girons, était un antinazi, membre clandestin du comité « Allemagne libre ». Il avait autorité sur la Douane. Mais, dès la fin du printemps, Piersig avait été mis sur la touche et se contentait d’inspections de postes de douane implantés en montagne. Le général Lottner qui avait autorité sur les services de la Zollgrenschutz en France avait mis en place, à Saint-Girons, un commando spécial de quinze douaniers placés sous le contrôle d’un nazi convaincu, issu de l’Abwher, le capitaine Walter Dreyer qui collabora étroitement avec un autre nazi, Horst Herberstreit, chef de la Sipo-SD. La décision de création de ce commando spécial dirigé par Dreyer avait été prise dès l’été 1943 à Paris. On ignore la date exacte de son installation à Saint-Girons car celles que donnent Émilienne Eychenne (op. cit., 1984) et Claude Delpla (op. cit., 2019) divergent. La Douane allemande avait son siège au château Beauregard, une cossue demeure bourgeoise entourée d’un parc.
La Sipo-SD aux ordres d’Horst Heberstreit était installée à la Mosquée, une villa de style mauresque. Tout comme le « château » de la Douane, c’était un lieu de détention et de tortures. Heberstreit et Dreyer collaboraient étroitement.
À proximité de la Sipo-SD, ses hommes de mains, le plus souvent français, affiliés au GAJS du PPF, formaient une Stosstrupp qui rassemblait des tueurs redoutés, bien rétribués et qui se livraient au pillage de leurs victimes. L’un d’eux, Philippe Berkane, acquit, dès le printemps de 1944, une sinistre renommée, à Saint-Girons, dans le Couserans et, en Haute-Garonne, dans une partie du Comminges.
Nous avons relevé, sur le territoire de la commune de Saint-Girons, entre le 27 mai et le 21 juillet 1944, quatorze exécutions (neuf résistants, trois civils, deux collaborationnistes et/ou amis des Allemands) par la Sipo-SD, le commando spécial de la Douane allemande ou les supplétifs du GAJS (Yves Ouvrieu, Yvette Garrabé le 27 mai ; André Gaston, Gaston Lafourguette le 11 juin ; Pierre Billiart, Jean Vergne le 16 juin ; Louis Richard le 1e (ou le 3 ?) juillet ; Eduardo Richard le 3 juillet ; Henri Mouveroux le 19 juillet ; Christian Cazalbou, Pierre Tarride le 21 juillet, Émile Mauri le 28 juillet). Deux civils furent aussi fusillés par les hommes de Dreyer ou les supplétifs de la Stosstrupp et du GAJS, à Saint-Lizier, commune de l’agglomération de Saint-Girons : Camille Garrès, Aimé Prat. Toutes les victimes n’ont sans doute pas été comptabilisées, car, comme l’affirme d’inspecteur des Renseignements généraux (RG) de Saint-Girons au commissaire des RG de Foix (27 septembre 1948), Dreyer brûlait les corps de ses victimes au toluène. Ont été recherchés, parfois en vain, les restes de personnes disparues signalées comme telles. Dans ce cas, elles figurent sur la liste ci-dessus. Il convient d’y rajouter un « ami » des Allemands Henry Bourret exécuté le 8 juillet et le collaborationniste Philippe Berkane que Walter Dreyer, le jugeant trop compromettant, fit exécuter par ses hommes ou ses supplétifs français du GAJS.
À toutes ces exécutions sommaires, il faut rajouter un grand nombre de résistants ou même de civils du Couserans et d’une partie du Comminges, arrêtées, détenues et torturées à Saint-Girons, transférées à la prison Saint-Michel de Toulouse puis déportées en Allemagne où certaines périrent. Ce fut le cas d’André Guillaumot blessé le 27 mai 1944 à Saint-Girons par Berkane et Vidali (ou Vidalie, né le 29 juin 1923 à Béteille, Lot) qui tuèrent ses compagnons de mission, Yvette Garrabé et Yves Ouvrieu. Guillaumot fut transféré depuis la prison Saint-Michel dans le « train fantôme » d’où il fut débarqué afin d’être fusillé par les Allemands, le 1e août 1944, au camp de Souge, en Gironde.
Résistants abattus ou exécutés ou abattus à Saint-Girons et Saint-Lizier (27 mai-19 août 1944)
Pierre BILLIART
Christian CAZALBOU
Yvette GARRABÉ
André GASTON
Gaston LAFOURGUETTE
Émile MAURI
Henri MOUVEROUX
Yves OUVRIEU
Eduardo RICHARD
Louis RICHARD
Pierre TARRIDE
Jean VERGNE
Civils exécutés à Saint-Girons et à Saint-Lizier (10 et 17 juin 1944)
Camille GARRÈS
Aimé PRAT
Un collaborationniste et un « ami des Allemands » exécutés à Saint-Girons par les Allemands et/ou d’autres collaborationnistes
Philippe BERKANE
Henri BOURRET
Un résistant arrêté et torturé à Saint-Girons, fusillé le 1er août 1944 au camp de Souge (Gironde)
André GUILLAUMOT
Les maquis du Couserans de juin à août 1944 ; FTPF et AGE futurs acteurs des combats de la Libération de Saint-Girons
Au printemps de 1944, les Mouvements unis de la Résistance (MUR) de Saint-Girons avaient été démantelés dans la ville. Seul, s’était reconstitué un groupe franc, et bientôt, un maquis de l’Armée secrète (AS) autour de Castelnau-Durban et La Bastide-de-Sérou (Voir Pédoya Gustave). Le maquis Bidon V (ou Bidon 5) de l’AS, rattaché à la Haute-Garonne accueillit aussi des Saint-Gironnais et autres Couserannais de nationalité française (comme Christian Cazalbou, Pierre Tarride et Émile Mauri tués respectivement le 21 juillet 1944, pour les deux premiers, le 28 juillet pour le troisième).
Les communistes français et espagnols et leurs organisations satellites de la ville s’étaient, pour l’essentiel, repliés dans les maquis du Couserans à Betchat et la Crouzette (Francs-tireurs et partisans français, FTPF) et la Crouzette (Agrupación de guerrilleros españoles, AGE) où ils attirèrent des hommes d’autres tendances politiques et de nombreux jeunes réfractaires du STO. Ces maquis, pour des raisons diverses, connurent des dysfonctionnements et furent à l’origine de bavures, parfois extrêmement graves, qui ternirent leur réputation, celle du maquis de Betchat en particulier. Les anarchistes espagnols de la CNT (Confédération nationale du Travail), nombreux en Couserans étaient, en majorité, — tout comme la majorité des socialistes espagnols, des militants du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste, communistes dissidents) et des nationalistes catalans, peu nombreux en Couserans — hostiles à une adhésion de leurs formations aux organisations de masse impulsées par les communistes (du PCE, Parti communiste d’Espagne ; du PSUC, Parti socialiste unifié de Catalogne), la UNE (Unión nacional española) et l’AGE. Ils préféraient rejoindre les organisations de la Résistance française non communiste au risque de passer pour des « traitres » aux yeux des communistes. Beaucoup d’anarchistes espagnols du Couserans intégrèrent ainsi le maquis Bidon 5 (ou Bidon V) implanté dans le Comminges tout proche à Arbas (Haute-Garonne). Ils formèrent une compagnie espagnole de ce maquis qui installa son cantonnement à Cazavet, commune ariégeoise proche d’Arbas (Voir : Vizcaya Garcia Eduardo). Claude Delpla (op.cit., 1994, p. 9) évoque aussi l’existence d’un maquis espagnol du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste, communiste oppositionnel, souvent abusivement qualifié de « trotskiste » notamment par Delpla dans l’ouvrage cité) près de Rimont. Ces militants, « discrets », étaient commandés, toujours d’après Delpla, par Morgades. Nous n’avons, par ailleurs, jamais trouvé mention de l’existence ou de la moindre participation à une action de ce groupe dans un secteur pourtant riche en événements de juin à août 1944. S’est-il rallié lui aussi, en fin de compte au bataillon espagnol de Bidon 5 ?
Les maquis du Couserans étaient donc bien implantés dans les hauteurs de chaînes pré-pyrénéennes de l’Arize et du Plantaurel. Leurs relations parfois conflictuelles, entre eux et au sein de certaines formations armées, si elles n’ont pas empêché leur participation décisive à la Libération de Saint-Girons, sont à l’arrière-plan d’une situation locale que l’on retrouve difficilement ailleurs. Les maquis d’obédience communiste (FTPF et AGE) ont mené des actions audacieuses, trop souvent à la limite de l’imprudence, en particulier en ce qui concerne le maquis de Betchat dont le chef, Jean Blasco, a été, avant et après la Libération, accusé de crimes et de malversations. La direction du maquis français de la Crouzette, a d’abord été assurée par René Plaisant, son créateur. Mais celui-ci eut des divergences sur la façon de conduire la guérilla avec Amilcar Calvetti, le chef départemental des FFTF implanté à l’autre extrémité du département, dans le Pays d’Olmes. A-t-on aussi reproché à Plaisant les graves « bavures » (Quercabanac, Esplas-de-Sérou et le « tribunal du peuple », La Casace) dont son maquis s’était rendu coupable, parfois de concert avec les guérilleros espagnols de la Crouzette, et avec le silence des socialistes de l’AS ? Plaisant a été destitué de ses fonctions de chef de maquis, juste à la veille de la Libération de Saint-Girons alors que, leader charismatique, il avait la confiance de ses hommes. Calvetti imposa le Catalan des Pyrénées-Orientales, domicilié à Narbonne (Aude), Daniel Pujuila.
Par ailleurs, la scission entre Espagnols ayant rejoint l’organisation armée d’obédience communiste, l’AGE, et les non-communistes, surtout des anarchistes, qui refusaient de le faire, amena les premiers à « liquider » les seconds considérés comme des « traitres ». Le paroxysme de la sauvagerie meurtrière fut atteint le 15 juillet 1944 avec la tuerie de la Casace. Cette violence se rajouta à celle des forces d’occupation et de leurs supplétifs qui semèrent la terreur.
À la veille de sa libération par les maquisards de la Crouzette, le commandant militaire allemand, nominal, puisque ne contrôlant pas des nazis fanatiques comme Horst Heberstreit et Walter Dreyer, était l’antinazi (engagé clandestinement) Robert Piersig.
La première phase des combats de la Libération de Saint-Girons (20 août 1944)
La Libération de Saint-Girons fut le fait des deux maquis, français et espagnol de la Crouzette. Elle fut déclenchée en même temps (20 août 1944) que les opérations prévues par les FTPF et l’AGE pour la libération de Foix et de Pamiers. Les Espagnols de l’AGE libérèrent seuls Foix le 19 août, après avoir accroché les Allemands à Prayols (Voir Redondo José), au sud de la ville, et combattu dans la préfecture. De leur côté, les FTPF pénétrèrent, le 18 août 1944, dans Pamiers sans combats et sur fond de grève générale. De fait, après le débarquement allié en Provence (15 août 1944), le général allemand, commandant le groupe d’armées G, Johannes Blaskowitz — son quartier général était installé à proximité de Rouffiac-Tolosan (Haute-Garonne), au nord de Toulouse —, donna l’ordre à toutes les unités militaires, de douane et de police, de quitter les cantonnements où elles se trouvaient et de faire mouvement, regroupées en Marschgruppen, vers la vallée du Rhône, via les piémonts des Pyrénées orientales (Ariège et Aude) et du Massif Central méridional puis les plaines du Bas Languedoc méditerranéen. La garnison de Saint-Girons devait théoriquement attendre l’arrivée de la colonne venant de Saint-Gaudens qu’elle allait renforcer puis poursuivre vers Foix afin de récupérer les effectifs présents dans cette ville et la haute vallée de l’Ariège. Les maquisards de la Crouzette tentèrent la prise de Saint-Girons avant l’arrivée attendue des Allemands de Saint-Gaudens accompagnés de supplétifs turkestanais (Asie centrale soviétique) de l’Ost Legion que les populations locales qualifiaient de « Mongols ».
Ce fut dans ce contexte, et afin de compléter la libération du département déjà réalisée dans sa partie orientale (Pays d’Olmes et de Foix), que fut décidée l’attaque de Saint-Girons. Les maquisards français et espagnols de la Crouzette avaient été mobilisés le 19 afin de libérer Foix, mais, sur leurs camions, ils arrivèrent pendant la nuit alors que la ville était libérée. Ils firent alors mouvement vers Saint-Girons encore occupée. Les FTPF étaient environ 250 et les guérilléros espagnols 150.
Trois hommes venus de la Crouzette décidèrent de la stratégie de l’attaque de Saint-Girons : Daniel Pujiula, le nouveau chef de la 3102e compagnie de FTPF de l’Ariège ; René Plaisant, son prédécesseur destitué, mais qui jouissait de la confiance des combattants du maquis ; Ramon Rubio, ancien officier de l’Armée populaire de la République espagnole, dirigeant local de l’UNE (Unión nacional española), chef militaire du 3e bataillon de la 3e brigade de l’AGE bientôt promu au rang de brigade, la 468e : il ne faut pas le confondre avec Fidel Puerto Burgos, alias « commandant Ramon », lui aussi un des cadres du maquis de la Crouzette et présent dans les combats de Saint-Girons. Le matin du 20 août, les hommes des deux maquis français et espagnol descendirent de leur montagne et se retrouvèrent à l’entrée est de Saint-Girons, à l’embranchement entre la RN (aujourd’hui RD) 117 et la D 627 en direction d’Audinac-les-Bains (commune de Montjoie-en-Couserans). Les trois décidèrent de diviser leurs effectifs en plusieurs groupes.
Le commandement du premier d’entre eux fut confié à Alfonso — prénommé aussi « Manuel » selon les sources — Mohedano, alias « Moreno » l’un des dirigeants du 3e bataillon de la 3e brigade de l’AGE. Il suivit les crêtes au nord de la ville et se dirigea ensuite vers Saint-Lizier.
Le deuxième groupe était commandé par Marcel Coumes alias « Soum », un militaire de carrière qui avait rejoint les rangs des FTPF de la Crouzette le 5 juillet 1944 : né le 10 mars 1907 à Erp (Ariège), commune du Couserans et décédé le 29 mai 1976 à Rivèrenert (Ariège), il avait été sous-officier du service du recrutement à Alger, puis agent principal de la chancellerie à la subdivision de Blida (Algérie). À partir du 4 janvier 1942, il fut muté à la chancellerie de la 16e région militaire (Toulouse). Après la dissolution de l’armée d’armistice, il fut employé comme agent du Génie rural à Toulouse. Au maquis de la Crouzette, il fut promu capitaine et devint un des adjoints de René Plaisant, commissaire aux opérations. Son groupe se déploya sur les collines qui dominent le cimetière de la ville.
Le troisième groupe dirigé par Élie Hentz alias « Chadon » (4 septembre 1919, Blaye, Gironde – 6 mai 1986, Toulouse, Haute-Garonne) comprenait aussi Pujuila et Plaisant ainsi que l’officier de l’AGE, Ramon Rubio Miranda. Ce groupe pénétra dans Saint-Girons par l’avenue de Foix (renommée après la Libération, avenue René-Plaisant). Il fut arrêté par les forces allemandes à la place de la Bascule. Le commandant des guérilleros Ramon Rubio Miranda fut très grièvement blessé à cet endroit. Ses poumons furent perforés, son bras et sa jambe gauche furent paralysés et il dut être amputé du bras droit à l’hôpital de Foix.
Le quatrième groupe commandé par Bonnaire (FTPF) — sur lequel on ne dispose que de peu d’informations, si ce n’est qu’il intégra tardivement le maquis de la Crouzette, le 10 août 1944 — disposait de mitrailleuses. Le fait que, dès la Crouzette, il commandait le groupe des mitrailleuses laisse supposer qu’il avait des compétences militaires préalables. Son objectif était, après avoir longé la voie ferrée, d’attaquer un point d’appui allemand, la villa d’Aulot.
Entre temps, un prêtre bien informé signala à l’état-major résistant que les Allemands de la garnison de Saint-Girons attendaient le renfort d’une forte colonne en provenance de Saint-Gaudens (Haute-Garonne).
On remarque que sur les trois groupes commandés par des FTPF, aucun n’a été confié aux proches compagnons de René Plaisant qui, avant la rétrogradation de ce dernier, avaient conduit, sous sa direction, les opérations du maquis. Les responsables nommés par le nouveau chef de la compagnie, Daniel Pujiula, étaient des nouveaux venus à la Crouzette et n’avaient pas été mêlés aux « bavures » de juin et de juillet 1944, signalées plus haut. Il n’est même pas sûr que, issus de l’Armée (prouvé pour Coumes, probable pour Hentz et Bonnaire), ils aient été adhérents du PC (Coumes, en tout cas, bientôt promu chef militaire du maquis, ne l’était pas). Pour les combats de la Libération du Couserans et de l’Ariège, Calvetti et Pujiula, militants communistes, ont privilégié le professionnalisme des cadres militaires de ce maquis, au détriment de militants, Plaisant au premier chef, dont les actions avaient en définitive nui à la réputation du maquis de la Crouzette.
Les combats se poursuivirent durant toute la matinée. Le groupe commandé par Coumes rejeta les Allemands vers le Salat et réussit à effectuer sa jonction avec le groupe commandé par Hentz à la place de la Bascule où les Allemands avaient établi un noyau de résistance. Le groupe de Hentz venait de perdre deux combattants, lors de durs affrontements près de la Croix Rouge. Marcel Oursel, déserteur de la Garde, arrosait les Allemands de balles avec sa mitrailleuse. Blessé, il couvrit le repli de ses camarades en arrosant de balles les Allemands jusqu’à épuisement des munitions avant d’être mortellement atteint par une balle. Au même endroit, Jean Eychenne, entré la veille au maquis, fut également tué en action de combat.
Après leur jonction, les deux groupes firent mouvement vers le collège, un des centres de la résistance allemande. Vers 10 heures, alors qu’ils étaient à proximité de l’établissement, René Plaisant fut tué, près de chez lui, à l’angle des rues Rouaix et Saint-Valier. Il y a deux versions de la mort du créateur du maquis de la Crouzette. Sa mort fut attribuée aux balles allemandes. Plaisant demandait à des Allemands de se rendre. S’étant imprudemment mis à découvert, il a été mortellement atteint par une balle dans la tête. L’historienne Élérika Leroy a interrogé le 11 avril 1997, à Saint-Girons, des maquisards de la Crouzette, Adrien Jonis (FTPF) et Achille Baselga (AGE). Dans leur dialogue, l’un des deux a expliqué que Plaisant avait été tué par une balle venant des rangs des maquisards. Si la preuve de cette affirmation n’a pas été apportée, la première version demeure la bonne. Il n’en demeure pas moins que, à défaut d’être une réalité, la rumeur de sa « liquidation » par des camarades a pour fondement ce que nous avons expliqué plus haut. Chef charismatique destitué et remplacé, Plaisant ne jouissait plus de la confiance des cadres des FTPF et du PC dont il était un militant exemplaire et dévoué. Mort, dans les deux cas de figure, il devenait un héros et martyr, symbole des combats pour la libération de Saint-Girons.
Les résistants poursuivirent leur avancée vers le champ de Mars et le collège, principal centre de résistance allemande dans Saint-Girons. Près du café de la Poste, un FTP, Alphonse, François Madrigina (né le 1er septembre 1917) avec des attaches à Marseille (Bouches-du-Rhône), tua Walter Dreyer, le chef du commando de la Douane allemande qui, avec ses complices français avait semé la terreur à Saint-Girons et dans le Couserans pendant les semaines précédentes. Dreyer était en train d’installer une mitrailleuse à proximité du café de la Poste lorsque Madrigina fit mouche. On aurait retrouvé, après la Libération, les plans dressés par Dreyer afin de détruire Saint-Girons après son abandon par les forces allemandes.
La première phase des combats de la Libération de Saint-Girons fit aussi des victimes civiles. Ceux qui, dans les années précédentes, témoins, journalistes et historiens ont écrit sur ces journées situent ces morts violentes dans la deuxième phase, après l’entrée dans la ville de la colonne de Saint-Gaudens, alors qu’elles avaient été attribuées aux atrocités commises par les Allemands et les Turkestanais dans la nuit du 20 au 21 août 1944. Cette version a été répétée année après année. Or, sur les sept victimes civiles cinq le furent dans la matinée, pendant les combats entre les maquisards et les forces allemandes de Saint-Girons. Les heures portées sur les actes de décès de l’état civil en sont une preuve irréfutable. Ces victimes furent tuées par des balles perdues qui ont pu être tirées aussi bien par les Allemands que par les résistants. Il est vrai, aussi, que ces personnes, mues par la curiosité firent preuve d’imprudence. Les deux autres civils furent tués dans la nuit du 20 au 21 août.
Le premier tué, dès 9 heures du matin le 20 août, place des Capots, fut Jean Desbiaux. Jean Dupont, blessé par une balle perdue, mourut à son domicile à 10 heures. Comme son corps fut jeté dans le Lez pendant la nuit du 20 au 21, on a cru qu’il avait été tué à ce moment-là. François Molle habitait 65 boulevard Frédéric Arnaud. Il fut tué à 11 heures 45. Il était sorti de son salon et regardait ce qui se passait à l’extérieur et fut tué sur le pas de sa porte. Jean Ferré fut tué par une balle perdue chez lui à 12 heures. Joseph Soueich fut la cinquième et dernière victime de cette première phase des combats : il mourut de ses blessures à l’hôpital à treize heures.
La deuxième phase des combats de la Libération de Saint-Girons
Vers 12 heures 30, le Marschgruppe provenant de Saint-Gaudens fut annoncé à l’entrée de Saint-Lizier. C’était un impressionnant convoi de 94 camions. Il rassemblait environ 2000 hommes, des Allemands et des supplétifs de la Légion du Turkestan formée par des prisonniers de guerre soviétiques musulmans originaires des républiques turcophones d’Asie centrale. Ils étaient localement connus comme « Mongols ». Les maquisards évacuèrent la ville. Le groupe de Mohedano avait attaqué l’avant-garde de cette colonne, mais il se replia bientôt, avec celui de Hentz, vers le bois de Montfort lorsqu’il prit conscience de son importance. La colonne hésita à pénétrer dans la ville car elle pensait que le maquis lui tendait un piège. Une erreur de jugement amena d’ailleurs les Allemands retranchés dans le collège à être victimes de tirs de la colonne et à riposter. Ce ne fut qu’en fin d’après-midi, vers 18 heures, que le Marschgruppe entra dans Saint-Girons où ne restaient plus que des résistants isolés qui n’avaient pas eu le temps d’évacuer le cœur de la cité.
Les Allemands de la colonne mais, surtout, les prétendus « Mongols » (l’opinion publique leur attribua la quasi-exclusivité des méfaits) de la Légion du Turkestan terrorisèrent nuitamment la population saint-gironnaise, pillant, saccageant et violant. Ils prirent une trentaine d’otages qu’ils enfermèrent pendant plusieurs heures, avant de les relâcher au moment de leur départ, place de Belgique, dans la maison Chancholle. Nous avons expliqué plus haut que on avait généralement considéré que la mort des victimes civiles de la Libération de la ville était survenue durant cette seconde phase. Ce ne fut vrai que pour deux d’entre elles, sur les sept relevées. Jean Vidal fut tué par une balle perdue au tout début de cette seconde phase, à 19 heures 30, près de la villa Beausoleil. Le second mort civil, Pierre Mauret, blessé, mourut le lendemain matin, à 1 heure trente, à l’hôpital de Saint-Girons, 23 rue de l’Hôpital.
Il y eut aussi des morts (3) dans les rangs des guérilleros espagnols, ou du moins, dans ceux de l’UNE (Unión nacional española), d’obédience communiste, mais revendiqués après la Libération comme ayant été des combattants de l’AGE et ayant été signalés comme ayant combattu lors de la Libération de Saint-Girons. Juan Benedito, blessé le 20 août, à une heure indéterminée, mourut le 21 août à 19 heures à l’hôpital de Saint-Girons. Un autre Espagnol, Manuel Navarro a été signalé parmi les victimes des combats de la nuit aux premières heures du 21 août, mais il ne figure pas sur le registre des décès de l’état civil de Saint-Girons. Mariano Cales, revendiqué par l’AGE, fut blessé dans les premières heures du 21 août avant le départ des Allemands et des Turkestanais et mourut plus tard, des suites de ses blessures.
Si le gros des maquisards s’était replié, il y eut des échanges de tirs avec les résistants encore présents, provoquant la mort des victimes que nous venons de signaler. Après le départ de la colonne, FTPF et guérilléros, maintenant renforcés par le groupe Rémy de l’AS du commandant Marcel Travers et par des éléments de l’ORA (Organisation de résistance de l’Armée) qui avaient été sous l‘autorité du capitaine Henri Clarac, entreprirent de réduire les éléments ennemis encore présents intra muros.
Épilogue
Maintenant renforcée par la garnison allemande de Saint-Girons et les divers collaborationnistes français qui avaient participé aux tâches répressives, la colonne reprit la route vers l’est dans l’espoir de « récupérer » les effectifs allemands de Foix et de la Haute Ariège. Ses chefs savaient qu’ils devaient traverser le village de Rimont réputé être un des bastions de la Résistance. Ils n’hésitèrent pas à le détruire en massacrant des civils (Rimont (Ariège), massacre de civils, 21 août 1944) et en se heurtant à une vive riposte des maquisards (Rimont (Ariège), résistants morts en action autour du village ou retrouvés morts près de celui-ci, 21 août 1944).
Le lendemain, le 22 août, à Castelnau-Durban, les forces résistantes coalisées de l’Ariège renforcées par des effectifs de l’Aude et de la Haute-Garonne obtinrent la reddition de la colonne dont la capitulation fut signée dans une maison du hameau de Ségalas (commune de Durban-sur-Arize), consacrant la Libération totale du département de l’Ariège.
Résistants
Juan BENEDITO
Mariano CALES
Jean EYCHENNE
Manuel NAVARRO
Marcel OURSEL
René PLAISANT
Civils
Jean DESBIAUX
Jean DUPONT
Jean FERRÉ
Pierre MAURET
François MOLLE
Joseph SOUEICH
Jean VIDAL
Sources

SOURCES : Service historique de la Défense, Vincennes, GR 19 P 9/13, dossier d’homologation de la 3102e compagnie de FTPF de l’Ariège. — Arch. dép. Ariège, 45 W 65, rapport de l’inspecteur des Renseignements généraux de Saint-Girons au commissaire des RG de Foix, 27 septembre 1948 ; 491 W 61, rapport de l’inspecteur des Renseignements généraux de Saint-Girons, 22 novembre 1949 ; 64 J 23, fonds Claude Delpla, notes manuscrites ou tapuscrites de Claude Delpla concernant René Plaisant, références dans l’une d’entre elles à la thèse doctorale de Robert Fareng, Toulouse, 1984 et au livre de Danielle et Jean-Charles Sutra, Patriotes d’Ariège 1939-1945, Pamiers, Le Patriote, 1986 ; 64 J 213, fonds Claude Delpla, maquis de la Crouzette (FTPF et AGE) ; 64 J 206, fonds Delpla, maquis de Betchat. — Grégory Bouysse, Encyclopédie de l’Ordre nouveau. Histoire du SOL, de la Milice française & des mouvements de collaboration, tome 2 partiellement en ligne, Paris, Lulu, 2016, 126 p. non paginé. — Marie-Christine Dargein, La Résistance en Ariège, maîtrise, Pierre Laborie (dir.), Toulouse, 1989, 134 p. — Claude Delpla, La bataille de Rimont et de Castelnau-Durban, Saint-Girons, imprimerie Barat, 1994, 39 p. — Claude Delpla, La libération de l’Ariège, Toulouse, Le Pas d‘oiseau, 2019, 514 p. — Roland Dorgelès, Carte d’identité : récit de l’occupation, Paris, Albin Michel, 1945, 91 p. — Raymond Escholier, Maquis de Gascogne, Genève, Éditions du Milieu du monde, 1945, 350 p. — Émilienne Eychenne, Montagnards de la liberté. Les évasions par l’Ariège et la Haute-Garonne 1939-1945, Toulouse, Milan, 1984, 364 p. — Narcisse Falguera (dir.) Guérilleros en terre de France les républicains espagnols dans la Résistance française, Pantin, Le temps des cerises, 2004, 316 p. — Jean-Paul Ferré (dir.), Les Couserannais racontent 39-45, témoignages en occitan recueillis par Eth Ostau Comengés, avec traduction française et CDROM, Toulouse, Le Pas d’Oiseau, 2019, 141 p., cf. les témoignages d’Henri Dougnac, « Eths 20 e 21 d’aost a Sent Guironç », p. 116-117 et de Jean-Baptiste Sentenac, « Qu’era dimishe maitin », p. 118-120. — Paul Gos, « Dimanche 20 août 1944. Récit de la Libération de Saint-Girons », en ligne sur Internet, 2020. — Michel Goubet, « La répression allemande et milicienne dans la vallée du Salat et aux alentours. 10 et 11 juin 1944 » in La résistance en Haute-Garonne, CDROM, Paris, AERI (Association pour des études sur la résistance intérieure), 2009. — André Laurens, L’Ariège des « collabos » 1940-1945, Toulouse, La Corep, 2014. — André Laurens, Ariège 1942-1944. Le PPF Parti populaire français. Un parti politique à la solde des nazis, Toulouse, Imprimerie Corep, 2021, 355 p. — Élérika Leroy, Les résistants et l’épuration. Aspects de la répression contre les collaborateurs dans le Midi toulousain 1943-1953, maîtrise sous la direction de Pierre Laborie, université de Toulouse-Le Mirail, 1998, 200 p. — Louis Rivière, La guerre de grand-papa, 3, Refus en Couserans, Saverdun, Imprimerie du champ de Mars, 1981, 175 p. — Ferran Sánchez Agustí, Maquis en el Alto Aragón. La guerrilla española. La guerrilla en los Pirineos centrales (1944-1949), Lérida, Editorial Milenio, 2011, 391 p. — Dialogue entre Adrien Jonis et Achille Baselga recueilli et enregistré par Élérika Leroy (Saint-Girons, 11 avril 1997) communiqué à André Balent le 9 février 2021.

André Balent

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