Né le 28 décembre 1919 à Escaudain (Nord), fusillé le 15 novembre 1941 à la citadelle de Lille (Nord) ; instituteur ; militant des Jeunesses communistes ; résistant de l’Organisation spéciale de combat.

Félicien Joly naquit dans une famille ouvrière. Son père, Dorothée Joly, ouvrier métallurgiste, était un fervent syndicaliste dont l’action lui valut quelques mois de prison en 1909 pour « entrave à la liberté du travail ». Dorothée Joly fut arrêté avec son ami Henri Dhenain qui lutta constamment à ses côtés. Comme beaucoup de militants socialistes ou syndicalistes de l’époque, il fut « interdit de travail » par les sociétés métallurgiques et, comme eux, chassé d’usine en usine. Il ouvrit un estaminet qui lui permit de faire vivre sa femme et ses trois enfants : son fils, Félicien, et ses deux filles, Dorothée et Émilie. Ce café servit de lieu de réunions aux organisations ouvrières. En 1920, il adhéra au nouveau Parti communiste, section française de l’Internationale communiste. C’est dans ce milieu militant que Félicien Joly fut élevé.
Les mineurs et les métallurgistes ont toujours voulu que leurs enfants fassent de bonnes études qui leur permettent d’échapper à leurs effroyables conditions de travail. Dorothée Joly était de ceux-là. Félicien Joly fit de bonnes études primaires à Escaudain, puis suivit le cours complémentaire. Titulaire du brevet élémentaire, il entra à l’école primaire supérieure de Valenciennes en octobre 1937 et y prépara en trois ans le brevet supérieur qui devait lui permettre de devenir instituteur. À l’EPS, en 1939, il retrouva en son professeur de pédagogie et de philosophie, Jean-Marie Fossier, le militant avec lequel il avait discuté chez lui deux ans plus tôt à l’occasion de nombreuses réunions en faveur de l’Espagne républicaine. Précisément, Jean-Marie Fossier revenait de la guerre d’Espagne. Tous deux s’en entretinrent car la jeunesse avait développé la solidarité et apportait son concours aux blessés des Brigades internationales (il y en avait quelques-uns dans la région d’Escaudain) et aux réfugiés espagnols. Le 21 novembre 1939, Jean-Marie Fossier fut révoqué en raison de l’interdiction du Parti communiste. Immédiatement, Félicien Joly organisa une protestation à laquelle s’associèrent ses condisciples ; une délégation à la direction se heurta au silence et à la gêne. Félicien Joly militait déjà dans les Jeunesses communistes depuis 1933 et au sein de l’EPS de Valenciennes. Au début de 1940, il fut arrêté quelques jours par la police française qui le soupçonna de distribution de tracts.
Mai-juin 1940 virent la défaite puis l’Occupation. Félicien Joly allait pouvoir donner toute la mesure de son courage et de son engagement. En septembre 1940 à Dechy eut lieu une très importante réunion de reconstitution de la Jeunesse communiste dans le département du Nord. Onze jeunes y assistèrent, parmi lesquels Germinal Martel, le fils du député communiste de Douai, Jules Bridoux, de Fenain, le Lillois René Denys, un Italien de Fenain, Eusebio Ferrari, et Félicien Joly. Ces jeunes formèrent plus tard l’ossature de l’Organisation spéciale de combat, les futurs FTP. À tout hasard, les jeunes de la Jeunesse communiste ramassèrent des armes et des munitions abandonnées par l’armée française ; Félicien Joly récupéra de la poudre et des obus d’une batterie de DCA abandonnée à Wandignies-Hamage. Ils se livraient à la propagande en diffusant tracts et journaux du parti et du syndicat clandestin des mineurs. Dans la lutte armée qui commença à la mi-juillet 1941, Félicien Joly se montra un organisateur remarquable, préparant lui-même les engins explosifs. Les autorités allemandes mettront à son compte et à celui de ses camarades vingt-huit attaques contre des puits et des usines et vingt-deux contre des voies ferrées et des locomotives.
Le 18 septembre 1941, Félicien Joly fut arrêté à son domicile sur dénonciation et emmené au commissariat de Denain puis à Valenciennes. Vinrent ensuite l’internement à Loos et les interrogatoires « renforcés » à Loos et à Lille. Le 30 octobre 1941, le tribunal de guerre de la Feldkommandantur FK 678 de Lille le condamna à la peine de mort avec quatre de ses camarades ; les sept autres écopèrent d’un an et demi à dix ans de prison. Le contenu de la sentence faisait état de vol et détention illégale d’explosifs et d’attentats au moyen d’explosifs contre des voies ferrées et d’importantes installations industrielles. De sa prison, Félicien Joly écrivit à sa famille des lettres pleines de courage, de dignité et d’un humanisme dominant les oppositions nationalistes. Il saluait « le noble peuple de la noble Allemagne » en évoquant ses lectures de Goethe. Il se prépara à la mort sans haine et en l’offrant avec un optimisme invincible pour le bonheur de tous les hommes. Le 15 novembre 1941, Félicien Joly et ses quatre camarades, Jean Dubois, Sandor Serediak, Charles Robiquet et Maurice Dor, ont été fusillés dans les fossés de la citadelle de Lille.
Le collège d’Escaudain (Nord) porte son nom.
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Dernières lettres
 
4 novembre 1941
Mes chers parents,
Mes chères sœurs,
C’est peut-être la dernière lettre que je vous écris. Nous sommes passés devant le tribunal militaires Cinq sont condamnés à mort. J’ai écrit au commandant pour obtenir la grâce de mes quatre camarades ; moi, je ne reviendrai certainement pas, je conserve jusqu’au bout un moral excellent qui fait l’admiration de tous.
Notre sang, la vie de tous ceux qui tombent ne sont pas perdus. La lutte forge des énergies. Méprisez ceux qui ont peur de leurs responsabilités ; soyez forts, comme je saurai l’être au moment de mourir...
Je sais que tous les amis pensent à moi. Le jour où je ne serai plus, il ne faudra pas oublier les camarades en prison, et vous, devez faire pour eux ce que vous avez fait pour moi. Ce sera la meilleure façon de ne pas m’oublier.
F. J.
 
11 novembre
 
Je regrette de vous avoir fait connaître la condamnation qui me frappe, je sens trop bien le coup que vous allez recevoir, et si parfois je deviens triste dans ma cellule, c’est que je songe aux familles de mes quatre camarades condamnés à mort comme
moi, comme je songe à vous ; je ferai tout pour les sauver, je ne désespère pas d’y parvenir, moi, je n’ai pas peur de la mort
Maman, je te demande d’être forte, de me comprendre, de savoir souffrir. On m’a accordé de te voir avant que je meure. Si tu devais venir, viens les yeux secs, afin que je reste fort. Sois digne de moi, comme je suis digne de tous ceux qui souffrent en
silence, de tous ceux qui savent souffrir. .
F. J.
 
.15 novembre
A tous ceux qui me sont chers,
Cette ettre, est la dernière que je ’vous écris ; elle arrivera après ma mort. Elle va éveiller en vous de douloureux souvenirs ; je ne suis pas
un lâche, j’ai accepté la peine infligée et je vais mourir.
Papa et maman, mes chères sœurs, ne me pleurez pas, soyez fiers de moi’ au contraire. J’ai vu un prêtre, non pour recevoir un baptême, mais, pour qu’il répète de vive voix mes dernières déclarations.
Je voulais que toute l’humanité soit heureuse ; voyez, l’avenir en face, radieux, sûr ; vous serez heureux, et je serai l’artisan de votre bonheur.
Je meurs jeune, très jeune ; il’ y a quelque chose qui ne meurt pas, c’est mon rêve ! Jamais comme à ce moment, il ne m’est apparu plus lucide, plus somptueux, plus près de nous. Enfin, l’heure de mon sacrifice est venue ;’ l’heure de sa réalisation approche, ma lettre se termine, l’heure tourne même, trois heures seulement me séparent de la mort, ma vie va s’achever.
Bientôt le rude hiver, bientôt aussi le bel été ; moi, je vais rire de la mort car je ne vais pas mourir, on ne va pas me tuer, on va me faire vivre éternelle-
ment ; mon nom- va sonner après ma mort non comme un glas, mais comme une envolée d’espoir.
N’oubliez pas les camarades enfermés et dont les familles sont sans ressources. J’adresse mes dernières pensées à tous les professeurs de l’E.P..S. de Valenciennes. Je vais mourir-pour que la France soit libre, forte et heureuse.
F. J.
Sources

SOURCES : DAVCC, Caen. – André Pierrard, Michel Rousseau, Eusebio Ferrari à l’aube de la résistance armée, Paris, Syros, 1980. – J.-M. Fossier, Zone interdite, op. cit., Paris, Éd. Sociales, 1977. – Lettres de fusillés, Éditions France d’abord, 1946, p. 121-123. — Guy Krivopissko, La vie à en mourir. Lettres de fusillés 1941-1944, Tallandier, 2003.

Michel Rousseau, Odette Hardy-Hémery

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