Né en 1891 en Russie, abattu le 29 avril 1944 à Mane (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence) ; réfugié juif, travaillant probablement dans la fourrure à Paris ; victime civile.

Réfugié dans les Alpes-de-Haute-Provence, près de Forcalquier, ce juif d’origine russe est diversement identifié selon les sources, de même que varient ses dates et lieux de naissance. Les certitudes portent sur les circonstances de sa mort : il fut abattu dans des conditions particulièrement atroces, le 29 avril 1944, à 16 heures, à la ferme Raboly (commune de Mane) où il était caché, après avoir sauté d’une fenêtre située à 7 mètres de hauteur pour échapper à une arrestation probable. Grièvement blessé, avec une fracture ouverte du tibia, il fut achevé à coups de mitraillette, à bout portant, alors qu’il gémissait, par un agent français de la Sipo-SD qui faisait partie d’un groupe de quatre, un Allemand et trois Français, appartenant à la bande du truand Charles Palmieri. Celle-ci se livrait à la chasse aux juifs dans la région pour le compte de la section IV B de la Sipo-SD de Marseille (Bouches-du-Rhône). Le groupe était sous la direction de l’un des frères Palmieri, Alfred. Avant d’abandonner le cadavre, les truands le dévalisèrent, prenant son portefeuille avec l’argent qui s’y trouvait. Selon ses compagnons réfugiés dans la ferme, l’homme portait toujours sur lui 150 ou 160 000 F. La bande procéda à des arrestations de façon, semble-t-il, sélective puisqu’à la ferme Raboly où se trouvaient plusieurs réfugiés, seule une femme, sous l’identité d’Anna Henzer, née en 1904, fut arrêtée et, avec quatre prisonniers faits à Forcalquier, conduite à Manosque (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence) où se trouvaient d’autres juifs qui avaient été arrêtés la veille par cette équipe (dont Louise Ernst, l’épouse délaissée du peintre Max Ernst). Le groupe fut conduit le lendemain à Marseille, puis déporté à Auschwitz. Les quatre « policiers » indiquèrent aux gendarmes français de Manosque qu’ils avaient abattu Stchejloff Wladimir qui tentait de fuir. Ils avaient fait la même déclaration au secrétaire de mairie de Mane et au chef de la brigade de gendarmerie de Forcalquier en leur fournissant le même nom. Ce sont les gendarmes de Forcalquier qui se rendirent sur place et recueillirent les premiers renseignements sur les circonstances du meurtre. Les réfugiés qui n’avaient pas été appréhendés confirmèrent que la victime était Stchejloff Wladimir, né le 15 juin 1883 à Losovay-Pawlovroa (en fait Losovay-Pawlovsk), naturalisé français. Il se trouvait à la ferme Raboly avec son épouse. Celle-ci, qui était malade et alitée au moment des faits, avait disparu aussitôt après. Le lendemain, l’inspecteur de police Constant confirmait les informations en orthographiant le nom de façon un peu différente : Vladimir Chtchegloss, encore que le policier se montra prudent en précisant ignorer s’il s’agissait de sa véritable identité.
Vladimir Chtchegloff était un ancien révolutionnaire condamné à 2 ans de prison après la révolution russe de 1905. Exilé en France en 1911 avec son épouse polonaise, il était devenu chauffeur de taxi et militait à la CGT. Après avoir combattu pendant la Grande Guerre, naturalisé en 1926, il était devenu marchand pelletier à Paris et s’était remarié. Bien qu’ayant acquis une certaine aisance, il était peut-être inscrit au parti communiste et en tout cas très proche de Marius Magnien, journaliste, spécialiste de politique étrangère (Extrême-Orient) à L’Humanité et très lié aux Soviétiques. Ces indications sur le parcours de Chtcheglov avant guerre sont fournies par Jean-Marie Apostolidès et Boris Donné, biographes de son fils, Ivan Chtcheglov dit Gilles Ivain (1933-1998), peintre, poète, activiste, critique de l’urbanisme, ancien membre de l’Internationale lettriste (1953-1954), proche un moment de Guy Debord. Ces auteurs précisent qu’ils perdent la trace de la famille Chtcheglov pendant la guerre. Or celle-ci reparaît à Paris au complet après guerre. Le mort de Mane n’est donc pas Vladimir Chtcheglov… Compte tenu de l’origine du mort et de sa probable activité de fourreur, tout laisse supposer qu’il s’était réfugié à Mane avec lui. Pour quelle raison, portait-il les papiers de Chtcheglov ? La question reste ouverte.
C’est grâce à sa fille, Nadia Slobozianska que fut révélée la véritable identité de Fraïm Slobodzianski. C’est elle qui sous le nom d’Anna Henzer avait été arrêtée à Mane par les hommes de Palmieri et qui, revenue d’Auschwitz, put témoigner en 1950. Mariée à Simon Karczmar, assortisseur en fourrure, et plus tard peintre du Shtetl, installée aux Lillas (Seine), elle s’était réfugiée, d’après son fils Natan Karczmar, à Nice en 1942, puis « avec d’autres membres de la famille dans un village en montagne ». C’est là, écrit-il, que son grand-père fut assassiné, tandis que sa mère était arrêtée et que son père prenait le maquis (« Le shtetl de Simon Karczmar » - ArtMag).
Fraïm Slobodzianski a été inhumé au cimetière de Pantin.
À travers cette reconstitution et ses nombreuses lacunes, on voit combien il est difficile parfois de retracer certains parcours, mais on mesure aussi le drame vécu par ces familles, fuyant la zone occupée après les rafles d’été 1942 pour se replier dans un abri relatif en zone d’occupation italienne (Nice), avant de fuir à nouveau à l’automne 1943 alors que l’occupation devient allemande et que la chasse aux juifs est menée par le commando Brunner, pour se réfugier dans un village où viennent finalement les racketter, les arrêter et parfois les assassiner des truands PPF au service des nazis.
Sources

SOURCES : Arch. dép. des Alpes-de-Haute-Provence 42 W 109. ⎯ Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 55 W 148. ⎯ Arch. Pétré, Livre noir pour la XVe Région, Service des recherches de crimes de guerre ennemis, 4 juillet 1945. ⎯ Jean-Marie Apostolidès et Boris Donné, Ivan Chtcheglov, profil perdu, Paris, éditions Allia, 2006. ⎯ Jean Garcin, De l’armistice à la Libération dans les Alpes de Haute-Provence 17 juin 1940-20 août 1944, Digne, 1983. ⎯ Natan Karczmar, (« Le shtetl de Simon Karczmar », www.artmag.com/rencontre/simonk /simonk.html). ⎯ Serge Klarsfeld, Nice, Caserne Auvare : la rafle des Juifs étrangers par la police de Vichy le 26 août 1942 : les transferts de Juifs de la région préfectorale de Nice... et de la principauté de Monaco vers le camp de Drancy en vue de leur déportation, août-septembre 1942, Paris, Association Les fils et filles des déportés juifs de France et la Beate Klarsfeld foundation, 1998. ⎯ Isaac Lewendel, Bernard Weisz, Vichy, la pègre et les nazis. La traque des Juifs en Provence, Paris, nouveau monde éditions, 2013. ⎯ Jacqueline Ribot-Sarfati, « Camps d’internement et déportations des Juifs dans les Basses-Alpes, de la guerre aux occupations italienne et allemande (1939-1944) » in Robert Mencherini dir., Provence-Auschwitz. De l’internement des étrangers à la déportation des juifs 1939-1944, Aix-en-Provence, PUP, 2007.

Jean-Marie Guillon

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