BRUTUS Gilbert, Jacques, Alphonse
Né le 2 août 1887 à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), mort sous la torture ou suicidé le 7 mars 1944 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; adjoint technique aux Ponts-et-Chaussées, joueur, entraîneur, arbitre et dirigeant de rugby à XV ; conseiller municipal de Perpignan (1919-1929), adjoint au maire de Perpignan (1935- 1940), homme politique, militant radical-socialiste puis socialiste clandestin ; résistant (Libération-sud).
Gilbert Brutus (1887-1944) torturé à la citadelle de Perpignan. Représenté, de façon supposée par l’auteur, au palais des rois de Majorque dont on voit la grande cour depuis l’extrémité méridionale de l’aile occidentale.
Tableau anonyme. Centre de mémoire départemental, caserne Gallieni, Perpignan, 2017. Cliché communiqué par Jean-Philippe Alazet. Retouches André Balent, 2 mars 2017.
Joueur de rugby, Gilbert Brutus évolua au poste de troisième ligne ou de trois-quart centre. Il joua d’abord au Stade roussillonnais, club de quartier de Perpignan, puis au Stade toulousain (Haute-Garonne) en 1908 pendant son service militaire. De retour à Perpignan, ce furent les couleurs de l’Association Sportive Perpignanaise (ASP) qu’il défendit. Il en était le capitaine lorsque le club remporta le championnat de France de 2e série, le 23 avril 1911. Ce succès ouvrit les portes de la première division à un club qui devint l’Union sportive des Arlequins perpignanais (USAP). Gilbert Brutus se brouilla avec des dirigeants et fonda le Stade olympien perpignanais (SOP) avec lequel il évolua quand il fut champion de France 2e série, le 27 avril 1913. Fidèle au SOP, Gilbert Brutus ne fut pas de l’ASP championne de France de première division en 1914.
Mobilisé en 1914, observateur en ballon, il règlait les tirs d’artillerie. Il fut attaqué à de nombreuses reprises par des avions et l’artillerie ennemie. Le 2 septembre 1918, il avait accompli 457 heures d’ascension lorsque son ballon fut incendié. Il se sauva en sautant en parachute. Il fut cité à l’ordre de l’Armée.
À son retour du Front, il trouve le SOP et l’ASP décimés. Il prôna la fusion des deux clubs. Quatre délégués se réunirent : Gilbert Brutus et le docteur Rives pour le SOP, Jean Payra* et Félix Barbe pour l’ASP. Le 10 mai 1919, les deux clubs formèrent l’Union Sportive Perpignanaise (USP). Gilbert Brutus arrêta sa carrière de joueur. Il devint, dès lors, un arbitre de premier plan. En 1922 et 1923, il dirigea les deux finales du championnat de France de première division ; en mai 1928, les matchs d’une sélection française qu’il accompagna en tournée au Maroc ; en 1931, un match de sélection France A-France B devant 30 000 spectateurs. Gilbert Brutus était aussi un conférencier écouté qui parcourut la France pour former d’autres arbitres et promouvoir le rugby. Il resta, de plus, très proche du terrain en étant sélectionneur de l’équipe de France et entraîneur de club. De 1922 à 1925, il fut à la tête de l’USP, finaliste du championnat de France de première division 1924 et vainqueur de ce même championnat en 1925. De 1926 à 1930, il joua un rôle similaire auprès de l’Union Sportive Quillanaise (Aude) qu’il conduisit aux finales de 1928 et 1930, et au titre 1929 du championnat de France de première division.
La période quillanaise de Gilbert Brutus fut importante pour deux raisons. La finale de 1929 fut particulièrement violente, essentiellement du fait du comportement des Lézignanais. Les Britanniques se saisirent des incidents pour pointer du doigt une fois de plus la dureté du jeu pratiqué dans le championnat français. Le président quillanais, le chapelier Jean Bourrel, attira à lui beaucoup de joueurs catalans sur les conseils de Gilbert Brutus.
Membre du Conseil fédéral, de la Commission de sélection et de la Commission des arbitres, titulaire de la médaille d’or 1923 de la Fédération française de rugby (FFR), Gilbert Brutus était aussi co-directeur du Languedoc sportif qu’il avait fondé avec son ami Jean Vidal. La FFR reproche à ce journal d’avoir publié des « articles portant atteinte à l’honorabilité des membres de la Fédération et attaquant les prérogatives du Comité directeur ». Le Bureau fédéral radia Gilbert Brutus le 20 avril 1937. Il devient pourtant entraîneur du Football Club de Grenoble (Isère). La Deuxième Guerre mondiale mit un terme à cette nouvelle aventure.
Simultanément, Gilbert Brutus participa à la vie politique perpignanaise. Le 30 novembre 1919, il fut élu conseiller municipal de Perpignan sur la liste d’Union radicale et socialiste conduite par le maire radical Joseph Denis et le socialiste Jean Payra*. Il est réélu le 4 mai 1925. En 1929, quand le radical Victor Dalbiez rompit avec Jean Payra et se présenta à Perpignan aux élections municipales avec François Delcos*, un allié de centre droit, Gilbert Brutus était absent de la liste radicale. Radical autonome, il fut de ceux qui rompirent en mai 1934 avec les radicaux valoisiens et adhérèrent au parti radical Camille-Pelletan, tout en prenant le titre de « radicaux socialistes Jean-Bourrat ».
Lors des élections municipales de mai 1935, au premier tour, Gilbert Brutus arriva en tête de la liste radicale Jean-Bourrat. Bien que n’ayant obtenu que 590 voix, Jean Payra l’intègra au second tour avec trois de ses colistiers dans une liste d’union qui l’emporte. Gilbert Brutus fut élu cinquième adjoint, chargé des sports. En décembre 1935, il présente un projet de Cité sportive qui dépassait les moyens financiers de la ville. En dehors du conseil municipal, il était un militant du Front populaire et une des personnalités du Congrès départemental antifasciste (17 juillet 1935).
Lors de la mobilisation, en septembre 1939, Gilbert Brutus fut versé dans les aérostiers à Toulouse. Du fait de son âge, il fut rapidement renvoyé dans ses foyers. Après la défaite de juin 1940, il participa, dès le mois de septembre, à la fondation du réseau d’évasion Comète qui fit passer quelque 800 Britanniques en Espagne. En novembre 1941, il adhèra au Parti socialiste clandestin (le CAS) en voie de reconstitution dans les Pyrénées-Orientales. En décembre, il était l’adjoint de Brice Bonnery*, responsable du parti socialiste à Perpignan. Il adhéra au mouvement Libération-Sud créé dans les Pyrénées-Orientales en février 1942. Il participa à la manifestation du 14 juillet 1942, fut convoqué par la police puis libéré. Quand, en février 1943, les mouvements de Résistance fusionnent dans les Mouvements unis de Résistance (MUR), Gilbert Brutus était chargé du Service de renseignements (SR). À ce titre, il s’attacha à fournir aux Alliés les plans de défense allemande de la côte méditerranéenne, de La Nouvelle (Aude) à Cerbère (Pyrénées-Orientales). Il fut arrêté le 23 mai 1943 sur dénonciation ainsi que 33 autres de ses camarades. Ils furent libérés le 8 septembre de la prison de Montpellier (Hérault) à l’exception de trois d’entre eux. Alors que le responsable régional du mouvement Libération lui demandait de cesser toute activité clandestine et de se « mettre au vert », Brutus refusa. Le 1er mars 1944, il fut appréhendé à son domicile et emprisonné à la citadelle de Perpignan. Cruellement torturé, il mourut dans sa cellule le 7 mars 1944. D’après certains témoignages, il se serait suicidé à l’aide d’un foulard.
Lors d’une séance du conseil municipal tenue le 6 septembre 1944, la ville de Perpignan donna le nom de Gilbert Brutus à un stade situé au Haut-Vernet, dans la banlieue nord de Perpignan. L’avenue menant au Palais des Rois de Majorque, à Perpignan, porte également le nom de Gilbert Brutus. Son nom figure sur la plaque commémorative des élèves du collège de garçons de Perpignan morts pendant les conflits du XXe siècle apposée dans le hall d’entrée du lycée François-Arago de Perpignan.
Gilbert Brutus était franc-maçon. Il avait adhéré à la loge Saint-Jean-des-Arts-de-la Régularité de Perpignan le 16 mai 1925.
Voir La citadelle de Perpignan (Pyrénées-Orientales)
Gilbert Brutus (1887-1944) torturé à la citadelle de Perpignan. Représenté, de façon supposée par l’auteur, au palais des rois de Majorque dont on voit la grande cour depuis l’extrémité méridionale de l’aile occidentale.
Tableau anonyme. Centre de mémoire départemental, caserne Gallieni, Perpignan, 2017. Cliché communiqué par Jean-Philippe Alazet. Retouches André Balent, 2 mars 2017.
SOURCES : Arch. com. Perpignan, 1D1/41. — Archives de la Fédération française de rugby — Archives d’Henri Merlat, trésorier du Comité du Roussillon FFR XV — Archives de Didier Navarre, journaliste à Midi Olympique (Toulouse). — Archives du Comité du Roussillon FFR XV — Arch. com. Port-Vendres, état civil. — Gérard Bonet, Les Pyrénées-Orientales dans la guerre. Les années de plomb. 1939-1944, Écully, Horvath, 1992, pp. 102, 107. — CAMO, sd, 72 p. — Horace Chauvet, La politique roussillonnaise (de 1870 à nos jours), Perpignan, Imprimerie de l’Indépendant, 1934, 255 p. — Jean Larrieu, Vichy, l’occupation nazie et la Résistance catalane, I, Chronologie des années noires, Prades, Terra Nostra, 1994, pp. 54, 170, 185, 222, 249, 252. — Jean Larrieu, Ramon Gual, Vichy, l’occupation nazie et la Résistance catalane, II b, De la Résistance à la Libération, Prades, Terra Nostra, 1998, pp. 920, 927-930. — Jean-Louis Laffite, 80 ans de la Fédération française de rugby, Avignon, Barthélemy, 2002, 464 p. – Pierre Lafond, Jean-Pierre Bodis, Encyclopédie du rugby français, Paris, Dehedin, 1989, 779 p. — Lucien Maury, La Résistance audoise (1940-1944), Carcassonne, Comité d’histoire de la Résistance du département de l’Aude, tome I, Carcassonne, 1980, pp. 264-265. — Hélène Puig, Les trois principales composantes de la gauche dans la montée du Front populaire dans les Pyrénées-Orientales (du 6 février 1934 au 3 mai 1936), maîtrise d’histoire contemporaine, Université de Montpellier III Paul-Valéry, 1977, 133 p. — Christian Roques, Livre d’or de l’USAP, Marseille, Éditions Darmon, 1972, 70 p. — L’Indépendant des Pyrénées-Orientales du 9 octobre 1918. — Le Cri socialiste, 1934-1935. — Le Républicain du Midi du 12 septembre 1944. — Entretien avec Jean Dunyach, vice-président de la FFR XV et président du Comité du Roussillon FFR XV . — Notes d’André Balent.
Étienne Frénay, Christian Roques