Les 22 et 23 août 1944 à Saint-Michel-de-Maurienne, les affrontements entre les troupes allemandes en retraite et les résistants provoqua la mort de 25 personnes.

Stèle à la mémoire des employés de l'usine A.F.C. exécutés en 1944. Cliché Michel Aguettaz.
Stèle à la mémoire des employés de l’usine A.F.C. exécutés en 1944. Cliché Michel Aguettaz.
Dans la nuit du 21 au 22 août 1944, les troupes allemandes évacuent dans le même temps Grenoble et Chambéry. La Maurienne s’impose comme voie principale de leur retraite vers l’Italie du nord.
Le 22 août, une importante colonne motorisée, composée d’hommes de la Wehrmacht et de Miliciens accompagnés de leurs familles, remonte la vallée et se fait harceler par les groupes FFI. Les premiers véhicules arrivent à Saint-Michel-de-Maurienne vers 15h.30 et font une halte dans la ville. Vers 17h30 l’avant garde repart mais se fait attaquer dès la sortie de la ville au niveau de l’usine A.F.C. de la Saussaz ( cette usine produit de l’aluminium et prendra le nom de Pechiney en 1950. Il n’en subsiste aujourd’hui quasiment aucun vestige ). Ce lieu, en raison de l’étroitesse de la vallée à ce niveau, a été choisi par des groupes de résistants, venus de Beaune sur la rive droite de l’Arc et de Valmeinier sur la rive gauche, pour pratiquer leur embuscade. Après deux heures de combat, l’avant-garde allemande doit faire demi tour et rejoint le centre de Saint-Michel où est resté l’essentiel de l’immense convoi.
En toute fin d’après-midi, Roger Créqui de Montfort, 28 ans, ingénieur de l’usine A.F.C., prend la route à bicyclette pour rejoindre le maquis des Rochilles. Il en a informé son directeur en début d’après-midi. Arrêté peu après son départ, convoyé à la Kommandantur de Saint-Michel, on ne retrouvera son corps que le 28 septembre dans une tranchée proche du cimetière de St Michel.
Aux environs de 21h un détachement de l’Afrika Korps investit l’usine menaçant et malmenant le personnel en poste. Il quitte les lieux vers 6h du matin.
Vers 8h la colonne ayant reçu du renfort tente de reprendre sa progression en direction de Modane. Le scénario de la veille se reproduit : la progression allemande est bloquée à la sortie de la ville et l’usine de la Saussaz se retrouve au centre des combats. Se trouvent à ce moment là 25 ouvriers, quelques employés et le directeur, Jean Marguet. Un rapport rédigé le 15 septembre 1944 par ce dernier nous permet de connaître en grande partie le déroulement des faits.
Située sur la rive gauche de l’Arc, l’usine est infiltrée vers 8 h. par les Allemands qui peuvent ainsi progresser vers l’amont à couvert et riposter aux groupes FFI. Vers 8h.30 un camion de munitions stationné devant la conciergerie explose. Le personnel, de plus en plus inquiet se réfugie dans les souterrains de l’usine mais en est vite et brutalement délogé par les Allemands. Ceux-ci après avoir parqué le personnel dans l’atelier mécanique pendant près d’une heure l’en chasse à coup de rafales d’armes automatiques en l’air. La trentaine d’hommes expulsés se retrouve exposée aux tirs mais les FFI stoppent le feu. Alors qu’ils traversent le pont qui donne accès à l’usine pour rejoindre la route de Saint-Michel ce sont les hommes de la Wehrmacht qui les prennent pour cible. Antoine Da Silva, 45 ans, est tué tandis que deux de ses camarades de travail sont blessés.
Les hommes valides les prennent en charge et le groupe prend la direction du centre ville. Il avance entre la population de la ville, sortie des maisons suite à une fausse alerte aérienne et l’interminable file de véhicules des fuyards. Soldats allemands et miliciens apercevant la petite troupe avec ses blessés, la prend pour un groupe de résistants faits prisonniers. Au fil du trajet, la tension monte. Arrivés au champ de foire, après une pénible marche d’environ 1,5 km, les ouvriers sont pris à partie et trois d’entre eux pris au hasard sont abattus : Adolfe Allizond, 52 ans, Valentin Hauza, 29 ans et Nerino Gigante, 15 ans. Ce dernier tombe sous les yeux de son père.
Jean Marguet crie de toutes ses forces « les quelques mots d’allemand qui lui viennent « Arbeiter aluminium fabrik ! ». Un officier allemand intervient et fait cesser le massacre. Après avoir écouté les explications du directeur, il prend le groupe sous sa protection et le mène dans la villa « Marie » cantonnement du poste de douane allemand, pour le soustraire « à la furie des soldats et miliciens ». Les hommes restent plusieurs heures dans ce refuge avant d’oser regagner leurs domiciles.
Durant le même temps la ville est livrée au pillage et aux exactions et en différents lieux de la ville des exécutions vont avoir lieu. La cité ouvrière de La Calypso où résident les ouvriers d’origine étrangère est investie par des hommes de l’Afrika Korps. Quand bien même la fouille des modestes logis ne donne rien, cinq hommes sont pris. Saar Bendemagh, 37 ans, Taar Bendemagh, 38 ans, Mohamed Ghanem, 31 ans, Lakdar Kelifi, 44 ans et Saïd Salick, 46 ans, sont regroupés devant une des habitations et exécutés sur place. Saïd Salick est abattu sous les yeux de sa femme et de ses 5 enfants.
Paul Clément, 55 ans, mutilé de 1914-18, caissier à l’usine A.F.C., qui passait sur les lieux à ce moment est lui aussi abattu.
Bernard Daviet, Joannes Fontaines et Jean Maschio arrêtés au hasard sont menés jusqu’au cimetière et exécutés devant une tombe vide.
Pierre Costesergent, 13 ans est abattu au lieu dit La Roche tandis qu’Élie Salomon, 50 ans qui cherche à rentrer chez lui à Saint-Martin -la-Porte est abattu à proximité de l’usine Métal Temple.
À l’extrémité Est de la ville, un autre drame se joue. Cinq otages ont été pris. Madaci Djabari, 52 ans, Théophile Pascal, 33 ans, semblent avoir été capturés chez eux au hameau de la Denise. Félix Albert, 43 ans, s’est fait prendre alors qu’il tentait de rejoindre Orelle. Alexandre Zrunine, 48 ans, lui aussi du village de la Denise semble avoir été arrêté dès le 22 août.
Ces quatre hommes sont rassemblés devant le perron de la villa Magnin, située au n°12 de la Grande rue, en début de matinée. Obligés de rester debout, ils sont roués de coups chaque fois qu’ils fléchissent. Vers midi, deux autres hommes sont amenés, Joseph Fontanet, 47 ans et Pacifique Gaspard, 50 ans, tous les deux ouvriers à l’usine A.F.C.
Tous deux s’étaient réfugiés dans une des cités de la société A.F.C. au « Pont de fer ». Ils sont pris peu avant midi alors que croyant le calme revenu, ils cherchaient à rentrer chez eux au hameau du Châtelard situé en aval sur la rive gauche de l’Arc.
Les six hommes sont emmenés dans l’après-midi non loin de là au stade municipal (vers l’actuel bâtiment des sapeurs pompiers) et sont exécutés à l’arme automatique. La violence du tir est telle que le corps de Félix Albert complètement déchiqueté ne put pas immédiatement être identifié.
La liste des victimes ne s’arrête pas là. Lors de l’affrontement avec les FFI, le hameau de la Saussaz situé juste au dessus de l’usine est investi par les Allemands et totalement incendié. Lors de cette attaque, Isidore Renaud, 56 ans est abattu.
Le 25 août un corps entièrement carbonisé est retrouvé au lieu dit « Les glaires de la Saussaz ». Il faut plusieurs jours pour identifier la victime, Ahmed Fellali, lui aussi domicilié au hameau de la Denise et abattu le 23 août.
Enfin subsistent deux victimes pour lesquelles les éléments d’information manquent.
Le 23 août vers 20h., au bord de la R.N. 6 au lieu dit Le Temple est retrouvé le corps d’une femme. Il s’agit de Suzanne Charvet, 28 ans. Inconnue à Saint-Michel on peut se demander si elle faisait partie du convoi allemand.
Pour terminer, la plaque commémorative apposée dans l’enceinte de l’ancienne usine A.F.C. à la mémoire des employés assassinés ce jour là indique le nom d’André Bar. Les registres de l’état civil de Saint-Michel-de-Maurienne ne contiennent cependant pas ce nom et nous ne possédons à l’heure actuelle aucune information supplémentaire sur cette personne.
Ce sont au total 25 personnes qui ont été tuées ce sombre mercredi 23 août, la plupart exécutées.
Le monde ouvrier a payé le plus lourd tribut puisque seize ouvriers furent abattus ce jour-là, dont onze pour la seule usine A.F.C., entreprise qui compte en tout 14 morts.
Une stèle a été érigée en 2024 à la mémoire des employés de l’usine A.F.C. (devenue Péchiney en 1950) exécutés en 1944. Elle est située à proximité du monument aux morts.
Liste des victimes :
Adolfe Allizond
André Bar
Saad Bendemagh
Tahar Bendemagh
Suzanne Charvet
Paul Clément
Pierre Costergent
Antoine Da Silva
Bernard Daviet
Madaci Djabari
Ahmed Fellalhi
Joannes Fontaines
Joseph Fontanet
Désiré Gaspard
Mohamed Ghanem
Nerino Gigante
Valentin Hauza
Lakdar Kelifi
Roger Le Compasseur Créqui Montfort de Courtivron
Jean Maschio
Théophile Pascal
Isidore Renaud
Saïd Salick
Élie Salomon
Alexandre Zrunine,
Sources

SOURCES : Arch. Dép. Rhône, 3808 W 1305, La guerre en Maurienne : rapport sur les atrocités allemandes . — Arch. Dép. Savoie.— État civil de la mairie de Saint-Michel-de-Maurienne.

Michel Aguettaz

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