Le 21 août 1944, 18 prisonniers de la caserne Curiel de Chambéry furent exécutés par des soldats allemands, l’un d’entre eux survécut et en fit le récit.

Le 21 août 1944, la garnison allemande de Chambéry se trouvait dans un isolement relatif. La liaison avec Lyon était devenue incertaine (le 14 août, un convoi en provenance de Lyon avait été attaqué dans les gorges de Chailles, faisant de nombreux morts chez les soldats de la Wehrmacht) et le 19 août, la garnison d’Annecy s’était rendue au commandement FFI. Pour les troupes d’occupation, les vallées de Maurienne et de Tarentaise restaient désormais les seules issues pour fuir. C’est dans cette atmosphère très tendue que le commandement allemand décida de l’exécution de 18 prisonniers, pris parmi les détenus de la caserne Curial qui en comptait alors plus de 60. Il n’y avait eu dans les jours précédents aucune action de la résistance locale pouvant servir de prétexte à des représailles. La décision fut prise vraisemblablement dans la journée du 20 août et l’unique motivation de cette exécution fut, à l’évidence, d’instaurer un climat de terreur. Sur les 18 hommes désignés, 12 étaient Juifs. Parmi eux, un était membre de l’AS. Les 6 autres hommes avaient été arrêtés pour appartenance à la Résistance. Leur désignation semble avoir été faite, au moins pour les non Juifs, par tirage au sort.
Le déroulement de l’exécution nous est connu grâce au témoignage d’un de ces otages, Henri Wirtheimer, qui a miraculeusement survécu. Le docteur Henri Wirtheimer, réfugié en Savoie avec ses parents, travaillait à la clinique Cléret sous le nom d’Henri Wouthers. Il fut arrêté le 13 juillet 1944 à la sortie de son travail et fut incarcéré le jour même, avec ses parents, à la caserne Curial. Cette prison, installée dans la ville même, accueillait prisonniers politiques, résistants et raciaux, entassés dans des cellules dont ils ne sortaient jamais, les portes n’étant ouvertes que trois fois par jour pour la distribution des repas.
Le 21 août vers 5 heures et demie, les soldats allemands passèrent dans les cellules et appelèrent 18 hommes, leur ordonnant de se préparer pour une corvée. Vers 6 heures, ces hommes durent monter dans un camion qui quitta la caserne précédé d’une voiture noire. Le petit convoi prit dans un premier temps la direction de Challes-les-Eaux avant de faire demi-tour et de se diriger vers les Charmettes. Dans le camion, les prisonniers, très inquiets, espéraient toujours qu’ils étaient là pour faire un quelconque travail, ce que leurs gardes continuaient à affirmer. Vers 7 heures, le camion stoppa au champ de tir des Charmettes, situé à 500 mètres à peine de la caserne Curial et à quelques centaines de mètres de la maison chantée par Jean-Jacques Rousseau. L’officier allemand fit alors descendre une dizaine d’hommes. Quelques minutes plus tard, les prisonniers restés dans le camion entendirent des rafales de pistolet-mitrailleurs. Le docteur Wirtheimer témoigne « A ce moment là nous comprenons tout. Nous nous sommes tous embrassés, et avons chanté la Marseillaise, quoique les soldats voulurent nous en empêcher ; bientôt c’était notre tour, on nous fit descendre du camion et rentrer dans le champ de tir. Aussitôt entrés, les mitraillettes commencent à crépiter ; nous tombons tous, moi-même face par terre, et pouvant toujours voir mon pauvre père. A ce moment je n’étais touché qu’à l’épaule, une seconde rafale de mitraillette m’atteint au cou. Puis ce fut le silence complet. On nous traîna dans un coin ; je pus heureusement faire le mort, et ils ne s’aperçurent de rien. Je croyais à tout moment que les bourreaux verraient mes mouvements respiratoires et même qu’ils entendraient les battements de mon cœur. J’entendis encore quelques gémissements, mais quelques coups de revolver et de mitraillettes y mirent bientôt fin ; puis je n’entendis plus rien ». Après quelques minutes Henri Wirtheimer, malgré ses blessures, parvint à se lever et quitter le champ de tir, les Allemands ayant quitté les lieux. Avec l’aide de quelques riverains, il réussit à rejoindre une ferme dont le propriétaire le transporta, dans une brouette, jusque chez les sœurs de Saint-Joseph à Bellecombette. Là, deux de ses collègues, le docteur Robert et le docteur Lavaxellaire, vinrent le chercher et le transportèrent à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu. Dès que le commandement FFI apprit la nouvelle de cette exécution, il fit parvenir à la Kommandantur de Chambéry un ultimatum indiquant qu’en cas de récidive, tous les prisonniers allemands de Savoie et Haute-Savoie aux mains des FFI seraient considérés comme otages et répondraient sur leur vie de la vie des prisonniers encore détenus à la caserne Curial. Le 21 août vers 22 heures, 45 prisonniers étaient libérés, juste avant que les Allemands ne quittassent définitivement la ville.
Le lendemain le commissaire de police de Chambéry trouva les 17 cadavres au stand de tir, légèrement recouverts de sable. Un médecin légiste, le docteur Buisson, procéda à l’autopsie des corps qui furent photographiés avant leur mise en bière.
Le 21 septembre 1944 deux corps étaient encore à identifier. Parmi ces victimes, Roland Gordon, venait d’avoir 15 ans, son cousin Maurice Cherle et Jacques Vuillermet en avaient 19.
Après-guerre, une plaque commémorative fut apposée sur le mur extérieur du stand de tir des Charmettes à la mémoire des 17 patriotes fusillés par les Allemands.
Liste des 17 victimes :
Aronin, Sacha Arcady, né en Russie, domicilié au Puy (Haute-Loire).
Bruckner Sigmund, né le 23 février 1883, à Unterwalderidorf (Autriche), domicilié à Cognin (Savoie).
Cherle Maurice, né le 4 mai 1925 à Montreuil- sous- Bois, domicilié Aix-les- Bains (Savoie) ; résistant.
Cherle Joseph, né le 7 janvier 1903 à Eraterinoslaw, (Russie), domicilié Aix-les-Bains.
Donzel Claude, né le 6 mars 1922 à Chamoux-sur-Gelon (Savoie), résistant FTP.
Dreyfus Jean Donald, né le 9 avril 1906 au Havre (Seine-Maritime), domicilié à Paris ; résistant FTP.
Dryski Antoni, né le 14 juin 1896 à Ogrodzienice (Pologne), domicilié à Petit-Cœur (Savoie).
Duclos Georges, né le 3 décembre 1915 à Albertville, domicilié à la Ravoire (Savoie) ; résistant.
Fildermann Marcel, né le 16 janvier 1918 ou 1908 à Paris XVe, résistant.
Gordon Roland, né le 4 juin 1929 à Paris IVe, résistant.
Juglard René, né le 8 avril 1924 à Bourg Saint-Maurice (Savoie) ; résistant.
Kasprzycki Stanislaw, né 8 septembre 1912 à Opok (Pologne), domicilié Challes-les- Eaux.
Louis Marcel, né le 27 août 1922 à La Bâthie (Savoie), résistant.
Maudelin Lucien, né le 24 juin 1920 à Villard-Bonnot (Savoie)
Schwab André, né le 16 novembre 1903 à Troyes (Aube).
Vuillermet Jacques, né le 11 août 1925 à Aix-les-Bains (Savoie).
Wirtheimer Seiwl, né le 1er mai 1889 à Crechow (Pologne), domicilié à Chambéry.
Sources

SOURCES : Arch. Dép. Savoie 1381 W 31, 1381 w 32, 961 W 31. — Pierre et Roger Calderini, Résistance : 3ème sous-secteur (Tarentaise – Savoie), Association Renaissance et culture de St-Paul-sur-Isère, 1991 (témoignage d’Émile Lennoz-Gratin).

Michel Aguettaz

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